Contenu du sommaire : Épistémologie de la linguistique
Revue | Histoire, Epistémologie, Langage |
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Numéro | vol.13, n°1, 1991 |
Titre du numéro | Épistémologie de la linguistique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Épistémologie de la linguistique. Marc Dominicy [Dir.]
Articles
- Avant-Propos - Marc Dominicy p. 5-11
- De que trata a lingüística, afinal ? - Marcelo Dascal, José Borges Neto p. 13-50 Toute interrogation portant sur "l'objet de la linguistique" est normative, en ce sens qu'elle vise à sélectionner une classe de phénomènes observables qui constitueront le foyer du programme de recherches à mettre en place. Cette démarche aboutit à créer des objets théoriques dont le statut ontologique fait immédiatement problème. La trichotomie habituelle entre nominalisme, conceptualisme et réalisme ne suffit pas à cet égard (par exemple, le réalisme poppérien doit être distingué de celui de Platon). D'un point de vue historique, il est commode de distinguer deux traditions, respectivement caractérisées par une option "notionnelle" et par une option "philologique". Cependant, la linguistique des XIXe et XXe siècles a connu l'émergence de deux nouvelles traditions : l'une est historique ; l'autre, inaugurée par Saussure, veut assurer l'existence d'un domaine de recherches autonome. Enfin, on peut regrouper les théories linguistiques sous trois filiations différentes (systémique, psychologisante, ou sociologisante). Ainsi Chomsky peut être caractérisé comme un réaliste appartenant à la filiation psychologisante, mais soucieux de maintenir l'autonomie de la linguistique.Any attempt at determining "what is the object of linguistics" is inherently normative, in that it amounts to selecting a particular class of observable data, which will be the focus of linguistic inquiry. This creates theoretical objects whose ontological status can be disputed. The well-known trichotomy between nominalism, conceptualism and realism is surely not sufficient (for instance, Popperian realism should not be confused with Plato's realism). From a historical viewpoint, it is interesting to distinguish between two traditions, respectively characterized by a "notional" or a "philological" option. During the 19th and the 20th centuries, two innovative traditions appeared : the first one is historical ; the second one, which was initiated by Saussure, aims at defining an autonomous field of research. Finally, linguistic theories can be grouped into families (according to the primacy they give to a systemic, a psychological or a sociological orientation). For instance, Chomsky is a realist who belongs to the psychological tradition while maintaining the autonomy of linguistics.
- What is methodology (and history) of linguistics good for, epistemologically speaking? - Esa Itkonen p. 51-75 Cet article tente de répondre à la question figurant dans son titre : Quelle est l'utilité de la méthodologie et l'historiographie de la linguistique, du point de vue épistémologique ? Pour trouver une réponse, on passe en revue les thèmes suivants : théorie grammaticale (aussi connue sous le nom de 'linguistique autonome1), linguistique causale, historiographie de la linguistique, étude du langage et de l'esprit. Finalement, on fait quelques observations sur le débat récent concernant la nature de la linguistique.This paper tries to answer the question that figures in its title : What is methodology (and history) of linguistics good for, epistemologically speaking ? An answer is sought for, in turn, in the following areas : grammatical theory (also known as 'autonomous linguistics1), causal linguistics, historiography of linguistics, and the study of language and mind. The paper concludes with some remarks on the recent discussion concerning the nature of linguistics.
- Lois, normes et règles - Sylvain Auroux p. 77-107 A partir d'une définition de la règle (construite sur l'exemple canonique de la morale et du droit), l'A. montre (par des arguments différents de ceux de Itkonen 1978, qui lui permettent de ne pas renoncer à la thèse selon laquelle les règles ont des valeurs de vérité) que la normativité n'est pas éliminable de la grammaire. On doit considérer les sciences du langage comme des sciences normatives à condition de donner de ces dernières la définition suivante : une science normative est une discipline qui suppose dans le possible une frontière entre le positif et le négatif (ou dans le langage de Milner : une science qui suppose que la frontière entre le possible et l'impossible se situe dans le réel).Given a definition of "rule" which derives from the canonical example of morality and law, and by using arguments other than those of Itkonen 1978 renouncing the thesis that rules have truth values, on can avoid that normativity and show cannot be eliminated from grammar. Language sciences must be considered normative sciences provided that a normative science is defined as a discipline that postulates in the possible a frontier between the positive and the negative, or in Milner's terms a science that postulates that the frontier between the possible and the impossible is situated in the real.
