Contenu du sommaire : Population, peuplement et agriculture en Afrique subsaharienne
Revue | Espace Populations Sociétés |
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Numéro | no 1, 2019 |
Titre du numéro | Population, peuplement et agriculture en Afrique subsaharienne |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Population, peuplement et agriculture en Afrique subsaharienne : vers un changement de paradigme - Cathy Chatel, Gwenaëlle Raton
- Les combinaisons originales de trajectoires entre population, situation alimentaire et ressources disponibles - Lala Razafimahefa Maints programmes longitudinaux de suivi liés à la sécurité alimentaire menés par des organisations onusiennes dont c'est la vocation, telles que l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ou le Programme alimentaire mondial (PAM), ou encore par la Banque Mondiale, démontrent la pertinence du questionnement sur l'adéquation entre croissance démographique et croissance de la production agricole.La question est d'autant plus cruciale pour l'Afrique subsaharienne pour laquelle les projections sur les années futures prédisent globalement qu'au rythme actuel de l'évolution certes positive de la disponibilité alimentaire, celle-ci ne pourra néanmoins satisfaire les besoins grandissants des populations que si elle est accompagnée d'actions, d'ajustements et d'efforts politiques et institutionnels dans des domaines essentiels variés, agricoles comme non-agricoles [FAO 2016 ; FAO, 2017].Un constat a émergé rapidement selon lequel cette adéquation n'est ni triviale, ni linéaire et qu'elle constitue une condition nécessaire mais non suffisante pour réduire l'insécurité alimentaire. Les liens entre croissance de la production agricole et nutrition sont « extrêmement complexes et non immédiats » [Dury et Bocoum, 2012], et révèlent un large éventail de situations possibles, des plus attendues aux plus paradoxales.On se propose donc de systématiser l'identification des différents types possibles de combinaisons des trois trajectoires d'évolution de la population, de la situation alimentaire et des ressources disponibles, à l'aide d'indicateurs pertinents, afin d'avoir une vision affinée de ces types, de les caractériser, mesurer leur acuité. On pourra alors cerner les leviers et les freins à la sécurité/sécurisation alimentaire dans les contextes de l'urbanisation, du marché, de la politique foncière ou encore du développement, dans l'optique d'aider à cibler efficacement les mesures d'accompagnement et politiques d'intervention, et évaluer leur priorité.Many long-term monitoring programs related to food security conducted by dedicated UN organizations, such as FAO or WFP, or else the World Bank, demonstrate the relevance of the issue on adequacy between population growth and agricultural production growth.The issue is even more crucial for Sub-Saharan Africa, where projections for future years globally predict that, at the current rate of the admittedly positive change in food availability, this one will nevertheless be able to satisfy the growing needs of the populations only if it is accompanied by political and institutional actions, adjustments and efforts in various essential fields, agricultural as well as non-agricultural [FAO 2016; FAO, 2017].A finding has quickly emerged that this adequacy is neither trivial nor linear and that it is a necessary but not sufficient condition for reducing food insecurity. The links between agricultural production growth and nutrition are “extremely complex and not immediate” [Dury et Bocoum, 2012], and reveal a wide range of possible situations, from the most expected to the most paradoxical.It is then proposed to systematize the identification of the different possible forms of combinations of the three evolutionary trajectories of population, food situation and available resources, using relevant indicators, to have a refined view of these forms, characterize them and measure their acuity. One can then identify the levers and brakes to food security/securing in urbanization, market, land policy or development contexts, in order to help to efficiently target the accompanying measures and intervention policies, and evaluate their priority.
- Le peuplement de l'Afrique centrale et orientale. Logiques héritées et développement urbain actuel - Hervé Gazel L'objectif initial de l'étude présentée ici était l'évaluation de l'état de l'urbanisation en Afrique centrale et orientale et son évolution depuis les années 1960. Il s'agissait de situer géographiquement la multiplication du nombre des agglomérations de plus de 10 000 habitants et leur croissance démographique. La création de ces données et leur analyse nous conduit à réinterroger la relation séculaire entre activités agricoles et croissance des villes en croisant localisations urbaines et occupation agricole et non agricole du sol. Les formes et formations du peuplement apparaissent alors liées à des logiques d'habitation successives qui peuvent s'effacer, émerger, se combiner et conduire à la reconnaissance de territoires régionaux différenciés. Cet article les met en évidence à partir d'un support cartographique détaillé.Our initial objective is to evaluate the state of urbanization in Central and Eastern Africa and its evolution since the 1960s, by geographically locating the multiplication of the number of agglomerations of more than 10,000 inhabitants and their population growth. Surprisingly, the creation of these data leads us to re-examine the secular relationship between agricultural activities and urban growth by crossing urban locations and agricultural and non-agricultural land use. The forms and formations of the population are then linked to successive housing patterns that can fade, emerge, combine and lead to the recognition of differentiated regional territories.
