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Revue | Annales de géographie |
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Numéro | no 717, 2017/5 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les géopatrimoines, de nouvelles ressources territoriales au service du développement local - François Bétard, Fabien Hobléa, Claire Portal p. 523-543 Cet article introduit le dossier thématique des Annales de géographie consacré au géopatrimoine, composante non vivante du patrimoine naturel. L'article analyse les conditions d'émergence de ce champ patrimonial récemment reconnu. Il examine, dans une perspective géographique, sa capacité de territorialisation. À travers le double prisme de la spatialité et de la temporalité des géopatrimoines, il interroge également leurs différents registres de valeurs (patrimoniales, ressourcielles) en même temps que leurs fonctions socioculturelles et économiques, en montrant au final comment les géopatrimoines peuvent accéder au statut de ressource patrimoniale et territoriale sur laquelle fonder des actions de développement local s'inscrivant dans le paradigme de la durabilité. Les cinq autres articles composant ce numéro thématique sont introduits au fil de l'article en référence aux différents aspects de la problématique qu'ils contribuent à éclairer.This article introduces the thematic issue of the Annales de géographie devoted to geoheritage, the abiotic component of the natural heritage. The article analyzes the conditions for the emergence of this recently recognized patrimonial field. It examines, from a geographical perspective, its capacity for territorialization. Through the double prism of the spatiality and the temporality of the geoheritage, it also questions their different registers of values (patrimonial, resourceful). Their socio-cultural and economic functions are also highlighted, showing in the end how geoheritage can access the status of territorial resource on which to base local development actions falling within the paradigm of sustainability. The five other articles of this thematic issue are introduced in the course of the article.
- Géopatrimoine et biopatrimoine, à la croisée entre conservation et développement. Une approche des trajectoires patrimoniales dans le Cariri du Ceará (Nordeste brésilien) - François Bétard, Jean-Pierre Peulvast, Alexsandra De Oliveira Magalhães, Francisco Idalecio De Freitas p. 544-565 D'abord reconnue pour son biopatrimoine, avec le classement juridique de la première Forêt Nationale du Brésil dès 1946, la région du Cariri, située dans l'intérieur du Nordeste, est aujourd'hui mondialement reconnue pour son géopatrimoine et ses richesses paléontologiques, qui ont donné lieu à la labellisation par l'UNESCO du premier géoparc des Amériques en 2006 (géoparc Araripe). En choisissant une entrée par les trajectoires patrimoniales, cet article analyse de façon diachronique les processus de patrimonialisation de la nature et le glissement qui a fait passer de logiques conservationnistes limitées au patrimoine vivant, à l'émergence du géopatrimoine comme ressource territoriale au service du développement (promotion du géotourisme). Si les trajectoires diffèrent notablement selon la composante – biotique ou abiotique – de la nature, l'article montre aussi la tension complexe qui existe entre conservation et développement dans la gestion des ressources bio- et géopatrimoniales, singulièrement dans un pays émergent comme le Brésil. Malgré les difficultés de gestion territoriale et les problèmes environnementaux auxquels doivent faire face les municipalités du Cariri, les perspectives d'un développement territorial durable devraient aujourd'hui pouvoir s'appuyer sur la structure de géoparc afin de développer les actions d'éducation à l'environnement, aussi bien dans la lutte contre le pillage des fossiles ou la pollution des sites, que dans le domaine de la prévention de risques naturels largement ignorés jusqu'ici.Firstly recognized for its biodiversity heritage value, with the legal classification of the first National Forest of Brazil in 1946, the Cariri region, located in the interior of Northeast Brazil, now has worldwide recognition due to its famous geological heritage and associated palaeontological diversity. These latest developments helped promote the area to the rank of first UNESCO Geopark of the Americas (Araripe Geopark, labelled in 2006). By studying from the heritage approach, this article analyses the process of heritage conservation implementation in a diachronic way. It considers the shift from conservationism restricted to biotic heritage, to the emergence of geological heritage as a territorial resource that enhances local development (e.g., through the promotion of geotourism). While trajectories notably differ according to the biotic or abiotic component of nature, the article also shows the complex tension between conservation and development in the management of biological and geological resources, particularly in an emerging country such as Brazil. Despite the challenges of territorial management and environmental problems facing the municipalities of Cariri, new forms of sustainable territorial development might rely on the Geopark structure to develop actions of environmental education, both on the awareness of the importance of preserving fossils from destruction or pillage and limiting site pollution, and on the prevention of natural hazards so far ignored by the local population and authorities.
