Contenu du sommaire : En bas à droite

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 31, no 122, 2018
Titre du numéro En bas à droite
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 3-5 accès libre
  • Dossier : En bas à droite

    • En bas à droite : Travail, visions du monde et prises de position politiques dans le quart en bas à droite de l'espace social - Amélie Beaumont, Raphaël Challier, Guillaume Lejeune p. 9-31 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article revient sur le débat sur la droitisation des classes populaires et défend une approche relationnelle et localisée en s'appuyant sur le concept d'espace social tel que défini par P. Bourdieu. L'objectif est d'analyser le rapport au politique de groupes ayant plutôt peu de ressources (situés dans la moitié basse de l'espace social), mais disposant de relativement plus de capital économique que de capital culturel (situés à droite de l'espace social). En cherchant à percevoir les différences au sein des groupes peu dotés, on se donne les moyens de penser dans la nuance un phénomène (le vote à droite et à l'extrême droite) qui n'est ni tout à fait nouveau ni uniforme. Les enquêtes par immersion apparaissent particulièrement ajustées pour saisir les logiques sociales à l'œuvre dans les relations distantes au politique qui caractérisent souvent ces groupes. Cette introduction présente enfin les principaux résultats qui ressortent des recherches sur le quart « en bas à droite » réunies dans ce dossier. Le texte aborde ainsi la place du travail, les visions du monde qui résultent des configurations dans lesquelles sont pris les groupes, et le rôle déterminant de l'offre politique dans la conversion de ces visions du monde en prises de position politiques.
      This article revisits the debate on the shift to the right of the working classes and advocates for a relational and localized approach in order to take a different look at these questions, starting from the concept of social space as defined by Pierre Bourdieu. The goal is to analyze the relationship to politics of groups with rather few resources (located in the lower half of the social space), but with relatively more economic capital than cultural capital (located on the right of the social space). By seeking to perceive the differences among poorly endowed groups, we give ourselves the means to think in subtle shades about a phenomenon (the right-wing and far-right vote) that is neither entirely new nor uniform. Immersion fieldworks appear to be particularly well suited to capture the social logics at work in the distant relationships to politics that often characterize these groups. The introduction then presents the main results of the research on the “bottom right” quarter gathered in this special issue. The text thus addresses the place of work, the worldviews that result from the configurations in which groups are taken, and the decisive role of the political offer in the conversion of these worldviews into political positions.
    • S'engager « du côté des gens bien » : La conscience sociale légitimiste des soutiens populaires de l'UMP en banlieue parisienne - Raphaël Challier p. 33-56 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les partis de droite sont souvent perçus comme des « partis de riches » dépourvus de base militante. L'article déconstruit ces représentations à partir d'une enquête de terrain auprès de militants de l'Union pour un mouvement populaire (UMP) en banlieue parisienne lors des élections municipales de 2014. Comment des membres des classes moyennes et des classes populaires, dans une ville de banlieue qui vote majoritairement à gauche, en viennent-ils à soutenir l'UMP ? Ces politisations à droite s'expliquent largement par les trajectoires sociales des militants. Certains ont connu des formes d'ascension sociale via les professions commerciales et l'entrepreneuriat, d'autres sont des ouvriers et employés issus des classes aisées qui veulent retrouver leur statut social passé. Ces différentes trajectoires conduisent les enquêtés à militer « à droite » et à développer une conscience sociale légitimiste, qui valorise les élites économiques tout en dénigrant les fractions inférieures des classes populaires et les classes moyennes intellectuelles.
      Right-wing political parties are often viewed as “parties of the rich,” deprived of grassroots activists. This article deconstructs this representation by referring to a piece of field research carried out in the Paris region during the 2014 local elections. How do members of the working and middle classes in a suburban city where the left-wing vote is dominant come to support a right-wing party such as the UMP? The right-wing vote is primarily explained by the social trajectories of the activists. Some of them achieved upward social mobility through small business-owning and entrepreneurship, while others are blue-collar workers and low-level employees coming from a higher social background who wish to regain their former social status. These two types of trajectories led the members of the studied group to campaign “for the right” and to develop a legitimist social conscience that values the economic elite while disparaging the inferior layers of the working classes, as well as middle-class intellectuals.
