Contenu du sommaire : Où va l'économie ?
Revue | Revue de l'OFCE (Observations et diagnostics économiques) |
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Numéro | no 153, octobre 2017 |
Titre du numéro | Où va l'économie ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Où va l'économie ? - Xavier Ragot p. 5-18
- Où en est l'histoire économique ? Entre narration et quantification - Pamfili Antipa, Vincent Bignon p. 19-41 L'analyse macroéconomique n'est pas qu'un jeu d'équations, c'est une narration du réel. Nous plaidons dans cet article pour réévaluer l'importance des récits. En effet, parce que chaque crise financière est un événement unique, le récit en est la forme naturelle d'analyse. Aussi, les effets des politiques économiques ne peuvent plus être analysés indépendamment des narrations que s'approprient les agents économiques (Schiller, 2017) ou les décideurs (Friedman et Schwartz, 1963). L'intérêt d'ajouter la dimension historique est double. D'une part en multipliant les études de cas et la variété des analyses des succès et des échecs politiques, l'histoire économique déniaise. D'autre part, l'histoire desserre le carcan de nos préconceptions car la comparaison entre le passé et le présent interroge le caractère exceptionnel de ce que l'on vit.
- Croissance de long terme et tendances de la productivité : Stagnation séculaire ou simple trou d'air ? - Antonin Bergeaud, Gilbert Cette, Rémy Lecat p. 43-62 La croissance dans les pays avancés a baissé par paliers depuis les années 1970 et a atteint depuis la crise un rythme historiquement bas par rapport au XXe siècle. Ce ralentissement tient principalement à celui de la productivité globale des facteurs. Dans les pays émergents, la situation est contrastée : certains ont entamé une dynamique de convergence depuis plusieurs décennies (Corée du Sud, Chili par exemple), d'autres connaissent une stagnation, voire un recul relatif (Argentine, Brésil, Mexique notamment). Si la faible croissance de ces derniers pays sur longue période peut s'expliquer par l'absence d'institutions adaptées, le ralentissement généralisé constaté dans tous les pays avancés est lui plus difficile à interpréter. Une piste d'explication que nous explorons est la baisse des taux d'intérêt réels depuis les années 1990. Taux d'intérêt et productivité sont en effet liés par une relation circulaire : la productivité détermine à long terme le rendement du capital et donc les taux, tandis que les taux déterminent le niveau de productivité minimum attendu des projets d'investissement. La baisse des taux réels, expliquée notamment par des facteurs démographiques, aurait conduit au ralentissement de la productivité en rentabilisant une part croissante d'entreprises et de projets peu performants. Nous illustrons cette relation circulaire par une régression en panels pays. La sortie par le haut de cette relation circulaire pourrait venir d'une nouvelle révolution technologique liée à l'économie numérique ou, dans les pays où des marges de convergence existent, de réformes structurelles permettant une meilleure diffusion des technologies de l'information et de communication.
- Progrès technique et croissance depuis la crise - Philippe Aghion, Céline Antonin p. 63-78 La crise de 2008 a ravivé les doutes sur la croissance et ressuscité le débat sur la stagnation séculaire, initié par Hansen dès 1938. En particulier dans un contexte post-crise de croissance nulle ou très faible, la théorie schumpétérienne a pu sembler dépassée. Pourtant, dans cet article, nous montrons qu'elle demeure un cadre de pensée valide.Nous commençons par rappeler les principaux faits saillants du modèle schumpétérien de la croissance. Nous défendons ensuite l'idée que ce cadre de pensée demeure pertinent sur plusieurs aspects liés à la croissance ; nous nous intéressons plus particulièrement à la stagnation séculaire, aux réformes structurelles et au débat sur les inégalités. Nous montrons qu'à cause de la destruction créatrice, la croissance de la productivité induite par l'innovation est sous-estimée. Par ailleurs, nous expliquons pourquoi le cadre schumpétérien plaide pour une complémentarité entre réformes structurelles et politique macroéconomique. Enfin, nous montrons l'impact positif de l'innovation et de la destruction créatrice sur la mobilité sociale.
