Contenu du sommaire : Guérir / Tuer

Revue Cahiers d'anthropologie sociale Mir@bel
Numéro n°14, 2017
Titre du numéro Guérir / Tuer
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Guérir / Tuer. Andréa-Luz Gutierrez Choquevilca [Dir]

    • Introduction. Transformer la nature, anthropologie du pharmakôn
      - Andrea-Luz Gutierrez Choquevilca p. 9-24 accès libre
    • Articles
      • Pharmakôn et pratique thérapeutique. L'exemple de la limpia au Mexique - Élisabeth Motte-Florac p. 25-40 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Cet article sonde la valeur attribuée au terme pharmakôn et la pertinence de son usage dans certains domaines de la thérapeutique. La polysémie du terme de même que ses champ sémantique et sens figuré sont explorés à travers l'exemple de la limpia, une pratique thérapeutique dite localement « traditionnelle », omniprésente au Mexique. Par une sorte de « balayage » du malade avec un bouquet de plantes aromatiques, la limpia permet tout à la fois de poser un diagnostic, de débarrasser la personne du mal qui l'afflige ou de ce qui l'a provoqué, et d'établir un pronostic. Étant réalisée dans des contextes (culturels, linguistiques, sociaux, religieux) très divers, et parfois à des fins destructrices, la limpia offre une riche gamme de structures, procédés et modalités, permettant d'aborder le terme pharmakôn selon de multiples angles d'approche. La valeur accordée à celui-ci, ne se limite pas à une simple problématique linguistique mais conditionne la légitimité même de nombreuses pratiques thérapeutiques « traditionnelles ».
        This article examines the meanings attributed to the term “pharmakôn” and the relevance of its use in various therapeutic domains. The polysemy of the term as well as its semantic field and figurative sense are explored through the example of limpia, a therapeutic practice locally called “traditional”, omnipresent in Mexico. By “sweeping” the patient with a bouquet of aromatic plants, the limpia serves not only for diagnosis, but also to rid the person of their illness or what caused it, and to establish a prognosis. Carried out in a wide variety of contexts (cultural, linguistic, social, religious), and sometimes with evil intent, the limpia offers a wealth of structures, processes and modalities, so that the term “pharmakôn” can be approached from several different angles. Studying its meaning is not only of interest to linguistics but conditions the very legitimacy of numerous “traditional” therapeutic practices.
      • Visions du diable ? Les conflits autour du pouvoir des plantes "hallucinogènes" en Nouvelle-Espagne à l'époque moderne - Samir Boumediene p. 41-57 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        En 1620, l'Inquisition de Nouvelle-Espagne fait paraître un édit prohibant l'usage du peyotl. Tout comme le teonanacatl, l'ololiuhqui ou le tabac (picietl), ce petit cactus originaire du désert mexicain possède des pouvoirs qui l'assimilent aujourd'hui à un « hallucinogène » ou un « psychotrope ». Il procure des visions que les guérisseurs indigènes du Mexique considèrent comme un élément central des pratiques de soin. Pour les médecins et les religieux espagnols, en revanche, ces visions sont associées au diable, parce qu'en troublant l'imagination, elles permettent au démon d'entretenir toutes sortes d'illusions auprès de ses victimes. Autrement dit, le pouvoir de ces plantes est disqualifié parce qu'il met en jeu des processus difficilement réductibles au seul jeu des humeurs, et parce qu'il nourrit des modes de relation aux choses que condamnent les autorités espagnoles : l'« idolâtrie » indienne et toutes les « superstitions » allogènes qui s'y combinent. La prohibition du peyotl, et les différentes pratiques clandestines qui lui répondent, permettent ainsi d'aborder l'histoire des remèdes dans son versant le plus conflictuel. Qui détermine ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui soigne et ce qui ne soigne pas, ce qui est réel et ce qui est illusoire ? Dans le discours que tiennent les médecins et les religieux espagnols sur ces plantes, la continuité entre le poison et le remède ne s'exprime plus seulement en termes de nocivité et de dosage mais s'enrichit d'autres polarités, opposant le sain(t) au diabolique, le médical au non médical.
