Contenu du sommaire : Changement processuel à Taiwan
Revue | Perspectives chinoises |
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Numéro | no 2017/2 |
Titre du numéro | Changement processuel à Taiwan |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- Éditorial – Le changement processuel à Taiwan - Stéphane Corcuff p. 3-6 Les élections de janvier 2016, conclues par une victoire pour les partis taïwanais opposés à l'unification avec la Chine, ont donné à ces derniers une majorité absolue au Yuan législatif. Ils n'ont pas tardé à adopter une série de nouvelles lois et de nouvelles politiques, dont certaines ont été annoncées avant la première réunion de l'assemblée en février et d'autres détaillées par la présidente lors de son discours d'inauguration du mois de mai (…). Ces efforts visant à combiner justice sociale, justice transitionnelle, dynamisme économique et solution au blocage géopolitique dans lequel se trouve l'île ont lancé Taiwan sur une voie de réformes rapides. Mais comment pouvons-nous évaluer ces changements ? Et que signifie le changement ? Les changements décrits brièvement ci-dessus ne sont perçus que par des éléments qui apparaissent, à première vue, comme leurs principaux acteurs politiques et administratifs : la présidence de la République, l'administration publique et le législateur. Cependant, cette analyse institutionnaliste oublie ce qui est peut-être le plus important : la multitude des acteurs, au sein de l'appareil d'État, en marge de ce dernier et engagés en coopération avec lui ; ou en-dehors de lui et en opposition, si ce n'est en conflit, avec lui, acteurs qui ont tous joué un rôle dans l'adoption de nouvelles politiques. Il est d'autant plus important de se rappeler que les acteurs de la société civile se sont révélés très agissants depuis la période de démocratisation de Taiwan (…). Le changement processuel à Taiwan traite de quatre études de cas analysant le rôle joué par les acteurs dans les processus de changement à Taiwan : la définition de la nation, qui est en débat, dans les cartes postales par des opérateurs privés répondant aux besoins des touristes (Adina Zemanek) ; comment les citoyens du net ont tenté d'empêcher les politiques des gouvernements locaux concernant l'invention d'une tradition culturelle à laquelle ils ne s'identifiaient pas (Fiorella Bourgeois) ; la question de la justice transitionnelle et la façon dont l'autoritarisme politique du passé est discuté aujourd'hui à Taiwan par divers acteurs tels que les victimes, les associations ou l'État (Vladimir Stolojan) ; et comment un puissant homme d'affaires et des militants de la société civile se sont opposés sur la question de l'indépendance des médias dans un contexte d'influence croissante de la Chine sur Taiwan sous la présidence de Ma (Lin et Lee).
- Paysages familiers : Représentations du territoire (national) dans les souvenirs touristiques taïwanais contemporains - Adina Zemanek p. 7-18 Cet article se propose d'analyser les représentations du territoire national telles qu'elles se présentent dans les souvenirs touristiques contemporains produits par des sociétés privées. Ces objets sont explicitement conçus pour définir et promouvoir l'image de Taiwan auprès d'un public aussi bien local qu'international. Ils utilisent le terme « Taiwan » pour désigner la nation, l'associent à la carte de l'île comme représentation du territoire national, et ils représentent sur ce territoire des repères emblématiques, mais aussi des paysages et des lieux familiers et ordinaires. Les sujets de ces représentations subissent une opération de dénaturalisation visant à construire une identité nationale fondée sur un mode de vie spécifiquement taïwanais. Présentés comme des palimpsestes historiques, les paysages représentés construisent ainsi un patrimoine national qui repose non seulement sur les traditions locales mais se construit également au carrefour d'influences diverses, aussi bien autochtones qu'extérieures. Cette définition de Taiwan peut être analysée comme une réaction de la société civile aux initiatives officielles de promotion de l'identité nationale posant l'île en conservatoire de la culture chinoise traditionnelle et estompant l'influence d'apports spécifiquement taïwanais, plus sensibles politiquement. L'aspect consensuel de cette réaction pourrait être une conséquence de son support (la culture populaire commerciale), mais pourrait aussi être considérée comme une nouvelle étape dans l'élaboration de l'identité taïwanaise, qui se distingue par le besoin d'en appeler à l'ensemble de la communauté nationale, au-delà de ses divisions ethniques et politiques.
- La cyber-réception de trois projets de construction de tulou hakkas à Taiwan - Fiorella Bourgeois p. 19-27 Au cours des années 2010, sous le second mandat de Ma Ying-jeou (KMT), trois projets de construction de tulou hakkas, dans les localités de l'ouest de Taiwan, ont provoqué un fort mécontentement d'un pan de la population taïwanaise. Cette désapprobation se traduit par l'émergence de manifestations de faible ampleur ainsi que par la confrontation des opinions et des expériences des individus dans la sphère virtuelle. En tant qu'acteurs, les internautes endossent le rôle de peuple-surveillant et de peuple-juge, et révèlent, par une critique des trois projets, les manquements et les tensions de la démocratie représentative tant dans sa dimension culturo-identitaire que dans sa forme mécanique-procédurale, dévoilant une opposition de valeurs entre les différents agents sociaux.
- Justice transitionnelle et mémoires historiques à Taiwan - Vladimir Stolojan p. 29-37 La question de la reconnaissance des persécutions de l'ère autoritaire s'est posée dans chaque société ayant connu une transition démocratique réussie dans la seconde moitié du XXe siècle. La manière dont chaque pays s'est emparé de la question reflète en bien des points les modalités de sa démocratisation, ainsi que son passé. À Taiwan, le développement de la justice transitionnelle s'est essentiellement articulé autour de la reconnaissance des victimes de deux expériences historiques distinctes. Cet article a pour but d'analyser la dynamique ayant amené à la reconnaissance des victimes du Parti-État ayant gouverné Taiwan de 1945 à 1992.
