Contenu du sommaire : Archéologie romaine - Église et espace au Moyen Âge
Revue | Annales. Histoire, Sciences Sociales |
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Numéro | vol. 72, no 1, janvier-mars 2017 |
Titre du numéro | Archéologie romaine - Église et espace au Moyen Âge |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Éditorial - p. 5-6
- Écrire l'histoire de l'esclavage : Entre approche globale et perspective comparatiste - Paulin Ismard p. 7-43 Peut-on considérer, à la suite de l'un de ses meilleurs spécialistes, Patrick Manning, que «le champ des études sur l'esclavage est devenu un modèle de comparatisme en histoire sociale et économique»? Tout dépend de ce que l'on entend sous le terme de comparatisme, qui en est venu à qualifier des démarches aussi différentes dans leur méthode que variées, voire contradictoires, dans leur finalité. Depuis la fin des années 1990, l'histoire globale de l'esclavage n'a pas manqué de souligner les naïvetés épistémologiques d'une certaine tradition comparatiste, coupable d'appréhender le fait esclavagiste sous l'angle de ses institutions, et non comme un processus dynamique résultant de conditions historiques singulières. Il convient pourtant de cerner les limites d'une telle approche lorsqu'elle prétend être seule en mesure de dire ce qu'il en est de l'esclavage à travers l'histoire. Après avoir dressé un état des lieux des enjeux théoriques qui traversent l'historiographie contemporaine de l'esclavage, l'article tente de mettre en évidence ce qu'une démarche comparatiste de type «morphologique», redéfinie dans ses échelles d'observation, ses méthodes et ses objectifs, est susceptible d'apporter à l'étude d'une société en particulier, celle d'Athènes à l'époque classique. À partir de l'examen d'une forme spécifique d'organisation du travail servile commune à de nombreuses sociétés esclavagistes – celle où un esclave attaché à l'exploitation d'une terre, d'une boutique ou d'un atelier verse une rente régulière à son maître –, il est possible de réinterroger plusieurs dimensions essentielles de l'institution esclavagiste athénienne.Should we consider, along with the great specialist Patrick Manning, that “the field of slavery studies has become a model of comparatism in social and economic history”? The issue depends on what we mean by the term “comparatism,” which has come to qualify approaches that are very different in their methods and sometimes even contradictory in their goals. Since the end of the 1990s, the global history of slavery has highlighted the epistemological naivety of a certain comparatist tradition, guilty of conceiving slavery exclusively under an institutionalist paradigm, and not as a dynamic process arising from specific historical conditions. It is nevertheless important to point to the limits of such a “global” approach when it claims to be the only one capable of exploring slavery throughout history. After reviewing the theoretical challenges that traverse the contemporary historiography of slavery, this article seeks to demonstrate that a “morphological” type of comparatist approach, using redefined scales of observation, methods, and goals, can contribute to the study of one particular society: Athens during the classical period. By looking at a specific organization of servile labor common to numerous slave societies, in which a slave tied to the running of a piece of land, a workshop, or a store paid a regular rent to his master, it is possible to reinterrogate some fundamental aspects of the institution of slavery in Athens.
Dossier
- Fermes et villae romaines en Gaule chevelue : La difficile confrontation des sources classiques et des données archéologiques - Michel Reddé p. 45-74 Les termes de «ferme indigène» et de «villa» romaines, souvent opposés par les historiens, ressortissent à un débat historiographique ancien, mais toujours actuel car jamais véritablement tranché. En Gaule du Nord, ils renvoient notamment aux travaux déjà anciens de Roger Agache, dont les prospections aériennes avaient donné à voir un paysage peuplé de grandes villae, volontiers considérées comme de vastes domaines aristocratiques par opposition à de petits établissements de tradition indigène. Cette image a fini peu ou prou par s'imposer, donnant l'impression d'une mutation rapide et radicale des systèmes agraires du Nord de la Gaule après la conquête. Malgré de nombreuses tentatives de correction, la notion d'une économie agricole fondée sur la productivité des grands domaines reste dominante dans la pensée des historiens. Cet article se propose de rappeler la difficulté d'appréhender, à travers les sources classiques, la complexité des campagnes de l'Antiquité, afin de mieux examiner l'apport récent des grands décapages de l'archéologie préventive et les problèmes d'interprétation posés par l'intrication de nombreux établissements ruraux, dont la taille et le luxe ne constituent pas nécessairement des indicateurs pertinents de productivité.
