Contenu du sommaire : Faire science
Revue | Revue d'histoire des sciences humaines |
---|---|
Numéro | no 31, 2017 |
Titre du numéro | Faire science |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier
- La science comme moteur de légitimité au XXe siècle - Yann Renisio, Camila Orozco Espinel p. 7-16
- Faire théorie pour faire science ? - Lucile Dumont p. 17-42 L'article interroge la manière dont la production théorique a pu être conçue comme un outil de scientisation des études littéraires en France dans les années 1960 et 1970. L'émergence des méthodes structurales engage des réflexions sur la scientificité dans les sciences humaines, prolongées dans la sémiologie développée autour de Roland Barthes. La question de la science traverse ensuite les débats sur le rôle de la critique littéraire. La fin des années 1960 marque le passage à une radicalité esthétique et théorique qui fait de la théorisation le corrélat de la science. Enfin, la construction collective de la poétique autour de Genette et Todorov montre à la fois le primat de la théorisation sur la question de la scientificité et la complexité du rapport aux objets littéraires dans la définition d'une science de la littérature. L'article s'appuie sur l'étude des textes et des trajectoires des théoriciens, dans une perspective de sociologie historique des sciences humaines et sociales.The paper questions how theoretical production has been conceived as a way to scientize French literary studies in the 1960s and 1970s. The emergence of structural methods engaged reflections on scientificity in the Humanities, which were extended in the semiology developed around Roland Barthes. The question of science then appeared through the debates on the role of literary criticism. The end of the 1960s is marked by an evolution towards an aesthetic and theoretical radicalness which identified theory and science. Eventually, the collective construction of poetics around Genette and Todorov shows at the same time how theory is prioritized over the question of science, and the complex relationship with literature in the definition of a science of literature. The paper relies on a study of some theoretical texts and of several theorists' trajectories, in a perspective of historical sociology of Social Sciences and Humanities.
- Faire science. Le « durcissement » des sciences sociales par la National Science Foundation (États-Unis, 1945-1957) - Yann Renisio p. 43-65 Organisme fédéral de financement et de recensement de l'activité scientifique étasunienne, la National Science Foundation est le symbole des transformations de l'organisation scientifique du second xxe siècle. Créée en 1950 pour la promotion de « toutes les sciences », elle n'y intègre officiellement les sciences sociales qu'à partir de 1957. L'analyse de ce processus d'intégration, qui débute dès 1945 lors des débats autour de la création de l'agence, met en évidence deux phénomènes. Le premier est celui d'une double contrainte exercée sur les sciences sociales : de choix d'objet par le personnel politique ; de choix des méthodes par des chercheurs issus des sciences non sociales. Le second est celui de la variabilité disciplinaire d'adaptabilité et de stratégie de légitimation scientifique dans les sciences sociales. Plus généralement, cette étude souligne l'influence forte de contraintes hétéronomes dans les processus d'acquisition de légitimité scientifique.Created in 1950 to promote “all the sciences”, the National Science Foundation (NFS) did not explicitly include social sciences until 1957. We study this process of inclusion from the first debates about the creation of such a foundation in 1945 and highlight two phenomena. On the one hand, social sciences had to cope with a double constraint: of object of studies regarding political limitations; of methods of inquiry regarding natural scientists' conceptions of scientificity. On the other hand, strategies of inclusion varied among disciplines, as varied the requirements to cope with NSF' “standards”. More generally, this study highlights the double bind generated by the “quest for scientific legitimacy”, that actually hinders the possibilities of scientific progress for the social sciences.