    • « Déjà nous » : Un sentiment d'appartenance sélectif en milieu populaire - Benoît Coquard p. 57-78 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse le contexte et les portées d'une expression de terrain, tirée d'une enquête en milieu populaire rural. Pour des ruraux d'entre 25 et 35 ans environ, « déjà nous » exprime le fait de faire passer les « vrais potes » avant les autres et de se sentir solidaires de ses amis dans des oppositions communes. Cette expression est valorisante, car elle marque l'appartenance à un collectif durable. Elle est plutôt typique des fractions stables des jeunes de classes populaires enquêtés et exprime le fait que le groupe amical est clairement restreint par rapport à l'interconnaissance locale, qu'un tri est nécessaire dans la solidarité. Ainsi, le « déjà nous » témoigne d'une conscience aiguë des antagonismes et concurrences (notamment sur le marché du travail) qui traversent les classes populaires dans des contextes où l'on observe également de fortes affinités avec l'extrême droite. L'article propose alors d'examiner ces correspondances entre une conscience commune d'intérêt restreinte à quelques individus et le fait d'être en accord avec ce type de pensée politique.
      This article analyzes the context and clout of a colloquial expression heard during the study of a rural working-class setting. Among 25- to 35-year-old subjects, “Déjà nous”—“us before them” or “just us”—means prioritizing those considered to be “true friends,” and with whom one stands in solidarity in the face of common opposition. This expression is a reaffirming one, as it reflects an enduring feeling of belonging to a group. It is typically used by the stable fractions of the working-class youth that we encountered, and it implies that there is a necessary selectivity in such solidarity, binding the group together against the wider local community members. “Déjà nous” expresses a sharp awareness of local antagonisms and competition (particularly in the local job market) that permeate the working classes in contexts in which strong affinities with the extreme right are most notable. The article examines the connections between a “déjà nous” consciousness and the penchant for this type of political position.
    • Tirer parti de l'ordre établi ? : Les socialisations politiques au travail dans un hôtel de luxe - Amélie Beaumont p. 79-105 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une ethnographie d'un hôtel de luxe et de ses employés, cet article contribue à l'étude de la place du travail dans la formation du rapport au politique. J'analyse deux matrices de socialisation repérées sur ce terrain. La première, puissante, prend racine dans l'organisation du travail et des carrières : l'attachement au fonctionnement traditionnel du secteur imprime chez les employés des dispositions conservatrices de l'ordre établi. Ces visions du monde, profondément intériorisées, sont cependant peu converties en prises de position politiques explicites. La seconde matrice est issue du travail de politisation du rapport salarial par le syndicat. Le sentiment de vulnérabilité des employés face aux changements imposés par la direction les conduit à soutenir la CGT locale, malgré leur réticence vis-à-vis des syndicats. Mais les opinions politiques contestataires défendues par la section entrent en conflit avec les dispositions entretenues par la première matrice. L'influence respective de ces deux socialisations dépend finalement du contexte de travail et des trajectoires antérieures des employés, générant des oppositions entre salariés mais aussi des tensions à l'échelle individuelle.
      Based on an ethnographic study of a luxury hotel and its employees, this article contributes to the study of the workplace in the formation of the relationship to politics. I analyze two socialization matrices identified in this fieldwork. The first one is powerful and rooted in work and career organization: the attachment to the traditional functioning of the sector imbues employees with the conservative dispositions of the established order. These deeply internalized worldviews, however, are rarely converted into explicit political positions. The second matrix is the result of the union's work to politicize employment relations. Employees' sense of vulnerability to changes imposed by management leads them to support the local union, despite their reluctance to join the unions. But the contesting political opinions defended by the union conflict with the dispositions maintained by the first matrix. The respective influence of these two socializations ultimately depends on the work context and employees' previous trajectories, generating opposition between workers but also tensions at the individual level.
