Contenu du sommaire : Débats
Revue | Cahiers d'économie politique |
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Numéro | no 75, été 2018 |
Titre du numéro | Débats |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Économie et philosophie de l'exploitation : introduction - Fabrice Tricou, Antoine Rebeyrol p. 7-11
- Les mutations de l'expression « exploitation de l'homme par l'homme » chez les saint-simoniens (1829-1851) - Vincent Bourdeau p. 13-41 Cet article analyse l'apparition de l'expression « exploitation de l'homme par l'homme » sous la monarchie de Juillet dans les milieux saint-simoniens et suit son évolution jusqu'en 1851. L'expression permet de comprendre la société issue de la Révolution française à partir de la division antagoniste du social en deux classes : la bourgeoisie et le prolétariat, qui remplacent le schème industrieux/oisifs utilisé par Saint-Simon auparavant. Les saint-simoniens républicains resituent l'exploitation au sein du monde industriel lui-même, affirmant qu'elle doit être surmontée non en niant les divisions de la société, mais en les intégrant dans une architecture institutionnelle spécifique.JEL : B14, J53This article analyses the emergence of the expression “exploitation of man by man” under the July monarchy in Saint-Simonian circles and follows its evolution until 1851. The expression enables those circles to understand post-revolutionary society as a divided society between two antagonistic social classes: the bourgeoisie and the proletariat. This new vision of society replaces the industrious/idle scheme used by Saint-Simon. Republican Saint-Simonians resituate exploitation within the industrial world itself, claiming that this exploitation must be overcome not by denying the divisions of society, but by integrating them into a specific institutional architecture.
- D'où vient la théorie de l'exploitation de Marx ? - Pierre Le Masne p. 43-70 Le papier s'interroge sur les origines de la théorie de l'exploitation de Marx et insiste sur le rôle de Quesnay et de Turgot. L'approche marxiste de l'exploitation doit également à Smith et Ricardo, mais en s'appuyant trop sur Ricardo et sur une mesure en temps de travail de la valeur, Marx rend la mesure empirique de l'exploitation impossible. Il est mis en avant une mesure en prix, dérivée de la théorie du surplus de Quesnay et conservant l'idée que le travail est l'origine de la valeur. La comptabilité nationale doit être la base de l'analyse et il est nécessaire de prendre en compte le rôle de l'État.Codes JEL : B14, B51The paper wonders about the origin of Marx's exploitation theory and insists on the influence of Quesnay and Turgot. The Marx's exploitation theory owes also to Smith and Ricardo. But relying too much on Ricardo and on a measurement of value in labour time, Marx renders impossible a measurement of exploitation. We put forward a price measurement of exploitation, based on Quesnay's surplus theory which maintains the idea that labour is the origin of value. National accounting should be the basis of analysis and it is necessary to take account of the role of the State.
- Une conception économique de l'exploitation : Smith, Marx et Torrens - Carlo Benetti, Antoine Rebeyrol p. 71-84 Nous privilégions une conception de Marx selon laquelle l'exploitation est la conséquence directe de la séparation des travailleurs de leurs moyens de production, et montrons qu'elle est indépendante de la question de leur niveau de vie. Notre objectif est de présenter une formulation économique cohérente de cette idée, ce qui implique entre autres l'abandon de la théorie de la valeur travail. Notre méthode, dont l'origine remonte à Smith, consiste à comparer deux états d'une même économie selon que le produit du travail appartient ou non entièrement au travailleur. Nous construisons le premier état dans un modèle inspiré de Torrens où le surplus positif se définit par le fait qu'il est égal à l'accumulation nette. L'exploitation apparaît alors comme la pure appropriation de ce surplus par une classe de non-travailleurs.JEL : B12, B14, B51This paper adopts one of Marx's conceptions of the exploitation of labour as a direct consequence of the legal separation of the workers from their means of production and shows that such exploitation is independent of the issue of their standard of living. Our aim is to propose a coherent economic formulation of this idea which implies, among other things, to give up the labour theory of value. Our analytical method, the origin of which goes back to Smith, consists in comparing two institutionally different states of the same economy according to whether or not the product of labour wholly belongs to the worker. We construct the first state as a model, inspired by Torrens, in which the surplus is defined by the net accumulation. Exploitation then appears as the pure and simple appropriation of such a surplus by a class of non-workers.
