Contenu du sommaire : Géopolitique de l'environnement

Revue Hérodote Mir@bel
Numéro no 165, 2ème trimestre 2017
Titre du numéro Géopolitique de l'environnement
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial. Face aux risques écologiques, des mobilisations variables - Béatrice Giblin p. 3-10 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'écologie politique n'est plus le domaine réservé des partis écologistes. Désormais, les risques écologiques (réchauffement climatique, pollution de l'air, pesticides, etc.) se sont imposés à tous dans les pays riches comme dans les pays émergents. Mais ce n'est pas pour autant que les comportements de tout un chacun et les politiques mises en œuvre par les dirigeants les prennent sérieusement en compte. Le chemin est long entre la prise de conscience des risques et la mise en œuvre des actes pour les limiter. Seules les catastrophes écologiques, mais aussi les atteintes aux paysages et les conséquences négatives sur la santé des individus de certaines pratiques liées à une économie productiviste suscitent la mobilisation de la population concernée et contraignent les responsables politiques à intervenir.
    Political ecology is no longer exclusive to green parties anymore. Environmental risks (global warming, air pollution, pesticides, etc.) have come to the fore in rich countries as well as in developing ones. However, the attitudes of people and the policies put in place by politicians don't always seem to take them seriously into account. There is a long way to go between the realization of the existing risks and the implementation of policies to limit them. Only ecological catastrophes, damaged landscapes and negative consequences on peoples'health of certain practices linked to a productivist economy lead to a mobilisation of the concerned population and force politicians to act.
  • De Notre-Dame-des-Landes à Bure, la folle décennie des « zones à défendre » (2008-2017) - Philippe Subra p. 11-30 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les années 2008-2017 ont vu l'apparition en France de « zones à défendre », une forme de lutte nouvelle qui renouvelle profondément la scène contestataire, par ses modalités (l'occupation permanente des sites des projets contestés pour empêcher le démarrage des chantiers) et par ses acteurs (des militants altermondialistes). La résistance physique à l'expulsion, une bonne utilisation des réseaux sociaux et des médias, l'action de nombreux comités de soutien modifient les rapports de forces entre porteurs des projets et opposants et posent des problèmes inédits à l'État : comment réussir à expulser les zadistes ? Quelle place pour la concertation ? Le référendum local est-il la solution ?
    In France, through the rise of the “zones to defend” (ZAD), a new form of struggle have developed in the years 2008-2017 that profoundly renew the forms (the permanent occupation of the sites of the contested projects to prevent their actual building) and the players (alter-globalization activists) of the contestation scene. Physical resistance to evictions, good use of social networks and media combined to the action of numerous support groups transform the power struggles between projects supporters and opponents, and cause the State new problems: how to evict the “zadists”? What space for concertation? Could local referendum be the solution?
  • Comparer la réussite des conflits environnementaux en Allemagne et en France : une approche géopolitique - Teva Meyer p. 31-52 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Que l'on considère le poids des associations de protection de la nature, la réussite électorale des partis écologistes ou les politiques publiques engagées, les mouvements environnementalistes allemands apparaissent en avance sur leurs homologues français. Loin de toute approche culturaliste, ce succès relatif est la conséquence de rapports de forces, de stratégies d'acteurs ainsi que de représentations géopolitiques et s'appuie sur des structures fédérales plus favorables outre-Rhin. Après avoir synthétisé les débats scientifiques sur les raisons de cet écart franco-allemand, cet article propose d'analyser une décision emblématique de l'environnementalisme outre-Rhin : l'accélération de la sortie du nucléaire en 2011. Celle-ci permet de montrer que, loin d'être uniquement portée par un mouvement écologiste, la réussite de l'environnementalisme allemand est le produit de coalitions mêlant des acteurs aux motivations divergentes, mais aux intérêts communs.
    Considering the weight of nature protection associations, the electoral success of green parties or the application of public policies, the German environmental movement seems to be well ahead of its French counterpart. Far from any cultural approach, this success is the consequence of power relationships between actors, of political strategies and of geopolitical representations. After having synthesized the ongoing academic debate over the gap between environmentalism in these two countries, this paper will analyze one of the most emblematic decisions recently taken in Germany: the accelerated phase out of nuclear energy decided after the Fukushima disaster. This example will show that, far from being only driven by the environmental movement, the success of green policies in Germany has been made possible by the creation of coalitions gathering actors with different motivations but similar interests.
