Contenu du sommaire : Langues et nations au XIXe siècle
Revue | Revue française d'histoire des idées politiques |
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Numéro | no 48, 2e semestre 2018 |
Titre du numéro | Langues et nations au XIXe siècle |
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- Avant-propos - p. 9-12
Études
- Politiques de langues et questions nationales sous la Révolution française - Jean-Luc Chappey p. 13-39 Dès 1789, la langue s'impose comme un objet politique de premier plan pour les contemporains : la promotion d'une langue « nationale » doit être le support de la nouvelle communauté de citoyens qui compose la nation. À partir de 1792, la langue devient l'objet des luttes politiques et sert à tracer la frontière entre partisans et adversaires de la Révolution. Lorsque la République française devient conquérante, à partir de 1795, la pratique de la traduction s'impose comme un des supports de la « Grande Nation ». De la Révolution française à l'Empire, cette contribution tend à étudier les différents aspects et étapes des « politiques » de la langue et à en analyser les enjeux politiques et intellectuels.Language policies and national issues during the French Revolution
Language forced itself on the contemporaries as a predominant political matter as soon as 1789: promoting a “national language” was meant to uphold the new community of citizens making up the Nation. From 1792 onwards, language turned into an object of political strife and a dividing line between partisans and adversaries of the Revolution. As the French Republic engaged in its conquests from 1795 onwards, the practice of translation became one of the supports of the “Great Nation”. This paper is studying the various aspects and stages of the “language policies” from the Revolution to the Empire and analyzing their political and intellectual dimensions. - Constructions identitaires et statut de la langue dans l'espace germanophone au XIXe siècle - Tristan Coignard p. 41-54 Le statut de la langue dans l'espace germanophone est un enjeu essentiel au XIXe siècle pour la construction de l'identité allemande. Facteur d'unité, l'allemand devient, dans la seconde moitié du siècle, une ressource cruciale pour le projet national. Dans ce contexte, la langue peut aussi faire l'objet d'une instrumentalisation au service d'une entreprise nationaliste. La première moitié du XXe siècle représente la période où la langue allemande est de plus en plus subordonnée à un projet de domination qui se substitue aux éléments identitaires.Identity building and language status in nineteenth-century German speaking area
The language status was a crucial issue in the building up of German identity in the 19th Century. Being a factor in unity, German became a key resource for the national project in the second half of the century. In this context, the language could also be turned into an instrument for nationalistic endeavors. In the first half of the 20th Century, the German language became more and more subservient to a domination project superseding the constituents of identity. - De la « décadence » au « Risorgimento ». Discours national et nouveau temps de l'histoire dans l'Italie des XVIIIe et XIXe siècles - Luca Mannori p. 55-84 L'essai présente une brève rétrospective synoptique des deux concepts complémentaires de « décadence » et de « risorgimento », qui ont constitué la charpente essentielle du discours national italien presque jusqu'à nos jours. La première de ces notions trouve ses origines dans cette image de l'Italie comme un pays désespérément arriéré qui circule avec insistance dans les périodiques de la République des Lettres vers la fin du XVIIe siècle ; la seconde se répand dans les dernières décennies du siècle suivant, pour parvenir à sa signification actuelle à la veille de 1848. L'analyse vise à montrer que les deux concepts, quoique destinés à acquérir une décisive connotation politique, enfoncent leurs racines dans un débat éminemment littéraire, inspiré par un patriotisme littéraire qui anticipe et trace le chemin aux revendications proprement institutionnelles.From “Decadence” to “Risorgimento”. National discourse in new historical times in Eighteenth-Nineteenth-Century Italy. This essay is presenting a brief retrospect of the two complementary notions of “decadence” and “risorgimento”, which made up the framework of the Italian national discourse almost until today. The first notion originated from the picture, widely shared within the Republic of Letters in the late 17th Century, of Italy as a desperately backward country. The second notion had been spreading during the late 18th Century when it was given its current meaning on the eve of 1848. Both notions, although bound to take on a definitely political connotation, are shown on analysis to have sprung from an eminently literary dispute, inspired by a literary patriotism that paved the way to more properly institutional claims.
