Contenu du sommaire : La sociologie sur commandes ?

Alors que de nombreux sociologues vendent des prestations de services à des commanditaires, ce marché reste peu analysé. Dans cet article nous décrivons le marché de la commande publique de sociologie. Situées à trois niveaux d'action, les demandes sont rarement spécifiquement adressées aux sociologues. Au-delà de rares demandes en sociologie urbaine ou en sociologie des organisations, elles concernent généralement des méthodes en sciences humaines et sociales ou des interventions de professionnels avec qui préexistent des liens. Nos analyses nous amènent à conclure qu'aujourd'hui encore, le marché de la sociologie n'existe pas en tant que tel, ou bien de manière très limitée.

Les demandes provenant du monde du travail adressées aux sociologues présentent de multiples visages. En s'appuyant sur un corpus de 65 terrains d'enquête menés dans le cadre d'un dispositif de formation continue depuis près d'une vingtaine d'années, cet article propose d'en élaborer une typologie. À partir d'un modèle envisageant tout à la fois l'orientation de la demande (compréhensive vs prescriptive) mais aussi sa temporalité (orientée vers le passé, le présent ou l'avenir), trois grands types d'attentes peuvent être repérés. Les premières, qui sont aussi les plus nombreuses, renvoient de la part des commanditaires à une demande de compréhension de symptômes critiques pour réagir de manière plus ajustée. Pour les deuxièmes, moins fréquentes, la demande d'analyse est mise en rapport avec un besoin d'anticipation : pressentant des changements à venir, les commanditaires cherchent à préserver ou à adapter des dynamiques sociales jusqu'alors vertueuses. Un troisième ensemble, largement minoritaire, correspond à des demandes plus prescriptives se traduisant par une demande de soutien pour renforcer ou aménager des dispositifs existants.

Quelle place pour la sociologie dans l'évaluation des politiques publiques en France ? Une étude de la commande publique met en évidence l'absence de demande explicite pour des évaluations sociologiques, mais le besoin pour une démarche explicative approfondie est plus que jamais présent. Or, le processus d'évaluation « à la française » offre potentiellement les espaces de liberté permettant à une démarche sociologique de s'épanouir. Surtout, alors que la demande pour des évaluations rigoureuses se fait plus pressante ces dernières années, les sociologues peuvent avoir un apport précieux pour contribuer à la diversité des approches dans le champ des politiques publiques.

En réponse aux nombreuses demandes sociales d'évaluation de politiques publiques, les membres de la communauté scientifique ont été appelés à se constituer en tant qu'évaluateurs. Ils ont ainsi alimenté les représentations spécifiques de leurs disciplines portées à la fois par les commanditaires de ces évaluations, et par leurs propres pratiques et postures. Mobilisant une approche comparative, cet article qualifie ces demandes d'évaluation adressées à la sociologie et les postures adoptées par ces « évaluateurs » singuliers à l'aune de celles caractérisant l'économie.

Cet article analyse l'évaluation d'une expérimentation en télémédecine d'urgence que nous avons réalisée. Ce travail avait pour finalité sa valorisation académique. Nous exposons que pour y parvenir, le cadre de l'évaluation est à déborder, notamment en analysant le matériau recueilli dans une double temporalité. Symétriquement, l'évaluation déborde sur le processus de recherche, ce qui peut lui bénéficier. Enfin, nous discutons dans ce contexte le thème de l'instrumentalisation inversée (le sociologue profite de ses commanditaires pour les besoins de sa recherche) et indiquons comment nous avons essayé de l'éviter.

Les processus de recherche contractuelle permettent d'éclairer les rapports entre la sociologie et ses publics. L'article s'appuie sur plusieurs situations empiriques de recherche contractuelle auxquelles l'auteur a participé comme responsable ou co-responsable. Il décrit les processus de commande et de négociation des contrats, le degré de contrôle de la production sociologique, les caractéristiques des travaux produits, et les modes de réception et d'usage des résultats. L'auteur montre que, pour diverses raisons, les institutions commanditaires ne manifestent pas toutes les mêmes visées envers la sociologie, les mêmes pratiques de respect ou de méfiance envers le sociologue, ni la même prise en compte pratique ou politique de son travail. Mais, au-delà de la diversité des recherches contractuelles, on peut constater que le rapport institutions/sociologie change depuis une dizaine d'années et devient, de la part des institutions, nettement plus instrumentalisé.

Les institutions chargées de gérer et de conserver la nature expriment une demande croissante de sociologie. Les sociologues peuvent s'y impliquer en participant à leurs conseils scientifiques et en réalisant des études et des recherches. Ils permettent aux institutions de la nature de se familiariser avec la discipline, d'augmenter leur réflexivité sur leurs pratiques et de développer des approches inter- et transdisciplinaires. Leur rôle peut aller de l'accompagnement pour favoriser les réformes en cours à une analyse critique des discours et des logiques qui sous-tendent la transition écologique. Développer ce potentiel de recherche sociologique passe par des changements au niveau des institutions et par une explicitation et une mise en débat du rôle des sociologues.

Cette contribution propose une réflexion sur la place donnée et les attentes adressées à la sociologie appliquée en entreprise, lorsqu'elle est mobilisée au service de la conduite d'un projet dont les objectifs, à la définition desquels l'étude est censée participer, sont en grande partie prédéfinis. Après une présentation de la commande initiale, l'article se centre sur la façon dont elle a évolué au fur et à mesure de l'accompagnement. Il souligne l'importance et la richesse de la mobilisation d'une perspective critique pour interroger et déconstruire les attentes normatives initialement contenues dans la commande, et pour proposer une approche adaptée aux enjeux et au contexte.

Dans le contexte gestionnaire des années 1990, de nombreuses associations ont été à l'origine de demandes d'intervention sociologique. Elles sont tiraillées entre une internalisation de la « raison gestionnaire et managériale » et une résistance à l'égard du « managérialisme ». Les apports des sociologues sont perçus comme une ressource critique susceptible d'explorer des modèles alternatifs à ceux qui leurs sont prescrits par les régulations de contrôle et de normalisation émanant des autorités de tutelle, déterminantes dans l'attribution et l'affectation des fonds. Dans ce texte, nous rendrons compte d'une démarche de recherche associant sociologues et dirigeants associatifs, qui a posé les bases d'une méthodologie d'intervention en association. Puis nous explorerons deux types de demandes d'intervention : la demande d'expertise, inscrite dans un cadre réglementaire imposé aux associations, et la demande d'accompagnement qui requiert de définir ce cadre avec les parties prenantes en présence. Nous faisons l'hypothèse que ces démarches impliquent un repositionnement de l'expertise sollicitée ainsi que de la demande initiale formulée par les dirigeants.

Dans cet article, nous présentons un projet de recherche pour un gouvernement local chinois, qui consistait pour nous à apporter une approche sociologique, concernant le développement de services et infrastructures pour personnes âgées. L'acceptation d'une approche sociologique, bien accueillie au départ, s'est avec l'évolution du projet transformée en tentative d'expulsion du projet, laisser faire, puis mise sous silence des conclusions de notre recherche. Toutefois, quelques interlocuteurs conciliants ont permis à certaines de nos idées d'être, finalement utilisées. En analysant notre travail sur ce projet, nous montrons les difficultés du travail sociologique en milieu autoritaire chinois, tout en expliquant qu'il est possible de conserver une approche critique.