  • Les débuts du programme électronucléaire français (1945-1974) : de l'exploratoire à l'industriel - Claire Le Renard p. 53-66 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Le 6 mars 1974, le Premier ministre P. Messmer présentait ainsi le plan gouvernemental sur l'énergie : « Notre grande chance c'est l'énergie électrique d'origine nucléaire parce que nous avons une bonne expérience dans tout cela. » Cet article de synthèse effectue un retour sur des choix progressifs qui ont fixé, bien avant 1974, les contours du programme électronucléaire français, avec une attention conjointe aux développements technologiques et aux lieux où ils ont été discutés et décidés. Nous proposons trois périodes schématiques : d'abord, de l'après-guerre au milieu des années 1960, la « grandeur de la France » était centrale pour les « pionniers du nucléaire » dans une époque d'expérimentations technologiques. Dans la deuxième période, les coûts étaient l'objet d'une attention particulière, dans un débat sur les filières à choisir pour un programme électronucléaire industriel – dont la troisième période vit la montée en puissance. Nous discutons le caractère « français » ou « européen » attribué à certains développements.
    On March 6, 1974, French Prime Minister P. Messmer introduced the new governmental energy plan in these terms “Our great opportunity is nuclear power because we have solid experience in that”. This synthesis article looks back and considers the progressive choices which fixed the outlines of the French nuclear power program, long before 1974. The article sheds light on technological developments as well as on the places where these developments were discussed and decided. The paper outlines three periods: firstly, from the post-war years to the mid-1960s, the “grandeur of France” was central for nuclear pioneers, at a time of technological experimentation. During the second period, costs received particular attention in a debate on technologies capable of equipping an industrial fleet. In the third period, after a preferred technology was chosen in 1969, further steps were taken by the government towards an ambitious industrial nuclear power programme. We discuss how the actors described certain developments as “French” or “European”.
  • Nucléaire et question climatique : construction et conséquences d'un discours géopolitique en France et en Suède - Teva Meyer p. 67-90 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    L'avènement de la question climatique dans les années 1980 a durablement ébranlé les mouvements antinucléaires. De menace globale, l'énergie atomique est devenue une potentielle solution aux défis environnementaux contemporains grâce à ses faibles émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, force est de constater que ces bouleversements n'ont pas impacté de façon identique tous les pays, comme l'atteste la diversité des réactions après l'accident de Fukushima. En s'appuyant sur deux nations fortement nucléarisées, la France et la Suède, cet article propose d'analyser les conséquences de l'introduction de l'argument climatique sur les rapports de forces entre acteurs du conflit sur l'avenir de l'énergie atomique. Alors qu'en France ce nouvel enjeu a constitué l'élément déclencheur d'une crise interne au sein des mouvements antinucléaires sans pour autant influencer structurellement le conflit, il a mené en Suède à une recomposition complète du débat, facilitant ainsi le retour de l'énergie atomique en 2011 dans le pays.
    The political awakening to the climate- change issue in the 1980's has durably destructured the antinuclear movements. Previously held as the highest global threat, atomic energy became a potential solution to the contemporary environmental challenges thanks to its low emissions of greenhouse gases. However, it appears that these upheavals have not identically impacted every country, as evidenced by the diversity of reactions after the Fukushima accident. Relying on the study of two highly nuclearized countries, France and Sweden, this article intends to analyze the consequences of the climate argument on the balance of power between actors of the conflict over atomic energy's future. While in France, this new issue triggered an internal crisis within the antinuclear movement which did not structurally influence the conflict, it led in Sweden to a complete reorganization of the debate, thus facilitating the return of nuclear power in 2011 in the country.
  • Le Conservatoire du littoral, quarante ans après : quel bilan et quelles perspectives ? - Aurélie Joveniaux p. 91-112 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    En 1975 était créé le Conservatoire du littoral (CDL), un établissement public national français chargé de mener une politique de protection foncière des espaces naturels littoraux, en association avec les collectivités. Après quarante ans d'action, alors qu'il se trouve à mi-chemin de son objectif phare de préservation d'un « tiers naturel » du littoral d'ici 2050 et alors qu'il a publié en 2015 une nouvelle stratégie d'intervention à long terme, cet article se propose de dresser un bilan et des perspectives. Comment le CDL est-il parvenu à mener une politique concertée et partenariale sur des territoires littoraux soumis à de multiples convoitises et conflits ? Avec quels résultats ? Face à des enjeux qui se multiplient (pressions humaines croissantes, saturation de l'espace, changement climatique et risques côtiers), quels horizons pour le CDL ? La place et la légitimité qu'il a acquises lui permettent-elles de peser plus fortement dans le devenir des territoires littoraux ? Son action pourrait-elle devenir plus difficile et conflictuelle ?