- L'exploitation comme domination - Emmanuel Renault p. 85-100 Cet article cherche à montrer que la théorie marxienne de l'exploitation capitaliste repose sur deux prémisses relativement indépendantes, une théorie de la valeur et une théorie de la domination, et qu'il est possible et fructueux de s'attacher à cette seconde prémisse pour aborder la question de l'exploitation dans Le Capital. La première partie explique pourquoi la conception marxienne de l'exploitation capitaliste est relativement indépendante de la théorie de la valeur. La deuxième partie distingue les différentes formes de domination qui interviennent dans le mécanisme de l'exploitation capitaliste. La troisième partie considère une objection : les formes spécifiquement capitalistes de la domination sont des dominations impersonnelles fondées en dernière instance dans l'exigence de valorisation de la valeur. La conclusion met en lumière ce qui semble constituer l'intérêt durable de l'analyse marxienne du rapport entre domination et exploitation capitaliste, à savoir d'une part un programme de recherche sur les transformations des formes d'exploitation, et d'autre part un programme de recherche sur la place des rapports de pouvoir dans les phénomènes économiques.JEL : B4This article shows that Marx' theory of exploitation is grounded in two independent theories: a theory of value and a theory of domination. It suggests that it is fruitful to read Marx' account of exploitation in Capital from the point of view of the second of these two theories. The first part explains the reason why it should be considered that Marx' theory of capitalist exploitation is partly independent from his theory of value. The second part analyzes the various forms of domination that play a role in the process of capitalist exploitation. The third part considers a possible objection: what is distinctive in the capitalist forms of domination would be their abstraction, and this abstraction would originate in the abstraction of value and capitalist valorization. The conclusion suggests that the most fruitful implications of Marx's account of exploitation as domination concern, on the one hand, research programs on the transformations of capitalist exploitation, and on the other hand, research programs on the role of power relation in economy.
- Une théorie économique de l'exploitation salariale - Jean Cartelier p. 101-118 La thèse défendue dans ce qui suit est que le salaire n'est pas le prix d'une marchandise (bien ou service) s'établissant sur un marché ; il est le paiement par lequel des individus, ne pouvant être producteurs de marchandises, acceptent de travailler au sein d'une entreprise sous le contrôle et pour le compte d'un entrepreneur. La différence entre le statut de salarié et celui de l'individu marchand est à la source d'une exploitation inhérente à la relation salariale (exploitation identifiée par Marc Fleurbaey comme étant la M-exploitation).JEL : A 10, B 20, J 30Wages are not the price of a commodity or a service supposed to be determined on a “market for labour”; wages are just payments which make economic agents deprived of any possibility to produce commodities for the market accept to be associated with entrepreneurs and to work under their control and for their own account. The difference between being a wage-earner or being a producer for the market is at the root of an exploitation inherent in wage relationship (exploitation of the type M-exploitation by reference to Marc Fleurbaey's classification).
