Contenu du sommaire : Patrimoine, une histoire politique
Revue |
20 & 21. Revue d'histoire Titre à cette date : Vingtième siècle, revue d'histoire |
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Numéro | no 137, janvier-mars 2018 |
Titre du numéro | Patrimoine, une histoire politique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Articles
- Historiens et patrimoine au 20e siècle : Le rendez-vous manqué ? - Pascale Goetschel, Vincent Lemire, Yann Potin p. 2-20 Après avoir fait le constat d'une intense fièvre patrimoniale contemporaine, le texte introductif met l'accent sur la dimension politique de l'objet patrimoine, en soulignant notamment l'importance des processus de sélection, de dénomination, de normalisation et de transmission de ce qui est finalement reconnu comme patrimoine collectif légitime. Parmi les agents de cette chaîne patrimoniale dynamique, les historiens ont été paradoxalement assez peu présents tout au long du 20e siècle. Il s'agit alors d'interroger ce rendez-vous manqué entre historiens et patrimoine, pour mieux comprendre l'histoire de cet évitement et celle aussi, en contrepoint, de l'insertion graduelle d'autres disciplines et d'autres professions dans la fabrication de cet objet éminemment politique qu'est le patrimoine.Historians and Heritage in the 20th Century
After describing our contemporary obsession with cultural heritage, the introduction to this issue highlights the political dimension of heritage, observing in particular the importance of the processes used to select, identify, standardize and communicate the elements that are ultimately recognized as legitimate components of a collective cultural heritage. Paradoxically enough, throughout the 20th century, historians have been largely absent from the dynamic processes used to determine establish heritage. We therefore take a look at this missed opportunity to better understand how historians were shut out of the discussion but also how other disciplines and professions have gradually inserted themselves into the highly political task of establishing heritage. - Patrimoine, histoire et présentisme - François Hartog p. 22-32 Comment est-on passé d'un rapport patrimonial au passé à un patrimoine qui ne cesse de parler au présent ? Dans cet entretien, mené par Pascale Goetschel et Yann Potin, François Hartog, spécialiste de l'Antiquité grecque et des « régimes d'historicité », revient sur les transformations qui ont affecté les conceptions et les pratiques du patrimoine. Rappelant l'affaissement, depuis les années 1980, d'une vision ancienne du patrimoine arc-boutée sur le monument historique et où le passé éclairait l'avenir, il souligne l'avènement, sous l'effet de la montée de la mémoire dans l'espace public, d'un nouveau régime de patrimonialisation qui prend le présent pour horizon et l'émotion pour véhicule. Si la généalogie qu'il propose demeure prise dans les formes occidentales du rapport au passé dans le présent, elle est une manière de mesurer les enjeux dont le patrimoine ne cesse d'être l'objet.Heritage as Present-Day Politics
How can we explain the shift from a relationship to heritage that was anchored in the past to a kind of heritage that keeps speaking in the present tense? In this interview, conducted by Pascale Goetschel and Yann Potin, Francois Hartog, a specialist in Greek antiquity and various “regimes of historicity”, discusses the historical transformations that have affected the concept of heritage and the practices associated therewith. Describing the decline, since the 1980s, of a traditional vision of heritage that was centred on historical monuments and exploited the past to shed light on the future, Hartog observes the rise of the heritage industry – the result of the growing role of memory in the public sphere – an industry which takes the present as its horizon and uses emotions as a means of communication. While the genealogy that Hartog proposes remains limited by Western forms of relating to past in the present, it is nonetheless a way to measure the stakes that are always present when dealing with the question of heritage. - L'objet patrimoine : Une construction juridique et politique ? - Marie Cornu, Noé Wagener p. 33-47 Les études d'histoire du patrimoine font une large part au droit, parce que cette histoire est profondément juridique. Inévitablement, elle est donc aussi une histoire d'État. Le patrimoine entretient un rapport particulièrement complexe au droit d'une part, et à l'État d'autre part, qui ne saurait être réduit à un simple rapport d'instrumentalisation du patrimoine par l'État, par l'entremise du droit. Dans cet article, la centralité de la place du droit dans le débat patrimonial est interrogée sous deux perspectives. D'un point de vue externe au droit, d'abord : quel rôle a joué le droit dans la construction de l'objet patrimoine ? D'un point de vue interne au droit, ensuite : comment l'objet patrimoine a-t-il été juridiquement activé ? Et que traduit ce mode d'activation de la norme : le simple pouvoir de l'État mis au service du projet de protection ? Ou la conviction, plus ou moins adroitement mise en forme, d'être en présence de quelque chose de commun ?Is Cultural Heritage a Legal and Political Construct?