    The “Conservatoire du littoral” (CDL), created in 1975, is a French national agency pursuing a land acquisition policy in order to preserve coastal natural spaces, in partnership with local communities. Forty years later, the CDL is halfway towards reaching its goal of protecting a third of shores by 2050 and published a new long-term strategy in 2015. This paper aims to assess the agency's policy over the past forty years and to ask what are its prospects. The CDL has succeeded in conducting a concerted and partnership action on coastal areas where tensions and conflicts around land and resources are very high: how and with what results ? And what are the perspectives for the CDL ? Issues are increasing on the French coasts (growing human pressures, land saturation, climate change and coastal risks...). Do the place et the legitimacy acquired by the CDL allow it to play a key-role in favor of a multi-players strategy for natural spaces preservation and sustainable ecosystem management ? Could also its action become more difficult and conflictual ?
  • Écotaxe : retour sur l'échec d'une réforme environnementale - Pierre Van Cornewal, Philippe Subra p. 113-130 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La tentative française d'instaurer une écotaxe sur le transport routier de marchandises a fait long feu. Décidée dans le prolongement du Grenelle de l'environnement (une vaste consultation sur la politique environnementale organisée par Nicolas Sarkozy en 2007), pour financer les grands projets d'infrastructures, notamment ferroviaires, et favoriser le report du trafic sur des modes durables, cette réforme faisait pourtant consensus au départ, aussi bien parmi les responsables politiques que dans le monde du transport. Elle s'est heurtée à un mouvement d'opposition régional très fort dans l'ouest de la France (les « Bonnets rouges »), mais aussi aux intérêts contradictoires des transporteurs et de leurs clients, à une gestion cacophonique du dossier par la ministre de l'Environnement, Ségolène Royal, et à la prudence du gouvernement Valls, soucieux d'apaisement. Cependant, l'instauration d'écotaxes régionales est évoquée par les présidents de droite de plusieurs régions, comme l'Île-de-France et le Grand Est.
    The French attempt to create a tax on freight road transportation didn't last long. It was decided after the “Grenelle de l'environnement” – a vast consultation on environmental policy organized by President Sarkozy in 2007 – to fund big infrastructure projects, including railroads, and to promote sustainable ways of goods transportation. At first, this reform was embraced across the board, by politicians as well as officials in the transport field. But it faced a strong regional contestation movement in the west of France (the “red hats”), the divergent stakes of transportation professionals and their clients, and a chaotic handling of the matter by the Environment minister, while the government was advancing cautiously in the hope of cooling down the situation. However, the creation of such a tax is still brought up by right presidents of several region like Île-de-France or Grand Est.
  • Les conflits environnementaux en Turquie : expression d'insoumission - Nora Seni p. 131-142 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article analyse deux conflits environnementaux d'envergure qui marquent l'histoire de la prise de conscience des enjeux écologiques en Turquie : le soulèvement occasionné contre le projet de destruction du parc Gezi à Istanbul et la résistance de la ville d'Artvin à la construction d'une mine d'or dans la forêt à Cerattepe. Cela donne l'occasion de repérer les deux courants qui irriguent le développement des conflits environnementaux dans ce pays, l'essor de la société civile, des fondations et de l'activité associative d'une part, l'éclosion d'une perception forte des menaces écologiques, sismiques, nucléaires de l'autre.
    This article deals with environmental conflicts in Turkey. They multiplied after a period in which Turkey experienced considerable development of a double process, the multiplication of associations and NGOs, and the increase of environmental threats of several types, reckless deforestation, earthquakes, nuclear and thermal power plant etc. Two big conflicts are described the Gezi uprising and Cerattepe resistance. One of the conclusion of this paper is that less political inclusiveness about environmental issues in a society cause more explosions of organized resistances.