        In 1620, the Inquisition of New Spain published an edicto prohibiting the use of peyote. Like the teonanacatl, the ololiuhqui or tobacco (picietl), this little cactus from Mexican desert possesses powers considered as “hallucinogenic” or “psychotropic”. It produces visions that indigenous healers of Mexico considered as a central aspect of their practices. Spanish physicians and religious, on the contrary, associated those visions to the devil who, thanks to such troubles of the imagination, could produce illusions in the mind of his victims. The powers of these plants were thus disqualified for two main reasons : first, the troubles of imagination were not entirely reducible to the game of humours; second, the visions were linked to indigenous “idolatry” and all kind of “superstitions”. The prohibition of peyote, and the clandestine practices responding to it, gives us the possibility to observe the conflictual aspect of the history of remedies. Who determine what is good and what is bad, what heals and what doesn't, what is real and what is illusory? In the discourse of Spanish physicians and religious, the continuity between remedy and poison is not only expressed in terms of dosage but also through other dichotomies : the saint and the diabolical, the medical and the nonmedical.
      • Un art de la maîtrise amérindien : pour une approche relationnelle du poison - Andrea-Luz Gutierrez Choquevilca p. 58-86 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Un taxon unique désigne en quechua l'art de la guérison et celui qui consiste à administrer un poison, la racine verbale ampi-. Tribut de cette ambivalence, l'effet toxique ou l'action létale de certaines substances issues de la pharmacopée indigène des peuples Runa des Basses Terres péruviennes se voient attribuer une valeur positive, volontairement recherchée dans les activités afférentes à la chasse et auto-infligée dans un contexte initiatique. En nous interrogeant sur la nature, la classification et les usages contextuels des substances toxiques, il est possible de mettre en évidence un gradient de pratiques variant selon les dispositifs relationnels instaurés entre humains et non-humains. De la mort symbolique à la mise à mort intentionnelle et effective, l'efficacité accordée au pharmakôn amérindien interroge les modalités d'action sur le vivant, mêlant inextricablement efficacité biologique et agentivité culturelle. Si la mort biologique des humains est le plus souvent imputée à la sorcellerie, certaines substances sélectionnées pour leurs qualités chimiques ou leur action sur l'organisme vivant viennent prendre place parmi les espèces « à maîtres », susceptibles de faire l'objet d'une maîtrise amuyana, souvent fragile et équivoque, liant des acteurs humains et non humains. Guérison et agression constituent ainsi la face et l'envers d'une même relation, fondamentalement asymétrique et réversible. L'article examine à partir de matériaux linguistiques et ethnobotaniques la valeur de cette relation en interrogeant la possibilité et les limites d'une perspective épistémologique située au-delà du « grand partage » entre sciences de la nature et sciences humaines.
        There is only one word used in quechua to refer to the art of healing and poisoning, the verbal root ampi-. From this ambivalence stems the fact that the toxic or letal effect attributed to several substances from indigenous pharmacopoeia among the Runa in the Peruvian Amazon, is viewed as essentially positive, voluntarily valued in hunting practices and auto-imposed during initiation rituals. Questioning the nature, the classification and the contextual uses of toxic substances sheds light on a set of gradual practices which variations are constrained by relational devices laid down between human and non human. Ranging from symbolic death to the intentional and effective killing, the efficacy attributed to the pharmakôn raises the issue of the understanding of the modalities of action on living beings, linking inextricably biological efficacy and cultural agency. If biological death of human beings is often attributed to sorcery, several substances selected for their chemical qualities or their effect on living beings, are classified among the species “with masters”, prone to a mastery process amuyuna, often subtle and equivocal. Healing and aggression stand for the double side of a single relation, fundamentally asymmetric and reversible. Based on linguistic and ethnobotanical data, the article examines the value of this relation, questioning the possibility and the limits of the “great divide” between natural sciences and social sciences.
