Contenu du sommaire : Politiques de la nuit
Revue | Cultures & conflits |
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Numéro | no 105-106, printemps-été 2017 |
Titre du numéro | Politiques de la nuit |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Pour une sociologie politique de la nuit : Introduction - p. 7-27
- Night as frontier - Murray Melbin p. 29-59 Nous publions ici la traduction d'un article de Murray Melbin, professeur de sciences sociales à la Boston University, paru en 1978 dans l'American Sociological Review. En voici le résumé original. Alors que la colonisation des terres de la planète s'achevait, débutait une période d'extension des activités éveillées sur les 24 heures de la journée. La tendance à l'augmentation du temps d'activité se poursuit, surtout dans les zones urbaines. L'hypothèse selon laquelle la nuit serait devenue un nouveau front pionnier repose sur le postulat que le temps, comme l'espace, peut être investi et occupé par les hommes. Une série d'indices, dont les résultats de plusieurs expériences de terrain, montre que la vie sociale nocturne dans les zones urbaines ressemble à la vie sociale dans les anciennes terres pionnières. Les données empiriques mobilisées concernent surtout la ville de Boston aujourd'hui et l'Ouest états-unien il y a un siècle.We publish the translation of Murray Melbin's article, social science professor at Boston University. This article was published in 1978 in the American Sociological Review . Here is the original summary. While the settlement of some of the world's land areas was coming to an end, there began an increase in wakeful activity over more of the 24-hour day. This trend of expansion in time is continuing, especially in urban areas. The hypothesis that night has become the new frontier is supported by the premise that time, like space, can be occupied and is treated so by humans. A set of evidence, including results of several field experiments, show that nighttime social life in urban areas resembles social life on former land frontiers. The research data refers mainly to contemporary Boston and to the U.S. West a century ago.
- La face cachée d'un groupe professionnel : La conciergerie de nuit ou l'intérêt d'une sociologie nyctalope - Thibaut Menoux p. 61-82 À partir du cas des concierges d'hôtels de luxe, cet article cherche à examiner comment faire du travail de nuit l'objet d'une sociologie des groupes professionnels qui échappe aux pièges d'une catégorisation essentialiste ou relativiste de la « nuit ». Il articule différentes temporalités observées à différentes échelles d'analyse. D'abord, l'échelle microsociologique des tâches quotidiennes est saisie par les outils de la sociologie du travail. Ensuite, l'échelle des trajectoires professionnelles est vue à travers la perspective de la sociologie de l'emploi. Enfin l'échelle plus large du groupe professionnel est abordée sous l'angle de la sociologie des mobilisations collectives. Ces trois étapes montrent toutes que la marginalité des concierges de nuit dessine en réalité la face cachée du groupe dans son entier. Leur prise en compte dans l'analyse, qui oblige le sociologue à élargir son périmètre d'enquête et à se faire en quelque sorte nyctalope, est dès lors indispensable.Based on the case of luxury hotel concierges, this paper addresses the question of how to make night work an object for the sociology of professional groups without producing an essentialist or relativist categorization of what “night time” is. To make this argument, I assemble different temporalities observed at different scales of analysis. Firstly, the micro-sociological scale of day-to-day tasks is analyzed with the tools of the sociology of work. Secondly, the scale of career paths is seen from the perspective of the sociology of employment. Finally, the broader scale of the professional group is looked at from the viewpoint of the sociology of collective mobilizations. These three scales of observation all show that the marginality of night concierges actually outlines the hidden face of the entire group. Their inclusion in the analysis, which obliges the sociologist to widen his scope of inquiry and to acquire somewhat of a night vision, is therefore vital.
- La nuit urbaine, un « espace potentiel » ? Hypothèses dakaroises - Tomas Fouquet p. 83-97 En s'appuyant sur une enquête ethnographique longue à Dakar, auprès de jeunes femmes qui se produisent quotidiennement dans les nuits de la capitale sénégalaise, cette contribution propose de prendre au sérieux l'idée selon laquelle la ville nocturne pourrait susciter le sentiment d'un élargissement du champ des possibles. Les usages et conceptions de la nuit ainsi considérés en font non seulement une temporalité refuge mais un temps-ressource, lieu de reconfigurations sociales et d'expérimentations culturelles. Sur cette base empirique, un objectif exploratoire est poursuivi : mettre le concept d'« espace potentiel », avancé par le psychanalyste britannique D. W. Winnicott, à l'épreuve d'une interprétation des nuits dakaroises. Pour ce faire, la question de la créativité est posée comme centrale, aussi bien dans la définition de l'espace potentiel par Winnicott que dans les enjeux dont les « aventurières de la nuit » Dakaroises investissent la ville nocturne.Drawing on a long ethnographic study in Dakar among young women who regularly frequent bars and nightclubs, this article argues for the need to consider the urban night as a time-space that can give rise to a feeling that “anything is possible”. The city at night can then be seen primarily as a place for social reconfigurations and cultural experiments. On this empirical basis, a more theoretical issue is addressed: what could be the heuristic nature of the concept of “potential space” (D. W. Winnicott) for the study of urban night? To advance these hypotheses, the question of creativity is regarded as a key issue both in Winnicott's conceptualization of the “potential space” and concerning the way the young women I met engage with “Dakar by night”.
