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Revue | Gouvernement & action publique |
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Numéro | no 2, avril-juin 2018 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- « Penser l'action publique » en contextes africains : Les enjeux d'une décentration - Dominique Darbon, Olivier Provini p. 9-29 ResumeL'analyse des politiques publiques connaît, depuis les années 1990, un engouement sur le continent africain qui se traduit notamment par la multiplication des études empiriques sectorielles et de programmes de recherche spécifiques. Pourtant, mener une analyse d'action publique sur la plupart des terrains africains soulève a priori des interrogations : ainsi, les cadres d'analyse se sont essentiellement construits autour d'expériences sectorielles nord-américaines et européennes et, de même, les capacités institutionnelles et sociales sont parfois si faibles sur le continent que la notion d'État y est elle-même discutée. C'est précisément à ce décentrement de l'analyse des politiques publiques par des périphéries, parfois réduites de manière abusive à la dépendance et à l'importation de techniques institutionnelles, que ce numéro thématique invite. Plutôt que de s'arrêter à la question de la validité du transfert de l'appareil théorique entre le Nord et le Sud, l'enjeu scientifique du dossier est, à partir d'études de cas du continent africain, de démontrer l'intérêt pour la sous-discipline de travailler sur des situations inédites : d'une part, afin de questionner la validité scientifique et prétendument universelle des résultats accumulés au Nord et, d'autre part, pour enrichir l'analyse des politiques publiques à travers des configurations d'action publique dans des situations et trajectoires nouvelles.PUBLIC ACTION IN AFRICAN CONTEXTS: A NEW PERSPECTIVESince the 1990s, public policy analysis has enjoyed a growing interest on the African continent, as reflected in an increasing number of empirical studies of policy sectors and specific research programs. However, studying public action in the majority of African contexts raises certain questions given that the analytical frameworks are mostly based on empirical and sectorial experiences from studies conducted in North America and Europe. Moreover, institutional and social capacities in Africa are sometimes so low that the very concept of the state is problematic. Indeed, public action in Africa is often misinterpreted as simply an effect of dependency and the importation of institutional techniques. Based on case studies from the African continent, this thematic issue specifically addresses public policy from the perspective of the South. It shows that the scientific challenge lies in demonstrating the interest for the sub-discipline to embrace new empirical experiences: on the one hand, to question the scientific validity of the allegedly universal results stemming from research conducted in the North and, on the other, to enhance public policy analysis by incorporating policy configurations arising in new situations and trajectories.
- Accaparement des terres ou investissements agricoles bénéfiques ? : La réappropriation politique d'un problème public international en Tanzanie - Sina Schlimmer p. 31-52 ResumeL'expansion de l'investissement foncier étranger en Afrique depuis les années 2000 a été progressivement constituée comme un problème public international. Oscillant entre l'argument des opportunités économiques et un discours critique sur les risques de l'accaparement foncier, le débat international structure le problème comme une question de développement homogène à l'Afrique. À travers l'exemple de la controverse sur l'accaparement des terres en Tanzanie, pays cible de la vague d'investissement étranger, cet article s'intéresse à la traduction nationale et à la politisation du problème public. Nous défendons la thèse que les processus de réappropriation des discours internationaux sur le « land grabbing » doivent être lus au regard du contexte politique et historique national. Cette articulation de l'analyse discursive et de la sociologie historique de l'État est effectuée à travers deux entrées. D'une part, nous argumentons que le débat sur l'accaparement remobilise l'héritage d'un secteur foncier régulé par l'État. D'autre part, les éléments discursifs de ce débat réactivent des thématiques intrinsèques à la construction de la nation postindépendance, telles que la question des étrangers et de la corruption.LAND GRABBING OR BENEFICIAL INVESTMENT IN AGRICULTURE? THE POLITICAL APPROPRIATION OF AN INTERNATIONAL PUBLIC PROBLEM IN TANZANIAIncreasing investment in land on the African continent since the late 2000s has been established as a global public problem. By weighing up the argument of economic opportunities against critical discourse on the risks of land grabbing, the international debate has shaped the problem about land deals as a homogenous development issue in Africa. Based on the controversy about land grabbing in Tanzania (as a target country of foreign investment in agriculture), this article analyses how this public problem has been translated and politicised in a specific political and historical context. We argue that it is necessary to analyse the discursive reappropriation of the problem in Tanzania in the light of the state building. To do so, we combine discourse analysis with concepts from the sociology of the state to underline two analytical observations. Firstly, we demonstrate how the land grabbing debate remobilises the inheritance of a state-regulated agricultural sector. Secondly, it will be shown how the discursive elements of the debate are recast to address political issues which have been shaping postcolonial nation-building, such as issues around “foreigners” and “corruption”.
