Contenu du sommaire : La forge corporelle du politique

Lorsque le corps des citoyens devient objet d'instruction idéologique, que pouvons-nous en déduire de la relation entre subjectivités politiques et techniques du corps, ou entre la performance corporelle prise sur l'instant et des expériences politiques passées ? Cet article se fonde sur une analyse ethnographique du programme d'éducation civique appelé itorero au Rwanda. En étudiant la participation de quelques citoyens rwandais à ce programme et les expériences qu'ils en tirent, il analyse les forces et les limites du pouvoir de persuasion du gouvernement tel qu'il s'exerce à travers et sur les corps citoyens.

Cet article vise à dépasser une distinction simpliste entre aspects « mystiques » et pragmatiques des « techniques du corps » des lutteurs de làmb (lutte avec frappe) à Dakar, en saisissant leurs effets en termes de subjectivation. En décrivant des stratégies de contrôle de l'incorporation des puissances externes (alliés et forces « mystiques ») et de la circulation des informations sensibles, des prises de lutte et des pratiques de l'« invisible » mises en œuvre par les membres d'une écurie (gymnase d'entraînement), nous saisirons l'imbrication entre ces deux aspects. Enfin, nous examinerons la contribution de ces techniques à la production de dispositions et de contraintes morales centrales dans le monde de la lutte avec frappe.

À partir d'une analyse historicisée de la société burundaise, cet article montre comment les lieux d'affrontements politiques dans le pays ont changé. Jadis circonscrit à Bujumbura et ses lieux de prestige comme le « Mess des officiers », le jeu politique se déroule désormais en grande partie dans les villages et dans les espaces sportifs. Cette nouvelle dynamique, fortement critiquée par l'opposition politique, s'appuie sur la réinstauration des travaux de développement communautaire ainsi que sur l'activisme ludosportif des autorités publiques. Si ce dispositif permet au CNDD-FDD, parti au pouvoir, d'occuper efficacement l'espace politique, il est aussi un outil de contrôle des populations, d'équilibre entre les espaces sociaux et de déploiement de nouvelles figures de la représentativité des hommes politiques.

Créé en 1960 à l'initiative de Kwame Nkrumah, le mouvement de jeunesse des Ghana Young Pioneers (GYP) devait œuvrer à la construction d'un État-nation ghanéen libéré de l'impérialisme britannique. Cet article analyse ses modes d'organisation et les pratiques corporelles des jeunes. La formation des pionniers consistait à encadrer et à discipliner les nouveaux corps de la nation nkrumahiste et à transmettre les codes de conduite propres à l'institution. Le mouvement puisait son efficacité pédagogique dans des ressources matérielles, pratiques et idéelles issues des quatre coins du monde (Grande-Bretagne, URSS, Israël, Chine). Ce faisant, les jeunes pionniers incarnaient et intériorisaient la mondialisation nkrumahiste.

Entre le début des années 1960 et la fin des années 1980, des danses guerrières inventées au Rwanda furent exportées dans les territoires de la diaspora tutsi au Burundi, en Ouganda, en Tanzanie et dans l'ex-Zaïre. Ces actions chorégraphiques composent des techniques de soi empruntées aux mondes de la vache, du roi et du guerrier. Au cours des années 1960-1970, tandis que les groupes politisés et armés de la diaspora faisaient face à d'importantes divisions (stratégiques, militaires), les danses œuvrèrent à la réunion de deux corps, politique et combattant. Dans l'espace poreux et internationalisé des organisations qui formaient peu à peu le nouvel État du Front patriotique rwandais, un art chorégraphique se déploya comme l'une des matrices d'un nouvel élan de nationalisme guerrier.

Au Malawi, le contrôle de la production du tabac repose sur la cooptation d'une frange de la population productrice chargée d'assurer la traduction et la diffusion du discours productiviste au sein des communautés paysannes. Se déployant à l'interface entre la filière du tabac, sa « culture du business » et les contraintes sociales, morales et matérielles du village, les trajectoires sociales de ces « courtiers-producteurs » sont l'occasion d'observer les modalités pratiques de l'enchâssement des relations d'échange et de production dans leurs contextes socio-politiques locaux.