Many historical studies on heritage emphasize the legal dimension, in large part because the history of cultural heritage is deeply rooted in the law – and, inevitably, therefore, closely interlinked with the history of the State. Cultural heritage maintains a very complex relationship with the law on the one hand, and with the State on the other hand, a relationship that cannot be reduced to the mere instrumentalisation of cultural heritage by State, by means of the law. This article examines the central role played by the law in the heritage debate from two different perspectives. First, from an extra-legal perspective, this article investigates the role played by the law in the construction of heritage. Secondly, from an internal perspective, it looks at how heritage has been defined and mobilised by the French legal system. Does the heritage law simply express the State's power deployed in favour of the preservation of heritage? Or does it reveal the conviction, more or less clearly expressed, that heritage is a shared and collective resource? - Le patrimoine à l'épreuve de l'histoire transnationale : Circulations culturelles et évolutions du régime patrimonial pendant les années 1930 - Michela Passini p. 49-61 Indissociable de la notion d'identité, le patrimoine a été construit comme objet d'histoire à partir d'un questionnement sur la nation et ses représentations, et envisagé de l'intérieur des histoires nationales. Pourtant, différents travaux récents ou en cours sur les transferts d'objets à l'origine de la constitution des collections publiques, les échanges entre institutions patrimoniales ou l'impact des circulations culturelles sur les évolutions des musées témoignent d'une ambition partagée d'interroger autrement les processus de patrimonialisation. Pour en cerner la dimension transnationale, il s'agira de s'arrêter sur les années 1930, une époque qui a vu s'élaborer les assises intellectuelles et les dispositifs institutionnels de notre définition, notre imaginaire et notre pratique du patrimoine.Heritage in the Light of Transnational History
The notion of “patrimony” or cultural heritage has long been deeply intertwined with the concept of identity and has consequently been developed as a historical subject associated with national identity and representation. For that reason, however, it has been examined from within the framework of national histories. A variety of recent research projects – which studied, inter alia, the circulation of objects resulting in public collections, material exchanges between institutions representing heritage, and the impact of cultural flows on the evolution of museums – illustrate a new shared ambition to look at the process of creating historical legacies from a different perspective. The 1930s are a particularly useful period for examining the transnational dimension of such phenomena, as that decade laid the conceptual groundwork and established the institutional mechanisms that have helped to us to define the concept of cultural heritage and develop our imaginaries and practices with regard to heritage. - L'avènement du patrimoine ethnologique (1975-1984) : Domestiquer, disqualifier l'ethnographie associative - François Gasnault p. 62-75 La création en 1980 d'un conseil et d'une mission du patrimoine ethnologique résulte officiellement de la mise en œuvre du rapport d'un haut fonctionnaire et, dans la coulisse, de la stratégie d'influence déployée par un proche collaborateur de Claude Lévi-Strauss. Elle vient non moins légitimer, avec le soutien du Fonds d'intervention culturelle et du Service des études du ministère de la Culture, l'apport d'une ethnographie militante, portée par des associations impliquées dans la renaissance des musiques et danses traditionnelles, au premier chef l'Union Poitou-Charentes pour la culture populaire. Cependant, peu compatible avec le souci de professionnaliser l'ethnologie de la France, la co-construction d'une politique patrimoniale en prise sur le mouvement social tourne vite court.The Rise of Ethnological Heritage (1975-1984)In 1980, the creation of a government service and a scientific board devoted to ethnological heritage was the result of both the official implementation of an administrative report and the unofficial influence wielded by a close associate of Claude Lévi-Strauss. Along with the support of the Endowment for Cultural Intervention and the Department of Studies of the Ministry of Culture, this service ultimately legitimized the contribution of militant ethnography, as practised by associations working to revive traditional forms of music and dance, with the Union Poitou-Charentes pour la culture populaire [Poitou-Charentes Association for Popular Culture] leading the charge. Nonetheless, as this service was largely incompatible with the desire to professionalize French ethnology, the co-construction of a heritage policy building off of this social movement quickly fizzled out.
