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Revue Revue historique Mir@bel
Numéro no 688, 2018/4
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Les relations politiques entre ville et campagne dans la seconde moitié du XIVe siècle : les élites urbaines de Béziers et la communauté villageoise de Sérignan (Hérault) - Shinya Mukai p. 773-793 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    À partir du milieu du XXe siècle, les médiévistes français se sont intéressés aux relations économiques entre la ville et la campagne. En revanche, l'historiographie française a négligé les relations ville-campagne de nature politique. En profitant des riches archives de la ville de Béziers et du village de Sérignan (Hérault), cet article a pour objectif d'éclairer les relations politiques ville-campagne dans la seconde moitié du XIVe siècle. À cette époque, les élites de Béziers – le groupe dirigeant de la ville, c'est-à-dire les citoyens qui occupent les fonctions municipales –, montrent des visages variés à l'égard des villageois de Sérignan. Ils peuvent être : 1. des officiers royaux de Béziers ; 2. ceux qui assument une fonction judiciaire ou administrative ad hoc ; 3. des receveurs du subside royal ou de la taxe du pays dans le Biterrois ; 4. des consuls de Béziers ; 5. des prêteurs d'argent, changeurs de monnaie, acheteurs de blé ou du droit de lever l'impôt sur les revenus ; 6. ceux qui donnent personnellement une aide ou un conseil ; 7. des avocats consultants ; 8. des agents seigneuriaux ou ecclésiastiques à Sérignan. Les élites de Béziers sont supérieures aux dirigeants de Sérignan, du point de vue du capital économique, intellectuel et politique. Utilisant ces divers capitaux, elles commandent ou protègent la communauté de Sérignan, selon la situation. Pour survivre à un environnement guerrier difficile, lié à la guerre de Cent Ans, la communauté villageoise de Sérignan renforce sa compétence d'autodéfense, mais elle a surtout besoin de la protection des dirigeants de Béziers. Le régime gouvernemental passant graduellement de la seigneurie à l'État royal, le rôle de protecteur du village n'est plus joué par le seigneur, pas encore par le prince, mais alors par les élites urbaines.
    Since the middle of the xx th century, French medievalists have been interested in the economic relationships between city and countryside. On the other hand, the French historiography has neglected urban-rural relations in political terms. By using rich archives of the city of Béziers and the village of Sérignan (Hérault), the present article aims to elucidate the urban-rural relations of a political nature in the latter half of the xivth century. Urban elites of Béziers – a ruling group of the city, that is, the citizens who hold municipal functions – show varied faces toward the villagers of Sérignan such as: 1. royal officers of Béziers; 2. those who hold ad hoc functions of a judicial or administrative nature; 3. collectors of royal subsidy or of local/regional tax in Biterrois; 4. consuls of Béziers; 5. money lenders, money changers, buyers of wheat or of the right to levy income tax; 6. those who give personal aid or advice; 7. advocates/consultants; 8. seigneurial or ecclesiastical agents in Sérignan. These urban elites of Béziers have superiority over leaders of Sérignan, in terms of the economic, intellectual and political capital. By means of these various capitals, they command or protect the village community, depending on the situation. In order to survive the difficult circumstances, caused by the Hundred Years' War, the village reinforces its self-defense competence. But it calls for the protection of the ruling group of Béziers. While the governmental regime is changing from seigneury to royal state, the role of protector of the village is not played by the seigneur any longer, and not yet by the prince; it is in fact performed by the urban elites.
  • Des carrières pastorales à Bischwiller (1618-1663). Politique et discipline dans une communauté de réfugiés - Julien Léonard p. 795-836 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La question des carrières pastorales dans le monde réformé au xviie siècle est encore relativement mal connue dans le monde francophone. Au sein des Églises qui appartiennent aux structures synodales du royaume de France, ces carrières sont surtout détérminées par les institutions consistoriales et synodales. Pourtant, il existe en marge de ce modèle français d'autres communautés francophones, mais fonctionnant selon un modèle contrôlé par un prince calviniste. C'est le cas dans le duché de Deux-Ponts, et l'étude du village de Bischwiller nous permet de l'observer. Au sein d'un milieu alsacien germanophone et luthérien, Jean II de Deux-Ponts octroie des privilèges à des réfugiés réformés francophones et leur garantit un pasteur. Le recrutement de ce dernier, largement contrarié par la guerre de Trente Ans, pose divers problèmes et permet d'observer les rapports de forces entre le pouvoir civil et les laïcs de l'Église locale, deux sphères qui sont loin d'être hermétiques, mais aussi des influences allemandes, suisses, alsaciennes, lorraines et françaises. Entre 1618 et 1663, plusieurs pasteurs se succèdent, dans des conditions politiques variables (notamment après que les Birkenfeld sont devenus seigneurs locaux) et surtout dans conditions disciplinaires parfois confuses. Cette Église, qui se nomme toujours « française » dans les sources, peut mobiliser différents modèles qui questionnent eux aussi la place du pasteur. Grâce à la documentation disponible sur ce cas de communauté en marge et à la croisée de diverses influences, l'historien peut analyser à l'échelle locale des problèmes que les sources laissent parfois dans l'implicite ailleurs.