- « Être comme chez soi » : Mécanismes de tri et homogénéisation sociale dans les clubs et bars DJ de Saint-Pétersbourg - Anna Zaytseva p. 99-122 Foyers de courants musicaux émergents, certains clubs et bars DJ à Saint-Pétersbourg se constituent comme des lieux de rassemblement de milieux. Pour consolider leur public d'habitués, garant de leur pérennité, les dirigeants de ces lieux mettent en œuvre divers mécanismes d'homogénéisation sociale permettant d'écarter les visiteurs indésirables ou aléatoires : « face control », emplacement confidentiel, diffusion limitée d'information, spécificité de musique et d'ambiance, négligence pour les standards universels de service et d'accueil. Sans constituer de communautés exclusives, ces clubs valorisent ouvertement un « entre soi élargi », une domesticité sécurisée, donnant lieu à des interactions spontanées et informalisées entre les inconnus. Entre un anonymat relatif et une familiarité des « proches », un dégradé de situations intermédiaires devient possible, faisant émerger des formes de sociabilité plutôt inédites dans une métropole post-soviétique.
Venues for new music styles, some clubs and DJ bars in St.-Petersburg take form as places for gathering for certain milieus. To secure and retain the loyalty of regular patrons, and by extension to ensure the sustainability of the establishment, clubs tenders implement different mechanisms of social homogenization to keep out random or unwelcome visitors. Common techniques include face control, being in hidden locations, the limited diffusion of information, the specificity of music and ambiance, and carelessness for universal standards of service and welcoming. Though they don't fully constitute exclusive communities, these venues explicitly value an extended social grouping and a sense of secure domesticity which facilitates spontaneous and informal interactions between strangers. From a relative anonymity to a familiarity between “close relations,” a whole range of intermediary situations become possible, thus enabling the emergence of rather new forms of sociability in a post-soviet metropolis. - De la discipline au travail électoral ? Gouverner l'espace-temps récréatif nocturne à Rennes - Étienne Walker p. 123-143 Depuis 2004 et les premiers affrontements violents entre sortants et forces de l'ordre pour l'appropriation de l'espace public hypercentral nocturne, Rennes se caractérise par un gouvernement des pratiques récréatives dans l'hypercentre nocturne sous des motifs policiers et réglementaires, à la fois par la Préfecture et la Ville. À ce gouvernement disciplinaire s'est progressivement accolé – mais non substitué – un second, constitué de différents « dispositifs de sécurité ». Ces derniers ont été initiés par la municipalité et mis en pratique grâce au relai de nombreux auxiliaires, qu'ils soient médico-sociaux, socioculturels, commerciaux ou bénévoles juvéniles. Ces dispositifs reposent sur la « sanitarisation » et la concurrence culturelle des espaces récréatifs institués. Si leur action se limite aux sortants y participant volontairement, ces dispositifs ont un potentiel d'acceptabilité sociale bien supérieur aux dispositifs disciplinaires et permettent dès lors à l'institution municipale de réassurer sa position gouvernementale.
Since the first confrontation between “night owls” and police forces in 2004, recreational and nocturnal customs in Rennes' city-center came to be governed by both the prefecture and the city council through rules and disciplinary measures. Parallel to this disciplinary form of government, another one, based on security dispositifs, has also emerged. The latter was initiated by the city council but delegated to a variety of auxiliaries, ranging from medical and social workers to cultural agents and shopkeepers as well as young volunteers. Security dispositifs are based on the “sanitization” and cultural competitiveness of customs in designated recreational spaces. If the effectiveness of such dispositifs or devices is dependent on the willingness of night owls to abide voluntarily, in comparison to discipline and rules, they tend to be characterized by a much higher degree of social acceptability. The City is able to guarantee its position as a governmental authority through this second form of government. - La prise en charge nocturne des sous-prolétaires à la rue : Du hors-droit à la profilisation humanitaire de l'urgence sociale (1980-2015) - Patrick Bruneteaux p. 145-162 Cet article ambitionne de montrer une transformation majeure d'un espace social lié à la main gauche de l'État. Alors que la répression des SDF se résumait, au tournant du xxi e siècle, à un nettoyage de rue, des contraintes par corps et l'enfermement dans des foyers d'urgence rudimentaires, les années 2000 ont été caractérisées par des politiques d'humanisation. L'humanitaire auprès des SDF a été pensé par les élites dirigeantes comme par les cadres des associations comme un levier très légitime pour amorcer le processus de responsabilisation de « celui qui est assez aidé pour devoir s'en sortir par lui-même ». En occultant les processus de précarisation et de marginalisation, les maraudes participent d'un processus global de subjectivation des démarches d'insertion. Aller vers les gens la nuit est le point d'orgue de cet amour public qui signifie surtout redéfinir l'action urgentiste auprès des surnuméraires : l'amorçage de la relation invite à individualiser un parcours qui, de fait, devient une mise à l'épreuve de longue durée. L'inclusion périphérique est cette course de longue haleine sans véritable moyen de s'en sortir.