- Les géopatrimoines des Alpes occidentales : émergence d'une ressource territoriale - Fabien Hobléa, Nathalie Cayla, Christian Giusti, Véronique Peyrache-Gadeau, Alexandre Poiraud, Emmanuel Reynard p. 566-597 Parmi les « nouveaux patrimoines » identifiés ces dernières décennies, les « géopatrimoines » sont entendus comme les objets, phénomènes, sites et paysages géologiques témoins clefs de l'histoire de la Terre, de son fonctionnement et de ses interactions avec le vivant dont les Humains. Cet article montre, à travers ce haut lieu géopatrimonial que sont les Alpes occidentales, comment les géopatrimoines et les valeurs qui leur sont associées deviennent, dans certains contextes et conditions, des « ressources territoriales » participant de manière significative aux stratégies de développement local. Plusieurs voies d'appropriation et d'activation territoriales de ces ressources géopatrimoniales sont présentées et comparées, au travers notamment des labellisations UNESCO (Patrimoine mondial et Géoparcs), ainsi que d'une activité en plein essor : le géotourisme. Ces activations sous-tendent parfois de véritables projets de territoire, dont l'analyse permet de montrer comment la mise en ressource des géopatrimoines est source de territorialisation. Ces activations, notamment via les labellisations, sont également motivées par un souci de singularisation territoriale. Le succès de la démarche Géoparc, dans les Alpes occidentales comme en Europe et en Asie, amène à interroger les stratégies de positionnement et de mise en réseau des territoires de montagne misant sur leur géopatrimoine comme support de développement et de singularisation1. De plus, le passage du statut de patrimoine à celui de ressource n'est pas sans conséquences sur la qualification des valeurs attribuées aux objets et sites géopatrimoniaux alpins. Ces conséquences sont doubles et interliées : elles tendent à la fois à un renversement hiérarchique des valeurs dites centrales et additionnelles entre experts géoscientifiques et acteurs socio-économiques, et à un glissement des valeurs patrimoniales vers le champ des valeurs ressourcielles.Among the new categories of heritage identified over the last decades, geoheritage is defined as the array of geological features, dynamics, sites and landscapes that are not only key-indicators of the Earth's history and functional processes, but that also reflect the interactions between abiotic and biotic systems, including the anthroposystem. This article shows, through the example of the Western Alps as geoheritage landmark, how, in some contexts and conditions, geoheritage becomes a “territorial resource” contributing significantly to local development strategies. Several ways of territorial appropriation and activation of these geoheritage resources are presented and compared, especially through the UNESCO labels (World Heritage and Geoparks), as well as a growing activity: geotourism. Such activation sometimes underlies genuine territorial projects, the analysis of which shows how turning geoheritage into resource produces territorialization. These processes, especially via labelling, are also motivated by a concern for territorial singularization. The success of the Geopark approach, in the Western Alps as well as in Europe and Asia, leads us to question the strategies of positioning and networking of mountain territories based on their geoheritage as a support for development and singularization. Furthermore, the shift from heritage to resource status has implications for the qualification of values attributed to Alpine geoheritage features and sites. These consequences are dual and interrelated: they tend both towards a hierarchical reversal of the so-called central and additional values between geoscientific experts and socio-economic actors, and to a shift from heritage values to the field of resource-based values.
