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Revue | Revue historique |
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Numéro | no 691, 2019/3 |
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- Valeria Messalina partu potens. La maternité de Messaline selon les auteurs anciens - Estelle Berlaire Gues p. 509-540 Cet article examine la présentation qui est faite de la maternité de l'impératrice Valeria Messalina par les auteurs anciens. Renommée pour ses mœurs scandaleuses, la troisième épouse de Claude semble se désintéresser du sort de ses enfants. L'analyse des textes qui nous sont restés montre cependant que cette image est erronée : mère de Britannicus, Messaline veille sur ses droits à l'Empire en écartant des membres influents de la Cour. Cette puissance effective déplaît fortement aux auteurs anciens car elle constitue une menace pour le pouvoir impérial. La condamnation de la mémoire de Messaline et l'avènement d'Agrippine sont des facteurs déterminants dans l'élaboration de la figure de la meretrix Augusta au point que le nom de l'impératrice est devenu synonyme de débauche. Maternité et sexualité caractérisent les femmes impériales et c'est à travers ces deux prismes principalement que les sources restituent leur image. Messaline ne fait pas exception mais les surpasse, notamment à cause de son statut de mère impériale. L'étude de cette figure sur plusieurs siècles permet de mesurer la haine dont elle est rapidement l'objet en passant d'une mère prodigue à une mère indigne.This article looks into the presentation of the motherhood of the empress Valeria Messalina, the third wife of Claudius, by the ancient authors. Messalina is known for her scandalous manners and her marriage to Caius Silius even though she's still married to the emperor. She never seems concerned by her children, Octavia and Britannicus. However, it appears by the analysis of the texts at our disposal that this image is erroneous. First of all, Messalina is the mother of Britannicus, heir of Claudius and first male to be born under the principate of his father. The extreme youth of his son obliges the empress to protect his life and his claims to the imperial power. For that purpose, she prevents the potential rivals.Her power displeases the ancient authors because it embodies the excesses of the imperial power and the risks of the hereditary succession. The condemnation of the memory of Messalina and the accession of Julia Agrippina explain the negative image of the mother of Britannicus ; she becomes the meretrix Augusta, a woman who can't control her sexuality. Motherhood and sexuality characterize imperial women since most of them are wives and mothers. Authors elaborate their portrait according to these two criteria. The main feature of Messalina is to be the wife of the emperor and the mother of his natural heir ; she surpasses Livia and Agrippina the Younger, wives of the emperor, but mothers of an heir adopted by the emperor. Therefore, the motherhood of Messalina allows the authors to discredit durably her acts.The analysis of this figure on several centuries enables us to observe the evolution of the character of Messalina as mother, from a prodigal mother to an undeserving mother.
- Métropole et monastères : l'urbanisation médiévale de Paris. Le cas de la seigneurie ecclésiastique de Saint-Martin-des-Champs - Jörg Oberste p. 541-575 Entre 1100 et 1300 la ville de Paris est devenue la métropole la plus grande dans le monde occidental. L'espace urbain de Paris était extrêmement fragmenté, aussi bien juridiquement que socialement. Les grands seigneurs ecclésiastiques qui sont au cœur de cet article purent grâce à des privilèges royaux et épiscopaux s'assurer des droits seigneuriaux, fonciers et judiciaires très étendus dans leurs territoires parisiens. Ce faisant, ils entraient en concurrence directe avec le roi et l'évêque pour l'exercice des droits de seigneurie en ville. C'est dans cette perspective que le projet de recherche sur les bourgs et censives parisiens présenté ici pose les questions suivantes : à quelle époque commence l'immigration dans ces espaces, quand perdent‑ils leur empreinte purement agraire ? Comment les propriétaires fonciers, dans le cas de Paris les seigneuries ecclésiastiques, affrontent‑ils les défis posés par l'urbanisation ? Quels mécanismes d'intégration existent pour la ville et les quartiers en développement ? Quel rôle joue à Paris en particulier le roi, en tant que seigneur de la ville, dans ce processus ? Et dans quelles conditions la ville de Paris devint‑elle cette « incomparable » métropole (« Paris sans pair ») qui, pas uniquement en termes quantitatifs, mais aussi dans la perception qu'elle-même et les autres avaient d'elle, se transforma en la plus grande ville européenne ? Pour répondre à ces questions, l'article se concentre sur l'exemple de la censive du prieuré de Saint-Martin-des-Champs et ses riches fonds de documents juridiques et administratifs.Les chartes conservées de Saint-Martin-des-Champs peuvent, pour des temps très anciens, donner des aperçus de l'administration du territoire du prieuré à Paris, qui s'étendait autour de l'endroit de sa fondation et le long de l'ancienne rue Saint-Martin jusque par endroits sur la rive droite de la Seine. Les chartes indiquent que le monastère commença vers le milieu du XIIe