Contenu du sommaire : Enfances, droits et politique
Revue | Problèmes d'Amérique Latine |
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Numéro | no 108, printemps 2018 |
Titre du numéro | Enfances, droits et politique |
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Dossier : Enfances, droits et politique
- Introduction. Enfances, droits et politique - Irene Pochetti p. 5-18
- Le nom de la loi : violences, protection et différenciation sociale des enfants - Fernanda Bittencourt Ribeiro p. 19-36 Dans cet article, nous prenons pour point de départ l'attribution du surnom « menino Bernardo » à la loi qui interdit les « châtiments physiques, le traitement cruel ou dégradant d'enfants et d'adolescents » au Brésil. En premier lieu, nous montrons que la figure de « l'enfant victime de violence », qui s'est imposée au cours du débat parlementaire brésilien sur le projet de loi, s'est construite à partir d'un ensemble de préjugés sur les classes sociales défavorisées. Or l'enfant qui a donné son nom à la loi appartenait à la classe moyenne. En deuxième lieu, pour mieux cerner la différence entre le degré de violence tel qu'il se manifeste dans l'homicide de Bernardo et celui des pratiques auxquelles se réfère la loi, connue sous le nom de « loi de la fessée », nous reprenons certains aspects de l'histoire de Bernardo rapportés par la presse. Enfin, nous mettons ce cas en rapport avec le profil de « l'enfant des Amériques », qui sert de modèle aux différents systèmes de protection de l'enfance en Amérique latine. Parce qu'on associe généralement pauvreté et maltraitance des enfants, nous montrons qu'il est difficile pour les institutions en charge de la protection de l'enfance de lire certaines situations de maltraitance vécues par des enfants de couches sociales moyennes et supérieures comme des violations de droits.The name of the law: violence, protection and social differentiation of children
In this article the name “Bernardo boy” attributed to the law that prohibits corporal punishment, cruel and degrading treatment of children and adolescents in Brazil will be the nickname for an approach of the social differentiation of children. Initially, the figure of the “child victim of violence” that emerges in the Brazilian parliamentary debate will be put in perspective with the social status of the child whose name has baptized the law approved in Brazil in the year of 2014. In a second moment, instigated by the distance between the object of the law and Bernardo's homicide, I will return to some aspects of its history, as they were presented by the media. Finally, this difficulty will be related to the figure of the “children of the Americas”, that marked an inter-American system for the protection of children in their origin. The analysis suggests that social origin is capable of both potentiating the stigma of poor families, as well as of hindering the readability of certain living conditions of children of middle and high layers in terms of violation of rights. - Recréer les images de danger et de salut. Les sens donnés à l'enfance « appropriée » par le terrorisme d'État en Argentine - Carla Villalta p. 37-55 Durant la dernière dictature militaire argentine (1976-1983), le plan systématique d'appropriation des enfants des militants assassinés ou disparus mis en œuvre par les militaires a séparé des centaines d'enfants de leur famille, les donnant en adoption illégale, après avoir falsifié l'inscription de leur naissance à l'état civil. Nous analysons dans le présent article les arguments et les explications utilisés par les tenants de la dictature pour tenter de justifier et de légitimer de telles pratiques. Nous étudions notamment le rapport existant entre ces constructions discursives et certaines catégories sociales et institutionnelles qui avaient pour fonction de donner un sens au problème de l'enfance « abandonnée » et d'intervenir dans ce domaine. De cette façon, nous examinons comment l'enfance est devenue un champ de confrontation, dans la mesure où les valeurs modèles qui lui sont traditionnellement associées – entre autres, l'innocence, la fragilité, la pureté – ont été non seulement utilisées par le régime répressif pour justifier l'appropriation des enfants, mais aussi recréées par leurs grands-mères pour dénoncer ces crimes.Recreating images of danger and salvation. Meanings of childhood stolen under state terrorism in ArgentinaDuring Argentina's last military dictatorship (1976-1983), a systematic plan was developed for giving away the children of militants who were disappeared and murdered. With the help of forged adoption papers or birth certificates, these children were separated from their birth families and handed off to other families. This article analyzes the arguments and explanations used in the attempt to justify and legitimize these practices, with a special emphasis on the connection between these discourses and certain social and institutional categories that made “abandoned” children into a recognizable issue which merited state intervention. The process by which childhood became a field of dispute is examined, not only in terms of how its exemplary values—innocence, vulnerability and purity, among others—were used to justify giving away these children, but also with regard to how the children's birth grandmothers invoked these same values when denouncing the abductions.
