Contenu du sommaire : Cultures ouvrières
Revue | Mil neuf cent |
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Numéro | no 35, 2017 |
Titre du numéro | Cultures ouvrières |
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- Hommage à Jacques Julliard - p. 3-5
- Avant-propos - Christophe Prochasson p. 7-8
Dossier
- Introduction - Marion Fontaine p. 9-17
- Une culture de l'autonomie ? : Syndicalisme révolutionnaire et culture des producteurs - Bastien Cabot p. 19-40 Dans son ouvrage pionnier Autonomie ouvrière, Jacques Julliard cherchait à montrer en quoi l'autonomie professionnelle et politique des ouvriers avait eu pour corollaire l'affirmation d'une autonomie culturelle lors de l'épisode du syndicalisme d'action directe. Paru en 1988, et alors que l'histoire culturelle connaissait son essor, l'ouvrage assumait toutefois de ne pas se servir de ces instruments nouveaux. C'est pourquoi nous avons choisi ici d'étudier non pas les origines culturelles de l'autonomie, mais plutôt ses manifestations au cours de la période 1890-1914, sous trois angles d'attaque : la culture littéraire du journal le Père Peinard, la culture pratique de la grève et du sabotage, et enfin l'apprentissage culturel par l'auto-éducation des ouvriers.In his seminal work Autonomie ouvrière, Jacques Julliard intended to demonstrate how workers' professional and political autonomy had led to a cultural autonomy during the revolutionary syndicalism period. Although published in 1988, at a time when cultural history was booming, his work acknowledged that it did not make use of these new tools. This article therefore intends to seek the various historical illustrations of this cultural autonomy, rather than the cultural origins of autonomy. This will lead us to consider three mains aspects: the literary culture of le Père Peinard, the practical culture of strike and sabotage and the cultural learning exemplified by workers' self-education.
- L'enseignement professionnel et la culture ouvrière sous la IIIe République - Stéphane Lembré p. 41-59 La fréquentation de l'enseignement professionnel par les enfants de familles ouvrières au temps de la seconde industrialisation est faible. Les attitudes ouvrières à l'égard de la formation évoluent pourtant en relation avec des mutations économiques et sociales, et des changements techniques. Malgré l'absence de massification de cet enseignement avant les années 1940 et la participation limitée des représentants de la classe ouvrière à la gouvernance d'institutions d'enseignement professionnel, dès la fin du xix e siècle s'engage le redéploiement progressif et pragmatique de la culture technique au sein de la culture ouvrière, à travers des expériences très variées, depuis les cours pour ouvriers organisés localement jusqu'aux Bourses du travail incluant l'enseignement professionnel.Few working-class children attended vocational education during the second industrialization. Workers' attitudes towards training, however, evolved in relation to economic and social changes as well as technical transformations. At the end of the 19th century, despite the lack of massification of this education before the 1940s and the limited participation of working-class representatives in the governance of vocational education institutions, there was a gradual and pragmatic redeployment of technical culture within the workers' culture, through a wide variety of experiences, from courses for locally organized workers to labour scholarships including vocational education.
- Les mains calleuses pour des lettres nouvelles ? : Les écritures ouvrières en France à l'orée du xxe siècle - Xavier Vigna p. 61-79 Les écritures ouvrières émanent fréquemment d'autodidactes. Cet accès à la culture « légitime » s'opère parfois par le truchement d'un mentor ou d'une institution savante. Mais le mouvement syndical a œuvré à créer ses propres modes de formation. Les ouvrières ou ouvriers prennent donc la plume pour rédiger des textes très divers (poésies, récits, témoignages, articles de journaux, etc.) qui s'ordonnent cependant autour de trois polarités principales : écritures du quotidien, récits biographiques ou textes militants. Ils répondent ainsi à de multiples fonctions : ils ne visent pas seulement à instruire, mais constituent aussi des modes de lutte et peuvent comprendre une ambition proprement littéraire.Working-class writings often originated from self-taught writers. The access to “legitimate” culture sometimes took place through a mentor or scholarly institution. But the trade union movement implemented/created its own modes of training. Workers, women as well as men, therefore took the pen to write a whole variety of texts (poetry, stories, testimonials, newspaper articles, etc.) which were organized around three main polarities: daily writings, biographical narratives or militant texts. They thus responded to multiple functions: they were not only aimed at teaching, but also constituted modes of struggle and could include a literary ambition.
- Jeunes travailleurs, jeunes consommateurs : Les enquêtes sociales et la place des jeunes au sein des familles de milieux populaires - Lola Zappi p. 81-101 L'article se penche sur les enquêtes produites par les services sociaux de l'entre-deux-guerres pour appréhender les cultures de consommation des jeunes de milieux populaires. Il prend pour cas d'étude le Service social de l'enfance, association privée d'assistantes sociales créée en 1923 en France et rattachée au tribunal pour enfants, à partir d'une étude tant qualitative que quantitative de près de trois cents dossiers. Dans un premier temps, nous analysons l'enjeu de l'enquête sociale comme source pour l'étude des modes de vie ouvriers, en observant comment les assistantes sociales évaluent et jugent les habitudes de consommation des familles populaires sous leur charge. Dans un second temps, nous mettons en évidence la part que le travail des jeunes représente dans l'économie familiale des ouvriers. Enfin, nous questionnons la construction d'un « quant à soi » de ces jeunes travailleurs à travers leurs consommations propres.The article investigates social surveys produced by social services during the interwar period as a tool to comprehend consumption cultures among working-class youth. It focuses on the case of the Social Service of Endangered Childhood (Service social de l'enfance), a private organisation of social workers created in 1923 in order to assist children's courts. The article is based on the quantitative and qualitative analysis of three hundred of their files. In a first part, we examine what is at stake when using social surveys as a source for studying working-class way of life, by analysing how social workers evaluated the families under their care and passed judgement on their consumption habits. Then, we show how the work of teenagers played a key role in working-class family budgets during the interwar period. Finally, we turn to how young workers built their autonomy through developing their own practices of consumption and consumption cultures.