- Consequences of overlapping territories between large scale protection areas and Geoparks in Germany: Opportunities and risks for geoheritage and geotourism - Heidi Elisabeth Megerle, Dana Pietsch p. 598-624 Les Géoparcs sont des territoires présentant un patrimoine géologique remarquable. Ils se doivent de mettre en œuvre une stratégie de développement durable impliquant leurs habitants, fondée sur le géotourisme et apportant une plus-value pour leur région. Qu'ils soient reconnus au niveau national ou européen et par l'UNESCO, les Géoparcs ne constituent pas pour autant en eux-mêmes des statuts de protection réglementaire. Il arrive souvent que les Géoparcs recouvrent tout ou partie d'une aire protégée comme des Parcs naturels ou nationaux ou bien des Réserves de Biosphère. Cette superposition territoriale peut induire tant des avantages que des risques pour les Géoparcs concernés. Le principal avantage réside dans le placement de fait des géosites du Géoparc sous couvert du statut de protection de l'aire protégée dans laquelle ils s'inscrivent. Le danger réside dans la potentielle mise en concurrence des deux statuts, ou dans la moindre visibilité du label Géoparc au regard de la plus grande notoriété de l'aire protégée préexistante. L'issue positive ou négative des interactions liées à cette situation de superposition territoriale dépend principalement de l'attitude de quelques décideurs et acteurs clefs, notamment les directeurs de structure. Le contexte territorial et le degré de recouvrement territorial semble moins crucial que l'existence d'activités conjointes et, idéalement, d'une direction et d'un personnel communs basés au même endroit. Les trois Parcs naturels allemands également Géoparcs en offrent un exemple démonstratif. La question de telles mutualisations avec des parcs nationaux ou des Réserves de Biosphère est discutable, en raison des différences relatives aux modes de financement et aux sphères politiques concernées. Néanmoins, l'enquête empirique réalisée en Allemagne révèle un fort potentiel de coopération porteuse de synergies constructives.Geoparks are territories with a particular geological heritage. Together with their inhabitants they have to develop a strategy for a sustainable territorial development, including geotouristic offers, creating regional added value. Geoparks can be acknowledged on the national, European and UNESCO level, but are not protected by nature protection laws. Quite often Geoparks overlap in total or partially with large scale protection areas like nature or national parks or biosphere reserves. This territorial overlapping involves opportunities and risks for the Geoparks concerned. The main opportunities are due to an automatic integration of geotopes in the general protection status of the large scale protection areas. Risks lie largely in a potential concurrence situation, or a lesser visibility because of the higher level of the large scale protection area´s popularity. Whether overlapping territories lead to positive or negative side effects can mostly be traced back to decisive key actors, usually the managing directors. The territorial context, meaning the degree of overlapping territories, seems less crucial than having joint activities and ideally joint head offices with common personnel. The three German Geo-Nature Parks already offer a convincing example. Whether common structures could be realized also with National Parks or Biosphere reserves is questionable, due to different means of funding and different degrees of political influence. Nevertheless the empirical survey in Germany showed in general a high potential for creative cooperation with mutual synergy effects.
