Contenu du sommaire : Recompositions territoriales
Revue | Droit et société |
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Numéro | no 98, avril 2018 |
Titre du numéro | Recompositions territoriales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Recompositions territoriales
- Les recompositions territoriales : aux carrefours de l'Union européenne, des États-nations et des régions. Présentation du dossier - Hugues Dumont, Mathias El Berhoumi, Emmanuel Négrier, Vincent Simoulin p. 7-13
- Les formes juridiques fédératives d'association et de dissociation dans et entre les États - Hugues Dumont, Mathias El Berhoumi p. 15-36 Les catégories classiques de la théorie de l'État de facture juridique utilisées pour rendre compte des phénomènes fédératifs conservent un intérêt heuristique pour décrire les différentes logiques normatives qui sous-tendent les structures des États et les organisations les plus intégrées qu'ils génèrent, à condition que ne soient pas rejetés à titre d'anomalies les dispositifs résultant de dynamiques de recomposition territoriale. Celles-ci invitent à intégrer dans ces catégories la distinction entre unicité et pluralité nationales. D'une part, le droit constitutionnel de plusieurs États confrontés aux demandes de nations infra-étatiques consacre, à des degrés divers, des mécanismes traduisant en droit le caractère plurinational de ces États. D'autre part, la notion de « Fédération plurinationale » paraît la plus appropriée pour appréhender la nature juridique de l'Union européenne.The classical categories of the theory of the State used to legally understand federal systems retain heuristic value for interest to describe the various normative logics that underlie the State structure and the most integrated supra-State organizations, as long as the mechanisms resulting from processes of territorial recomposition are not discarded as anomalies. These dynamics lead one to distinguish, in these categories, between nation States and plurinational States. On the one hand, several states facing demands from sub-State national groups have inserted mechanisms in their constitutional laws that echo their plurinational nature. On the other hand, the concept of “Plurinational Federation” seems to be the most appropriate to grasp the legal nature of the European Union.
- Repenser la notion de frontière aujourd'hui. Du droit à la sociologie - Denis Duez, Damien Simonneau p. 37-52 Penser la frontière comme marqueur spatial délimitant l'aire de validité d'un ordre juridique souverain ne rend plus compte de manière satisfaisante des nouvelles formes d'articulations entre espace et politique. Sous les coups de la globalisation, de l'intégration régionale, des revendications séparatistes et indépendantistes, les frontières connaissent aujourd'hui des transformations profondes tout aussi bien de leurs formes que de leurs fonctions. Dès lors, la frontière doit être envisagée comme une construction sociale, fruit de rapports sociaux et de pouvoirs, tantôt marqués par des liens de coopération, tantôt par des formes d'oppositions entre les acteurs en présence. Elle gagne de ce fait à être saisie par les outils de la sociologie. Elle ne se révèle plus, comme l'envisage le droit international, unique, linéaire et intangible, mais au contraire multiple, réticulaire et fondamentalement mobile.Understanding “border” as a spatial marker delimiting the area of validity of a sovereign legal order no longer satisfactorily accounts for new forms of articulation between space and politics. Under the blows of globalization, regional integration, and separatist claims, borders are, today, undergoing profound transformations that affect their forms as well as their functions. Therefore, a border must be seen as a social construction, the product of social relations and powers, sometimes characterized by cooperation ties, sometimes designed by forms of opposition between the actors involved. The notion of border can thus benefit from the tools of sociology. It is no longer conceived, as envisaged by international law, as unique, linear and intangible, but on the contrary as multiple, reticular and fundamentally mobile.
- Brexit and the Territorial Constitution of the United Kingdom - Michael Keating p. 53-69 Depuis vingt ans, le Royaume-Uni s'est transformé, passant d'un État unitaire à un État décentralisé et asymétrique. L'Union européenne a fourni un cadre externe facilitant cette réforme. La décision, suite au référendum de juin 2016, de la quitter a des répercussions majeures sur l'ordre constitutionnel interne du Royaume-Uni et sa relation avec la République d'Irlande. Alors que l'Écosse et l'Irlande du Nord ont voté pour leur maintien dans l'UE, tout en exprimant le souhait de demeurer au sein du Royaume-Uni, ces deux choix sont désormais incompatibles. La réattribution des compétences jusqu'alors transférées à l'UE amène à des choix entre le Royaume-Uni et les gouvernements dévolus. Le caractère peu formel et peu écrit de la Constitution britannique a en outre pour résultat qu'il n'y a pas de solutions claires à ces conflits de compétences. Dans un contexte d'incertitude, l'avenir du Royaume-Uni balance entre les scénarios d'une recentralisation, d'une désintégration et d'une recomposition de l'État.Over the last twenty years, the United Kingdom has been transformed from a unitary to an asymmetrically decentralized state, embedded in membership of the European Union. The decision, following the referendum of June 2016, to leave the European Union has major repercussions on the internal constitution of the United Kingdom and its relationship with the Republic of Ireland. Scotland and Northern Ireland voted to remain in the EU but have also expressed a preference for remaining in the United Kingdom; now they cannot have both. Control of competences coming back from the EU is contested between the UK and devolved governments. The lack of rules in the largely unwritten constitution means that there are no clear ways of resolving the resulting conflicts. The United Kingdom has become the site of a real-time experiment in constitutional change, in conditions of uncertainty.
