Contenu du sommaire : La production officielle des différences culturelles
Revue | Cultures & conflits |
---|---|
Numéro | no 107, automne 2017 |
Titre du numéro | La production officielle des différences culturelles |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Hommage
- Hommage à Barbara DELCOURT (1967-2017) - Le comité de rédaction p. 7-8
Dossier
- La production officielle des différences culturelles : Introduction - Narguesse Keyhani, Sylvain Laurens p. 9-13
- De la « Promotion culturelle des immigrés » à « l'interculturel » (1974-1980) : Discours d'État sur une catégorie d'État - Sylvain Laurens p. 15-41 La constitution, dans sa forme contemporaine, d'une politique de « promotion culturelle » des immigrés puis d'une « politique interculturelle », sera abordée ici à partir des matériaux recueillis dans le cadre d'une recherche qui a mis l'accent sur le rôle joué par les hauts fonctionnaires dans un processus qui a refait de l'immigration un problème public constamment sous les feux du « débat public » depuis la décennie 1970. C'est dans ce cadre qu'il sera procédé à l'étude des organismes qui ont eu en France, à compter du milieu des années 1970, à assurer la diffusion et la médiatisation d'une représentation officielle et promue par l'État des travailleurs immigrés. Le volet culturel de la politique d'immigration tel qu'il évolue et se transforme dans cette période offre un prétexte privilégié pour étudier des fonctionnaires-gouvernants aux prises avec la production officielle d'un discours sur les différences culturelles. Ces différents organismes n'ayant pas fait l'objet de dépôt d'archives publiques, cette contribution repose principalement sur une étude d'archives privées, complétée par les témoignages de différents hauts fonctionnaires et responsables politiques chargés au sein de l'administration et du gouvernement d'en contrôler l'évolution.This article provides a study of state-funded associations which ensured the dissemination and the media coverage of positive speeches on immigrant workers in France since the mid-1970s. The creation, in its contemporary form, of a policy of “cultural promotion” of immigrants and then of an “intercultural policy” will be examined from the vantage point of materials that were collected in the framework of a research project on the role of French senior officials in defining the social problem of immigration in French public debates since the 1970s. Examining the evolution and transformation of the cultural component of immigration policy during this period offers insights into how officials concretely promote a state discourse on cultural differences. Since most of these associations have partly destroyed their archives, this contribution is primarily based on a study of private archival collections, supplemented by interviews with various senior officials and politicians in charge of these issues in the 1970s.
- « Nous exécrons le racisme » : contrôle migratoire et approche culturaliste des crimes racistes dans la France des années 1970 - Rachida Brahim p. 43-60 Durant les années 1970, la politique d'immigration française a connu une inflexion qui s'est manifestée par un durcissement des conditions d'entrée et de séjour. Durant cette même décennie, parallèlement aux actions menées par les militants du Mouvement des Travailleurs Arabes, les autorités algériennes ont régulièrement politisé les agressions prenant pour cible leurs ressortissants. À travers le blâme raciste, il s'agissait d'exercer une pression sur le gouvernement français au moment même où le nombre de migrants algériens autorisés à entrer sur le territoire faisait l'objet de négociations soutenues. Cette contribution met en exergue les pratiques et opérations discursives par lesquelles les fonctionnaires français relevant du ministère de l'Intérieur se sont au contraire attachés à démontrer que les violences en question n'étaient pas dues au racisme, mais aux difficultés de cohabitation posées par les mœurs et les modes de vie relevant d'une supposée culture « nord-africaine ».In the 1970s, French immigration policy was reoriented with the tightening of entry and residency conditions. During that same decade, parallel to actions led by activists of the Movement of Arab Workers (Mouvement des Travailleurs Arabes), Algerian authorities regularly politicized assaults against their citizens on French territory. At a time when the number of Algerian migrants authorized to enter French territory was a subject of sustained debate, finger-pointing racism was used to exert pressure on the French government. This article highlights the discursive practices and operations through which French officials of the Ministry of the Interior tried to demonstrate that such acts of violence were not due to racism. Contrarily, French officials argued that attacks were the result of cohabitation difficulties provoked by the moral traditions and lifestyles of the supposed “North African” culture.