    • Les chauffeurs de taxi face à Uber : Une mise à l'épreuve économique et politique - Guillaume Lejeune p. 107-130 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Au début de l'année 2014, l'expansion de l'entreprise Uber et des chauffeurs affiliés a entraîné de vives réactions dans le secteur du taxi parisien. Par des mobilisations répétées, ils ont fait savoir leur opposition à cette nouvelle concurrence mettant en cause un marché du travail jusque-là régulé. L'objet de cet article est de saisir les effets de cette mise à l'épreuve professionnelle sur leurs orientations politiques vis-à-vis de dynamiques en apparence contraires : celles des aspirations économiques qu'ils déclarent poursuivre, les positionnant à la droite de l'espace social et politique, et celles liées à la dérégulation de leur activité et portées par une philosophie économique d'obédience libérale. L'étude montre que, sur ce plan, les faisceaux d'opinions des chauffeurs de taxi sont en lien avec l'orientation de la politisation de leur mouvement et s'opposent dans les formes d'accommodements à la situation qui s'enracinent dans des divisions sociales et professionnelles plus profondes.
      At the beginning of 2014, the expansion of the Uber company and its affiliated drivers provoked strong reactions in the Parisian taxi industry. Through repeated mobilizations, they have indicated their opposition to this new competition challenging a hitherto regulated labor market. The purpose of this article is to understand the effect of this professional test on their political orientations in relation to apparently contradictory dynamics: those of economic aspirations that they claim to pursue, positioning them to the right of the social and political space, and those linked to the actual deregulation of their activity and driven by an economic philosophy of liberal obedience. The study shows that, in this regard, the opinion clusters of taxi drivers are related to the direction of the politicization of their movement, and that they differ in terms of the forms of accommodation to the situation that are taking root in deeper social and professional divisions.
    • Des « ouvriers en costume-cravate » ? : Mobilité économique et ancrage à droite des classes populaires frontalières - Stéphane Latté, Simon Hupfel p. 131-161 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'une enquête de terrain conduite auprès d'un groupe de travailleurs frontaliers résidant dans un canton rural de l'Est de la France, cet article explore les représentations du monde social et l'ancrage politique à droite d'une fraction atypique des classes populaires – des travailleurs subalternes argentés. Dans une première partie, il s'agit de saisir les spécificités de la migration frontalière (une « migration sur place ») et de documenter une forme originale de mobilité sociale : des trajectoires d'enrichissement sans « embourgeoisement », une mobilité économique à l'état brut qui ne s'accompagne ni d'une conversion de la richesse en capital culturel ni d'une acculturation aux styles de vie des classes supérieures. Puis, en décrivant les relations qu'entretiennent ces migrants de classe économique avec les élites locales diplômées, nous montrons comment le travail frontalier contribue à produire un ordre social à front renversé dans lequel le revenu destitue le diplôme comme fondement des légitimités. Enfin, le cas de ces salariés – souvent subalternes, mais stables professionnellement et assurés de revenus conséquents – permet d'interroger les limites d'une lecture symptomatologique de la « droitisation des classes populaires ». En effet, irréductible à une crise de la reproduction – du monde ouvrier ou de l'entre-soi rural –, l'ancrage à droite se donne plutôt comme le produit de la reproduction sociale réussie de salariés industriels dont la promotion économique se nourrit à la fois d'une fidélité au groupe d'origine et d'une démonstration des mérites individuels au travail.