- Croissance démographique, dynamiques de peuplement et évolution des systèmes agraires : le cas de la commune de Koumbia (Burkina Faso) - Luc Cambrezy, Gabriel Sangli La croissance démographique observée en Afrique sub-saharienne au cours des dernières décennies a fait l'objet de nombreuses publications. Dans la très grande majorité de ces travaux, la nécessité de réduire la natalité a été avancée comme la seule politique de population possible pour lutter contre la pauvreté. Et, bien que le terme de « surpeuplement » soit très rarement employé, c'est pourtant cette interprétation néo-malthusienne qui est avancée en associant de manière mécanique la réduction des ressources en terres et l'accroissement de la population.Pourtant, depuis plusieurs décennies, les campagnes de nombreux pays et régions de l'Afrique sub-saharienne ont su absorber une partie significative de cette croissance démographique sans que la sécurité alimentaire se soit tant dégradée. Bien plus, on peut même considérer que c'est grâce aux diverses réponses apportées par les sociétés rurales à cet accroissement de la population que « l'explosion urbaine » des villes africaines a pu être en partie contenue. Une étude de cas, conduite dans la commune de Koumbia, tente de décrypter comment cette région du Burkina Faso a pu, jusqu'à présent, absorber un fort accroissement de population résultant autant de la croissance naturelle que d'une puissante immigration de population mossi et peulh. On y constate que l'augmentation des densités de population s'est traduite par un double processus d'intensification de l'agriculture (thèse allant dans le sens de l'analyse d'Esther Boserup) et de poursuite de pratiques extensives (ouverture de nouveaux fronts agricoles par défrichement).There is an enormous body of literature on the population growth that sub-Saharan Africa witnessed over the course of the past few decades. The majority of these works argue that reducing birth rates is an essential step in the fight against poverty, and that policy of a fertility reduction is necessary these contexts. And, though the term of « overpopulation » is rarely used explicitly, it is nevertheless this neo-Malthusian impulse that undergirds the mechanical association of population growth and the reduction of land resources.Despite these arguments, several sub-Saharan African countries and regions have led successful campaigns to absorb this population growth without seeing a threat to their food security. Furthermore, one could argue that it is thanks to the diverse responses of rural communities to population growth that the « urban explosion » in African cities has been able to partially contained. This case study, conducted in Koumbia, attempts to show how this region of Burkina Faso has been able to successfully absorb a sustained growth in population resulting both from natural growth as well as significant immigration of both mossi and fulani ethnic groups into the region. We observe that the increase in population density has led to a double process of both intensification (much like Esther Boserup's analysis) and extensification (such as clearing new lands to make way for agriculture).
- Au-delà de Malthus et Boserup : une approche intégrée des transformations des rapports sociaux et des modes d'exploitation du milieu à l'échelle territoriale. Un cas d'étude en Sierra Leone - Augustin Palliere L'enjeu démographique pour le développement agricole en Afrique est souvent interprété à travers les modèles de Malthus et de Boserup. Dans ce cadre, il n'y a guère de place pour les rapports sociaux et leur évolution. Pour remédier à cette lacune, on propose une approche qui articule les concepts systémiques développés en agriculture comparée et en anthropologie économique, que l'on a appliquée à l'échelle d'un territoire au nord de la Sierra Leone, la Sella Limba. La « pression démographique » n'explique pas seule l'intensification par le travail et la dégradation de la fertilité des terres. On démontre que les modalités d'intégration économique de la région et l'évolution des rapports entre les générations jouent également un rôle déterminant dans ces deux tendances et dans les formes qu'elles ont prises localement.The demographic challenge for agricultural development in Africa is often read through Malthus or Boserup lenses. Social dynamics are omitted into this framework. To tackle this issue, an approach articulating systemic concept from Comparative agriculture and Economic anthropology is proposed and applied in a territory in Northern Sierra Leone. The so-called “demographic pressure” cannot explain alone labour intensification and loss of fertility. Regional economic integration and changing inter-generational relations play a great part in these two trends as well as in the forms they may take in a local configuration.