- Homogénéiser la profession pour faire science ? - Camila Orozco Espinel p. 67-91 L'article revient sur la période de l'après-guerre pour éclairer la question du « faire science » de l'économie à partir de la constitution des critères d'appartenance à cette discipline. Il reconstitue une séquence à travers laquelle la constitution de critères d'appartenance et l'homogénéisation du corps disciplinaire se sont cristallisées : la standardisation des programmes de l'enseignement supérieur et en particulier du diplôme de doctorat. En s'appuyant sur une analyse du Rapport Bowen, l'article se focalise sur le rôle de l'American Economic Association dans ce processus et analyse les défis associés à l'hétérogénéité et à l'absence de certification pour une discipline en plein processus de professionnalisation et en quête de légitimité. Les économistes contemporains revendiquent bien souvent l'exceptionnalité de leur discipline au sein des sciences humaines et sociales en mettant en avant son caractère consensuel. L'article montre que constitution de critères d'appartenance et l'homogénéisation du corps disciplinaire sont essentielles pour créer les conditions de ce consensus.Through the constitution of membership criteria to the discipline, this article studies the question of “making science” in economics. The article reconstructs a sequence during which the constitution of membership criteria and homogenization of the disciplinary corpus were crystallized: the standardization of PhD program. Based on an analysis of the Bowen Report, the paper focuses on the role of the American Economic Association in this process and analyzes the challenges associated with heterogeneity and lack of certification for a discipline going through a professionalization process and claiming the authority of science. Contemporary economists often claim the exceptionality of their discipline within the human and social sciences by highlighting its consensual character. The article shows that constitution of membership criteria and the homogenization of the disciplinary corpus are essential to create the conditions for a consensus to settle.
- Edgard Milhaud, un économiste au Bureau international du travail - Marine Dhermy-Mairal p. 93-112 Économie politique, économie sociale, science économique : dans l'entre-deux-guerres, ces différentes dénominations procèdent d'un intense travail de tracé de frontières qui vise à définir la bonne manière de « faire science ». Celle-ci est caractérisée ici par le travail de l'économiste Edgard Milhaud dans le cadre de l'Enquête sur la production qu'il a réalisée au Bureau international du travail entre 1920 et 1925. Cet article propose ainsi de situer cette enquête dans le champ de l'économie politique à partir du travail de démarcation auquel a procédé l'économiste, sur la base d'une mise à distance des idéaux et d'une consolidation du mode d'administration de la preuve. Ce faisant, il s'interroge sur les conditions de possibilité de l'exercice d'une pratique scientifique en contexte administratif et politique.Political economy, social economy, economical science: during the Interwar, these different names reveal a boundary-process, which aims at defining the best way of “doing science”. This best way of doing science is characterized by Edgard Milhaud in its Enquiry on Production, which he realized at the International Labour Organisation between 1920 and 1925. This paper intends to determine the place of this enquiry within the field of political economy, and thus examine the conditions of possibility of a scientific practice within an administrative and political setting.
- L'innovation méthodologique, entre bifurcation personnelle et formation des disciplines - Sébastien Plutniak p. 113-139 Quelles raisons peuvent amener des chercheurs à plaider en faveur de l'introduction de méthodes jugées plus précises et systématiques mais se révélant aussi plus abstraites et contraignantes en pratique ? La question est examinée à partir des parcours de deux archéologues français, Georges Laplace et Jean-Claude Gardin qui, dès les années 1950, se distinguent par leurs propositions méthodologiques fondées sur la formalisation ou le calcul. Celles-ci restent toutefois relativement isolées au cours des décennies suivantes, alors même que des propositions similaires connaissent un succès en archéologie anglophone ou dans d'autres disciplines. Par une approche biographique on met en évidence les équivalences et les tensions établies entre les critères épistémiques et éthiques, biographiques et politiques qui caractérisent ces expériences, lesquelles apparaissent comme les formes les plus radicales d'une aspiration contemporaine à la modernisation et à la professionnalisation de l'archéologie.What are the reasons leading some researchers to advocate the application of certain methods on the ground that they are more precise and more systematic, even though they are also more abstract and more constraining than those currently in use? This question is examined here through a review of the evolution of the academic career of two French archaeologists, Georges Laplace and Jean-Claude Gardin. Their earliest works, dating from the 1950s, were characterized by the application of more abstract methodologies, based on formalization or on the use of computation. In the following decades, Laplace and Gardin's approach remained marginal in France, even though at the same time, similar perspectives were becoming popular not only among English-speaking archaeologists but also in other academic fields in France. The biographical perspective adopted in this paper allows us to highlight the parallel trajectories and the tensions existing between the epistemical, ethical, biographical, and political dimensions that shaped the careers of Laplace and Gardin. As such, their academic experiences appear as the most radical forms of the contemporary aspiration to modernize and professionalize archaeology.