- Une enfance qui libère ? Stratégies d'émancipation des mères d'ingénus au temps de la loi du Ventre libre. São Paulo, 1871-1888 - Clara Gouraud p. 57-72 À partir de l'étude de procès judiciaires engagés par des mères d'« ingénus » – enfants libres nés de mères esclaves après la Loi brésilienne du Ventre libre de 1871 – contre leurs anciens maîtres dans le but de récupérer la garde de leurs enfants, cet article montre l'importance que revêt la question de la proximité des enfants dans la conception de la liberté des mères esclaves et affranchies au moment de l'abolition graduelle de l'esclavage. L'analyse de ces sources juridiques permet de montrer que cette loi, visant à sortir progressivement le Brésil de l'esclavage par la libération des enfants des femmes esclaves, est utilisée de façon ambivalente, par les mères esclaves et affranchies revendiquant leurs droits d'une part, et par leurs anciens maîtres d'autre part, avec une ampleur toute particulière dans la ville de São Paulo. Appuyées par des avocats abolitionnistes, ces femmes revendiquent leur pleine liberté en demandant la garde de leurs enfants ingénus, tandis que leurs anciens maîtres ripostent en assurant, par le moyen de la loi, leur domination sur ces mêmes ingénus, en passe de devenir leurs futurs congénères brésiliens à l'approche de l'abolition du 13 mai 1888.A freeing childhood? Emancipation strategies of ingênuos' mothers in times of the free womb law. São Paulo, 1871-1888Through an examination of suits iniciated by mothers of ingênuos children (i.e. free children born of slave mothers after the Brazilian Free Womb Law of 1871), suing their former masters in order to get their children back, this article shows how the fact of living closely to their children played an essential role in the notion of freedom for slave and freed mothers, in times of gradual abolition of slavery in Brazil. The exploration of those legal sources enables to show how this law, which aimed at gradually ending the slave-holding system by freeing the children of enslaved women, was ambiguously used, particularly in the city of São Paulo, on the one hand by slave and freed mothers asserting their rights, and on the other hand by their former masters. Supported by abolitionist lawyers, these women claimed their total freedom applying for child custody, while the slaveholders fought back maintaining, by the use of the same law, their control over the ingênuos children, who were to be their incoming brazilian congeners as the abolition of 11 May 1888 approached.