The terms “native farm” and “Roman villa,” often contrasted by historians, stem from a long-standing and still-unsettled historiographical debate. In northern Gaul, they particularly evoke the work of Roger Agache, whose aerial prospections showed a landscape populated by large villae that were readily interpreted as great aristocratic estates in contrast to small native settlements. This view became more or less dominant, giving the impression that the Roman conquest swiftly and radically altered the agrarian system of northern Gaul. In spite of many attempts to correct it, the idea of an agricultural economy based on the production of large estates remains widely accepted among historians. This paper offers a reminder of how difficult it is to apprehend the complex situation of ancient rural landscapes through the lens of classical sources. It then goes on to consider the recent contribution of rescue archaeology and the interpretative problems posed by the entanglement of numerous rural settlements whose size and luxury are not necessarily relevant indicators of productivity. - L'archéologie de la construction : Une nouvelle approche de l'architecture romaine - Hélène Dessales p. 75-94 Nouvelle orientation disciplinaire, l'archéologie de la construction se définit comme l'étude de toutes les traces matérielles qui informent sur la conception, la construction et la gestion d'un édifice. Elle permet d'élargir l'approche de l'architecture romaine, jusqu'alors envisagée principalement du point de vue des typologies monumentales et décoratives. L'objectif de cette contribution est d'en caractériser les différentes spécificités et les apports. Si l'archéologie de la construction entretient des liens méthodologiques évidents avec l'archéologie du bâti, notamment par la stratigraphie verticale des élévations, elle s'en distingue par son échelle d'étude, celle du chantier de construction, dont elle entend restituer le contexte de production et toute la dynamique. Sept composantes sont considérées, éclairées par des recherches archéologiques récentes : le projet initial de l'édifice, la préparation du site, la mise en place des infrastructures, la production des matériaux, leur transformation, leur mise en œuvre dans la construction, les opérations de finition et de décoration. Les données recueillies permettent d'associer l'archéologie des techniques et l'histoire socio-économique, en considérant le chantier de construction comme un système de production et d'échange, dans toutes ses interactions avec la société romaine.
Representing a new disciplinary orientation, the archaeology of construction is defined as the study of all material traces furnishing information about the design, the construction, and the management of a building. It thus offers a way of broadening our approach to Roman architecture, until now considered mainly from the point of view of monumental and decorative typologies. This article aims to set out its various specificities and potential contributions. While the archaeology of construction has clear methodological links with the archaeology of standing structures, notably through the vertical stratigraphy of elevations, it is distinguished by its scale of study, which covers the entirety of the building site and seeks to restitute its context of production and its dynamics. Seven elements are considered, illustrated by recent archaeological research: the initial project of the building, the preparation of the site, the setting up of infrastructures, the production of materials, their transformation, their implementation in the construction, and finally the finishing and decorative operations. The data collected make it possible to combine an archaeology of techniques with socio-economic history, considering the building process in all its interactions with Roman society as a system of production and trade.