    The topic of pastoral careers in the Reformed world in the 17th century is still relatively unknown in the French-speaking world. Within the Churches that belong to the synodal structures of the Kingdom of France, these careers are mostly determined by the consistorial and synodal institutions. However, there are other French-speaking communities on the fringes of this French model, but operating according to a model controlled by a Calvinist prince. This is the case in the Duchy of Zweibrücken, and the study of the village of Bischweiler allows us to observe it. Within a German-speaking and Lutheran Alsatian milieu, John II of Zweibrücken grants privileges to French-speaking Reformed refugees and guarantees them a pastor. The recruitment of the latter, largely thwarted by the Thirty Years' War, poses various problems and makes it possible to observe the relations between the civil power and the laity of the local Church, two spheres which are far from being hermetic, but also German, Swiss, Alsatian, Lorraine and French influences. Between 1618 and 1663, several pastors follow one another, in varying political conditions (especially after the Birkenfelds had become local lords), and especially in confused disciplinary conditions. This Church, which is always called « French » in the sources, can mobilize different models that also question the place of the pastor. Thanks to the documentation available on this case of community on the margins and the intersection of various influences, the historian can analyze at the local level problems that sources sometimes leave implicit elsewhere.
  • Voix de femmes, cruauté maritale et histoires de fantômes dans l'Angleterre du XVIIIe siècle - Sasha Handley p. 837-868 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article montre que les histoires de fantômes sont l'une des stratégies narratives extra-judiciaires les plus efficaces que les femmes aient pu employer pour protester contre les violences conjugales dans l'Angleterre moderne. L'histoire du fantôme de Mary Veal, apparu à son amie Margaret Bargrave à Canterbury en 1705, est l'un des récits les mieux documentés de cette période. Cette affaire a suscité de nombreuses réponses des habitants de Canterbury, retenu l'intérêt de membres de la Royal Society de Londres, et ses détails ont été diffusés dans des articles de presse et des opuscules imprimés qui ont connu de multiples éditions. La vie de la principale narratrice, Margaret Bargrave, a jusqu'ici été négligée, contrairement à la figure de Mary Veal. Cet article reconstitue la longue histoire des violences maritales subies par Margaret et s'interroge sur les motifs qui ont pu l'inciter à exprimer ses malheurs dans le cadre d'une histoire d'apparition de fantôme. Cette étude de cas ouvre sur des réflexions plus larges concernant la fonction des histoires de fantômes, véhicule efficace de protestation contre les violences de tous ordres, physiques, sexuelles et psychologiques. Ces récits sont comparés avec les stratégies, plus courantes, de plaintes judiciaires, afin de voir dans quelles circonstances il était plus efficace de présenter les histoires de violences conjugales sous la forme d'un récit d'apparition de fantôme. Centré sur une documentation extra-judiciaire, l'article s'intéresse à l'éventail des ressources dont les femmes disposaient pour se défendre, et aux aspects des violences conjugales qui échappaient à l'institution judiciaire.
    This article identifies ghost stories as one of the most effective extra-legal narrative strategies that women used to protest against spousal abuse in early modern England. The ghost of Mary Veal that appeared to her friend Margaret Bargrave in Canterbury in 1705 is one of the most richly documented supernatural reports of the period. The affair generated numerous responses from the people of Canterbury, attracted interest from fellows of London's Royal Society, and its details were circulated through newspaper articles and extended published reports that ran to multiple editions. The life of the report's chief narrator, Margaret Bargrave, has attracted little curiosity, in spite of this flurry of public interest in Mary Veal's appearance. This article pieces together Margaret's long history of spousal abuse at the hands of her husband, and examines her motivations for framing her misfortunes within the confines of a ghost story. The case study forms a base for broader reflections on what made early modern ghost reports distinctive and effective narrative strategies to protest against physical, sexual and psychological abuse. These reports are juxtaposed with more familiar legal strategies for redress to discern when, and in what circumstances, reports of wifely abuse were best couched within the conventions of a ghost report. By focusing on non-judicial records, the article expands the range of mechanisms that wives had at their disposal to defend themselves. It also affords rare glimpses of marital breakdowns that never reached the courtroom.