- Les réformes de politiques publiques en Afrique de l'Ouest, entre polity, politics et extraversion : Eau potable et foncier en milieu rural (Bénin, Burkina Faso) - Philippe Lavigne Delville p. 53-73 ResumeL'image de politiques publiques uniformément imposées par les institutions internationales à des États africains extravertis et aux faibles capacités institutionnelles ne résiste pas à l'analyse. Si les paradigmes sont issus des prescriptions internationales, les transferts de politiques publiques passent par des processus complexes de réinterprétation et d'adoption sélective. Comparant les réformes des années 2000 sur deux secteurs contrastés et dans deux pays voisins, le Bénin et le Burkina Faso, cet article met au jour des processus contingents, ancrés dans une double histoire politique et institutionnelle, celle des pays et celle des secteurs d'action publique en leur sein. En particulier, l'historicité du secteur, la nature des enjeux politiques qu'il porte, l'existence de controverses au niveau international, et la forme des réseaux de politique publique expliquent le contraste entre les réformes du service de l'eau potable, qui reprennent largement les prescriptions internationales, et celles portant sur le foncier rural, dont la chronologie et les orientations politiques divergent fortement entre les deux pays.PUBLIC POLICY REFORM IN WEST AFRICA: BETWEEN POLITY, POLITICS> AND EXTRAVERSION. WATER SUPPLY AND RURAL LAND TENURE (BENIN, BURKINA FASO)Public policies in Africa are often seen as being uniformly imposed by international institutions upon dependent States with few institutional capacities. But such a vision is too simplistic. Policy paradigms do follow international prescriptions but policy transfers actually take place through complex processes of reinterpretation and selective adoption. This paper compares the policy reforms of the 2000s in two contrasting sectors and in two neighboring countries. It highlights contingent processes embedded in the political and institutional history of each country and of its different policy sectors. The sectors' historicity, the nature of their specific issues – both in terms of politics and polity –, the existence of controversies at international level, and the configuration of policy networks explain the contrast between the reforms of the drinking water service, which largely incorporate international prescriptions and those concerning rural land tenure, whose chronology and political choices diverge sharply between both countries.
- Sous-traiter au sein de l'administration publique de l'eau en Afrique du Sud : Les métamorphoses d'un réseau de politique publique - Magalie Bourblanc p. 75-94 ResumeLa place qu'occupent les consultants de cabinets privés dans la conduite de l'action publique est un phénomène particulièrement frappant dans le domaine de la gestion de la ressource en eau en Afrique du Sud. À première vue, le recours aux consultants semble être la conséquence directe de la mise en oeuvre d'une réforme de type New Public Management dans le cadre de la transition démocratique. Notre analyse socio-historique de l'État en action révèle cependant à quel point le recours à la sous-traitance fait partie de la culture institutionnelle du ministère de l'Eau. Depuis les années 1960 en effet, les fonctionnaires ont forgé les bases d'une collaboration au long cours avec des ingénieurs- consultants avec lesquels ils forment un réseau de politique publique, réseau qui a fini par redessiner les frontières entre public et privé. Nous examinons les transformations subies par ce réseau au fil du temps sous l'effet combiné de différents facteurs politiques.SUB-CONTRACTING THE PUBLIC ADMINISTRATION OF WATER IN SOUTH AFRICA: THE METAMORPHOSIS OF A POLICY NETWORKThe role of consultants in South African water resource management is a striking phenomenon that pertains to all aspects of the policy-making process. At first sight, the outsourcing phenomenon seems to directly stem from the implementation of New Public Management reform in the post-Apartheid period. Yet, our socio-historical analysis of the State “at work” shows that this outsourcing phenomenon is actually part of the Department of Water Affairs' institutional culture which, since the 1960s, has featured a tradition of collaboration with civil engineering consulting companies. Indeed, this interdependence is so great that it is fair to claim that the Department's officials and engineer consultants belong to a common policy network that, through history, has been reshaping the frontiers between the public and the private. We examine the transformations of this policy network over time, stressing the influence of political factors on the evolution of the water policy configuration at various stages.
