Contenu du sommaire : Les politisations de l'identité dans les Balkans contemporains
Revue | Revue d'études comparatives Est-Ouest |
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Numéro | vol. 38, no 4, 2007 |
Titre du numéro | Les politisations de l'identité dans les Balkans contemporains |
Les politisations de l'identité dans les Balkans contemporains
- Repenser la politisation des identités : les engagements militants dans les Balkans d'aujourd'hui - Nadège Ragaru p. 5-28
I. Minorités et politique : quels mécanismes d'articulation et de défense des intérêts collectifs ?
- Les Bulgares musulmans dans la vie politique après 1989 : un groupe politique anonyme - Margarita Karamihova, Nadège Ragaru p. 29-48 Cet article a vocation à décrire la participation des Bulgares musulmans à la vie politique de leur pays. Or l'examen des données disponibles montre qu'ils en sont d'une certaine manière absents. Les facteurs et les raisons de cet anonymat politique persistant sont analysés ici. Traditionnellement séparés en petits groupes, les Bulgares musulmans ne sont pas parvenus à se réunir autour d'un objectif commun susceptible de les conduire à investir l'espace politique et sont ainsi restés un groupe hétérogène, divisé, dans l'ombre. Faute de s'être pourvus d'une représentation politique propre, on peut supposer qu'ils rechercheront des porte-parole dans les partis politiques existants ou qu'ils se rassembleront sous leur égide.Bulgarian Muslims in politics since 1989: An anonymous political group The examination of available data suggests that Muslim Bulgarians are relatively absent from the country's politics. The factors and reasons underlying this persistent political "anonymity" are analyzed. Traditionally divided into small groups, these Muslims have not managed to unite around a shared goal that would attract them into the political arena. They have remained a divided, heterogenous group along the sidelines. Lacking their own political representation, they will probably look for spokesmen in existing political parties and/ or rally under their umbrella.
- ONG, mouvements et partis roms en Bulgarie : quels modes d'organisation pour quelle articulation des intérêts ? - Elena Marušiakova, Vesselin Zakhariev Popov, Nadège Ragaru p. 49-66 Cet article porte sur le processus d'investissement de la communauté rom dans le champ politique et dans un secteur des ONG qui a connu un développement très rapide après 1989. Avec le soutien financier et « l'expertise » de la communauté internationale, une « gipsy industry » a en effet émergé dans les années 1990 : censée fournir des réponses aux problèmes des Roms en Bulgarie, elle a eu des incidences ambiguës sur la définition et le traitement des questions roms, ainsi que sur l'articulation des intérêts des membres de cette communauté. La voie de la représentation politique n'a pas toujours fourni une alternative fructueuse aux ONG qui se sont multipliées grâce à des financements internationaux et, depuis 1990, les stratégies des entrepreneurs politiques roms ont fluctué dans l'espace et le temps. Dans un contexte de très forte visibilité sociale du « problème rom » sur l'agenda international et européen, l'articulation des définitions externes (par des organisations internationales, des fondations occidentales, des acteurs européens, etc.) et internes des enjeux roms demeure un défi majeur.Romani NGOs, movements and political parties in Bulgaria: Competing forms of organization and definitions of group interests The Romani community has become involved in politics and in NGOs, which have grown quickly since 1989. Given international funding and "expertise", a "Gypsy industry" emerged during the 1990. Though supposedly providing answers to the problems of Roma in Bulgaria, it has had an ambiguous impact on defining common interests for Romani communities and defending them. Political representation has not always been a worthwhile alternative to NGOs, which have multiplied thanks to international funding. Since 1990, the strategies of Romani political "entrepreneurs" have fluctuated. Some of them have wanted to run on the tickets of the so-called "generalist" parties, while others have tried to form a pact with the Movement of Rights and Freedom (which represents the Turkish minority's interests), and still others are supporting an alliance among Romani political formations that would reach beyond cleavages within the community. Given the visibility of the "Romani social problem" on the international and European levels, articulating the internal and external (international organizations, Western foundations, Europeans, etc.) definitions of the issues involved represents a major challenge.