  • Les projets d'exportation d'eau du Québec : grandeur et déclin d'un levier de développement national - Frédéric Lasserre p. 143-164 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Alors que les transferts massifs d'eau sont chose courante aux États-Unis et au Canada, il n'y a pas eu de projet entre États, encore moins entre États-Unis et Canada, destiné à la vente d'eau en vrac. Ces projets de transferts continentaux, qui émergent à partir des années 1960, ont suscité de vives inquiétudes au Canada, mais aussi un grand intérêt tant du gouvernement du Québec que d'une partie de la communauté d'affaires. Un vif débat s'est développé autour de la légitimité de ces projets. S'ils n'ont jamais vu le jour, c'est que la grande fragilité de leur intérêt économique n'a jamais permis de compenser les objections environnementales et de gouvernance.
    While massive water diversions are common in the United States and Canada, there have been no inter-state projects, let alone between the United States and Canada, for the sale of bulk water. These continental transfer projects, which emerged during the 1960s, have aroused great concern in Canada, but also a great interest of both the Quebec government and part of the business community. A heated debate developed around the legitimacy of these projects. If these projects never materialized, it is because their great economic weakness has never been able to compensate for environmental and governance objections.
  • L'hydropolitique environnementale du Mékong, entre intérêts nationaux et activisme international - Éric Mottet, Frédéric Lasserre p. 165-184 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Les enjeux environnementaux des aménagements hydroélectriques sur le cours principal du Mékong sont devenus un objet de débat important entre les pays riverains et les experts et activistes environnementaux, pour la plupart occidentaux. Sur le plan national, la question de la gestion très peu concertée des projets de barrages sur le cours principal du Mékong provoque bien dans la société civile une mobilisation, mais celle-ci ne débouche pas sur un fléchissement des politiques d'aménagement hydroélectrique. La faute en revient, d'une part, aux gouvernements qui, même sous pression, contrôlent sans partage la gestion des ressources du bassin et, d'autre part, à l'incapacité de la Commission du Mékong (MRC), malgré une légitimité institutionnelle, à développer un cadre juridique contraignant. Cela contribue à éroder progressivement la pertinence de la Commission aux yeux de ses membres, des bailleurs de fonds internationaux et de la Chine, qui propose désormais son propre modèle de coopération Sud-Sud, l'initiative de Coopération Lancang-Mékong (CLM).
    The environmental issues of hydroelectric development on the main channel of the Mekong River have become an important subject of debate between the riparian countries and environmental experts and activists, most being Western. At the national level, the question of the poorly coordinated management of dam projects along the Mekong River course triggered protest movements within civil society, but it does not lead to a weakening of hydroelectric development policies. This is because, on the one hand, governments have not relented their desire to control the management of the resources of the basin, despite civil protests; and, on the other hand, the inability of the Mekong River Commission (MRC), despite a legitimate institutional framework, to develop a binding legal framework. This contributes to the gradual erosion of the Commission's relevance in the eyes of its members, international donors and China, the latter now proposing its own model of South-South cooperation, the Lancang-Mekong Cooperation Initiative.
  • Les barrages hydroélectriques amazoniens, un enjeu de géopolitique interne au Brésil - Céline Broggio, Martine Droulers, Juan-Pablo Pallamar p. 185-203 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article développe une analyse géopolitique des barrages et usines hydroélectriques implantés en Amazonie brésilienne depuis le milieu des années 2000. La mise en œuvre de ces aménagements, en cristallisant de fortes tensions au sein du gouvernement fédéral alors sous présidence du Parti des travailleurs, a accéléré l'effritement de la plateforme idéologique et politique du « socioenvironnementalisme » et conduit à l'éclatement de la coalition gouvernementale, rendant possibles la crise politique de 2016 et l'éviction de la présidente Dilma Rousseff. Du point de vue régional, la contestation s'est manifestée sous des formes très différentes dans le cas des centrales hydroélectriques du Madeira (Santo Antônio et Jirau dans le Rondônia) et dans celui du barrage sur le Xingu (Belo Monte dans le Pará), fortement médiatisé au-delà même des frontières du Brésil.
    This paper develops a geopolitical analysis of dams and hydroelectric plants in the Brazilian Amazon since the mid-2000s. The implementation of these projects has provoked tensions within the federal government under the presidency of the Workers' Party and accelerated the erosion of the ideological and political platform called “socioenvironnementalism”, a situation that has led to the break-up of the coalition leading to the political crisis of 2016 and the empeachment of President Dilma Rousseff. From a regional point of view, the dispute occured in very different terms in the case of the Madeira hydroelectric power stations (Santo Antônio and Jirau in Rondônia) and in the case of the Xingu dam (Belo Monte in Pará), worldwide covered by the media.