Document
- Discussions d'experts sur la licence et l'agrégation de géographie (janvier-février 1943) - p. 141-162
- Historiens et géographes au scalpel de Vichy - Nicolas Ginsburger p. 163-185 Pendant la Seconde Guerre mondiale, la place de la géographie scolaire et universitaire évolue dans le système éducatif français. En effet, cette discipline doit au régime de Vichy sa séparation d'avec l'histoire dans l'enseignement supérieur, après plus d'un siècle de « mariage ». Les documents inédits ici publiés et commentés reviennent sur cet événement relativement mal connu de l'histoire de l'institutionnalisation française des sciences humaines : ils l'éclairent d'un jour nouveau, en insistant sur ses rapports avec le fonctionnement et l'idéologie de l'État français du Maréchal Pétain.During the Second World War, the place of school and academic geography changes in the French education system. Indeed, this discipline owed the Vichy Regime its separation with history in university curricula and structures, after more than a century of “marriage”. The here for the first time published and commented documents shed new light on this little known event in the history of the French institutionalization of human sciences. They particularly stress the relationship between higher education and the machinery and ideology of Petain government.
Varia
- Des prémices d'une anthropologie des pratiques mathématiques à la constitution d'un nouveau champ disciplinaire : l'ethnomathématique - Eric Vandendriessche, Céline Petit p. 189-219 Cet article questionne l'historiographie de l'ethnomathématique telle qu'elle est généralement menée dans les travaux de ce champ, qui désigne aujourd'hui l'étude des variations culturelles des concepts et savoirs mathématiques, et tout particulièrement de ceux élaborés en dehors des domaines savants et institutionnels. Si les textes considérés comme fondateurs de l'ethnomathématique ont été publiés dans les années 1970 et 1980, les prémices d'une anthropologie des mathématiques sont perceptibles dans plusieurs études ethnologiques, mathématiques, ou philosophiques, réalisées à partir du xixe siècle. Néanmoins, la prégnance des théories évolutionnistes et de celle relative à la « pensée prélogique » semble avoir durablement fait obstacle à la reconnaissance d'une rationalité mathématique associée à la réalisation de diverses activités dans des sociétés non-occidentales (de tradition orale en particulier). L'entrée dans la seconde moitié du xxe siècle a marqué à cet égard un tournant épistémologique, favorisant par la suite le développement d'études reconnues comme à l'origine de l'institution de l'ethnomathématique.This paper questions the historiography of ethnomathematics as it is generally practiced in this field of research, which currently refers to the study of cultural variations in the uses of mathematical ideas and knowledge, especially those elaborated outside the scope of scholarly and academic activities. If what are generally considered as the founding texts of ethnomathematics were published in the 1970s and 1980s, the emergence of an anthropology of mathematics can be traced back to ethnological, mathematical, and philosophical studies written since the 19th century. However, the prevalence of the evolutionist and “prelogical thought” theories appears to have durably impeded the recognition of a mathematical rationality expressed through various activities in non-Western societies (and particularly in those with an oral tradition). At the turn of the second half of the 20th century, a significant epistemological change occurred on this issue, which prompted the development of studies that are now generally considered to be seminal works in the establishment of ethnomathematics.
- Des prémices d'une anthropologie des pratiques mathématiques à la constitution d'un nouveau champ disciplinaire : l'ethnomathématique - Eric Vandendriessche, Céline Petit p. 189-219
Débats, chantiers et livres
Revisiter Freud
- Revisiter Freud - p. 223
- Réflexions à propos de l'historiographie de la psychanalyse francophone : l'exemple des rêves - Jacqueline Carroy p. 225-232
- Qui peut faire l'histoire de la psychanalyse en France, et de quelle histoire s'agit-il ? - Annick Ohayon p. 233-239
- Bibliographie - p. 240-241
- Stefan Czarnowski, Listy do Henri Huberta i Marcela Maussa (1905-1937) / Lettres à Henri Hubert et à Marcel Mauss (1905-1937) - Rafael Faraco Benthien p. 243-245
- Alain Messaoudi, Les arabisants et la France coloniale. Savants, conseillers et médiateurs (1780-1930) - Kmar Bendana p. 247-250
- Clémence Cardon-Quint, Des lettres au français. Une discipline à l'heure de la démocratisation (1945-1981) - Lucile Dumont p. 251-254
- Théodule Ribot, Revue philosophique de la France et de l'étranger - Stéphan Soulié p. 255-264