- Les Bulgares musulmans dans la vie politique après 1989 : un groupe politique anonyme - Margarita Karamihova, Nadège Ragaru p. 29-48
II. Impact et stratégies des partis minoritaires dans le jeu politique des démocraties émergentes
- La communautarisation du politique en Bosnie-Herzégovine - Florian Bieber, Nadège Ragaru p. 67-82 La relation entre ethnicité et partis politiques en Bosnie-Herzégovine est analysée ici. Tout en défendant la thèse selon laquelle la prépondérance de l'ethnicité dans la vie politique bosnienne n'est en aucun cas un phénomène récent, pas plus qu'elle ne peut être imputée aux seuls effets des Accords de paix de Dayton, l'auteur n'entend pas pour autant suggérer que cette prépondérance est naturelle ou pérenne. Depuis la fin de la guerre en 1995, les partis politiques nationalistes se sont affaiblis et doivent à présent affronter la concurrence d'autres partis politiques plus modérés. Cependant, la compétition politique interpartisane se déroule davantage à l'intérieur de chaque groupe ethnique qu'entre des formations qui chercheraient à obtenir les suffrages de tous les électeurs bosniens quelle que soit leur communauté d'appartenance. La concentration territoriale des groupes ethniques provoquée par la guerre et le nettoyage ethnique a encore renforcé cette évolution.The politics of communities in Bosnia-Herzegovina While defending the thesis that the preponderance of ethnic politics in Bosnia is not at all a recent phenomenon, nor can it be blamed on the Dayton Agreement alone, this study of the relation between ethnic identities and political parties in Bosnia-Herzegovina does not seek to suggest that the prevalence of ethnicity is natural or permanent. Since the war ended in 1995, nationalist parties have waned and now have to compete with moderate parties. Interparty competition takes place more intensely within each ethnic group than between formations that are vying for the votes of Muslim Bosnians, Serbs and Croats regardless of their ethnic affiliation. This trend has been reinforced by the territorial concentration resulting from the war and ethnic cleansing.
- Les partis albanais en République de Macédoine : le cercle vicieux de l'ethnopolitique (1990-2006) - Ulf Brunnbauer, Nadège Ragaru p. 83-114 Cet article analyse les dynamiques de l'ethnopolitique en République de Macédoine entre 1990 et 2006 en se concentrant sur la minorité albanaise qui représente quelque 25 % de la population. Depuis les débuts du processus de démocratisation, les partis albanais ont joué un rôle majeur dans la vie politique macédonienne. Celle-ci a été principalement structurée autour de clivages ethniques, même si elle comprend également des éléments de clivage social et confessionnel. Lorsque la Macédoine est devenue indépendante en 1991, sa population albanaise avait subi des décennies de discrimination structurelle. L'ethnicité a dès lors été hautement politisée, d'où le développement d'une structure unanimement ethnique du vote. Si la participation des partis albanais au gouvernement depuis 1992 illustre leur implication dans la vie du pays, elle est également motivée par le désir de partager la rente du pouvoir. Le clientélisme ethnique et la corruption ont fortement érodé leur légitimité, ce qui, conjugué à l'intransigeance des hommes politiques macédoniens, a contribué à l'explosion de violence de 2001. Bien que la plupart des demandes albanaises aient été depuis lors satisfaites, les partis politiques albanais continuent à pratiquer le seul jeu qu'ils connaissent : celui de la mobilisation ethnique.Albanian parties in the Republic of Macedonia: The vicious circle of ethnopolitics (1990-2006) The Albanian minority, which makes up about 25% of Macedonia's population, suffered from decades of structural discrimination before the country's independence in 1991. Since democratization, Albanian political parties have played a major role in the politics of Macedonia, a country where cleavages run along mainly ethnic but also social and confessional lines. Highly politicized ethnic identities have led to unanimous voting patterns. Although the participation of Albanian parties in government since 1992 is evidence that they are stakeholders in the country, it has also been motivated by the desire to share in the spoils of power. Ethnic patronage and corruption have undermined the legitimacy of Albanian parties. This, along with the intransigence of Macedonian politicians, led to the outbreak of violence in 2001. Although most Albanian demands have been met in the meantime, their parties still play the only game they know: the ethnic one.