- Faire le lien entre langue(s) et nation(s) dans l'empire des Habsbourg : le moment libéral - Daniel Baric p. 85-114 Force politique en gestation au sein de l'empire d'Autriche durant la première moitié du xixe siècle, le libéralisme est porté par un réseau nobiliaire qui arrive au pouvoir à la faveur des révolutions de 1848. À travers les textes programmatiques de ses représentants les plus influents (Janko Drašković, Leo Thun et Josef/József Eötvös), apparaît un corpus doctrinal cohérent sur le lien entre langue et nation. À la recherche d'une conciliation entre le maintien de l'ensemble impérial et la reconnaissance de la pluralité des langues, ils élaborent le cadre institutionnel et intellectuel qui permet à l'État de perdurer jusqu'en 1918.Linking language(s) and nation(s) in the Habsburg Empire: the Hour of the Liberals
Liberalism had been maturing as a political force in the Austrian empire for the first half of the 19th Century. Liberalism was sustained by nobiliary networks which came to power by taking advantage of the 1848 revolutions. The programs of their most influent representatives (Janko Drašković, Leo Thun et Josef/József Eötvös) read as a syllabus of the links between language and nation. Trying to accommodate the imperial structure to the acknowledgment of the plurality of languages, they set up an institutional and intellectual frame which allowed the State to subsist until 1918. - Du « renouveau illyrien » au programme de la « Slovénie unifiée », de l'austroslavisme au yougoslavisme : la différenciation nationale des Slovènes sous l'égide des Habsbourg - Ute Weinmann p. 115-145 Au tournant du XIXe siècle, le processus de différenciation nationale du peuple slovène prend son élan au nom de la langue par une phase de prise de conscience linguistique et philologique sur l'histoire et la langue communes. Par la suite, le « printemps des peuples » fait naître les premiers programmes nationaux slovènes et fait basculer l'élan linguistique et littéraire vers un discours identitaire ethnique. Le principe de l'égalité des nationalités ancré dans des lois constitutionnelles de 1867 s'avère autant « générateur de nations » que déclencheur de conflits nationaux et de langues jusqu'au moment où, à la toute fin de la Première Guerre mondiale, l'austroslavisme, voire l'« austroslovénisme », fait place au yougoslavisme indépendantiste radical.From the “Illyrian Movement” to the “United Slovenia” program, from Austro-Slavism to YugoslavismAt the turn of the 19th Century, the national differentiation process of the Slovenian people was initiated through a phase of linguistic and philological awareness of their common history and language. Later, the 1848 Revolutions gave birth to the first Slovenian national programs and the linguistic and literary momentum switched to a discourse on ethnic identity. Rooted in the 1867 constitutional laws, the principle of the equality of nationalities turned out to be as “nation-engendering” as national and linguistic conflict-triggering, until the Austro-Slavism, if not -Slovenism, made way to the radical independentist Yugoslavism.
- Thiers et Proudhon adversaires du principe des nationalités - Guillaume Bacot p. 147-163 Malgré l'ampleur bien connue de leurs oppositions, Thiers et Proudhon partagent les mêmes idées sur ce principe des nationalités qui s'impose à leur époque. Mais s'ils utilisent la même argumentation pour le contester, celle-ci repose néanmoins sur des conceptions qui demeurent divergentes.Thiers and Proudhon against the Principle of Nationality
Thiers and Proudhon widely opposed each other but shared the same ideas about the principle of nationality, which was pressing forward at the time. However similar their arguments against the principle might be, they still stemmed from diverging views. - De la formation d'une langue à la formation d'un État : une histoire croisée dans la Grèce du XIXe siècle - Caroula Argyriadis-Kervegan p. 165-189 La langue néo-hellénique a joué un rôle essentiel dans la constitution de la nation grecque après la déclaration d'indépendance. En couvrant un large spectre qui va du grec ancien à la langue vernaculaire, la langue a été un instrument maniable autant pour l'État que pour la société civile. Sa forme épurée, la katharevousa, souligne la longue tradition historique du peuple grec depuis l'Antiquité et elle permet de se réclamer d'un passé glorieux à un moment où l'État néo-hellénique doit affirmer sa position internationale. À partir de la fin du XIXe siècle, sa forme vernaculaire, la démotique, a été mise au service de luttes sociales et politiques. En fait, en raison de son évolution, la langue a permis à la nation grecque de prendre conscience de sa spécificité parmi les nouveaux États nationaux du sud-est européen.From the Birth of a Language to the Birth of a State: Cross-histories in 19th-century Greece
The Neo-Hellenic language played an essential part in the birth of the Greek nation after the Declaration of Independence. Dovetailing between ancient Greek and the vernacular, the language proved a workable instrument both by State and civil society. Its more refined version, the katharevousa emphasized the long historical tradition of the Greek people back to Antiquity and allowed for laying claim to a glorious past at the moment when the new Hellenic state was trying to secure its international standing. From the late 19th Century on, the vernacular form or demotic was enlisted in various social and political struggles. Owing to its evolution, its language provided the Greek nation with a sense of its peculiarity among the new south-European nation-states.