- Le « patrimoine soviétique » de l'URSS à la Russie contemporaine : Généalogie d'un concept - Julie Deschepper p. 77-98 Cent ans après la révolution d'Octobre 1917, les traces matérielles du passé soviétique restent omniprésentes. Plurielles, protéiformes et dispersées dans un vaste espace géographique, ces traces invitent à mener une réflexion sur le « patrimoine soviétique ». Cet article entend ainsi contribuer à une généalogie de ce concept sur le temps long, en mettant en évidence la trajectoire de ce patrimoine en Russie, depuis sa création jusqu'à son réinvestissement actuel. Il s'agira en ce sens de montrer combien le traitement du patrimoine soviétique s'articule avec des moments charnières de la vie politique et sociale de la Russie soviétique et postsoviétique, et qu'il reste un facteur de légitimation et d'affirmation du pouvoir.“Soviet Heritage” from the USSR to Contemporary Russia
One hundred years after the October Revolution, the material vestiges of the Soviet past remain omnipresent. Taking a wide variety of forms scattered throughout a large geographical space, these traces of the past invite us to reflect on the existence of “Soviet heritage”. This article seeks to contribute to a wide-lens genealogy of the concept of Soviet heritage, describing its trajectory from its creation to its status as a renewed subject of interest in Russia. The treatment of Soviet heritage is shown as being closely linked to crucial moments in both Soviet and post-Soviet sociopolitical life in Russia, ultimately acting as a means to legitimate and reassert State power. - Genèse, implantation et remises en question du label Patrimoine du 20e siècle - Christian Hottin p. 99-113 Créé par le ministère de la Culture entre 1998 et 2001, le label Patrimoine du 20e siècle vise à reconnaître l'héritage architectural de la période contemporaine. Il doit permettre la mise en valeur de réalisations d'architectes célèbres, mais aussi de constructions peu reconnues auparavant en tant que patrimoine (logements sociaux, bâtiments industriels). Il n'entraîne cependant aucune contrainte juridique. Au cours des années 2000, sa mise en œuvre connaît un succès variable, dynamique dans certaines régions, presque inexistante ailleurs. Ce bilan mitigé conduit à s'interroger sur sa pertinence : en 2016, à la suite d'une nouvelle loi sur le patrimoine, le label disparaît, remplacé par le dispositif « architecture contemporaine remarquable », au fonctionnement sensiblement différent.Birth, Implementation and Elimination of the “20 th Century Heritage” Label
Developed by the Ministry of Culture between 1998 and 2001, the “20 th-century heritage” label sought to recognise the architectural heritage of the contemporary period. It was designed to highlight the achievements of famous architects, as well as the significance of buildings that had not previously been recognised as forms of cultural heritage (social housing, industrial buildings). However, there were no legal constraints associated with the label. During the 2000s, the success of its implementation was mixed, being quite widespread in some regions but almost non-existent in others. The label's variable implementation raised questions about its relevance: in 2016, following the adoption of new legislation on heritage, the label was eliminated and replaced by a new label, titled “remarkable contemporary architecture”, whose connotations were thus markedly different. - Les mémoriaux du régime du Kampuchéa démocratique au Cambodge - Adriana Maria Escobar Rodriguez p. 114-136 En 1979, le régime du Kampuchéa démocratique s'effondrait. Dans un contexte particulièrement complexe, le nouveau régime, la République populaire du Kampuchéa (RPK), mettait rapidement en place des dispositifs de mémorialisation et de préservation des traces de la période polpotiste. À Phnom Penh, le musée du génocide de Tuol Sleng était aménagé dans un ancien centre de sécurité khmer rouge, tandis que dans les provinces, les ossements des victimes étaient disposés dans des constructions à vocation politico-pénale et mémorielle. Après les changements survenus dans les années 1990 et malgré la déliquescence de l'entreprise mémorielle instaurée par la RPK, le musée de Tuol Sleng, ainsi que certains mémoriaux et les ossements qu'ils abritent, se sont progressivement réaffirmés en tant que « biens » testimoniaux, constituant un patrimoine inédit au Cambodge. Fruit du travail de terrain et de la consultation de sources archivistiques et bibliographiques, cet article met ces lieux en lumière : le contexte politique qui marqua leur genèse, les volontés mémorielles qu'ils ont cristallisées, le processus de patrimonialisation et les pratiques diverses dont ils font désormais l'objet.The Memorials of the Democratic Kampuchea Regime in Cambodia