- Les partis minoritaires, des partis « comme les autres » ? Les expériences du MDL en Bulgarie et de l'UDMR en Roumanie - Antonela Capelle-Pogăcean, Nadège Ragaru p. 115-148 Au cours de la décennie passée, une abondante littérature a cherché à élucider les conditions d'émergence et de pérennisation des partis dits « ethniques » dans les sociétés plurales postcommunistes. Le plus souvent, ces études ont imputé les succès électoraux des partis minoritaires à l'existence d'un électorat ethnique supposé captif. Mais peut-on, sans dommages pour l'analyse, postuler une excep- tionnalité des partis ethniques ? L'observation des trajectoires du MDL en Bulgarie et de l'UDMR en Roumanie invite à la prudence. D'abord, l'offre identitaire ne saurait être conçue comme une donnée fixe et pérenne. Son importance relative et les définitions - changeantes - qui en sont données reflètent la concurrence entre acteurs minoritaires, la structuration des « clivages ethniques » dans l'espace politique et les relations entre partis « généralistes » et formations minoritaires. Ensuite, le succès électoral du MDL et de l'UDMR après 1989 doit également à l'organisation de la compétition politique autour d'une opposition fondatrice anti-communistes/excommunistes (et aux politiques d'alliance qui en sont résultées), ainsi qu'à la capacité des deux formations à fournir à certains membres des minorités des perspectives de mobilité sociale inédites.Minority parties - "parties like any other"? The MRF in Bulgaria and the DUHR in Romania In the past decade, many a study has tried to explain the emergence and durability of so-called ethnic political parties in pluralistic post-Communist societies. Most of these writings have ascribed minority party electoral victories to a supposedly captive ethnic base. But are ethnic parties an exception? The analysis of the trajectories of the Movement of Rights and Freedom (MRF) in Bulgaria and the Democratic Union of Hungarians in Romania (DUHR) suggests a different conclusion. For one thing, identities are not always or systematically tapped as a political resource. The relative importance of identity politics and the changing definitions of identities advocated by these parties depend on: competition among minority political entrepreneurs, the form given to "ethnic cleavages" in the political arena and the state of relations between "generalist" parties and minority formations. For another thing, the MRF's and DUHR's electoral successes after 1989 should also be set down both to the organization of political competition around the opposition between anti- and ex-Communists (and the resulting alliances) and, also, to the ability of the MRF and DUHR to provide some minority members with prospects for unprecedented social mobility.
- La communautarisation du politique en Bosnie-Herzégovine - Florian Bieber, Nadège Ragaru p. 67-82
III. Jeux d'échelle dans les politisations de l'identité: quelles solidarités transnationales ?
- Une convergence sous tension : les Magyars de Voïvodine et leur relation à la « mère patrie » - Alpar Losoncz, Nadège Ragaru p. 149-172 Cet article porte sur la relation politique entre une minorité et sa « mère patrie » et prend l'exemple des rapports des Hongrois de Voïvodine (Serbie) avec la Hongrie. Il met en évidence l'existence de contradictions, dues à des trajectoires sociales différentes, entre les intérêts des partis ethniques hongrois en Voïvodine et des formations politiques de la Hongrie. Depuis 1989, chaque gouvernement hongrois a proclamé son engagement en faveur d'une unité eth no culture Ile transcendant les frontières mais les significations attribuées à cette « unité » ont varié. Plus généralement, la politique étrangère hongroise a été dominée par les objectifs d'intégration euro-atlantique, lesquels n'ont pas toujours concordé avec ceux de la politique des minorités. Dans un contexte où, ces dernières années, les rapports intercommunautaires en Voïvodine se sont dégradés, les risques d'une marginalisation des Hongrois de Voïvodine - séparés de la Hongrie par le « rideau de fer » de la politique des visas - sont particulièrement saillants.the interests of ethnic Hungarian political formations in the province and parties in Hungary itself. Every Hungarian government since 1989 has proclaimed its support for an ethnic-based cultural unity that transcends borders, but the meanings assigned to this "unity" vary. The objectives of integrating Hungary in Europe and in NATO, which have been top priorities on the country's foreign policy agenda, have not always been compatible with the goals of minority policies. In recent years, relations between communities in Voivodina have changed for the worse. As a consequence, Hungarians in the province risk being disenfranchised and separated from Hungary by an "iron curtain" of visas.