- Les régions contre l'État ? Capacité politique et fragmentation territoriale en Europe - Tudi Kernalegenn, Romain Pasquier p. 71-89 Cet article explore la réactivation du vieux conflit centre/périphérie en Europe autour de la conjonction de deux facteurs qui fragilisent les mécanismes traditionnels de légitimation de l'État-nation : la mondialisation économique et l'intégration européenne. Cependant, cette fragilisation des ordres politiques stato-nationaux ne génère pas automatiquement une fragmentation territoriale centrifuge : les effets sont variés. Ils dépendent essentiellement des styles nationaux d'action publique et des modèles territoriaux d'action collective que le concept de capacité politique permettra d'appréhender. À partir des exemples de la Bretagne et de l'Écosse, l'article montre la variabilité des configurations qui permettent aux régions de tirer profit des mutations de l'État-nation et de s'inscrire dans un chemin d'évolution propre.This article explores the reactivation of the old center/periphery conflict in Europe around the conjunction of two factors that weaken the traditional mechanisms of legitimation of the nation-state: economic globalization and European integration. However, this weakening of the stato-national political order does not automatically generate a centrifugal territorial fragmentation – the effects are diverse. They depend essentially on the national styles of public action and the territorial models of collective action for which the concept of political capacity provides understanding. Using the examples of Brittany and Scotland, the article shows the variability of configurations that allow regions to take advantage of changes in the nation-state system and to enter into their own path of evolution.
- Fusionner des politiques régionales. La recomposition des régions françaises au prisme de l'Occitanie - Emmanuel Négrier, Vincent Simoulin p. 91-110 Le regroupement des régions initié en France en 2015 permet d'observer les processus de recomposition d'une région après trente ans consacrés à en affermir deux différentes. L'analyse de cette recomposition territoriale nous donne par conséquent l'opportunité de mieux comprendre ce qui fait une région et ce qu'elle fait, deux questions auxquelles les réponses n'étaient toujours pas tout à fait stabilisées en France. Elles se reposent désormais de façon explicite et claire et permettent également de mieux cerner les contours contemporains de l'État et des modes actuels de gouvernement. L'étude des politiques culturelles et des politiques de recherche nous montrera que cette recomposition varie beaucoup non seulement selon les politiques mais même au sein de celles-ci et doit être saisie au niveau fin des programmes et des institutions pour voir comment émerge un nouveau modèle ou se diffuse un modèle existant.The merging of France's regions in 2015 allows one to observe the processes of reorganization of a region after thirty years previously dedicated to strengthening two regions. The analysis of this territorial reorganization provides, consequently, the opportunity to better understand what a region is and what it is doing, two questions which have not yet received clear and generally agreed upon answers in France. Revisiting these questions, explicitly and clearly, will facilitate understanding of the contemporary outlines of the State and the current modes of government. The study of cultural and research policies will show that this reorganization varies not only according to the policies but even within these. It must be seized at the fine level of the programs and the institutions to unearth how a new model emerges or an existing one spreads itself.
Question en débat
- Le « Higher Education and Research Act 2017 » : acte de décès du service public de l'enseignement supérieur en Angleterre ? - Annie Vinokur, Corine Eyraud p. 113-138 L'Angleterre est le premier pays européen à avoir, dans les années 1980, amorcé la conversion de son enseignement supérieur du service public au marché. La dernière loi sur l'enseignement supérieur, le « Higher Education and Research Act » adopté en juin 2017, semble parachever ce processus. Cet article revient sur les spécificités du modèle anglais d'université et sur ses presque quarante années de réformes, soit le processus de déconstruction de l'essentiel de ses caractéristiques de service public. Analysant les contradictions et conflits d'intérêt déjà présents dans la situation actuelle mais amplifiés par la nouvelle loi et l'organisme de régulation qu'elle crée (l'Office for Students), il invite à s'interroger sur la viabilité du modèle.English higher education was, in the 1980s, the first in Europe to start moving from a public service to the market. The “Higher Education and Research Act” adopted in June 2017 seems to finalize the process. This article examines to the specificities of the English university model and examines the nearly 40 years of reforms which have deconstructed its main features as a public service. It analyzes how the new law, by setting up a new regulatory body (the Office for Students), may amplify the already strong contradictions and conflicts of interest within the sector. Finally, the article questions the viability of the model.