- Quand les affaires rencontrent la politique - Lihyun Lin, Chun-Yi Lee p. 39-49 Depuis 2008, le conglomérat taïwanais Want Want est revenu à Taiwan après avoir fait fortune en Chine pour acheter un important groupe médiatique et tenter d'exercer une influence politique sur la société taïwanaise. Cet article analyse l'essor et la logique de ce nouveau type d'investisseur dans le secteur des médias à la lumière des relations public-privé et dans le contexte particulier du capitalisme d'État chinois. Selon notre analyse, lorsque la Chine avait besoin d'investissements étrangers, au début des années 1990, les investisseurs taïwanais ont été accueillis à bras ouverts par le gouvernement chinois, qui a multiplié les incitations fiscales. Après 2000, cependant, lorsque des entrepreneurs nationaux ont émergé en Chine et que davantage d'investisseurs étrangers sont arrivés sur le marché chinois, les entrepreneurs taïwanais ont constaté que l'environnement financier était devenu beaucoup plus compétitif et ils se sont efforcés de nouer des relations avec des responsables chinois. C'est dans de telles circonstances que Want Want a acheté différents médias à Taiwan afin d'établir des relations avec le gouvernement chinois – ce faisant, l'entreprise a suscité la résistance de la société civile taïwanaise. Les chercheurs et les régulateurs gagneraient à continuer d'observer et de définir ce nouveau type d'investissement, qui est devenu de plus en plus important dans la région.
- Éditorial – Le changement processuel à Taiwan - Stéphane Corcuff p. 3-6
Articles
- Manipulation du « revenu minimum de subsistance » chinois - Dorothy J. Solinger p. 51-62 En 1999, le Conseil des affaires de l'État établissait un programme d'aide sociale en milieu urbain visant principalement à apaiser les travailleurs licenciés mécontents et à compenser l'effondrement du système de protection sociale basé sur les unités de travail, mis en oeuvre à l'époque où l'économie était planifiée. Alors qu'un des objectifs initiaux était d'assurer une stabilité politique qui permettrait de mener la réforme des entreprises d'État sans contestation, le contenu du dispositif a évolué dans le temps en suivant les nouveaux objectifs du régime. Le programme a dans un premier temps été étendu aux zones rurales avec la mise en place du modèle des « nouvelles campagnes socialistes ». Ces dernières années, avec le resserrement de l'engagement budgétaire, les dirigeants ont exigé que les personnes pauvres mais valides travaillent, au lieu d'être assistées, et que le programme devait cibler uniquement les plus démunis. Par ailleurs, à partir de 2014 et jusqu'en 2016, l'accent a été mis sur la lutte contre la corruption. L'article décrit en détail cinq modifications du programme d'aide sociale – ou des tendances politiques préexistantes qui se sont intensifiées – depuis l'accession de Xi Jinping au pouvoir. Nous affirmons que le régime a remodelé à plusieurs reprises cette initiative afin qu'elle corresponde aux changements d'agenda politique du Parti.
- Relations sociales en milieu rural chinois - Catherine Capdeville-Zeng p. 63-72 L'affaire de Wu Boliang, qui a été relayée par les médias chinois il y a quelques années, est symptomatique de la complexité de la situation socio-politique du monde rural chinois. En 1993 et 1997, Wu Boliang, l'un des premiers entrepreneurs de son village à avoir développé la culture de la mandarine, obtient plusieurs vergers en « système de responsabilité » qu'il doit faire fructifier avec l'aide du canton. Mais celuici ne lui transfère pas à temps les financements nécessaires, l'incitant à emprunter en son nom personnel, pour faire face aux échéances des salaires des ouvriers agricoles et de l'achat de pesticides, d'engrais, etc. Les années passent, la dette s'accumule, le canton ne rembourse toujours pas, forçant Wu Boliang à engager un procès contre le canton. Mais bien qu'il ait immédiatement gagné ce procès, les sommes dues ne lui sont toujours pas remboursées, et il n'a d'autre choix que de devenir un plaignant. En 2014, vingt ans après le début du contrat, l'affaire est enfin dénouée. L'analyse en profondeur de ce cas particulier, observé sur une période d'une dizaine d'années, permet de détailler l'intrication des différents rouages, de montrer leur organisation à l'intérieur d'une pyramide hiérarchique organisant la société chinoise, et d'étudier les modes d'action des agents – individus et institutions.
- Manipulation du « revenu minimum de subsistance » chinois - Dorothy J. Solinger p. 51-62
Actualités
- La Chine face à la présidence Trump - Anthony H. F. Li p. 73-78
Comptes-rendus de lecture
- Carolyn Hsu, Social Entrepreneurship and Citizenship in China: The rise of NGOs in the PRC, - Virginie Arantes p. 80-81
- Tom McDonald, Social Media in Rural China. Wang Xinyuan, Social Media i - Séverine Arsène p. 81-82
- John Donaldson (ed.), Assessing the Balance of Power in Central-Local Relations in China, - Camille Boullenois p. 83-84
- Cai Fang, China's Economic Growth Prospects: From Demographic Dividend To Reform Dividend, - Sandra Poncet p. 84-86
- Elisabeth L. Engebretsen et William F. Schroeder, avec Hongwei Bao (éds.), Queer/Tongzhi China: New Perspectives on Research, Activism and Media Cultures - Tiantian Zheng p. 87-87