- Les Aroumains en Roumanie depuis 1990 : comment se passer d'une (belle-)mère patrie devenue encombrante - Nicolas Trifon p. 173-200 L'auto-identification d'une partie significative des Aroumains comme groupe distinct de la nation roumaine a surpris. En effet, leur langue, issue du latin, est a priori proche du roumain et, pendant les dernières décennies de l'existence de l'Empire ottoman, les écoles destinées aux Aroumains vivant dans la région située au carrefour de la Grèce, de l'Albanie, de la République de Macédoine et de la Bulgarie actuelles étaient financées par l'État roumain. Or c'est de cette région que proviennent les Aroumains de Roumanie, installés pour la plupart comme colons dans la Dobroudja du Sud pendant la période 1925-1932. L'auteur se propose de reconstituer le débat ayant opposé partisans et adversaires du statut de minorité nationale pour les Aroumains tout au long de l'année 2005 et d'analyser ses enjeux, tant en Roumanie qu'à l'échelle des Balkans. Il interroge ce faisant les modes de construction des identités au sein des communautés aroumaines, ainsi que les formes de mobilisation auxquelles elles donnent lieu.Aromanians in Romania since 1990: How to do without a cumbersome fatherland? The self-identification of a significant number of Aromanians as a distinct group in Romania came as a surprise. Not only is their Latin- based language close to Romanian; but also, during the last decades of the Ottoman Empire, Romania funded schools for Aromanians living along the borders shared by Greece, Albania, Macedonia and Bulgaria. The Aromanians in Romania moved from this area, and most of them settled in southern Dobruja between 1925 and 1932. Following a description of the arguments used, in 2005, by advocates and opponents of granting Aromanians the status of "national minority", the stakes are evaluated at the scale of Romania and of the Balkans. Questions are raised about the formation of a sense of identity in Aromanian communities and the forms of political activism arising out of it.
- Une diaspora de l'intérieur? Le discours des responsables d'une organisation vorio-épirote à Athènes - Alexandra Nestoropoulou, Pierre Sintès p. 201-224 Depuis le début des années 1990, la Grèce a accueilli en grand nombre des migrants provenant des États de l'Europe balkanique au point de devenir l'un des pays de l'Europe communautaire où la part des étrangers dans la population totale est la plus élevée. Avec 438 000 personnes, les Albanais constituent de très loin le groupe le plus important parmi les 700 000 étrangers recensés sur le sol grec en 2001. Pourtant, certains de ces migrants ne bénéficient pas du même traitement que les autres. Ils sont en effet considérés, tant par les autorités grecques que par la population, comme des membres de la diaspora grecque en raison d'une helléno- phonie réelle ou supposée. Ces personnes, les Vorioépirotès (ou Épirotes du Nord), sont aujourd'hui nombreuses à vivre en Grèce. À partir de la situation de ce groupe, envisagée au travers des propos de l'une de ses associations, nous proposerons un point de vue sur la genèse des discours émanant d'une formation diasporique.A domestic diaspora? The discourse of the leaders of an organization of Greek Albanians in Athens Since the early 1990s, a large number of migrants from the Balkans have come to Greece, now one of the EU member-states with the highest percentage of foreigners in its population. The 438.000 Albanians form, by far, the largest group among the 700.000 aliens registered in Greece in 2001. Not all migrants are treated alike. Greek authorities and the local population see some of them as belonging to a Greek diaspora with real or assumed Hellenic origins. This holds for the Vorioepirotes (Greek Albanians or northern Greeks), many of whom now live in Greece. A Vorioepirote association's declarations are analyzed to propose an interpretation of the origins and development of a discourse about a diaspora.
- Une convergence sous tension : les Magyars de Voïvodine et leur relation à la « mère patrie » - Alpar Losoncz, Nadège Ragaru p. 149-172
Revue des livres
- Sébastien Peyrouse, Turkménistan, Un destin au carrefour des Empires - Taline Ter Minassian p. 226-228
- Petia Koleva, Nathalie Rodet-Kroichvili, Julien Vercueil (dir.), Nouvelles Europes : trajectoires et enjeux économiques - Assen Slim p. 228-231
- Wladimir Andreff, Économie de la transition. La transformation des économies planifiées en économies de marché - Julien Vercueil p. 232-238
- Abstracts - p. 239-242