siècle à vendre des terrains dans son bourg parisien et à lier à soi les acheteurs en les soumettant à des cens et d'autres droits seigneuriaux.Between 1100 and 1300, medieval Paris became the largest city in the Western world. The urban space in Paris was and remained divided between large monastic institutions, who established settlements and legal structures in their urban, and especially suburban, territories, which secured their dominion over their quarters of the future metropolis. By doing so, they came into competition with the king and the bishop, who since the 12th century had also striven after ownership of urban space, judicial authority, and revenues in Paris. In this perspective the research project on Parisian towns and centres presented here raises the following questions : when does immigration begin in these areas, when do they lose their purely agrarian imprint ? How do landowners, in the case of Paris the ecclesiastical seigneuries, face the challenges posed by urbanization ? What integration mechanisms exist for the city and developing neighbourhoods ? What role does the king in Paris in particular play, as lord of the city, in this process ? And under what conditions did the city of Paris become this “incomparable” metropolis (“Paris without peer”) which, not only in quantitative terms, but also in the perception it and others had of itself, transformed itself into the largest European city ? To answer these questions, the article focuses on the example of the censive of the priory of Saint-Martin-des-Champs and its rich collection of legal and administrative documents.The preserved charters of Saint-Martin-des-Champs can, for very ancient times, give insights into the administration of the territory of the priory in Paris, which extended around the place of its foundation and along the old rue Saint-Martin to places on the right bank of the Seine. The charters indicate that the monastery began in the middle of the 12th century to sell land in its Parisian village and to bind the buyers to itself by subjecting them to cens and other seigneurial rights.
- Par-delà les cathares : conflits de pouvoir et hérésie dans le diocèse de Lucques (XIIe-XIVe siècles) - Alessia Trivellone p. 577-627 L'hérésie médiévale est au centre d'un vaste débat historiographique de portée internationale déclenché il y a vingt ans, lorsque des publications françaises ont posé des questions brûlantes : l'hérésie médiévale a-t‑elle pu parfois être inventée par les hommes du Moyen Âge ? L'étendue des déviances doctrinales médiévales a-t‑elle pu être surestimée par les historiens qui l'ont étudiée ? La controverse s'est installée, et pour cause : les enjeux du débat ne concernent en effet pas seulement la manière d'appréhender l'hérésie médiévale, mais investissent plus largement la manière de faire l'histoire et de traiter les sources.Cet article entend proposer une réflexion méthodologique sur l'approche des sources médiévales documentant l'hérésie, à partir de l'étude des nombreuses affaires attestées dans le diocèse de Lucques, en Toscane, du XIIe au XIVe siècle : des sources variées et parfois inédites (témoignages dans un procès, lettres pontificales, sculptures, documents inquisitoriaux) y dénoncent des hérétiques qu'elles désignent de plusieurs noms (patarins, ariens, « pauvres de Lyon »). Si l'historiographie a invariablement vu derrière ces affaires la manifestation de déviances doctrinales, qu'elle a parfois uniformisées en les désignant de « cathares », une analyse à nouveaux frais permet d'ancrer ces affaires dans des conflits politiques plus larges : il en résulte clairement que ces accusations d'« hérésie » sont bien loin de cibler des déviances doctrinales, mais se nourrissent d'enjeux sociaux et politiques.Heresy in the Middle Ages is currently at the centre of a large historiographic debate of international interest, one set in motion twenty years ago when certain French scholars posed radical questions : Is it possible that medieval heresy was at times “invented” rather than “discovered” by medieval peoples? Has the extent of medieval doctrinal deviance been exaggerated by the historians who have studied it? With these questions an argument has been ignited, with good cause : the debate does not just touch on the question of how to understand medieval heresy itself, but has implications for how we do history and how we should receive its sources.This article seeks to contribute to this debate by offering methodological reflections on approaching medieval sources which document heresy, based on a study of a number of cases attested from the twelfth to fourteenth centuries in the diocese of Lucca, Tuscany. These varying sources, some previously unpublished (trial testimony, pontifical letters, sculptures, inquisitorial documents), carry denounciations of certain heretics designated under numerous names (Patarines, Arians, the “Poor of Lyon”). Yet where historiography has invariably taken these different cases as manifestations of doctrinal deviance – one which has at times been rendered uniform and consistent by calling them “Cathars” – a fresh analysis permits us to root them in much larger political conflicts. The result is that these accusations of “heresy” were clearly far from targeting doctrinal deviance, instead feeding off of social and political issues.