- La « question des races » dans un cadre administratif républicain : la création de la Commission nationale pour les études des relations interethniques - Narguesse Keyhani p. 61-76 Alors que l'historiographie classique considère qu'après Vichy s'impose un discours color-blind au fondement de la nouvelle politique migratoire, la Commission nationale pour les Études des Relations interethniques révèle l'existence dès les années 1960 d'une réflexion au sein de l'administration qui place explicitement les faits ethniques et culturels au cœur de la question immigrée. L'article s'intéresse aux hauts fonctionnaires à l'origine de cette Commission. Positionnés à l'intersection des institutions onusiennes et de la politique française de coopération scientifique, alors que les relations de la France avec ses anciennes colonies se reconfigurent autour de la « coopération », leurs trajectoires permettent d'identifier les conditions de reformulation de la « question des races » portée par les institutions onusiennes, en fonction de leur perception des intérêts de la France sur la scène internationale.While traditional historiography states that post-war immigration policy followed a color-blind doctrine, the case of the ‘Commission nationale pour les Études des Relations interethniques' shows that the immigration issue was in fact thought of in terms of culture and ethnicity in the 1960s within the administration. This article gives an account of the trajectories of the civil servants who created this Commission, coming from both UN agencies and the French administration of scientific cooperation. In a context defined by a reconfiguration of relations between France and its former colonies with the development of “cooperation” frameworks, this article explains how the “race issue” was articulated and reformulated by UN agencies in order to be consistent with their perception of French interests on the international stage.
- Gouverner par les morts et les mots. Quand le passé colonial et la « culture » immigrée deviennent une priorité municipale - Victor Collet p. 77-103 17 octobre 2011. Dans les Hauts-de-Seine et en région parisienne, les commémorations du massacre des Algériens marquent l'apogée d'une forme d'institutionnalisation du souvenir de la colonisation. Par leur durée et leur ampleur, les cérémonies questionnent la séquence d'ascension de ce passé en terre socialiste et communiste. Détour par Nanterre : exceptionnelle pour son histoire immigrée et ses bidonvilles, la commune l'est aussi pour la longévité du silence politique entourant le massacre. Les ressorts et les réussites de la patrimonialisation y sont éclairants : la rapide transformation sociale et urbaine du bastion communiste (depuis 1935) croise le renouvellement des élites locales et d'un tissu militant et associatif de quartier de plus en plus mobilisé autour de son passé. Pour le microcosme politique nanterrien, ce passé ressoude et valorise une identité désormais commune et fédératrice que l'identité ouvrière et communiste n'est plus en mesure d'assurer. L'exemple des luttes pour une école « Abdelmalek Sayad » et en mémoire d'Abdennbi Guémiah, lycéen de Nanterre tué au début des années 1980, illustre finalement le caractère surgénérateur de ces revendications aux appropriations diverses, locales et populaires, nationales et intellectuelles. En peu de temps, le patrimoine local immigré devient un élément central du jeu politique : parce qu'il permet d'affirmer symboliquement le renouvellement du pouvoir et qu'il affiche le dépassement d'une histoire longtemps conflictuelle. Derrière les morts et les mots, la brusque ascension du passé de l'immigration éclaire autrement le profond bouleversement social, culturel et militant, et les jeux de clientèle en banlieue.October 17th, 2011. In the Parisian region and the neighbouring suburbs of the Hauts-de-Seine, the 50th commemoration of the massacre of Algerians in Paris led to the institutionalization of the colonial memory. By virtue of their duration and their size, these commemorative ceremonies questioned the particular period during which the French colonial past appeared in former and present socialist and communist councils. In Nanterre – a commune situated in the North-western suburbs of Paris that has had a communist council since 1935 – this memory is exceptional due to its long colonial and postcolonial history. Although the largest Algerian slum in France was to be found in the Nanterre of the 1950s and 1960s, for many years, the council remained completely silent about the massacre of Algerian activists in 1961. It is only recently that the massacre has started to be commemorated in Nanterre. This can be explained by two significant and recent transformations of the city: firstly, its demographic and urban transformation; and secondly, the change of its political elite, following a boom in the number of local associations and activist networks working on the question of the local (and colonial) memory. The emergence of this memory in the micro-politics of Nanterre responds to the need for a common and unified identity of its residents, an identity that the working class and communist banners have failed to provide. The residents' struggle to have a school named after the Algerian sociologist Abdelmalek Sayad – who wrote on Nanterre's slums – and a street named after Abdennbi Guémiah – a teenager killed by a racist neighbour in the early 1980s – testify to the need for such a memory. The heritage and memory of immigration in the city has now become a core issue in Nanterre's local politics. It helps political authorities build a brand-new image and overcome the mistakes of the past by recognizing its (post)colonial citizens. Beyond the dead and the words, the sudden emergence of the issue of the migrant past and the memory of immigration casts light on the deep social, cultural, and political transformations of the banlieue.