  • Les vies du « trésor de Ségou » - Daniel Foliard p. 869-898 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Lors de la prise de Ségou (Mali actuel) en avril 1890, le corps expéditionnaire dirigé par Louis Archinard (1850-1932) saisit une grande quantité d'objets précieux et de livres appartenant à ce que l'on appelle alors le « trésor d'Ahmadou ». Assez rapidement, une commission fut mise en place pour décider du destin à donner aux différentes pièces collectées durant la campagne. Plusieurs caisses d'objets variés furent expertisées à l'époque, d'abord sur place. Artefacts et livres furent alors catégorisés, dispersés et classés en fonction de leur valeur artistique et ethnographique supposée. La collection fut exposée dans différentes institutions françaises en fonction des significations successives qu'on lui assigna, jusqu'à disparaître dans les réserves du Musée des Arts d'Afrique et d'Océanie. Cet article analyse ce que la collecte, le tri puis l'exposition de ces objets révèlent des pratiques coloniales et muséales à l'époque. Le rôle des différentes institutions impliquées dans la conservation et l'exposition de ces artefacts est ainsi révélateur des multiples impératifs, critères et cloisonnements qui structurèrent les usages de ces objets en métropole. Ce travail ne se limite pas à une approche du seul moment colonial de la biographie sociale de ce « trésor ». Il vise aussi à reconstruire son élaboration avant 1890 et ses significations vernaculaires, à la lumière des documentations locales et de ce que l'on peut dire des objets en tant que tel aujourd'hui. Ses réappropriations au fil des dernières décennies au Sénégal et au Mali sont aussi observées pour retrouver les histoires multiples et connectées que reflètent les parcours heurtés du « trésor de Ségou ». Ce faisant, cette étude illustre la nécessité de redonner leur histoire aux objets capturés lors des conquêtes coloniales car elle défie souvent les simplifications hâtives.
    When the expeditionary force led by Louis Archinard took the city of Segu (Mali) in April 1860, a large quantity of valuable objects was seized. It became known as “Ahmadu's treasure”. An ad hoc commission was put in place in the following weeks to decide what to do with this loot. A variety of objects transported from Segu to Kayes in wooden crates were examined to be send to Paris, where they were supposed to end up in museums on the basis of their supposed artistic and ethnographic value. The collection was exhibited by various institutions. Its trajectory reflects the changing meanings assigned to these objects over the years. They finally disappeared from public sight to rest in the storage rooms of the Musée des Arts d'Afrique et d'Océanie. This article sets out to analyze what the looting, categorization and exhibition of these artifacts reveal about colonial and curatorial uses. The part played by institutions dealing with the display and conservation of the “treasure” reflects the imperatives, classifications and distinctions that framed the uses of these items. Exploring the social biography of these objects through the “colonial lens” would be a limited take on the many lives of “Ahmadu's treasure”. This work thus sets out to examine its construction and local significations before 1890 with the help of what vernacular documentation survived and through an inspection of the jewels themselves. In doing so, it illustrates how imperative it is to historicize the itineraries of the artifacts displaced in the course of late 19th-century colonial expansion. They often defy hasty simplifications.
  • L'exposition universelle de 1937 : une singulière embellie dans les relations franco-allemandes - Alexandre Bibert p. 899-924 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    La participation de l'Allemagne à l'Exposition universelle de Paris de 1937 donne lieu à des manifestations de rapprochement entre ce pays et la France qui tranchent avec l'idée usuellement propagée d'une marche vers la guerre lancée depuis le milieu des années 1930. En effet, au fil de la construction et après l'inauguration du pavillon du Reich, un espace s'est ouvert pour la célébration et l'expression d'aspirations à une bonne entente entre le pays organisateur et l'hôte d'outre-Rhin. Incontestablement, les acteurs politiques mais aussi la société civile ont pris conscience de cet enjeu. Si Hitler et Goebbels n'avaient que faire de telles perspectives, d'autres personnalités nazies et françaises se sont engagées sur cette voie. Dans une approche critique, cet article évalue la profondeur et la portée de telles prises de positions et démonstrations de bonne volonté. Malgré des décalages sur les finalités, la voie d'une entente n'apparaissait pas comme illusoire mais intégrée à l'horizon d'attente de nombreux acteurs. La différence de régime et les caractéristiques de l'État national-socialiste n'ont nullement empêché les hôtes allemands d'être entourés d'un soin particulier. La représentation de l'Allemagne à l'Exposition a directement donné lieu à une intensification qualitative et quantitative des relations franco-allemandes et, par-là, à une évolution inédite depuis 1933. La brièveté de l'embellie ne doit pas conduire à négliger cet aspect du climat précédant la Seconde Guerre mondiale.
    Germany's participation in the Paris World's Fair of 1937 gave rise to demonstrations of rapprochement between Germany and France, which break with the commonly propagated idea of a march towards war launched since the mid-1930s. Indeed, during the construction and after the inauguration of the German Pavilion, a space opened up for the celebration and the expression of aspirations for a good understanding between the organizing country and the guest from across the Rhine. Undoubtedly, the political actors but also the civil society became aware of this aspect. Even if Hitler and Goebbels were hostile to such prospects, other Nazi and French personalities followed this path. In a critical approach, this article evaluates the depth and importance of such positions and demonstrations of goodwill. Despite different analyses, the possibility of reaching an agreement did not appear illusory but was part of a horizon of expectation of many actors. The difference between the regimes and the characteristics of the National Socialist State had not hindered a particular care to be bestowed on the German hosts. The presence of Germany at the International Exhibition led directly to a qualitative and quantitative intensification of Franco-German relations, and hence to an unprecedented development since 1933. The brevity of the upturn should not overshadow this aspect of the climate preceding the Second World War.
  • Comptes rendus - p. 927-1011 accès libre