In 1979, the Democratic Kampuchea regime collapsed. Amidst a particularly complex geopolitical situation, the new regime, the People's Republic of Kampuchea (PRK), promptly implemented measures to memorialise and preserve the history of the Pol Pot era. In Phnom Penh, a former Khmer Rouge security centre was transformed into the Tuol Sleng Genocide Museum. In the provinces, the bones of victims were gathered and interred in structures that simultaneously served political, penal and commemorative purposes. After the changes that unfolded during the 1990s and despite the failure of the memorial project launched by the PRK, the Tuol Sleng Museum, as well as certain memorial sites and the bones they housed, gradually became testimonial “goods” constituting an unprecedented form of heritage in Cambodia. Drawing on fieldwork, as well as archival and bibliographical sources, this article sheds light on such memorial sites by highlighting the political context in which they were created and the commemorative ambitions that they embodied, as well as the process of establishing heritage and the various practices to which these sites are now subject. - Le patrimoine comme affaire de famille et expertise spirituelle en pays sioux à la fin du 20e siècle - Thomas Grillot p. 137-153 Que peut vouloir dire le patrimoine dans un territoire qui n'a jamais été décolonisé ? L'application de la loi de protection et de rapatriement des tombes amérindiennes (ou NAGPRA, 1990) à la réserve indienne de Standing Rock aux États-Unis révèle comment les mêmes acteurs peuvent tour à tour renforcer une vision classique du patrimoine comme ensemble d'objets ou même de pratiques à préserver, et attaquer cette notion en dénonçant le caractère colonial des institutions qui la portent. Loin d'un simple transfert entre États souverains, le rapatriement fragmente la notion même de patrimoine en permettant l'accomplissement de rituels dont les organisateurs, des spécialistes en spiritualité reconnus par la loi, brouillent la distinction entre vivants et morts, mais aussi entre spécialistes et non-spécialistes. Il met également en évidence le rôle des liens familiaux dans les usages locaux, politiques et sociaux, du patrimoine.Heritage as Family Business and Spiritual Expertise in Sioux Country
What can heritage mean for a territory that has never been decolonized? The implementation of the Native American Graves Protection and Repatriation Act (1990) with regard to the Standing Rock Native American reservation demonstrates how those involved in heritage preservation and repatriation can simultaneously bolster the classic vision of heritage as a set of objects and practices to be preserved, while attacking the colonial nature of the institutions used to protect heritage. Far from being a mere act of transfer between sovereign States, repatriation challenges the very notion of heritage by permitting the performance of rituals whose organizers – spiritual specialists recognised by law – blur the distinction between the dead and the living, as well as been specialists and non-specialists. More than anything, it highlights the central role of family ties in the local socio-political uses of heritage. - Espaces sacrés et sites de massacre après le génocide des Tutsi : Les enjeux de la patrimonialisation des églises au Rwanda - Rémi Korman p. 155-167 En s'appuyant sur les archives de la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG), en charge de la mémoire du génocide au Rwanda, l'auteur tente de comprendre les débats autour des églises sites de massacre entre 1994 et 2003. Trois dimensions sont en particulier étudiées. Une dimension théologique tout d'abord, au travers des débats sur la purification des églises sites de massacre. Une dimension politique ensuite, autour des négociations entre l'État rwandais et l'Église catholique sur la patrimonialisation de ces églises. Une dimension géopolitique enfin, avec l'intervention du Vatican dans ces débats. L'auteur interroge pour finir les enjeux nationaux et internationaux actuels autour de ces sites.Sacred Spaces and Massacres Sites after the Tutsi Genocide
Drawing on the archives of the National Anti-Genocide Commission, the organization tasked with the remembrance of the Rwandan genocide, this article seeks to understand the controversy regarding how to memorialise churches that operated as genocide sites between 1994 and 2003. This article focuses on three particular dimensions. It first analyses the theological debate on the subsequent purification of churches that had been massacre sites during the genocide. Then, it looks at the political negotiations between the Rwandan State and the Catholic Church on the historical legacy of these churches. Finally, it examines the geopolitical dimension of these debates and the influence of the Vatican. In conclusion, the author analyses the current national and international controversies regard these sites.
- Historiens et patrimoine au 20e siècle : Le rendez-vous manqué ? - Pascale Goetschel, Vincent Lemire, Yann Potin p. 2-20
Rubriques
- Archives - p. 169-173
- Avis de recherches - p. 175-180
- Images, lettres et sons - p. 181-193
- Vingtième Siècle signale - p. 195-203
- Librairie - p. 205-239