- L'Achac et la transmission du passé colonial : stratégies entrepreneuriales et culturalisation de la question immigrée dans la mémoire nationale - Laurence De Cock p. 105-121 L'Association pour la Connaissance de l'Histoire de l'Afrique Coloniale (ACHAC) est à l'origine de très nombreuses publications sur le passé colonial. Son co-fondateur et dirigeant, Pascal Blanchard, est une figure originale dans le champ des études coloniales, n'hésitant pas à mêler stratégie entrepreneuriale et démarche académique. La « culture coloniale » et le continuum colonial sont les principes sur lesquels s'appuie l'association pour circonscrire et légitimer la place du passé colonial dans la définition de la mémoire nationale. L'ACHAC nourrit ainsi une approche culturalisante de la question de l'immigration. Ce faisant, l'association s'est imposée, institutionnellement, comme un nterlocuteur privilégié sur les questions historiques liées aux discriminations. L'article retrace la démarche entrepreneuriale développée par Pascal Blanchard et l'ACHAC à destination des pouvoirs publics et montre comment la multipositionnalité de l'ACHAC permet de brouiller les frontières entre la sphère du marketing et les codes académiques, introduisant ainsi une nouvelle coordonnée dans les usages sociaux et politiques du passé.The “Association for Knowledge of Colonial African History” (ACHAC) is the source of a constant flow of publications on the colonial past. Its co-founder and director, Pascal Blanchard, is an original figure in the field of colonial studies, who does not hesitate to mix academic endeavors with business strategies. “Colonial culture” and colonial continuum are the two principles used by ACHAC to delineate and legitimize the role of the colonial past in the making of the national memory. By so doing, the association is maintaining a culturalizing approach on the issue of immigration while establishing itself as a privileged institutional interlocutor on historical issues related to discrimination. This essay recounts the entrepreneurial strategy developed by Pascal Blanchard and ACHAC to address to the government and public authorities. It shows how ACHAC's multipositionality makes it possible to blur the boundaries between the marketing sphere and academic codes, thus introducing a new criterion into the social and political uses of the past.
- Le policier et le culturel. Police et minorités à Berlin - Jérémie Gauthier p. 123-141 À partir d'enquêtes ethnographiques menées dans des commissariats de police berlinois, cet article prend pour objet la politique dite de « prévention interculturelle » mise en œuvre à Berlin à partir des années 2000. L'auteur analyse la manière dont les policiers investissent le référentiel culturaliste impulsé au niveau fédéral, en direction notamment des communautés musulmanes. L'article montre que l'articulation entre les stratégies de prévention et le traitement culturaliste des minorités a eu pour effet un élargissement du mandat policier, notamment par le biais d'un rapprochement avec le travail social. Dans le même temps, le cadrage culturaliste produit des effets ambivalents : d'un côté, il atténue l'effet des stéréotypages individuels lors des interventions ; d'un autre côté, il produit des formes de réification des groupes étiquetés comme « minorités culturelles ».Based on ethnographic fieldwork conducted in Berlin police precincts, this article focuses on the so-called “intercultural prevention” policy implemented in Berlin since the early 2000s. The author analyzes how police work is informed by a culturalist framework, particularly regarding Muslim communities. The article shows how the link between prevention strategies and the culturalist approach to the treatment of minorities has broadened the police mandate, making police work closer to social work. Yet, this culturalist framework has ambivalent effects: on the one hand, it limits the effects of individual stereotyping during police interventions; on the other hand, it produces forms of reification of groups labeled as “cultural minorities.”
Regards sur l'entre-deux
- « Il n'y a aucune possibilité d'entente entre nous » - Eduardo Rinesi p. 145-157 Ce dossier de la rubrique « Regards sur l'entre-deux » reprend un chapitre d'ouvrage, à l'origine publié en espagnol et consacré aux problèmes de langue dans Hamlet et aussi aux problèmes que pose sa traduction à la fois en espagnol et en français. Le philosophe argentin prolonge ici ses réflexions menées de longue date sur les tragédies shakespeariennes et aborde notamment les liens entre politique et traduction.This special issue's “Perspectives of the In-Between” presents a book chapter originally published in Spanish by Eduardo Rinesi. His piece is devoted to a discussion on the problems of language in Hamlet as well as problems posed by its translation into both French and Spanish. The Argentinian philosopher extends his long-standing reflections on Shakespearean tragedies while addressing links between politics and translation.
- Note sur la place des mots - Antonia García Castro p. 158-163 Cette contribution complète le dossier et présente une brève réflexion sur le rôle du traducteur et les difficultés propres à la traduction du texte d'Eduardo Rinesi mettant en présence trois langues.This contribution completes the special issue and presents a brief reflexion on the role of the translator while pointing to the unique difficulties of bringing together three languages in translating the work of Eduardo Rinesi.
- « Il n'y a aucune possibilité d'entente entre nous » - Eduardo Rinesi p. 145-157