      This article is based on field work about a group of workers residing in a rural county of Northeast France and employed across the nearby border with Switzerland. It aims to understand their representations of the social order and the reasons why these wealthy subordinate workers traditionally and massively vote for right-wing parties. First, we present some empirical elements to depict this “on site” migration in order to study the phenomenon it produces: an economic mobility unaccompanied by any significant change of social behavior. Indeed, this raw economic mobility does not lead these workers to invest in human capital, nor to adapt their way of life to the habits of the upper classes. Secondly, we examine the relationships between this group of wealthy workers and educated local elites in greater detail. These relationships exhibit a reversal of the traditional order, where income substitutes for diplomas as a source of legitimation. Finally, we focus on the workers' position—professionally stable with secure and substantial incomes—to question the hypothesis that their political preferences are symptomatic of a conversion of the working classes to right-wing platforms. Far from being explained by a crisis of the traditional working-class social framework—through lower revenues, social downgrading, the splitting-up of social relationships, and the weakening of collective organizations—their adherence to right-wing political values seems rather to be the outcome of a successful social reproduction.
  • Varia

    • La mise en place d'un système d'orientation scolaire aux lendemains de Mai-Juin 68 : entre rénovation pédagogique et reflux conservateur (1968-1973) - Paul Lehner p. 165-185 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      C'est au début des années 1970 que s'est constitué le système d'orientation scolaire que nous connaissons aujourd'hui. L'Office National d'Information Sur les Enseignements et les Professions, les Nouvelles Procédures d'Orientation et la définition d'un statut pour les conseillers d'orientation, furent en effet institués entre 1970 et 1973, et avec eux, l'information, le dialogue et la concertation, placés au cœur du système d'orientation scolaire. Néanmoins, ces réalisations coïncident avec le retour à l'ordre scolaire impulsé par O. Guichard puis J. Fontanet. Cet article se propose de restituer les logiques qui président à l'intégration de la critique de l'arbitraire, exprimée notamment durant les événements de Mai-Juin 68, dans la politique scolaire du début des années 1970.
      It was at the beginning of the 1970s that the system of school guidance that we know today was constituted. The National Office for Information on Teaching and Professions, New Guidance Procedures, and a status for guidance counselors were in fact instituted between 1970 and 1973. With them, information, dialogue, and consultation were placed at the heart of the school guidance system. Nevertheless, these achievements coincided with the reflux led by Olivier Guichard and then Joseph Fontanet. This article proposes to bring out the dynamics that preside over the integration of the criticism of arbitrariness, expressed in particular during the events of May-June 1968, in the conservative school policy in the early 1970s.
    • « Mai 68 » : fenêtre d'opportunité pour un haut fonctionnaire au placard : Jacques de Chalendar et la politique universitaire - Christelle Dormoy-Rajramanan p. 187-220 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À partir d'archives, d'entretiens et de témoignages, cet article propose de suivre la trajectoire de Jacques de Chalendar, haut fonctionnaire de l'Inspection générale des finances alors en disgrâce, aux cours des événements du « Mai 68 » français. Cet aristocrate gaulliste saisit la situation de crise pour se faire expert de la réforme universitaire et finit par se faire recruter en tant que tel dans les deux cabinets ministériels de l'Éducation nationale qui succèdent à celui initialement en place. Ce cas individuel illustre des effets possibles de l'« événement » sur une biographie particulière et apporte un éclairage, en retour, sur le rôle des individus, ici les responsables de la politique scolaire, sur le cours des événements. L'étude de cette trajectoire et de sa rencontre avec ce moment historique particulier contribue ainsi à la sociologie de la décision publique en conjoncture de crise.
      Based on archives, interviews, and testimonies, this study aims to follow the trajectory of Jacques de Chalendar, a senior official from the Finance Inspectorate during the French “May 68” events. This Gaullist aristocrat, at the time in disgrace, took advantage of the crisis situation to become an expert on the matter of university reform. He succeeded in being recruited into the two cabinets of the National Ministry of Education that had replaced the initial one. This individual case exemplifies the possible effects of the “events” on a specific biography. It highlights the role of individuals, in this case responsible for educational policy, in the course of the events. The study of this trajectory and its encounter with this particular historical moment contributes to the sociology of policy-making in the context of a crisis.
  • Notes de lecture