- Politiques de langues et questions nationales sous la Révolution française - Jean-Luc Chappey p. 13-39
Variétés
- Philippe de Béthune (1565-1649) - François Monnier p. 191-212 Diplomate réputé, frère de Sully, Philippe de Béthune n'a sans doute pas répondu expressément à une commande de Richelieu, même si celui-ci a visé Le Conseiller d'Estat ou Recueil général de la politique moderne (1633) et en a encouragé la publication. L'ouvrage n'est pas, à proprement parler, une œuvre de propagande. Sans grande originalité, il se présente comme une réflexion au seuil d'une vie passée au service de l'État, dont tout l'intérêt est de montrer comment un « politique » averti, avec tous ses états d'âme, concevait l'exercice du pouvoir et la raison d'État en ces temps d'affirmation du ministériat du cardinal.Philippe de Béthune
Sully's brother Philippe de Béthune was a diplomat of repute. His Le Conseiller d'Estat ou Recueil général de la politique moderne (1633) was not commissioned by Richelieu who nevertheless endorsed and even encouraged its publication. Hardly original, the work is not properly speaking a piece of propaganda but reads as a reflection over a whole life devoted to the service of the state. Its major interest is to show how a savvy “politique” (statesman) could feel and understand the wielding of power and of the reason of state during the high tide of Richelieu's ministry. - Une raison d'État au Moyen Âge ? Retour sur une hypothèse historiographique - Julien Le Mauff p. 213-236 Issue de l'historiographie des années 1960, l'idée d'une préfiguration médiévale de la raison d'État moderne conserve une séduction certaine pour l'historien actuel, surtout lorsqu'il souhaite replacer la naissance de la modernité politique dans une étude de plus longue durée. Les analyses de Gaines Post d'après le Policraticus de Jean de Salisbury, et celles d'Helene Wieruszowski sur Roger II de Sicile, demeurent ainsi souvent citées. Pourtant, la relecture de ces interprétations ne résiste pas à une confrontation précise aux sources sur lesquelles elles s'appuient. Aussi la démarche visant à inscrire la raison d'État et le basculement vers la pensée souveraine dans un processus chronologiquement plus étendu ne peut-elle s'abstraire totalement de la prise en compte de certaines ruptures dont le positionnement chronologique ne peut être reculé et, constatant celles-ci, doit donc trouver d'autres chemins pour tenter d'en expliquer les origines et les conditions d'apparition.A Mediaeval reason of state? Looking back at a historiographic hypothesis
Forged by historians in the 60', the idea that the Middle-Age knew some prefiguration of the modern reason of state may still appeal to the current historian, especially if they wish to investigate the political modernity within a broader temporal scope. The analyses of Gaines Post on John of Salisbury's Policraticus and Helene Wieruszowski on Roger II of Sicily are still frequently quoted. Such interpretations, however, hardly hold their ground once confronted to the very sources they call on. The project of placing the reason of state and the shift to the sovereign view within a chronologically extended process cannot afford to ignore some historical breaks which cannot be moved back on the timeline and whose origin and conditions of appearance call for alternative explanations.
- Philippe de Béthune (1565-1649) - François Monnier p. 191-212