- Fermes et villae romaines en Gaule chevelue : La difficile confrontation des sources classiques et des données archéologiques - Michel Reddé p. 45-74
Église et espace au Moyen Âge
- Lectures - p. 95-97
- Sens et usages du territoire médiéval - Dominique Iogna-Prat p. 99-107 Sur la base du livre de Florian Mazel, L'évêque et le territoire. L'invention médiévale de l'espace (ve-xiiie siècle), l'article propose de revenir sur le tournant spatial qui a marqué la médiévistique française depuis une trentaine d'années. En regard des historiens du dominium qui postulent, avec les phénomènes de l'incastellamento ou de l'inecclesiamento, une fixation territoriale des hommes à l'âge féodal autour des «pôles» ou des «cellules» de domination que sont le château, l'église, le cimetière ou la paroisse, F. Mazel propose une réflexion à une autre échelle, celle du territoire comme espace d'expression de la souveraineté politique, l'Église, à travers la mise en place d'une spatialité inédite – le diocèse – précédant l'État comme institution qui se réalise à travers une construction territoriale. L'intérêt de l'analyse proposée n'est pas seulement de se concentrer, avec le diocèse, sur une échelle qui fait sens dans une dynamique hiérarchique d'ensemble de la spatialisation ecclésiale, de haut en bas, du local à l'universel, mais aussi et surtout de se demander en quoi les pratiques territoriales de l'Église médiévale permettent le passage à l'espace au sens moderne du terme, homogène et isotrope.
Based on Florian Mazel's book L'évêque et le territoire. L'invention médiévale de l'espace (ve-xiiie siècle), this article seeks to revisit the spatial turn that has marked medieval studies in France over the last thirty years. Historians of dominium in the feudal period draw on the phenomena of incastellamento or inecclesiamento to suggest a territorial anchoring of populations around the “poles” or “cells” of domination, namely the castle, the church, the cemetery, and the parish. Mazel, however, offers a reflection on another scale. He sees territory as a space for the expression of political sovereignty, with the church and its establishment of a new form of spatiality—the diocese—preceding the state as an institution realized through a territorial construction. Through its focus on the diocese, this analysis concentrates on a scale which makes sense within a general hierarchical dynamic of ecclesial spatialization, from top to bottom, from local to universal. But it also and above all enables an interrogation of how the territorial practices of the medieval church made possible the transition to space in the modern—homogeneous and isotropic—sense. - L'Église, la cité et la modernité - Florian Mazel p. 109-120 Le dernier ouvrage de Dominique Iogna-Prat, Cité de Dieu, cité des hommes. L'Église et l'architecture de la société, 1200-1500, qui s'inscrit dans la postérité intellectuelle et chronologique de La maison Dieu. Une histoire monumentale de l'Église au Moyen Âge (v. 800-v. 1200), se présente comme un essai sur l'émergence de la ville en tant que figure symbolique et politique de la cité des hommes entre 1200 et 1700, et sur les effets de cette émergence sur l'Église, qui avait assumé cette fonction avant 1200. Il nourrit une réflexion ambitieuse sur les origines de la modernité, qui vise à dépasser les impasses de la philosophie politique, prompte à ignorer les siècles médiévaux et le moment scolastique, et à relativiser l'effacement de l'institution ecclésiale à partir de la Renaissance. Il rejette l'opposition binaire entre l'Église et l'État, propose une nouvelle périodisation de l'«entrée en modernité» et souligne l'importance des enjeux spatiaux (ici principalement en termes de représentation), s'inscrivant ainsi dans un courant de l'historiographie française attaché depuis plus d'une décennie à réintroduire la question de l'espace au cœur de l'histoire sociale et politique. La démonstration, stimulante, suscite cependant quelques interrogations. Celles-ci portent sur les effets de la Réforme protestante, la puissance croissante des États et le processus de «sécularisation» ou, plus encore, sur l'articulation entre une logique de polarisation de l'espace et une logique de territorialisation dans les pratiques de gouvernement et l'encadrement de la société, toutes deux promues par l'institution ecclésiale, avant les États eux-mêmes.