- Fragmentation des parcours de vie et des droits de l'enfance face aux ruptures familiales en Bolivie - Robin Cavagnoud p. 73-90 Les parcours de vie des enfants et jeunes en situation de grande précarité sont fréquemment marqués par des événements qui bouleversent l'organisation de leur vie quotidienne. Parmi ces faits, on peut citer la fugue volontaire ou l'expulsion forcée du ménage entraînant une rupture des liens familiaux et un mode de vie « de rue ». À partir des résultats d'une enquête réalisée à La Paz et à El Alto, cet article montre dans quelle mesure les parcours de vie de ces enfants et jeunes se caractérisent par des processus d'individuation et de fragmentation indiquant le caractère dorénavant inopérant des notions de « carrière » dans la déviance et de « bande » au profit de l'idée de « réseau » où circulent les enfants au sein d'un ensemble d'entourages. Cette situation pose la question des politiques d'intervention auprès de cette population, principalement attribuées à des Organisations non gouvernementales (ONG) et d'associations, qui ne parviennent que partiellement à intégrer les enfants dans leurs programmes d'aide. Les parcours de vie de ces enfants interpellent enfin les notions de construction socioculturelle de l'enfance, d'individu et d'idéal d'autonomie, selon une évolution du statut d'enfant à la fois reflétée dans la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) de 1989 et en décalage avec les principes de protection sociale de ce texte.Fragmentation of life courses and childhood rights faced to family breaking in Bolivia
Life courses of children and young people in precarious situations are frequently marked by events that disrupt the organization of their daily life. Among these facts, we can name voluntary running away or forced expulsion from household leading to family breaking and to a “street” lifestyle. From results of a fieldwork in La Paz and El Alto, this article shows how life courses of these children and young people are characterized by individuation and fragmentation processes indicating the character now inoperative of the notions of “career” in deviance and “band” in favor of the idea of “network” where children circulate into a set of surroundings. This situation raises the issue of policy interventions with this population, mainly by Non-Governmental Organizations (NGO) and associations, which manage only partially to integrate children into their support programs. Finally, life courses of these children challenge the notions of sociocultural construction of childhood, individual and ideal of autonomy, according to evolutions of child status both reflected in the International Convention on the Rights of the Child (ICRC) of 1989 and out of phase with the social protection principals of this text. - Devenir sujet de droits dans le Chili néolibéral : les mythes de la protection démocratique de l'enfance - Paula Cubillos Celis p. 91-107 Cet article aborde la question de la reconfiguration de l'action étatique menée en faveur de l'enfance au Chili, qui est marquée par l'empreinte du néolibéralisme démocratique. La restructuration économique mise en place par la dictature, depuis 1973, implante un État résiduel qui fusionne modernisation de la gestion et approches tutélaires de l'action sociale. Ce modèle va se consolider en démocratie, proposant des stratégies hybrides de protection. Ainsi, le cadre d'action qui se dessine à partir de la ratification de la Convention des Droits de l'Enfant (1990) est une fusion de stratégies fragmentaires, technocratiques et tutélaires qui reflète les caractéristiques du modèle résiduel-majoré de protection de l'enfance. Cependant, les administrations démocratiques défendent ce modèle en brandissant les arguments de l'inévitabilité du cadre normatif de la dictature et de l'impossibilité d'une transformation du cadre politico-économique dont dépendent les politiques de protection de l'enfance. Nous essaierons de démontrer que cette condition d'inévitabilité relève de mythes sociaux, en proposant une lecture diachronique de l'action étatique, pour faire apparaître la continuité de ce processus dont l'origine précède la dictature et qui se confirme en démocratie. Ainsi, nous ciblerons les enjeux que nous pose l'élucidation du sens du phénomène démocratique néolibéral à partir des sens du politique dans le Chili contemporain.Becoming a subject of rights in neoliberal Chile: the myths of democratic child protection