- Dynamiques démographiques, vulnérabilité et évolution du couvert végétal au nord Bénin : des interactions complexes - Jean Etienne Bidou, Isabelle Droy, Rodrigue Houesse, Catherine Mering Depuis plus d'un demi-siècle, la structure de la couverture végétale du nord du Bénin a subi de profondes transformations, comme dans l'ensemble de la bande soudanienne et sahélienne en Afrique de l'Ouest. Cette évolution, que l'on peut suivre sur plusieurs décennies par la télédétection le long d'un transect couvrant 4 départements de la moitié nord du pays, est mise en regard avec la forte croissance de la population et la progression de l'agriculture, dans un contexte de vulnérabilité élevée, comme l'indiquent les taux de malnutrition chronique infantile. Si la variable démographique reste importante dans la problématique des transformations environnementales, les analyses des dynamiques locales révèlent des articulations plus complexes impliquant des facteurs sociaux, politiques ou économiques, remettant en question les relations stables et univoques avancées dans le débat sur le nexus population-environnement.In the last half century, land cover has overgone profound changes in north Benin as in the whole sudanian and sahelian zone. This evolution, monitored by remote sensing for several decades on a transect covering most of the northern part of the country, can be compared with the rapid population growth and the expansion of agriculture in a context of high vulnerability which is reflected by the high level of child stunting. If the demographic variable remains important in the environmental transformation issues, the analysis of local dynamics reveals more complex connections involving social, political and economic factors which questions the idea of a stable and univocal correlation supposed in the population-environment nexus.
- Les politiques agricoles face au paradigme du sous-peuplement en République du Congo - Mélanie Favrot, Elisabeth Dorier Les flambées successives des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux ont affaibli les pays tributaires des importations alimentaires pour nourrir leur population. C'est le cas de la République du Congo, pays rentier du pétrole qui a lancé un appel aux investisseurs étrangers agricoles pour nourrir une population de plus en plus concentrée en ville tandis que les campagnes sont dépeuplées, l'agriculture paysanne ayant été abandonnée depuis des décennies par les politiques publiques. Dans ce contexte, de nouvelles grandes exploitations remplacent celles établies dans la période coloniale, puis marxiste, sans engendrer de conflit foncier. Mais elles ne rencontrent pas le succès attendu. L'article replace les facteurs de défaillance des entreprises actuelles et du modèle agro-industriel dans une perspective historique et géopolitique, mettant en question les liens entre déséquilibres du peuplement, déclin de la paysannerie et mal développement, en l'absence de projet global pour le territoire.Successive outbreaks of food prices on world markets have weakened food-importation dependent countries to feed their populations. This is the case of the Republic of the Congo, an oil rentier state that has appealed to foreign agricultural investors to feed a population increasingly concentrated in the city while the countryside is depopulated, peasant agriculture having been abandoned since decades by public policy. In this context, new large farms replace those established in the colonial period, then Marxist, without causing land conflict. But they do not meet the expected success. The paper place the failure factors of current enterprises and the agro-industrial model in a historical and geopolitical perspective, questioning the links between the imbalances of the population, the decline of the peasantry and the maldevelopment, in the absence of a global project for the territory.
- Modes d'adaptation des sociétés rurales à la croissance démographique : les cas de Madagascar et du Kenya - Bénédicte Gastineau, Valérie Golaz, Stéphanie Dos Santos Des recherches pluridisciplinaires empiriques ont montré la complexité des liens entre dynamique démographique et production agricole. A travers deux exemples approfondis, nous illustrons dans cet article les transformations économiques et sociales qui permettent un maintien de la population en milieu rural dans un contexte de forte croissance démographique. A Kisii, au Kenya, comme dans le Vakinankaratra, à Madagascar, la diversification économique et des systèmes de mobilité temporaire ou de proximité sont de plus en plus courants. Les relations intergénérationnelles et de genre se transforment, comme les règles matrimoniales et celles qui dirigent la transmission des terres. En dehors de changements brutaux, politiques ou économiques, la population a une capacité à se transformer sans cesse, à innover, à faire évoluer ses normes sociales.Multidisciplinary field research programmes have shown the complexity of the interlinkages between population dynamics and agricultural production. Through two in-depth studies, we illustrate in this paper the social and economic changes that enable people to remain in rural areas undergoing high population growth. In Kisii, Kenya, and Vakinankaratra, Madagascar, economic diversification and spatial mobility systems involving temporary of short distance migration are of growing importance. Intergenerational and gender relationships are changing, as wan be seen in marriage and inheritance rules. Apart from cases of brutal economic or political change, societies have a capacity to transform, to innovate, to overstep its own norms.