Dominique Iogna-Prat's latest book, Cité de Dieu, cité des hommes. L'Église et l'architecture de la société, 1200–1500, follows on both intellectually and chronologically from La Maison Dieu. Une histoire monumentale de l'Église au Moyen Âge (v. 800–v. 1200). It presents an essay on the emergence of the town as the symbolic and political figure of society (the “city of men”) between 1200 and 1700, and on the effects of this development on the church, which had held this function before 1200. This feeds into an ambitious reflection on the origins of modernity, seeking to move beyond the impasse of political philosophy—too quick to ignore the medieval centuries and the Scholastic moment—and to relativize the effacement of the institutional church from the Renaissance on. In so doing, it rejects the binary opposition between the church and the state, proposes a new periodization of the “transition to modernity,” and underlines the importance of spatial issues (mainly in representational terms). This last element inscribes the book in the current of French historiography that for more than a decade has sought to reintroduce the question of space at the heart of social and political history. Iogna-Prat's stimulating demonstration nevertheless raises some questions, notably relating to the effects of the Protestant Reformation, the increasing power of states, and the process of “secularization.” Above all, it raises the issue of how a logic of the polarization of space was articulated with one of territorialization in the practices of government and the structuring of society—two logics promoted by the institutional church even before states themselves.
Essai
- Le keynésianisme international se débat : Sens de l'acceptable et tournant néolibéral à l'Ocde - Vincent Gayon p. 121-164 Publié en 1977 par l'Ocde dans une situation de stagflation généralisée, le rapport McCracken est devenu emblématique du «tournant néolibéral» de la coopération économique internationale. Cette enquête ébranle le pacte de lecture téléologique en revenant au sens de l'acceptable des acteurs mobilisés dans son écriture et à l'incertitude structurelle dans laquelle ils étaient plongés pour anticiper le devenir économique et politique. Plutôt qu'une victoire sans conteste du néolibéralisme, la sociogénétique de cet écrit bureaucratique redécouvre les stratégies d'adaptation du «keynésianisme international» hérité de Bretton Woods et les structures de plausibilité de cet espace situé à la confluence de champs politiques, bureaucratiques et universitaires. La dynamique de production s'analyse comme une logique de situation à travers laquelle le secrétariat de l'Ocde se voit exposé à des logiques et à des ressources externes polymorphes qui s'entrechoquent et se jaugent. La forme du rapport rend possible la confrontation de capitaux informationnels, bureaucratiques et politiques; elle en objective, en quelque sorte, la valeur différentielle ou le taux de change pour les participants. Les anticipations socialement structurées de ce qui est jouable, coûteux ou risqué sont pistées dans la composition collective autour de quatre temps forts : la commande, le cadrage, la constitution du groupe et la cristallisation du rapport. L'article propose ainsi une autre manière d'enquêter sur les «tournants».Published in 1977 by the OECD in a context of widespread stagflation, the Mc
Cracken report has become emblematic of the “neoliberal turn” in international economic cooperation. This study undermines this shared teleological interpretation by revisiting the sense of what was acceptable among the actors mobilized in its writing and the structural uncertainty into which they were plunged by their attempt to anticipate the economic and political future. Rather than an uncontested victory of neoliberalism, the sociogenetics of this bureaucratic text uncover the coping strategies of the “international Keynesianism” inherited from Bretton Woods and the plausibility structures of this space situated at the confluence of the political, bureaucratic, and academic domains. The dynamic of production is analyzed as a situational logic through which the secretariat of the OECD was exposed to polymorphic external rationales and resources that collided with and gauged one another. The form of the report makes it possible to confront informational, bureaucratic, and political capitals, effectively rendering tangible their differential value or exchange rate for the participants. The socially structured expectations of the feasible, the expensive, and the risky are traced throughout the collective process of composition based on four key moments: the commission, the establishment of a framework, the constitution of the group, and the crystallization of the report. The article thus proposes another way of investigating the nature of “turns.”
- Le keynésianisme international se débat : Sens de l'acceptable et tournant néolibéral à l'Ocde - Vincent Gayon p. 121-164
Comptes rendus
- Comptes rendus. Archéologie - p. 165-253