- Imposition et appropriation de la lutte contre le sida par projet au Bénin : L'instrumentation de l'action publique comme observatoire des trajectoires étatiques africaines - Clément Soriat p. 95-115 ResumeCet article analyse le cadrage de l'action publique béninoise de lutte contre le sida par la « gestion du cycle de projet », appréhendée comme un instrument d'action publique, ainsi que ses effets. L'un des principaux effets est la neutralisation politique et la « domestication » des acteurs associatifs. Par ce processus, des acteurs socialement et culturellement favorisés sont reconnus comme des partenaires de l'action publique. La gestion du cycle de projet opère ainsi comme un principe de discrimination sociale, les uns comme les autres s'appropriant à leur façon les règles du jeu. Enfin, les ressources de la lutte contre le sida accumulées par les acteurs les plus légitimes sont réinvesties dans des jeux de pouvoir locaux, avec pour conséquence la recomposition sociologique de l'État béninois.ENFORCEMENT AND OWNERSHIP OF THE FIGHT AGAINST AIDS IN BÉNIN: PUBLIC POLICY INSTRUMENTATION AS AN OBSERVATORY OF THE AFRICAN STATES TRAJECTORIESThis article analyzes the Beninese public policy on HIV/AIDS which has been framed by the “project cycle management”, a concept understood here as a public policy tool. A main consequence has been the political neutralization and “domestication” of associative actors. Through this process, socially and culturally privileged actors have been recognized as public policy partners. Thus, project cycle management can be seen as a principle of social discrimination, within which each actor has been trying to make their own the rules of the game. Finally, resources accumulated by the most legitimate actors in the framework of the public policy have been reinvested in local power plays, resulting in the sociological reconfiguration of the Beninese state.
- Quand les doyens et les enseignants lâchent leurs étudiants : Une nouvelle lecture des réformes à l'Université de Makerere en Ouganda (1986-2000) - Olivier Provini p. 117-139 ResumeCet article discute le processus de politiques publiques dans un État sous régime d'aide. À l'exemple de l'Ouganda (1986-2000) et des réformes de l'Université de Makerere, nous y interrogeons la capacité des acteurs universitaires à se mobiliser et à s'engager dans les configurations d'action publique. Autant, au Nord, la participation des acteurs de la société civile semble garantie par l'existence de cadres d'intervention participatifs, autant, en contextes africains, dans des situations de régime d'aide et parfois autoritaire, le caractère participatif des procédures paraît problématique et propice à des actions publiques pilotées par des experts internationaux. Nous défendons pourtant la thèse que même dans un État sous perfusion de l'aide internationale et dans un régime oscillant entre épisode démocratique et autoritaire, l'action publique demeure un processus dynamique de coproduction et nous renseigne sur la recomposition du champ académique ougandais. Cet article, issu d'une thèse en science politique, repose sur la mobilisation de données de seconde main, d'un travail dans les archives de l'Université de Makerere et sur la conduite d'entretiens semi-directifs rétrospectifs.WHEN DEANS AND LECTURERS ABANDON THEIR STUDENTS: THE REFORMS AT MAKERERE UNIVERSITY IN UGANDA (1986-2000)This article discusses policy processes in a state dependent upon aid. Based on the Ugandan experience (1986-2000) and the reforms undertaken at the University of Makerere in particular, we question the capacity of academic stakeholders to mobilise and to get engaged in public policy configurations. Whereas in the North, the participation of civil society actors seems to be ensured by frameworks promoting participatory intervention, this mode of action is less evident in African contexts which are often authoritarian and where public action gives the impression of being oriented by international experts. However, we argue that even in a state relying on international aid and fluctuating between democratic and authoritarian experiences, public action has remained a dynamic process of coproduction and which has nevertheless affected the reconfiguration of the academic field in Uganda. Stemming from a PhD thesis in political science, this article is based on secondary data, research in the archives of the University of Makerere, as well as on semi-structured retrospective interviews.
- Comptes rendus - p. 143-160