This article aims to show the major transformation of a social space linked to the left hand of the state. If the repression of homelessness at the turn of the twenty-first century was analogous to a street cleaning, while enforcing bodily constraints and confinement in rudimentary emergency shelters, the 2000s can instead be characterized by the humanization of homeless policies. Ruling elites and associative leaders thought of and introduced humanitarian aid for the homeless as a very legitimate lever to initiate the accountability process of “the one who has been helped enough to be able to get by on his own.” By obscuring processes of precariousness and marginalization, nighttime social worker teams participate in a global process of the subjectivation of reintegration. Going to people at night is the greatest expression of this public love which signifies above all the redefinition of emergency action with the supernumerary. The initiation of such a relationship leads to the individualization of a life path which is in fact a testimony of long-term hardship. In the long run, homeless people experience peripheral inclusion without any real way out.
Hors thème
- Des « faux touristes » aux « filières » : la reformulation de la cible des contrôles par la police aux frontières (1953-2004) - Sara Casella Colombeau p. 163-188 Cet article propose de saisir les évolutions des politiques de gestion des frontières françaises sur un demi-siècle (1953-2004) à partir d'un aspect de l'activité de la police aux frontières (PAF) : les pratiques de recueil et l'utilisation d'information issue des contrôles frontaliers. Cette production de connaissance constitue un observatoire privilégié des évolutions professionnelles de ce service de police. D'une police de renseignement à un service centré sur le contrôle de l'immigration dans les années 1970 et, enfin, à une police en charge de la lutte contre la criminalité liée aux migrations à partir des années 1990, elle collabore depuis les années 2000 à l'agence européenne Frontex. La définition de catégories administratives et d'outils d'analyse a accompagné ces transformations vers une criminalisation de l'immigration et une européanisation du contrôle frontalier.
This article seeks to grasp the evolution of French border management policies over a half century (1953-2004) from the vantage point of one specific activity performed by border police (PAF): the collection and use of information from border checks. This form of knowledge production represents a privileged object of analysis by which to observe the professional developments of this police department. The PAF was first an intelligence police department and then a police service dedicated to immigration control in the 1970s, before finally becoming a department in charge of the fight against migration-related crime from the 1990s. Since the 2000s, the PAF now cooperates with the European agency Frontex. In turn, the definition of administrative categories and analytical tools used by the PAF have equally followed such institutional transformations towards the criminalization of immigration and the Europeanisation of border control.
- Des « faux touristes » aux « filières » : la reformulation de la cible des contrôles par la police aux frontières (1953-2004) - Sara Casella Colombeau p. 163-188
Regards sur l'entre-deux
- Les traces de Pedro LEMEBEL : Entretien avec Fernanda CARVAJAL - Fernanda Carvajal p. 191-204 Ce dossier de la rubrique « Regards sur l'entre-deux » est consacré à l'artiste et écrivain chilien Pedro Lemebel (1952-2015), principalement connu pour ses performances et ses chroniques. Il comprend un entretien avec la sociologue chilienne Fernanda Carvajal, qui a longuement travaillé sur son œuvre, et des extraits de ses textes traduits en français.This issue's “Perspectives on the In-Between” is dedicated to the Chilean artist and writer Pedro Lemebel (1952-2015), notably known for his performances and his columns. It includes an interview with Chilean sociologist Fernanda Carvajal, who has consecrated much of her academic career to the study of Lemebel's work, and excerpts from Lemebel's oeuvres translated into French.
- Sur Arder , de Pedro Lemebel - Fernanda Carvajal p. 202-204 Ce dossier de la rubrique « Regards sur l'entre-deux » est consacré à l'artiste et écrivain chilien Pedro Lemebel (1952-2015), principalement connu pour ses performances et ses chroniques. Il comprend un entretien avec la sociologue chilienne Fernanda Carvajal, qui a longuement travaillé sur son œuvre, et des extraits de ses textes traduits en français.This issue's “Perspectives on the In-Between” is dedicated to the Chilean artist and writer Pedro Lemebel (1952-2015), notably known for his performances and his columns. It includes an interview with Chilean sociologist Fernanda Carvajal, who has consecrated much of her academic career to the study of Lemebel's work, and excerpts from Lemebel's oeuvres translated into French.
- Les traces de Pedro LEMEBEL : Entretien avec Fernanda CARVAJAL - Fernanda Carvajal p. 191-204