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Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 228, juin 2019 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Des « Blancs honoraires » ? : Les trajectoires sociales des Portugais et de leurs descendants en France - Margot Delon p. 4-28 Peu étudiés, les immigrés et descendants d'immigrés portugais occupent une position originale dans les dynamiques de stratification en France. Disposant de capitaux économiques, ils accèdent plus rarement aux positions les plus dominantes sur les marchés des titres scolaires et de l'emploi. À partir d'une enquête par entretiens, observations, archives et statistiques, l'article décrit les trajectoires socio-résidentielles de ce groupe afin de saisir les processus de racialisation ainsi que les hiérarchies auxquelles ils contribuent, relativement à d'autres groupes issus de l'immigration. À ces fins, la catégorie de « Blanc honoraire », créée dans le contexte étasunien, est employée pour rendre compte de l'importance des groupes intermédiaires dans les hiérarchies ethno-raciales. Cette catégorie permet de saisir tant le privilège dont bénéficient les personnes d'origine portugaise relativement aux minorités coloniales et postcoloniales que le caractère ambigu et précaire de ce privilège. Pour être effectif, ce dernier suppose en effet l'adhésion et la reproduction des attentes du groupe dominant, notamment en ce qui concerne le fait de se distinguer de groupes stigmatisés. L'étude de la façon dont ce privilège a été en partie construit par les politiques de l'immigration et de l'habitat précaire dans l'après-guerre montre également combien la racialisation est loin d'avoir été linéaire et uniforme. Ce processus a créé des conditions de socialisation congruentes avec certaines aspirations migratoires des familles dans les bidonvilles, ce qui a durablement structuré les trajectoires et les manières de se positionner des personnes qui y ont grandi.Portuguese immigrants and their descendants are understudied, yet they occupy a particular position within the dynamics of social stratification in France. Provided with economic capital, they rarely reach the highest positions in the markets for diplomas and jobs. Based upon interview-driven fieldwork including observations, archives and statistics, this article describes the social and residential trajectories of this group in order to identify the processes of racialization as well as the hierarchies to which it contributes, by comparison with other immigrant groups. It does so by using the category of “honorary whites,” originating in the US context, in order to account for the importance of these intermediary groups in ethno-racial hierarchies. This category makes it possible to characterize the privilege of individuals of Portuguese background vis-à-vis colonial and postcolonial minorities as well as the ambivalent and precarious nature of such a privilege. In order to be effective, it requires the acceptance and the reproduction of the expectations of the dominant group, in particular when it comes to what differentiates one from stigmatized groups. The analysis of the contribution of postwar immigration and housing policies in the development of this privilege also suggests that racialization has not been a linear and uniform process. It has generated conditions of socialization that converged with some of the migratory projects of the families living in slums and, as a result, structured in the long run the trajectories and positioning strategies of the individuals who come from these families.
- Une cause perdue : Une sociologie du désenchantement politique et des coûts de l'engagement militant - Joseph Hivert p. 29-41 Prenant pour objet les carrières militantes de deux apparentés (la mère et son enfant) engagés, au cours des années 1970-1980, dans le Mouvement des familles de détenus politiques marxistes-léninistes au Maroc, cet article propose une sociologie du désenchantement militant attentive aux différentes séquences, modalités et logiques de la déprise militante. Il cherche à comprendre comment, selon quelles modalités et à quel « prix » se dénoue le rapport enchanté que la mère et son fils ont construit à l'égard de la « cause » des détenus politiques au cours d'une séquence d'engagement fusionnel. Il met au jour deux carrières de désengagement contrastées : si l'exit militant de la mère procède de la transformation de son habitus individuel, la déprise militante du fils est plus complexe et débouche sur un épisode délirant. En défendant le droit à l'explication sociologique de cas étiquetés pathologiques, l'article montre que la « folie » du fils peut être appréhendée comme un « raté de l'habitus ».This article focuses on the activist careers of two relatives (a mother and her son) who took part during the 1970s and 1980s in the Movement of families of Marxist-Leninist political prisoners in Morocco. It develops a sociology of the disenchantment of activism that pays attention to the different sequences, modes and logics of disengagement. It seeks to understand how and at what “price” the enchanted relationship that a mother and a son have built through a symbiotic activism around the “cause” of political prisoners is undone. The article identifies two different sequences of disengagement: if the mother's activist exit reflects the transformation of her individual habitus, the son's activist disengagement is more complex and triggers a delirious episode. It defends the legitimacy of a sociological explanation of conditions that are deemed pathological, and suggests that the son's “mental condition” can be construed as a “habitus glitch”.
