Contenu du sommaire : Les discours sur les religions dans l'Empire romain : regards croisés entre « païens », « juifs » et « chrétiens »
Revue | Revue de l'histoire des religions |
---|---|
Numéro | tome 234, no 4, 2017 |
Titre du numéro | Les discours sur les religions dans l'Empire romain : regards croisés entre « païens », « juifs » et « chrétiens » |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les discours sur les religions dans l'Empire romain : Avant-propos - Francesco Massa p. 587-592
- Variations évhéméristes - Philippe Borgeaud p. 593-612 Dans l'ensemble de ce qu'on peut appeler évhémérisme grec (avant Évhémère) il existait des dieux anciens, les dieux cosmiques, et des dieux plus récents, les dieux terrestres dont se préoccupent les mythes et les pratiques citoyennes. Cette distinction est reprise par Évhémère, dans une perspective critique vis-à-vis du pouvoir ptolémaïque et du culte des souverains. La reprise chrétienne de ce « système » oubliera les dieux cosmiques et tendra à faire d'Évhémère un athée.According to what may be called Greek euhemerism (before Euhemerus) there were ancient gods, the cosmic gods, and newer, earthly, mythological gods worshipped in the practice of the citizenry. This distinction is echoed by Euhemerus, from a critical perspective regarding the Ptolemaic power and the cult of sovereigns. The Christian recovery of this “system” forgets the cosmic gods, and tends to make Euhemerus into an atheist.
- Strabon historien des religions comparatiste dans sa digression sur les Courètes - Nicole Belayche p. 613-633 Strabon X, 3 illustre comment, sous Auguste, un lettré grec qui a inventorié un monde globalisé par l'empire, a mis en œuvre une démarche comparatiste pour définir un phénomène religieux : le genre courétique, qu'il inscrit dans « le fait orgiastique », et que les Anciens, et en tout cas les Modernes, ont rangé dans la catégorie plus large des cérémoniels mystériques. Après une relecture de l'analyse d'Henri Jeanmaire dans Couroi et Courètes, on examine à nouveaux frais comment Strabon, confronté à une question d'origine géographique, élabore une catégorie rituelle – des danses armées en musique avec enthousiasme –, en l'adossant à une conception de la religion comme voie d'accès au divin. Pour ce faire, il parcourt une multitude de ces rites et mythes, chez les Grecs et chez les Barbares.Strabo X, 3 demonstrates how a Greek man of letters in Augustan times, the author of an inventory of the imperial, globalized word, developed a comparative approach for defining a religious phenomenon : the couretic genre – which he lists under “the orgiastic fact”, and which the Ancients, and certainly the Moderns, made into part of the larger category of mysteric ceremonies. Starting with Henri Jeanmaire's analysis in Couroi et Courètes, I examine how Strabo, addressing a question of geographic origin, builds a ritual category – armed dances with music and enthusiasm – embedded within a conception of religion as leading to the divine. He thus refers to many rites and myths, among both the Greeks and the Barbarians.
- Regards juifs alexandrins sur les religions - Katell Berthelot p. 635-660 Cet article analyse les discours de deux auteurs juifs alexandrins du tournant de notre ère, Philon et l'auteur de la Sagesse de Salomon, sur les cultes polythéistes de leur temps, en examinant successivement si ces auteurs développent une réflexion de type historique sur les religions, comment ils classent et hiérarchisent les différents cultes, leur réflexion sur l'attrait esthétique des images, l'usage qu'ils font des théories évhéméristes, le rapport qu'ils établissent entre polythéisme et athéisme, leur condamnation des cultes à mystère, et enfin leur rejet de la divination. Philon et l'auteur de la Sagesse ne sont pas ignorants des réalités socioreligieuses de leur temps, mais leur discours reste globalement polémique et inspiré par la tradition biblique de la critique des idoles.This article analyzes the discourses held by two Jewish Alexandrian authors from the beginning of the first century CE, Philo and the author of the Wisdom of Solomon, on the polytheist cults of their time. It examines whether these writers think about the development of religions in historical terms, how they classify the different cults and establish a hierarchy between them, as well as other issues such as their reflection about images, their use of evhemerist theories, the way they articulate polytheism and atheism, their criticism of mystery cults, and their rejection of divination. The discourses of Philo and of the author of Wisdom are not disconnected from the socio-religious realities of their time, but they are mainly polemical and inspired by the biblical criticism of idolatry.