- Valeur(s), exploitation et économie des conventions - Olivier Favereau p. 119-145 Le programme conventionnaliste entend déplacer les conventions du langage théorique en économie vers une réimbrication des dimensions « coordination » et « reproduction », tout en autorisant une interpénétration des deux autres dimensions « valeurs » et « rationalité ». Cela a conduit Boltanski et Chiapello (1999) à considérer l'exploitation et la justification comme l'inverse l'une de l'autre. Un lien direct avec Marx devient possible. Marx fait toutefois apparaître l'exploitation non dans l'espace des prix mais dans un espace des valeurs, objectivement mesurables (en heures de travail abstrait), alors que l'économie des conventions opère avec un espace des valeurs, au sens commun, normatif, du terme, mobilisant des entités intersubjectives (telle la justice). Le grand projet marxien d'intelligibilité du capitalisme à partir de la mise à nu de l'injustice capital/travail n'est pas prisonnier de la théorie de la valeur-travail. La distinction conventionnaliste de l'entreprise et de la société, dissimulée dans le « Régime d'Intersubjectivité et de Normativité » néolibéral, permet de faire apparaître dans le nouvel espace des valeurs, un usage indu du droit de propriété par les actionnaires de la société, qui s'approprient, au-delà des revenus de facteurs, le revenu proprement collectif de l'organisation qu'est l'entreprise. Cette forme d'exploitation, objectivement mesurable, entrevue par Proudhon dès 1840, ne peut être remise en cause sans la généralisation de la codétermination, dans le gouvernement des entreprises.Codes JEL : A1, B14, B51, B52, D23, G3, K2, L22The conventionalist program aims at displacing the conventions of the theoretical language of economics towards overlapping the dimensions « coordination » and « reproduction », while allowing interpenetration of the two other dimensions « value » and « rationality ». That has led Boltanski and Chiapello (1999) to define exploitation and justification as the opposite of one another. A direct link with Marx becomes possible. Still there is the problem that Marx finds exploitation not in the space of prices but in a space of values, objectively measurable (in abstract labour hours), whereas the economics of convention works with a space of values, in the common-sense (normative) meaning of the word, using intersubjective entities (such as justice). The grand Marxian project of making sense of capitalism by revealing the unjust relationship between labour and capital, may not be stuck to the labour-value theory. The conventionalist distinction between company and firm, obscured by the neo-liberal Regime of Intersubjectivity and Normativity, makes it possible to show the unjustified recourse to ownership by share-holders who claim to get the full collective income of the firm as an organization (after payment of the factor-incomes). That form of exploitation, objectively measurable, guessed by Proudhon as soon as 1848, cannot be questioned as long as corporate governance is not converted into codetermination (Board Level Employee Representation).
- Exploitation productive, injustice systémique et injustice distributive - Fabrice Tricou p. 147-172 L'exploitation productive peut être identifiée par une discordance entre un état de fait et une situation idéale déterminée par une règle de justes contributions et rétributions. Cette norme de répartition peut qualitativement exprimer une notion plus ou moins exigeante de justice : commune humanité, égalité formelle, égalité réelle. Et cette norme de répartition peut quantitativement s'exprimer par plusieurs règles de « justice d'égalité » (égalitarisme ou proportionnalisme) ou de « justice supérieure » (productivisme ou utilitarisme). La violation d'une règle donnée de justice engage un mode d'exploitation qui peut être anomique (comportement de passager clandestin), ou statutaire, ou mystificateur. Au niveau systémique, la dénonciation de l'exploitation féodale, qui est statutaire, opère comme critique axiologique de l'organisation hiérarchique par une vision égalitaire ; alors que la démonstration d'une injustice à l'œuvre dans la relation salariale repose sur l'élucidation théorique de la notion de profit : l'exploitation capitaliste est mystificatrice.Classification JEL : D63, P50, D33Productive exploitation may be identified through the discrepancy between a de facto situation and an ideal state determined by a rule of fair contributions and retributions. Such a distribution norm may qualitatively express a more or less strict idea of justice: common humanity, formal equality and effective equality. The distribution norm may also be quantitatively expressed by several rules of “balanced justice” (egalitarianism, proportionalism) or of “superior justice” (productivism, utilitarianism). The violation of a given rule of justice embodies a form of exploitation which may be anomic (free riding behavior), statutory or deceptive. At the systemic level, the denunciation of feudal exploitation, which is statutory, operates as an axiological critique of the hierarchical organization stemming from an egalitarian ideology; while the exposure of injustice at work in the wage relationship rests on a theoretical clarification of the notion of profit: capitalist exploitation is deceptive.