This article discusses the reconfiguration of the state's action for children population, marked by the imprint of democratic neo-liberalism in Chile. The economic reforms developed by the dictatorship since 1973, transformed the state into a residual state that merged the modernization of management and the tutelary approaches to social intervention. This model, then consolidated in democracy, has proposed hybrid strategies of social protection. In this way, the political framework designed, from the Convention on the Rights of the Child (1989), is a mix of fragmented strategies of action, technocratic and tutelary, which reflects the characteristics of a residual model of child protection. However, democratic governments defend this model with the arguments of the inevitability to resist the normative framework imposed during the dictatorship, and the impossibility to change the politico-economic arrangements where child policies are based. In this study, through a diachronic reading of the state action, we demonstrate this condition of inevitability comes from social myths. The current structure of childhood policies is a continuity of a long process, which origin precedes the dictatorship, and has been reinforced in democracy. We focus on the policy construction in contemporary Chile to elucidate the meaning of the neoliberal democratic order. - Enfance et politiques de lutte contre la pauvreté au Mexique : regard sur les 25 dernières années - Valentina Glockner Fagetti, Joëlle Ruchonnet p. 109-122 Cet article propose une réflexion sur la pauvreté à la fois comme objet de politique publique au Mexique lors de ces vingt-cinq dernières années, et comme cible de divers programmes gouvernementaux d'envergure nationale. Cette période, décisive quant à la mise en place des stratégies de lutte contre la pauvreté, coïncide avec la ratification et l'entrée en vigueur de la Convention des droits de l'enfant (CDE) au Mexique. Notre étude porte sur la place accordée à l'enfance dans ces stratégies, en considérant que même si ces mesures n'ont pas permis de développer les outils nécessaires à la compréhension et à la mesure de la pauvreté infantile, elles ont fait de l'enfance un élément central des programmes sociaux d'aide financière. La lutte contre la pauvreté s'est alors orientée vers une logique utilitariste qui considère les enfants comme une réserve de main-d'œuvre et un potentiel de capital humain. Ce n'est que très récemment qu'ont émergé des visions alternatives qui reposent sur les droits de l'enfant et qui militent pour une compréhension de la pauvreté infantile comme un phénomène aux causes et caractéristiques propres. Cependant, le véritable potentiel de cette approche est sa capacité à interroger les logiques actuelles de la lutte contre la pauvreté, notamment leur caractère néolibéral qui ne tient compte ni de l'injustice, ni des inégalités.Childhood and policies against poverty in Mexico: a look at the last 25 years
In this article, we reflect upon the ways in which poverty has been conceived of in Mexico during the last 25 years, and analyze the national programs through which the government has strived to combat it. This period that coincided with the ratification and enactment of the Convention on the Rights of the Child in Mexico has been decisive for the current configuration of the strategies in the struggle against poverty. We examine the role given to children in these strategies, and argue that, despite not having developed the tools necessary to measure and understand child poverty, children have been made a key component in the enactment of programs of conditioned economic transfer. During this period, a utilitarian rationality has been construed around the struggle against poverty, which conceives of children as a reservoir of labor and potential human capital. Only recently, alternative visions have arisen based on the children's rights approach, which promotes a conception of child poverty as a phenomenon with its own causes and characteristics. However, we argue that the real potential of this approach would lay in its capacity to question the rationality that undergirds the current neoliberal.
Varia
- L'État plurinational de Bolivie - Philippe Boulanger p. 123-141 L'État plurinational de Bolivie a été fondé en 2009 dans le cadre d'un long et conflictuel processus constituant entamé en 2006, à la suite de la victoire électorale d'Evo Morales en 2005. Il vise à valoriser les communautés autochtones au nom de la revanche sur la Colonie espagnole et la République, dite néolibérale et oligarchique. Son ambition plurinationale ne suffit pas à lever les ambiguïtés (refondation constitutionnelle limitée, centralité de la ritualité aymara dans le discours officiel, question de l'autonomie freinée par le centralisme gouvernemental) contenues dans le texte.The plurinational state of Bolivia
The Plurinational State of Bolivia was founded in 2009 in the framework of a long, conflicting constituant process started in 2006, following the electoral winning of Evo Morales in 2005. It enhances natives communities on behalf of the revenge over the Spanish Colony and the allegedly neoliberal and oligarchic Republic. Its plurinational ambition would not by itself remove all the ambiguities (confined constitutional refoundation, centrality of Aimara rituality in the official discourse, autonomy restrained by Government centralism) contained in the text.
- L'État plurinational de Bolivie - Philippe Boulanger p. 123-141
Note de lecture
- Sergio Ramírez, Cronista de un nuevo caudillismo : Ya nadie llora por mí, Alfaguara, México, 2017, 360 pages - Gilles Bataillon p. 143-147