- Inclusivité et exclusivité dans la Vie d'Apollonius de Tyane. Philostrate sur le judaïsme, le christianisme et les traditions païennes - Danny Praet p. 661-688 Nous lions le caractère ouvert du texte à son message religieux et politique. Philostrate laisse au lecteur le choix entre trois statuts ontologiques possibles d'Apollonius : mortel, demi-dieu ou dieu incarné, Protée ? Apollonius accepte les « sagesses barbares » mais, contre la tradition pythagoricienne, refuse le contact avec le judaïsme, critiqué par Euphratès comme incompatible avec les cultes païens. Le christianisme est présent, par des parallèles implicites avec les Évangiles. Hiéroclès a utilisé la Vita pour convaincre les chrétiens de réduire leurs prétentions d'être l'unique vérité et l'unique voie vers le divin. Philostrate avait-il déjà la même intention, par son scepticisme et son attitude ouverte envers toutes les traditions religieuses acceptant le discours de l'autre ?We link the open character of the text to its religious and political message. Philostratus leaves it up to the reader to choose between Apollonius' three ontological statuses : mortal, demi-god or incarnated god, Proteus ? Apollonius accepts the traditions of “barbarian wisdom” but, contrary to the Pythagorean tradition, he refuses any contact with Judaism, criticized by Euphrates as incompatible with pagan cults. Christianity is present through implicit parallels with the Gospels. Hierocles used the Vita to convince the Christians to lower their pretentions of being the only truth and the only way to the divine. Did Philostratus have the same intention by advocating a degree of skepticism and by his open attitude towards all religious traditions that remained open to the discourses of the other ?
- Nommer et classer les religions aux iie-ive siècles : la taxinomie « paganisme, judaïsme, christianisme » - Francesco Massa p. 689-715 L'article étudie la construction de la taxinomie « paganisme, judaïsme, christianisme » de la part des auteurs chrétiens des iie-ive siècles. Nouvelle arme de la rhétorique et de la pensée chrétienne, ce schéma se définit tout au long des premiers siècles de notre ère, alors que les auteurs chrétiens essaient de séparer l'identité religieuse des autres aspects de la vie sociale et politique. L'analyse permet de mettre en évidence les divers enjeux de la taxinomie selon les périodes : si aux iie-iiie siècles elle est notamment utilisée pour inscrire la présence des chrétiens dans le paysage religieux de l'Empire, au ive siècle elle devient une manière d'organiser le monde et d'imposer une nouvelle vision de la religion dans l'administration de l'Empire.The paper analyses the construction of the taxonomy “Paganism, Judaism, Christianity” by the Christian authors of the 2nd-4th century AD. As a new weapon of Christian rhetoric and thought, this schema was defined during the first centuries of our time, when Christian authors tried to separate religious identity from other aspects of social and political life. The analysis reveals the function of this taxonomy over different periods : while in the 2nd-3rd century, it is particularly used to inscribe the presence of Christians into the religious landscape of the Empire, in the 4th century it becomes a way of organising the world and of establishing a new vision of religion in the administration of the Empire.
- La religion qui souille : les catégories du pur et de l'impur dans la polémique religieuse pendant l'Antiquité tardive - Pierluigi Lanfranchi p. 717-736 La dichotomie pur/impur fait partie de la logique intrinsèque des religions anciennes, y compris le christianisme. Ce dispositif symbolique, qui permet d'établir ce qui est à l'intérieur et ce qui est hors du système, s'est révélé très efficace dans des contextes polémiques. Le vocabulaire de l'impureté, de la contamination, de la pollution, de la contagion, de la saleté, du dégoût, a été utilisé pour caractériser les religions des autres. Dans cet article on analyse trois exemples de cette stratégie polémique de la part d'auteurs chrétiens. Selon l'auteur, Firmicus Maternus, Jean Chrysostome et Shenouté n'utilisent pas ce vocabulaire de façon métaphorique. Leur attitude – qu'ils partagent avec les Juifs et les « païens » – suppose une peur de la souillure qui est réelle, concrète, physique.The dichotomy pure/impure is a part of the inherent logic of ancient religions, including Christianity. This symbolic mechanism, which makes it possible to establish what is within and what is without the system, is very powerful in polemical contexts. The vocabulary of impurity, pollution, contamination, filth, disgust, is used in order to characterize other religions. This article focuses on three examples of this polemical strategy being used by Christian authors. The author argues that Firmicus Maternus, John Chrysostom and Shenute are not employing this vocabulary in a merely metaphorical way. Their attitude – which they share with the Jews and the “pagans” – supposes a real, concrete, physical fear of pollution.