- Agriculture urbaine à Ziguinchor (Sénégal) : des pratiques d'autoconsommation favorables à l'essor de filières d'approvisionnement urbaines durables - Sécou Omar Diedhiou, Oumar Sy, Christine Margetic Située au Sud-ouest du Sénégal, la ville de Ziguinchor appartient à la Basse Casamance. Développée sur un site fluvial, elle offre des conditions écologiques favorables à l'agriculture qui se trouve néanmoins affectée par une croissance démographique qui génère parfois des conflits d'utilisation du sol. Cet article interroge ainsi la place des agriculteurs urbains dans l'approvisionnement de la ville en identifiant les acteurs concernés, les modes d'accès à la terre, leurs pratiques et la façon dont l'activité agricole contribue à la sécurisation de leurs revenus.En l'absence de statistiques officielles, un travail qualitatif a été mené. Il s'est appuyé sur l'exploitation de 248 questionnaires soumis aux exploitants agricoles et de 130 autres aux marchands de légumes en 2016 et 2017. L'extension urbaine de Ziguinchor remonte aux années 1970 et contribue à la déstructuration des espaces agricoles, mais dans le même temps, cette croissance a pour corollaire une demande d'autant plus forte en denrées alimentaires que le périmètre communal a été élargi (de 3400 ha en 1972 à 4450 ha depuis 2002). Pour les exploitants, l'enjeu est double : maintenir l'autoconsommation familiale en riz, malgré une rétraction des terres cultivables, et dégager un revenu par la vente de légumes pour l'achat de denrées en période de soudure surtout. A la différence d'autres villes d'Afrique de l'Ouest, les femmes occupent une place centrale dans le système local, de la production à la commercialisation, en conjuguant plusieurs sites de production : un premier attenant au domicile, un autre dans les bas-fonds et un dernier sur le plateau. Fondamentales pour leur propre sécurité alimentaire, mais aussi pour celle de la ville, la pérennité de leurs pratiques suppose l'intégration de cette agriculture urbaine dans des politiques de développement urbain volontaristes.Located in south-western of Senegal, Ziguinchor is in Lower Casamance. Developed on a river site, it offers favorable ecological conditions to develop agricultural activities. However, this ecological advantages are affected by a population growth that generates some direct and indirect issues. This article examines the role of urban farmers in supplying the city by identifying the actors involved, the methods of access to land, their practices and the way in which agricultural activity contributes to securing their income.In the absence of official statistics, the latter authors' statement is confirmed in the city through a questionary methodology near 248 farmers and 130 vegetable traders in 2016 and 2017. The choice of Ziguinchor is relevant. The urban extension that goes back to the 1970s contributes both to the de-structuring of agricultural spaces and the stronger demand for foodstuffs, which grows as the municipal area has been enlarged (from 3 400 ha in 1972 to 4 450 ha since 2002). For farmers' perspectives, the challenge is twofold. The first challenge is to be able to maintain family self-consumption in rice, despite a retreat of arable land, while the second one is relay on generating income through the sale of vegetables for the purchase of food during the lean season. Unlike other cities in West Africa, women play a key role in the local agricultural value chain (i.e. from production to marketing) by combining several production sites: one site in home, in the shallows and other in the plateau. This combination of several production sites is fundamental not only for their own food security, but also for that of the city. Moreover, the durability of their practices supposes the integration of urban agriculture in voluntary urban development policies.
- Agriculture péri-routière, une alternative à l'indépendance alimentaire : l'exemple de l'axe Abidjan-San-Pedro en Côte d'Ivoire - Dabié Désiré Axel Nassa, Tchoumou Léopold Akablah L'agriculture péri-routière est une forme d'agriculture qui se développe sur les marges des axes routiers au sud de la Côte d'Ivoire. Elle a la particularité de ne concerner que les produits vivriers dans des zones où l'agro-industrie trouve une place de prédilection. La route, ligne de désenclavement, de développement et de circulation est utilisée à travers ses accotements en complément aux superficies agricoles en réduction permanente dans la zone à l'Ouest d'Abidjan. Cette agriculture occupe de petites superficies avec la pratique de la monoculture comme activité principale. Ces principaux acteurs en sont respectivement des ouvriers agricoles qui utilisent leurs heures de repos pour la pratique de cette agriculture et des paysans sans terres ou ceux dont les terres sont occupées par l'agro-industrie.L'objectif de cet article est de montrer les facteurs explicatifs du développement de ce type d'agriculture. L'analyse révèle que la pénurie de terres arables dans les zones d'implantation de l'agro-industrie est le facteur déclencheur de l'agriculture péri-routière également motrice de l'approvisionnement des marchés urbains et ruraux locaux.Peri-road farming is developed in southern Côte d'Ivoire on the margins of the roads. It mostly focuses on staple crops and occurs in areas where agro-industry activities are established. Considered as means of opening up, progress and traffic exchanges, "the road" shoulders are substitutes to the continuous decrease of agricultural lands in western part of Abidjan. However, this farming mainly covers small areas with single cultivation. During their breaks, agricultural workers, landless peasants and those whose lands are taken by agro-industry are involved in this farming. This article aims to reveal the mechanisms that guide the growth of this agriculture type. The analysis that emerges reveals that the shortage of arable land in the areas where agribusiness is established is the triggering factor for the existence of peri-road agriculture.