- La macroéconomie à l'heure de la stagnation séculaire - Gilles Le Garrec, Vincent Touzé p. 79-104 La « grande récession » amorcée en 2008 a plongé l'économie dans une stagnation durable avec un fort chômage, une production dépréciée et une très faible inflation. Cette crise dont la durée exceptionnelle est difficilement explicable par les outils théoriques de la macroéconomie contemporaine invite à enrichir l'analyse fondamentale. Conceptualiser la stagnation séculaire repose alors sur l'introduction d'imperfections de marché telles qu'un rationnement du crédit sur le marché financier ainsi que des rigidités nominales sur le marché du travail. L'équilibre obtenu se caractérise par un sous-emploi des facteurs de production (chômage élevé, faible accumulation de capital) associé à une baisse des prix (déflation) et une politique monétaire inactive car contrainte par la non négativité du taux directeur. En régime de stagnation séculaire, l'impact des politiques économiques s'en trouve affecté et de nombreuses propriétés keynésiennes apparaissent : impact déflationniste des politiques d'offre, politique monétaire conventionnelle inopérante et effet positif de la dépense publique quoique limité par une éviction de l'investissement privé.
- Les inégalités dans les modèles macroéconomiques - Cecilia García-Peñalosa p. 105-131 Cet article s'intéresse aux inégalités de répartition des salaires et du patrimoine comme programme de recherche macroéconomique. Après un bref aperçu des modèles récents liant inégalités et croissance à long terme d'une part, et inégalités et fluctuations macroéconomiques d'autre part, nous passons en revue la littérature sur les facteurs macroéconomiques à l'origine des inégalités de répartition des salaires et du patrimoine. En guise de conclusion, nous proposons quelques pistes de recherches futures qui nous semblent importantes à mener telles que le rôle des politiques macroéconomiques sur la répartition ou encore celui de la taille des entreprises sur la croissance et leur contribution aux inégalités.
- Macroéconomie et environnement - Katheline Schubert p. 133-150 Cet article examine la littérature « macroéconomie et environnement » récente, sous l'angle des approches méthodologiques, des questions posées et des types de réponses apportées. Il fait également le point sur la place de l'environnement dans les manuels et les grandes revues de macroéconomie. Il montre que la place accordée aux questions environnementales dans la macroéconomie de court terme est quasi-nulle. Ces dernières sont considérées comme touchant au long terme, à la structure des économies plutôt qu'à la conjoncture. On pourrait dès lors s'attendre à ce que les travaux sur la croissance et l'enseignement des théories de la croissance leur fassent une place importante. L'article montre que c'est partiellement le cas en ce qui concerne la littérature, mais pas du tout en ce qui concerne l'enseignement. Le chemin à parcourir pour réellement intégrer les questions environnementales dans la macroéconomie reste long.
- État de la macroéconomie environnementale appliquée - Gissela Landa Rivera, Paul Malliet, Aurélien Saussay, Frédéric Reynès p. 151-170 Pour une large part, la macroéconomie environnementale se développe à l'écart des débats théoriques qui agitent les autres champs d'étude de la macroéconomie appliquée. En témoigne la faible représentation des questions environnementales dans les revues d'économie généralistes ou dans les manuels de macroéconomie avancée. Si l'environnement n'est jusqu'ici pas considéré comme un thème à même de faire progresser la connaissance en macroéconomie, il est depuis les années 1990 au moins un sujet important d'application des modèles macroéconomiques. En particulier, ces derniers sont utilisés pour analyser et quantifier les effets économiques de la transition vers un système de production et de consommation soutenable. Nous proposons d'apporter un éclairage sur l'état de l'art en macroéconomie environnementale appliquée. Plus particulièrement, nous nous attacherons à identifier les spécificités de cette thématique de recherche, qui expliquent les choix théoriques et empiriques qui y sont pratiqués.
- L'étude des fluctuations macroéconomiques est-elle « scientifique » ? - Édouard Challe p. 171-186 L'étude des fluctuations macroéconomiques part du principe que le comportement du tout (les agrégats) ne se réduit pas à la somme des parties (les agents, les marchés). Il en est ainsi parce que les interdépendances entre marchés peuvent substantiellement amplifier, ou au contraire amortir, les chocs qui à tout moment perturbent l'équilibre. La compréhension de ces effets d'équilibre général, sur lesquels les évidences directes sont limitées, les facteurs confondants multiples, et les expérimentations contrôlées impossibles, est nécessairement plus conjecturale – mais non moins « scientifique » – que l'étude des comportements individuels ou d'un marché isolé. Ignorer ces effets au motif qu'ils n'ont pas le même degré de certitude empirique qu'un effet microéconomique directement observé peut conduire à de lourdes erreurs de politique économique.