- Justice acquisitive, liberté négative et exploitation : le libertarisme est-il cohérent ? - Christian Lazzeri p. 173-201 Le libéralisme classique n'a que peu abordé théoriquement la question de l'exploitation économique ; à l'inverse, le libertarisme (de droite comme de gauche) tente de rendre compte de ce phénomène à partir du concept central de liberté négative. Une telle option théorique tend à mettre en valeur l'asymétrie entre les libres transactions marchandes et la coercition exercée par des groupes sociaux ou par l'État qui représente la seule définition possible du concept d'exploitation. Au plan normatif, les principes libertariens de justice acquisitive constituent tout à la fois la justification de l'inégalité de la propriété et de l'échange marchand et le principe d'une critique de l'exploitation. L'article interroge la possibilité de construire un concept d'exploitation consistant au moyen des concepts de liberté négative et de justice acquisitive.Codes JEL : D31, D63, D86, J01, J21, J41, P1, P14, P26Classical liberalism has only theoretically touched on the question of economic exploitation. On the contrary, libertarianism (right and left) tries to account for this phenomenon from the central concept of negative freedom. Such a theoretical option tends to highlight the asymmetry between free market transactions and the coercion exercised by social groups or by the State, which represents the only possible definition of the concept of exploitation. At the normative level, the libertarian principles of acquisitive justice constitute both the justification for the inequality of property, market exchange and the principle of a critique of exploitation. The article questions the possibility of constructing a concept of exploitation consisting of the concepts of negative freedom and acquisitive justice.
- Can the Concept of Exploitation be Associated with that of Inferiorisation? A Critical Analysis - Alice Nicole Sindzingre p. 203-226 Le concept d'exploitation a été l'objet de nombreuses analyses. Une question a été cependant moins investiguée, celle de la relation de ce concept avec celui d'« infériorisation », définie comme les croyances et normes conduisant un individu à placer un autre individu dans une position inférieure. L'article montre qu'une analyse des liens entre ces deux concepts mène à une aporie : le concept d'exploitation semble impliquer celui d'infériorisation, mais simultanément, la définition théorique de l'exploitation capitaliste d'un être humain est incompatible avec celle de son infériorisation.The concept of exploitation has been the subject of innumerable studies. A less investigated issue, however, is the relationship of this concept with that of ‘inferiorisation', i.e. the beliefs and norms that induce an individual to place another individual in an inferior position. The article argues that the analysis of the links between the two concepts leads to a theoretical puzzle: the concept of exploitation seems to imply that of inferiorisation, but simultaneously, the theoretical definition of the capitalist exploitation of a human being is incompatible with that of his inferiorisation.JEL: B40, B52, Z1
- Paiements, esclavage et exploitation : éléments d'un triptyque - Christophe Darmangeat p. 227-253 On construit une base de données portant sur 240 sociétés afin de tester les relations entre stockage, esclavage et paiements. Les résultats confirment globalement les propositions d'Alain Testart. Les paiements constituent un indice globalement sûr de la présence de la richesse et de l'exploitation et, à de très rares exceptions près, c'est au sein de cet ensemble social que se rencontre l'esclavage. Dans une perspective matérialiste, l'origine techno-économique des paiements doit toutefois être située, au-delà du seul stockage alimentaire, plus largement dans la production de biens meubles, durables et nécessitant une importante quantité de travail.JEL Codes: Z13, B14We are building a database dealing with 240 societies in order to evaluate the relationships between storage, slavery and payments. As a whole, the results confirm Alain Testart's statements. Payments stand as an overall reliable indication of the presence of wealth and exploitation; with very few rare exceptions, slavery is identified within this set of societies. In a materialistic perspective, we locate the technical-economical origin of payments not only in food storage but, more widely, in the production of movable and durable goods whose manufacturing require a large amount of work (“W goods”).
- Quelle place pour le concept d'exploitation ? - Stéphane Haber p. 255-261
- Que désigne le terme d'exploitation ? - Claire Pignol p. 263-270
- Quel horizon normatif pour la cartographie d'une exploitation multidimensionnelle ? - Élisabeth Tovar p. 271-277
- L'exploitation et ses multiples formes : réponse aux commentaires - Marc Fleurbaey p. 279-283