- À propos de la grammaire générative. Quelques considérations intempestives - Nicolas Ruwet p. 109-132 Ni bilan, ni apologie, cet article discute certains problèmes qui se posent dans la pratique des générativistes (au sens large du terme) : le recours aux jugements des sujets parlants pourrait être plus systématique, et les recherches taxinomiques plus poussées ; les multiples interférences entre la forme et le sens sont trop souvent éludées. L'auteur suggère de combiner (en grammaire comparée notamment) la syntaxe autonome et l'étude sémantique. Il discute brièvement le réductionnisme de Chomsky, et suggère que la linguistique risque d'être longtemps habitée par une tension fondamentale entre une approche "galiléenne" et une approche "phénoménologique" .This article is neither an assessment of nor an apology for generative grammar. It discusses some problems with the practice of generative grammarians (in the widest sense of the term) : the use of data based on native speaker judgements should be much more systematic ; more taxonomic studies are needed ; the numerous interferences between syntax and semantics are too often swept under the rug. The author suggests that one should combine (especially when dealing with comparative grammar) the approach based on autonomous syntax and semantic studies. He discusses Chomsky's reductionism, and suggests that linguistics may well be for a long time the locus of a fundamental tension between a "Galilean" approach and a "phenomenological" approach.
- Sens homogène et sens hétérogène : les domaines de la sémantique et de la pragmatique - Herman Parret p. 133-150 L'homogénéité du sens est un fantasme philosophique et scientifique contesté par la thérapie wittgensteinienne (le sens ne se 'comprend' que par analogie, ce qui instaure et/ou sauvegarde l'hétérogène) et par la phénoménologie subtile d'un Merleau-Ponty (le sujet qui 'comprend' est un sujet barré confronté à du sens 'sauvage'). La pragmatique linguistique devrait s'inspirer de cette double déconstruction puisque son objet est précisément le sens hétérogène (en opposition avec la sémantique qui a comme objet le sens homogène) : la pragmatique considère le sens sous l'angle de ses hétérogénéités. Deux classes de phénomènes pragmatiques peuvent être identifiées : ils se laissent grouper sous les deux métaphores de l'échappée du sens et de la rupture du sens, marquant empiriquement les surfaces discursives.The philosophical and scientific fantasm of the homogeneity of meaning has been thoroughly disputed by the Wittgensteinian therapy (meaning has to be 'understood 7 'interpreted' by analogy, thus instauring and saving the heterogeneous) and by the subtle phenomenology of Merleau-Ponty (the subject that 'understands' is a for closed subject confronted with 'savage' meaning). Linguistic pragmatics should be inspired by both these deconstructions because its object is precisely heterogeneous meaning (as opposed to semantics with has homogeneous meaning as its object) : pragmatics considers meaning from the angle of its heterogeneities. Therefore, two classes of pragmatic phenomena can be identified : they can be isolated under the metaphorical headings of the escape of meaning and the rupture of meaning, both marking discursive surfaces empirically .
- Sur l'épistémologie de la poétique - Marc Dominicy p. 151-174 Dans cet article, j'analyse la poétique jakobsonienne d'un point de vue épistémologique. Je soutiens que, tout en traitant de normes, la poétique n'est pas plus condamnée à l'un ou l'autre subjectivisme que ne l'est la pragmatique gricéenne. D'autre part, je tente de montrer que la théorie de Jakobson est, dans sa forme originelle, authentiquement réductionniste, en ce sens que la dichotomie de base entre métaphore et métonymie doit rendre compte des deux variétés essentielles de l'art verbal, à savoir la prose littéraire et la poésie. Il apparaît que cette réduction est illusoire, car elle se fonde sur un concept erroné ou ambigu du "parallélisme". Cependant, l'échec de Jakobson jette quelque lumière sur les rapports (historiques et conceptuels) qui relient le formalisme et le fonctionnalisme, ainsi que sur la notion controversée de "dominante".The aim of this paper is to provide an epistemological analysis of Jakobson' s poetics. I claim that, although poetics deals with norms, it is no more committed to any variety of subjectivism than Gricean pragmatics. I also claim that Jakobsonian poetics was originally reductionist, in that the basic dichotomy between metaphor and metonymy was assumed to account for the two artistic uses of verbal structures, namely literary prose and poetry. This reduction is shown to be illusory, since it relies on a confused notion of "parallelism". However, Jakobson' s failure sheds some light on the (historical and conceptual) relationships between formalism and functionalism, and in particular on the controversial notion of "dominant".