- L'hiver de notre mécontentement : La macroéconomie après la crise - Rodolphe Dos Santos Ferreira p. 187-200 L'article discute trois motifs d'insatisfaction au sujet du cœur de la macroéconomie contemporaine et de son impréparation à concevoir l'éclosion de la Grande Récession. Le premier provient de l'importance excessive accordée à l'exigence de fondements microéconomiques au détriment du traitement des problèmes d'agrégation et de coordination des comportements individuels, un déséquilibre qui culmine dans le recours fréquent à la figure du consommateur représentatif. Le deuxième s'adresse à l'usurpation par ce même consommateur du rôle de décideur en matière d'emploi et d'investissement aux dépens des entreprises, simples automates insignifiants sur des marchés régis par la concurrence parfaite ou monopolistique. Le troisième concerne la manière réductrice dont on a souvent appliqué l'hypothèse d'anticipations rationnelles, en traitant les agents comme observateurs plutôt que comme acteurs, qui créent les conditions de réalisation de leurs propres prévisions. Ces trois motifs conduisent à un plaidoyer pour une modélisation macroéconomique prenant au sérieux l'hétérogénéité des agents et restituant à des entreprises non insignifiantes, en interaction stratégique, leur rôle moteur dans les processus de décision de l'emploi et de l'investissement.
- Macroéconomie et information imparfaite - Paul Hubert, Giovanni Ricco p. 201-219 Cet article présente les contributions théoriques et empiriques récentes à la littérature macroéconomique qui remettent en question l'hypothèse d'information parfaite. En prenant en compte les frictions informationnelles rencontrées par les agents économiques, il est possible d'expliquer certaines des régularités empiriques qui ne peuvent pas être expliquées par le cadre standard des anticipations rationnelles avec information parfaite. À titre d'exemple, nous montrons que l'estimation du signe, de l'ampleur et de la persistance des effets des politiques monétaires et budgétaires peuvent varier lorsque l'on prend en compte les frictions informationnelles auxquelles sont confrontés les acteurs économiques.
- Finance et macroéconomie : la prépondérance du cycle financier - Michel Aglietta p. 221-251 La représentation de la macroéconomie, prétendument ancrée sur des fondements microéconomiques, est celle d'un agent représentatif, muni d'une information parfaite, anticipant rationnellement la valeur fondamentale des actifs dans un marché parfaitement concurrentiel. Dans ce modèle la finance est efficiente et corrélativement la monnaie est neutre. Ce jeu d'hypothèses rend logiquement impossible la crise systémique qui est un défaut généralisé de la coordination marchande.Le fondement alternatif implique de fonder la macroéconomie sur la concurrence mimétique qui fait de la monnaie l'institution primordiale de l'économie. Dans ce modèle la coordination par la finance n'est pas fondée sur la valeur fondamentale, mais sur la liquidité. Or la liquidité des marchés est elle-même un effet de polarisation d'un processus mimétique. Elle est établie par une convention de marché qui est par nature instable.Il s'ensuit que les systèmes financiers organisés par les marchés propagent les chocs selon une logique de momentum produite par l'interaction de l'endettement et du mouvement des prix des actifs. Son expression macroéconomique est le cycle financier. Dans cette dynamique l'opacité du système nourrit les vulnérabilités financières qui demeurent cachées dans la phase euphorique et qui sont révélées par la crise endogène au cycle financier.Le cycle financier a un impact macroéconomique considérable à travers l'accélérateur financier, sur l'offre productive et sur la demande effective. Selon l'ampleur de l'endettement puis du désendettement au sein du cycle, une multiplicité d'équilibres est possible.
- L'instabilité des économies de marché - Franck Portier p. 253-263 L'approche moderne des fluctuations macroéconomiques considère que l'économie est fondamentalement stable, fluctuant autour d'un état stationnaire sous l'effet de chocs exogènes. Cet article présente quelques réflexions et pistes de recherche pour une approche différente dans laquelle l'économie décentralisée de marché peut se révéler fondamentalement instable et fluctuer ainsi de manière endogène et exogène. Ces pistes de recherche permettent de penser différemment les politiques macroéconomiques de stabilisation.
- Vers une macroéconomie non-walrasienne - Jean-Luc Gaffard p. 265-288 L'article vise à opposer l'analyse macroéconomique moderne à une macroéconomie non walrasienne ou évolutionnaire. Ce débat, qui revient sur le devant de la scène à chaque grande crise économique, concerne la nature des problèmes de coordination et les moyens de les résoudre. Alors que les modèles de la macroéconomie moderne décrivent les comportements d'optimisation inter-temporelle de consommateurs parfaitement adaptés à leur environnement et des marchés soldés, la macroéconomie évolutionnaire met l'accent sur les déséquilibres du marché qui nécessitent des comportements adaptatifs. Ce contraste affecte la politique monétaire et budgétaire ainsi que la nature des réformes structurelles à mener. Il concerne également le type de modélisation à développer.