- De la géoconservation au géotourisme : un glissement de paradigme - Alexandre Poiraud, Grégory Dandurand p. 625-653 Le géopatrimoine connaît depuis une petite vingtaine d'années de profondes évolutions théoriques et pratiques. D'un domaine confidentiel des géosciences et de la conservation, il est passé à une reconnaissance internationale (UNESCO) et large avec l'arrivée de nouveaux acteurs (praticiens, sciences sociales, etc.) qui amène à des évolutions rapides de la discipline et à des nouveaux usages. Cet article vise à décrypter le glissement de paradigme qui a eu lieu vers les années 2000 séparant une vision très conservatoire d'un patrimoine naturel hérité du xxe siècle et une approche plus économique et complexe d'un patrimoine multiforme considéré comme ressource de développement territorial. Ce glissement paradigmatique et l'intensification des pratiques géotouristiques tendent à générer des tensions croissantes entre les impératifs de préservation patrimoniale d'une part et les enjeux de développement territorial d'autre part. Cet article tente d'illustrer ce glissement progressif de paradigme et les tensions qu'il engendre à travers i) une réflexion épistémologique générale et ii) par plusieurs études de cas portant sur les géoparcs. Le PNR des Causses du Quercy est également pris comme exemple de territoire concerné par la difficile conciliation entre Activités de Pleine Nature (APN) et patrimoine géologique, hors du cadre géotouristique officialisé par les géoparcs.For twenty years, geological heritage has been undergoing profound theoretical and practical changes. From a minor area of geosciences and conservation, it has evolved into an internationally recognized concern (UNESCO). New participants are now involved (practitioners, social scientists, etc.) which is leading to rapid changes in discipline and new practices. This article aims to describe the paradigm shift that took place in the 2000s, from a conservation philosophy of a natural heritage during the 20th Century to a more economic and complex approach to a geoheritage considered as a territorial development resource. This paradigm shift and the intensification of geotourism practices tend to generate increasing tensions between the imperatives of geoheritage conservation on the one hand and the challenges of territorial development on the other. This paper attempts to illustrate this progressive shift in the paradigm and the tensions it generates through (i) general epistemological development and (ii) several case studies on geoparks, but also on the PNR of the “Causses du Quercy,” a common area concerned by the difficult merging between outdoor activities and geological heritage, falling outside the framework of geotourism rendered official by the geoparks.
- Paysages géopittoresques et modélisation spatiale des géoparcs européens : vers de nouveaux espaces naturels et culturels protégés ? - Claire Portal p. 654-154 En Europe, le label géoparcs concerne 69 territoires qui sont tous totalement ou partiellement connectés à des espaces naturels protégés. Cet article propose une étude exploratoire des relations spatiales et paysagères entre ces espaces patrimoniaux et géopatrimoniaux. Il s'appuie sur une base de données multicritères dont l'analyse a permis de mettre au jour des relations topologiques associées à la reconnaissance territorialisée de la valeur géopatrimoniale : la superposition des espaces implique ainsi une réinterprétation des paysages patrimonialisés ; l'expansion des territoires géopatrimoniaux au-delà des espaces protégés interroge les limites actuelles de ces espaces ; enfin, l'introduction des connaissances géopatrimoniales réinvente les modèles pittoresques à l'origine de la création des espaces naturels protégés européens. Les changements environnementaux contemporains, les héritages miniers et les pratiques géotouristiques composent ces paysages géopittoresques dont les modes de gestion actuels pourraient évoluer au regard des nouvelles pratiques associées à la « nature sauvage ».In Europe, 69 territories are labelled “geopark” and a great proportion of them are totally or partially connected to Natural or Cultural Protected Areas. This paper proposes an exploratory study which aims to analyze spatial relationships between Protected Areas and Geoparks. A multi-criteria database was built up (fig. 1). This enabled the production of a spatial model summarizing their different organizations through topologic relationships (fig. 2): when spaces are overlaid on each other, heritage landscapes are re-interpreted by knowledge of geological and geomorphological heritage; when geopark limits go over into protected areas, landscapes acquire a new heritage status. This territorial expansion also calls into question the current limits of these areas. Finally, new knowledge of the geological heritage is revising the picturesque models which are behind the creation of protected areas. Global environmental changes, mining heritage and new geotouristic practices constitute major components of geo-picturesque attractive landscapes. The current landscape management practices, especially concerning vegetation growth, matches with geological and geomorphological diversity: in British geoconservation areas, volunteers prune ground vegetation for outcrops to remain visible. Most of these actions are led with the agreement of a wildlife conservations trust. However, recently appearing forms of wildlife management could challenge these “cleaning actions”: the “letting go” management approach is now valorized by the European Union and experimental Natura 2000 sites are recommended. Conflicts could then appear between pro-wilderness and “geo-wardens”.