- Les âges de l'Humanité et la critique du christianisme selon Damascius - Philippe Hoffmann p. 737-775 Damascius, chef de l'École néoplatonicienne d'Athènes (vie siècle) expose une philosophie de l'Histoire inspirée à la fois par Hésiode et par Platon, et liée à la théologie de l'École. Il distingue entre un âge de la Raison, ou « âge d'or » ; un âge historique (la Grèce et Rome jusqu'au ive siècle), et un présent vil et détesté – l'Empire chrétien. L'âge d'or est la vie sous le règne de Cronos, assimilé par la théologie néoplatonicienne à un intellect divin, tandis que les passions dont souffre l'âme chrétienne ont pour horizon cosmologique le monde de la génération. Cette doctrine pourrait être reliée à la politique de Damascius à la tête de l'École, et avec le rêve illusoire de voir un philosophe-roi en Chosroès, le roi des Perses auprès de qui les philosophes se réfugièrent après 529.Damascius, leader of the Neoplatonist School of Athens (6th C), exposes a philosophy of History that is inspired by both Hesiod and Plato, and linked to the theology of the School. He distinguishes between an age of reason or « golden age », a historical age (Greece and Rome up to the 4th C), and a vile and hateful present – the Christian Empire. The golden age was life under the reign of Cronos, whom Neoplatonist theology assimilates with a divine intellect, whereas the cosmological horizon of the passions afflicting the Christian soul is the realm of generation. This doctrine could be related to Damascius' own political views as head of the School, and to an illusory dream of finding a philosopher-king in Khosrow, king of the Persians, with whom the philosophers sought refuge after 529.
- Le discours sur les religions chez Grégoire de Nazianze et Maxime le Confesseur, ou l'art de discréditer le « monothéisme » juif - Christian Boudignon p. 777-795 Le discours sur les religions de Grégoire de Nazianze, d'abord ternaire (polythéisme, athéisme, judaïsme) devient binaire (judaïsme et hellénisme). Le judaïsme y occupe la catégorie qui correspond aujourd'hui au « monothéisme ». Une tentative originale de Grégoire consiste à recourir aux catégories politico-religieuses (polyarchie, monarchie, anarchie) et à introduire dans le « monothéisme » juif l'idée de rébellion de l'Un contre lui-même, ce qui aboutirait à un polythéisme. Refusant l'idée de dissension en Dieu, Maxime le Confesseur propose à partir des positions de Grégoire, un autre discours sur les religions où, face au polythéisme, le « monothéisme » juif serait réduit à l'athéisme, laissant ouverte pour le christianisme la catégorie du « monothéisme ».Gregory of Nazianzus's discourse on religions is at first ternary (polytheism, atheism, Judaism) and later becomes binary (Judaism and Hellenism). Judaism is not only a religion but also the central category for what we call “monotheism” today. But Gregory also makes an original attempt to skip this category in his political discourse on religions (polyarchy, monarchy, anarchy), and instead inserts into Jewish “monotheism” the Neoplatonist idea of the rebellion of the One against himself in order to dismiss it as a polytheism. Maximus the Confessor refuses the notion of dissent within God, and, based on Gregory's positions, proposes to reduce Jewish “monotheism” to atheism, so that Christianity may appear as the only real “monotheism”.
- Penser les religions anciennes et la « religion de l'humanité » au début du xxe siècle. Le dialogue Loisy – Cumont - Corinne Bonnet, Annelies Lannoy p. 797-822 Ancrée dans le contexte tendu du début du xxe siècle, la pensée d'A. Loisy et de F. Cumont sur les religions de l'Empire romain se nourrit des interrogations du présent. Leurs publications et leur correspondance inédite éclairent les conditions d'élaboration de savoirs sur les religions dans la longue durée qui va de l'Antiquité au contemporain. En recourant à un cadre évolutionniste pour penser la naissance et la diffusion des religions, Loisy et Cumont se sont efforcés de sortir d'une histoire de la « révélation ». La prise en compte de la Première Guerre mondiale permet d'analyser la manière dont, dans un monde divisé et inquiet, ils revoient les catégories de leur pensée, ainsi que le scénario d'un progrès linéaire vers l'universalisation et la moralisation dans l'histoire des religions.A. Loisy's and F. Cumont's views about the religions of the Roman Empire were deeply embedded in their own complex and tense early 20th century. This paper investigates their ideas about the history of religions, from Antiquity until their own time. By studying a selection of their publications and correspondence we will show how their scholarly views were nourished by personal worldviews. Both scholars applied evolutionary schemes in an attempt at studying the history of religions in a scientific, non-biased way, thus forcefully rejecting a theological history of the “revelation”. We focus on WWI to explore how a divided world forced them to revise their scholarly discourse, and to reassess the belief that the history of religions was a linear progression towards universalism and morality.