- Le « Higher Education and Research Act 2017 » : acte de décès du service public de l'enseignement supérieur en Angleterre ? - Annie Vinokur, Corine Eyraud p. 113-138
Études
- Biens communs. Contribution à une théorie juridique - Alberto Lucarelli, Jérémy Mercier, Thomas Perroud, Eleonora Bottini p. 141-157 La présente étude repense le modèle domanial à partir d'une nouvelle approche des biens communs orientée vers la satisfaction des droits fondamentaux et accompagnée d'une nouvelle forme de démocratie participative. En réfléchissant de façon critique à la conception individualiste de la propriété et au pouvoir discrétionnaire de l'administration, cette étude qui revient sur l'expérience italienne s'attache à construire une nouvelle dimension des biens communs et par conséquent une nouvelle dimension de l'État, considéré non plus comme souverain mais comme un État-communauté ouvert à tous. Les biens communs deviennent des processus d'intégration continue considérés comme des biens propres appartenant alors non plus au marché mais aux citoyens et permettant de mettre en place une refondation de l'État social.The present article rethinks the “modèle domanial” from a new approach of the Commons oriented towards the satisfaction of fundamental rights and a new form of participatory democracy. By critically reflecting on the individualistic conception of property and the discretionary power of the administration, this study, in revisiting the Italian experience, seeks to construct a new dimension of the Commons with a new dimension of the State, no longer considered sovereign but as a state-community open to all. The Commons become processes of continuous integration considered as own goods belonging no longer to the market but to the citizens, thereby enabling the re-founding of a social state.
- Crise du standard de l'« homme ordinaire » en common law britannique d'après-guerre. Le débat Hart-Devlin et le multiculturalisme naissant - Gregory Bligh p. 159-178 Cet article montre l'importance de la naissance du multiculturalisme pour analyser le débat entre H.L.A. Hart et le juge Patrick Devlin dans l'Angleterre des années 1960. Hart critique une « thèse de la désintégration » de Devlin sociologiquement naïve. Or, Devlin ne s'inquiète pas des dangers abstraits de la désintégration sociale, mais du sort de la culture juridique libérale particulière de la Grande-Bretagne au regard de l'immigration de masse des années 1950. À la différence du Continent, libertés et tradition juridique ne s'opposent pas outre-Manche. Or, cette tradition repose sur certains standards juridiques, dont l'« homme ordinaire », qui peut sembler pour un temps mis en cause par les transformations sociales. Plus qu'une opposition entre un camp libéral et un camp conservateur, ce débat met en conflit deux conceptions de la liberté, et rend compte d'une profonde crise culturelle que traverse la pensée juridique britannique au lendemain de la guerre.This article shows the importance of the early formation of British multiculturalism as a crucial backdrop for understanding the Hart-Devlin debate of the 1960s. Hart criticized Devlin's “disintegration thesis,” showing that it fails sociologically. However, Devlin's position does not focus on the abstract dangers of social disintegration, but is concerned, rather, with specific aspects of the British legal tradition. Contrary to other European cultures, liberty, and tradition are not opposed in common law culture. British liberalism relies on certain legal standards, such as the “ordinary Englishman,” which seemed challenged in the face of mass immigration during the late 1950s. Rather than a confrontation between liberal and conservative camps, the Hart-Devlin debate reveals two conflicting notions of liberty, and a profound crisis in post-war British legal culture.
- Ce que conte le compte rendu : l'institution d'un ordre parlementaire idéalisé - Benjamin Morel p. 179-199 Cet article tend à envisager les questions que nous pose la rédaction du compte rendu intégral des débats parlementaires. Cet outil, facile d'accès, est très employé par les chercheurs, que ce soit dans les analyses qualitatives ou quantitatives. Pour autant, est-on sûr que les mots rapportés soient ceux qui ont été effectivement prononcés ? Quels biais s'insinuent dans notre lecture du compte rendu ? Biais dans notre lecture et non dans son écriture. Car le peu de recul que nous développons vis-à-vis du matériau de recherche provient d'une mésinterprétation de ses objectifs de production. Le compte rendu n'est pas un verbatim. Le compte rendu est un acte d'institution produit à dessein d'assurer une transition entre la plurivocité des débats parlementaires et l'univocité de la norme juridique produite. Il se veut ainsi la mise en forme d'un ordre parlementaire fortement idéalisé et ritualisé permettant d'assurer la lisibilité du processus législatif et, partant, la validité et la légitimité du droit.This article seeks to better understand the role of parliamentary minutes for grounding an idealized parliamentary order. Although parliamentary minutes are often considered verbatim and objective, the opposite is true. Debate minutes contain several biases and are not easily usable. Minutes do not necessarily transcribe the exact words of the speakers and speeches do not always adhere to the same grammatical conventions as the written word. If transcribed verbatim, they may be unclear or difficult to parse. Thus, their wording is often revised, modified for readability, and even edited for greater clarity and coherence. These edits increase the clarity of the minutes but decrease their authenticity and validity. What is written might transcribe the thought of the member of Parliament, but not always what was actually said.
- Biens communs. Contribution à une théorie juridique - Alberto Lucarelli, Jérémy Mercier, Thomas Perroud, Eleonora Bottini p. 141-157
À propos
- À propos de la gouvernance par les nombres, pour une articulation de la raison juridique et de la raison statistique - Jacky Fayolle p. 203-226
- La sociologie a-t-elle définitivement tué la philosophie ? - Federico Tarragoni p. 227-237
- À quoi servons-nous, nous autres juristes, citoyens d'une société complexe ? - Pierre Guibentif p. 239-254