      • Quand la semence se fait poison : organisation de la pharmacopée gouri autour des troubles de la fécondité - Claudie Haxaire p. 87-111 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Ce texte se propose de traiter dans la perspective de l'anthropologie du remède la pharmacopée Gouro concernant certaines relations sexuelles, et notamment des interdits édictés par les ancêtres que sanctionne l'entité pathologique djékwasô-fuunen « ictère-anémie », quand la semence masculine se fait poison. Pharmacopée s'entend ici ensemble de remèdes des troubles induits par la transgression de ces interdits. L'aborder selon l'anthropologie du remède implique de suivre le collectif étudié dans ce qu'il impute comme actions aux uns et aux autres dans les interactions humains/non-humains qui se déploient sans solution de continuité pour détruire ou restaurer la santé au sens entendu par ce collectif, ici les Gouro de Zuenoula (République de Côte d'Ivoire). Le pharmakôn doit s'appréhender de façon relationnelle, au regard de ses usages dans différentes situations, selon différents points de vue et en contraste avec les autres objets qui partagent des usages en relation. Comment se construisent ces relations et la place dans ces interrelations des qualités « naturelles » d'une part et des propriétés pharmacologiques de l'autre ? Nous avons analysé quelles affordances le collectif étudié perçoit de son environnement en habitant son monde. Dans un premier temps, cette ethnographie a été restituée, puis mise en relation avec les potentialités connues de l'environnement.
        Here we have attempted to discuss the Guro pharmacopoeia with an anthropological perspective on remedies. We have discussed the remedies for ailments due to transgression of bans pronounced by the ancestors forbidding certain types of sexual relations. When these bans are not respected, the ensuing pathology is called djekwso-fuunen, “icterus-anaemia”, when semen turns into poison. By pharmacopoeia, we designate all the remedies prescribed for ailments that are the consequence of transgressing these bans. The approach based on the anthropology of remedies follows the actions attributed to the human and the non-human in seamless human-non-human interaction, within the collective (human + non-human) studied here, the Guro of Zuenoula (Ivory Coast). This perspective focuses on the actions considered to destroy or restature health, as construed by the collective. The pharmakôn must be regarded in relational terms, in light of its use in different situations, from different viewpoints and in contrast with other objects with shared and related. The fundamental question is to ascertain how these relationships are constructed and the place of “natural” qualities and pharmacological properties in the interrelationships. In other words, the aim is to analyse the affordances that the study group perceives in the surrounding environment in the course of inhabiting its world. This ethnographic picture has been described and discussed in relation to the known potential of the
      • L'interspécificité du pharmakôn dans le parc Kibale (Ouganda) : savoirs partagés entre humains et chimpanzés ? - Sabrina Krief, Florence Brunois-Psina p. 112-134
      • Pharmacopées hybrides et corps composites chez les Yanesha du piémont péruvien - Céline Valadeau p. 135-152 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        L'actuelle dispersion des villages yanesha est le fruit de migrations plus ou moins marquées ayant imposé des déplacements répétés entre les hautes terres montagneuses et les basses terres amazoniennes. À la lumière d'indices ethno-écologiques, ce texte explore la dissemblance de certains répertoires de plantes aux usages connus dans divers endroits de cette région piémontaise. Il étudie notamment ceux des piments des pieds des palissades, des souchets des jardins, des fougères des sous-bois, et des caladions des rives et des clairières. Il présente des réseaux de correspondances choisies reliant des principes d'usage, des vertus des plantes, des particularités écologiques, des savoirs mythologiques et autres morphologies végétales. Cette contribution examine comment ces savoirs sont susceptibles d'être transposés à d'autres supports végétaux et quelle importance cela revêt dans le processus vital des humains.
        The current dispersion of Yanesha villages is the result of migration more or less marked having imposed shifting between the mountainous Highlands and the Amazonian lowlands. In the light of ethno-ecological indices, this text explores the dissimilarity of certain repertories of plants known for their common usage in various parts of the Piedmont region. It studies particularly those of fence peppers, garden sedges, wood undergrowth fern, and the caladium of the banks and clearings. It has correspondence grids chosen linking use principles, plant properties, ecological peculiarities, mythological knowledge and other plant morphologies. The contribution of this article examines how these knowledge could be transferred to other plant materials, and what importance it has in the vital process of human being.