- Les modèles multi-agents et leurs conséquences pour l'analyse macroéconomique - Mauro Napoletano p. 289-316 Cet article analyse les progrès récents de la modélisation multi-agents appliquée à l'analyse macroéconomique. Je présente d'abord les principaux ingrédients des modèles multi-agents. Ensuite, en s'appuyant sur des exemples tirés de travaux récents, je montre que les modèles multi-agents apportent des éclairages complémentaires ou nouveaux sur des questions macroéconomiques clés telles que les cycles économiques endogènes, les interactions entre cycles et croissance à long terme, le rôle des ajustements de prix versus quantités dans le retour au plein emploi. Enfin, je discute certaines limites des modèles multi-agents et comment ils sont actuellement abordés dans la littérature.
- Sur les modèles macroéconomiques - Olivier Blanchard p. 317-325 Les modèles DSGE occupent une place prépondérante au sein de la macroéconomie et sont appelés à jouer un rôle central dans le futur de ce champ. Cependant, il est nécessaire de se rappeler qu'ils ne sont qu'une catégorie de modèles parmi d'autres. Il faut ainsi continuer à développer diverses classes de modèles, mais aussi les faire interagir. Il est important de mettre fin à l'impérialisme naissant des DSGE et de continuer à exploiter d'autres méthodes de modélisation. D'une part, ces modèles ne sont pas faits pour répondre à tous les enjeux posés par la macroéconomie. D'autre part, le champ scientifique travaillant sur ce type de modélisation a tout à gagner à sortir de son isolement et à s'enrichir de ce que le reste de la macroéconomie peut apporter, notamment pour tenter de surmonter leurs multiples limites. Si ces remarques semblent triviales ou évidentes, ces questions sont loin de faire consensus aujourd'hui et sont l'objet d'une véritable guerre de religion parmi les membres de notre profession.
- Que doit faire la politique monétaire face aux emballements du prix des actifs et au développement du crédit ? - Anne Épaulard p. 327-344 À la suite de la crise financière, les macro-économistes se sont de nouveau intéressés aux options offertes par la politique monétaire face aux bulles sur les prix des actifs. Des études empiriques semblent montrer que les emballements de l'endettement des agents sont plus dangereux que ceux des prix des actifs financiers. Les outils macro-prudentiels apparaissent aujourd'hui à même de limiter l'amplitude des cycles d'endettement. Le débat porte désormais sur le rôle laissé en dernier ressort à la politique monétaire dans les cas où la mise en œuvre des outils macro-prudentiels ne suffirait pas.
- Quelles sont les difficultés essentielles de la zone euro ? - Patrick Artus p. 345-363 Nous nous intéressons aux difficultés structurelles majeures de la zone euro et aux moyens de les corriger. Il s'agit de l'hétérogénéité croissante des économies des pays, due en particulier à la divergence des spécialisations productives, et de l'absence de correction de cette hétérogénéité par le fédéralisme ; de l'arrêt de la mobilité des capitaux entre les pays de l'OCDE ; de l'absence de coordination des politiques économiques qui génèrent des externalités entre les pays de la zone euro ; du caractère asymétrique des mécanismes d'ajustement (des politiques budgétaires, des compétitivités-coûts) qui ne sont mises en place que par les pays en difficulté ; de la gestion difficile de la politique budgétaire et de l'endettement public. Nous pensons que les difficultés de la zone euro peuvent être rangées dans trois catégories : l'absence de mécanisme qui permet de lutter contre les hétérogénéités ; l'absence de coordination des politiques économiques et la divergence dans les fonctionnements des marchés du travail ; les erreurs des politiques économiques dans leur conception et dans leur mise en œuvre.
- La fin du consensus ? La crise économique et la crise de la macroéconomie - Francesco Saraceno p. 365-380 Le Nouveau Consensus qui a dominé la macroéconomie à partir des années quatre-vingt reposait sur une structure fondamentalement néoclassique : des marchés efficients qui convergent seuls à l'équilibre naturel et un rôle très limité pour la politique macroéconomique (surtout monétaire) pour lisser les fluctuations. La crise a ébranlé ce Consensus en marquant le retour en force de l'activisme budgétaire et monétaire, au moins dans le débat académique. La profession s'interroge donc sur les piliers du Consensus, allant de la taille du multiplicateur à la mise en place des réformes, en passant par les liens entre cycle et tendance. Il est encore trop tôt pour savoir à quoi ressemblera la macroéconomie de demain. Mais il faut espérer qu'elle sera plus éclectique et ouverte.