- L'usage du monde : Hiérarchie nationale et stratégies d'internationalisation des grandes écoles d'ingénieurs - Adrien Delespierre p. 42-55 Au tournant des années 1980-1990, de nouveaux impératifs d'« ouverture internationale » commencent à s'affirmer parmi les écoles d'ingénieurs et à s'imposer progressivement à l'ensemble du champ français des grandes écoles. Leur propagation va de pair avec la contestation des principes nationaux de hiérarchisation de ces établissements, historiquement fondés sur l'élitisme scolaire et l'autonomie plus ou moins marquée à l'égard du monde professionnel. Cet article prend pour objet la manière dont ces impératifs d'internationalisation, initialement portés par des écoles en position de porte-à-faux cherchant à déstabiliser la hiérarchie établie, en sont venus à exercer une force contraignante sur l'ensemble des écoles d'ingénieurs, jusqu'aux institutions publiques les plus anciennes et les plus consacrées. Il s'agit de s'interroger sur la portée réelle de cette révolution symbolique et d'examiner en quoi les nouvelles formes de concurrence pour l'accumulation de capital international affectent l'ordre traditionnel du champ des grandes écoles d'ingénieurs.Starting at the turn of the 1980s-1990s, engineering schools were increasingly required to become more “international,” in a process that gradually transformed all the French grandes écoles. The diffusion of these catchwords went hand-in-hand with the challenging of the national principles of hierarchization of these schools, historically founded upon educational elitism and a more or less pronounced autonomy vis-à-vis the professional world. This article focuses on the ways in which these internationalization imperatives, initially heralded by schools that were at odds with a traditional hierarchy that they sought to destabilize, ended up becoming a constraint across the entire range of engineering schools, and ultimately for the oldest and most traditional public institutions. It reflects upon the real consequences of this symbolic revolution and seeks to understand how the new forms of competition for the accumulation of international capital impacted the traditional order of the big engineering schools.
- Enfiler les gants de la respectabilité : Accumulation et usages du capital culturel dans les quartiers populaires (France/États-Unis) - Akim Oualhaci p. 56-75 À partir d'une enquête ethnographique dans deux salles de boxe situées dans des quartiers populaires en France et aux États-Unis, cet article montre en quoi la socialisation à la boxe relève d'une transmission de capital culturel. La proximité sociale entre entraîneurs et boxeurs facilite le travail de socialisation de ces derniers qui s'engagent dans une transformation de soi indissociablement corporelle et culturelle. En retour, l'accumulation de capital culturel produit des effets différenciés sur les espaces sociaux étudiés. L'ethnographie comparée met en lumière des points de convergence et de divergence dans les principes constitutifs de la stratification sociale des jeunesses populaires racisées en France et aux États-Unis. L'analyse du processus d'accumulation du capital culturel montre en quoi les destins sociaux possibles divergent pour les boxeurs aux États-Unis et en France : pour les premiers, ce processus ouvre davantage d'espoir de mobilité sociale et résidentielle ; pour les seconds, il donne plus accès à des statuts locaux.Based upon ethnographic fieldwork in two boxing gyms located in lower class neighborhoods in France and in the United States, this article suggests that socialization in boxing partakes in a transmission of cultural capital. The social proximity between coaches and boxers facilitates the latter's work of socialization, as they embark upon a process of transformation of the self that is indissolubly bodily and cultural. Conversely, the accumulation of cultural capital generates differentiated effects within the social spaces under scrutiny. Compared ethno- graphy sheds light on the convergences and divergences that characterize the constitutive principles driving the social stratification of lower class youth in France and in the United States. The analysis of the process of accumulation of cultural capital shows that the range of possible social destinies is different for boxers in the United States and in France: for the former, this process sustains real hopes of social and residential mobility; for the latter, it opens the way toward local status.