- De l'orphéon au jazz : Une métamorphose de classe (xixe-xxe siècles) - Philippe Gumplowicz p. 103-116 Le jazz est apparu puis s'est développé comme le surgeon d'une pratique musicale orphéonique, celle des sociétés de musique populaires qui, principalement à La Nouvelle-Orléans, ressemblaient par l'uniforme, les activités urbaines et surtout par le répertoire de marches militaires aux sociétés musicales européennes des villes industrielles. Et puis, quelque chose se passa. L'éthique collective orphéonique laissa place à des solistes qui prirent quelque liberté avec la musique écrite sur les pupitres. Le jazz naissait en même temps que l'improvisation et apportait avec lui un essor musical vertigineux. Un monde artiste se substituait au monde ouvrier. Cet article se reporte aux moments où ces deux pratiques se confondaient encore.Jazz emerged and then developed as the sucker of an orpheonic musical practice, that of the popular music societies which, mainly in New Orleans, resembled European musical societies based in industrial cities, by their use of uniforms, their urban activities and especially by their repertoire full of military marches. But then something happened. The collective ethics of Orphéon choral societies gave way to soloists who took some liberty with the music written on their music stand. With improvisation, Jazz was born and a vertiginous musical boom was to follow. An artist world was substituted for a working-class world. This article examines the moments when these two practices were still intertwined.
- Danser la Lambeth Walk ou les formes de folklorisation de la culture cockney : Étude et revisite de l'enquête du Mass Observation - Ariane Mak p. 117-158 À l'été 1938, la danse Lambeth Walk fait fureur au Royaume-Uni. Adaptée d'une pièce de music-hall, elle est conçue comme une illustration typique de la culture ouvrière cockney. À travers la revisite d'une enquête ethnographique publiée en 1939, cet article interroge la généalogie ambivalente de la Lambeth Walk et examine la circulation sociale des archétypes du cockney, du coster et du Pearly King. Quelles sont les formes de folklorisation de la culture cockney en jeu dans la Lambeth Walk ? Que fait le passage des planches de music-hall aux dancings où les danseurs « jouent à imiter les cockneys de Lambeth » ? Les habitants du quartier londonien de Lambeth eux-mêmes, loin d'être des spectateurs passifs de la folklorisation de la culture locale, s'en saisissent et, à bien des égards, s'en font les acteurs.By revisiting one of Mass Observation's ethnographical studies, this article aims to provide an analysis of the forms of representation, “folklorization” and reappropriation of cockney culture at play in the Lambeth Walk dance craze of the summer of 1938. It examines the social circulations of the cockney, coster and Pearly King archetypes – from the music-hall play to the imitations enacted by dancers, and to the streets of Lambeth. Indeed, little scholarly attention has been given to the attitudes of Lambethians themselves to the representation of local culture, yet Mass Observation's investigators' fieldnotes offer rich insights on these issues.
- Une quête sans cesse renouvelée : Culture ouvrière et politique au prisme de Richard Hoggart - Marion Fontaine p. 159-182 Le sociologue britannique Richard Hoggart (1918-2014) fait aujourd'hui figure d'autorité. Les appropriations de son œuvre en France permettent d'aborder les formes de la culture ouvrière, mais aussi les perceptions et les usages de cette notion par les intellectuels. Si son œuvre rappelle en effet l'historicité de la notion de culture ouvrière, les discours et les analyses qui l'entourent la reflètent aussi à leur manière. Initiée dans les années 1950, diffusée dans les années 1960-1980, commentée ensuite, cette œuvre s'inscrit, de fait, au cœur d'interrogations très politiques sur la pérennité ou la transformation, la centralité ou au contraire la marginalisation de la culture et de l'identité des classes ouvrières, dans le double contexte de triomphe de la culture de masse et de désindustrialisation.British sociologist Richard Hoggart (1918-2014) is today an authority in social sciences. The uses of his work in France allow for an examination of the forms taken by working-class culture, but also of the perceptions and uses of this notion by the intellectuals. Indeed, if his work highlights the historicity of the concept of working-class culture, the discourses and analyzes that surround it also reflect it in their own way. Initiated in the 1950s, disseminated in the 1960-1980s, commented on later, his work is, in fact, at the heart of very political questions about the durability or transformation, the centrality or, on the contrary, the marginalization of the culture and the identity of the working-classes, in the dual context of the triumph of mass culture and deindustrialization.
Lectures
- Lectures - p. 183-203