      • Devenir humain-plante aux abords volcaniques de l'océan Indien - Julie Laplante p. 153-170 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Cet article met en valeur la vie qui émerge entre l'humain et la plante. Ainsi, comment l'humain devient-il plante et la plante, humaine ? Le jamu à Yogyakarta en Indonésie, une pratique ancestrale et contemporaine de préparation quotidienne d'élixirs de plantes fraîches, démontre comment cette pratique peut se dérouler de manière plus ou moins intense selon les enlacements privilégiés. Les philosophies et arts martiaux javanais laissent entendre qu'il est possible de devenir plus ou moins plante selon divers mouvements et habiletés acquises autour de ces pratiques misant sur la fluidité des corps. Ce constat implique de délaisser une habitude ou ontologie scientifique naturaliste voulant que l'on sépare a priori l'humain du végétal, voire la culture de la nature, pour plutôt choisir de penser en lignes de devenir, tel que le proposent Deleuze et Guattari et Tim Ingold. Ces approches permettent de penser les intra-agencements humains-plantes en termes de flots et de contre-flots, de mailles, de plateaux, de devenirs fortuits ou qui échouent émergeant toujours de manière évanescente.
        This article focuses on life that emerges in-between humans and plants. Hence how do humans become plant and plants, human? Jamu in Yogyagarta in Indonesia, both an ancestral and contemporary daily practice of preparing fresh plant elixirs, shows how this occurs in more or less intense ways depending on the privileged interweavings. Javanese philosophies and martial arts give to understand that it is possible to become more or less plant according to various movements and abilities attending to the fluidity of bodies. This implies letting go of a habit or scientific naturalist ontology wanting that we separate a priori the human from the vegetal, the cultural from nature, to rather opt thinking in lines of becoming as also proposed by Deleuze and Guattari and Tim Ingold. These approaches enable to think human-plant intra-assemblages in terms of flows, counter-flows, meshes, plateaux, fortuitous or failing becomings always emerging in evanescent way.
      • Pharmacopées indigènes et internationalisation du curanderismo péruvien : le cas de Takiwasi (Haute-Amazonie) - David Dupuis p. 171-185 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
        Fondée en 1992 par un médecin français, Takiwasi est à la fois une clinique de traitement des addictions et l'un des principaux centres du « tourisme chamanique » en Amazonie péruvienne. Depuis sa création, l'institution a développé un dispositif à visée thérapeutique caractérisé par la réappropriation d'éléments de la pharmacopée indigène (quechua Lamista), tels que les plantes émétiques ou l'ayahuasca. Cet article montre comment le transfert de cette pharmacopée s'est accompagné d'une profonde transformation des représentations taxinomiques qui accompagnent son usage et esquisse la théorie étiologico-thérapeutique originale dans laquelle s'inscrit désormais l'usage de ces végétaux. L'examen de ce cas ethnographique a été ainsi l'occasion d'interroger de manière plus générale les ressorts de la circulation et des régimes d'appropriation des pharmacopées occasionnée par l'internationalisation du vegetalismo péruvien.
        “Shamanic” practices used as healing or personal development rituals are becoming increasingly popular among the Western public. The emergence of this « tourism » leads to the development of “shamanic centres” in the Peruvian Amazon. Founded in 1992 by a French doctor, Takiwasi is both an addiction treatment clinic and one of the main shamanic centres in the area. The institution has developed a therapeutic device characterized by the appropriation of some elements of indigenous pharmacopeia, such as emetic plants and ayahuasca. Few hundred people are coming to Takiwasi every year to participate in practices including the ritual use of purgative plants, ayahuasca and retreats in the jungle. The purpose of those “seminars” is to allow a physical depuration, psychotherapy and “spiritual awakening”. This article shows how the transfer of that pharmacopoeia in the Takiwasi context has been accompanied by a taxonomic transformation based on an original etiological and therapeutical theory.