- Aux racines de la rose : Louis du Périer, consul et bibliophile lyonnais - Jean-Benoît Krumenacker p. 629-667 Louis du Périer, bibliophile bien connu des spécialistes des manuscrits enluminés du XVe siècle, est souvent présenté comme provençal du fait de son office de visiteur des gabelles à sel de Provence et de l'installation en Provence de sa descendance parmi laquelle on trouve le François du Périer à qui Malherbe adressa sa célèbre Consolation. Cet article vient montrer au contraire son ancrage lyonnais. Grâce aux archives lyonnaises, on peut ainsi retracer sa carrière dans la vie politique lyonnaise entre 1484 et 1503. Il effectue plusieurs missions pour la ville et apparaît rapidement comme l'un des principaux Lyonnais dans la gestion des affaires communes pour lesquelles il est élu à quatre reprises au consulat. Il obtient de plus pour lui comme pour son fils aîné des offices royaux importants et acquiert la noblesse en 1498. La principale charge pour laquelle il est connu est celle de visiteur du sel de Provence, obtenue, semble-t‑il, en 1486 mais réellement prise seulement en 1489. Néanmoins, les traces de ses activités lyonnaises rendent impossible un véritable exercice pratique de cette charge qui lui donne un certain rang dans les assemblées mais reste, d'une certaine façon, presque fictive. Son importante activité politique lyonnaise le rend proche de certains personnages comme Humbert de Varey et impose certainement son rattachement à une des meilleures familles lyonnaises de l'époque, probablement la famille Thomassin dont il serait un cadet.Louis du Périer is a well-known French bibliophile who commissioned several manuscripts illuminated by Lyon artists. He is also the great-grandfather of François du Périer to whom the poet Malherbe addressed one of the most famous French poems. But his life is almost unknown and his charge as chief of the salt administration (Visiteur des gabelles à sel) in Provence has often misled searchers. On the contrary, this article shows its roots in Lyon and its strong and lasting links with this city. Louis' origin and the first years of his life remain mysterious. He married a woman from Lyon in 1465 and served the king for a few years. In 1484, he began to serve the city of Lyon : he carries out missions to the king and to the Estates of Languedoc for the important question of the Lyon fairs. He was first elected Consul of Lyon in 1486 for two years and then served three more terms in 1490, 1497 and 1501. At that time, he was one of the most important people in Lyon. He is one of the first in the order of consuls and is regularly consulted for the administration of the city when he is not elected. He obtained for himself and for his son many municipal honours. In addition, he became chief of the salt administration in Provence in 1489, was appointed courrier (chief for civil justice in Lyon) to the archbishop around 1493 and obtained nobility in 1498. Thanks to him, his son Gaspard du Périer became a member of the Aix parliament when it was created in 1501. This office will then lead to the relocation of the du Périer family to Provence in the 16th century. Louis du Périer died around 1506. Several of his social relationships are known. He was close to the Varey family, the most important consular family in Lyon in the 15th century. He is thus the guardian of Antoine de Varey, the heir of this family. But other elements, in particular his coat of arms, suggest a relationship with another important family in Lyon, that of the Thomassin. He is probably a cadet of this family whose members served the dauphin, the king and the city of Lyon in the 15th century. He probably has successively two or three wives and at least two sons Gaspard and François. All this information makes it possible to draw a portrait of a member of Lyon's bourgeois elite at the end of the Middle Ages.
- Les relations internationales à Sciences Po : la naissance du CERI et l'essor d'un champ disciplinaire (1945-1968) - Sabine Jansen, Marie Scot p. 669-704 Portant sur la période des années 1930 aux années 1970, l'article analyse les conditions du développement de la discipline des relations internationales, au croisement de plusieurs sciences sociales. Après avoir rappelé l'impulsion donnée à l'étude des questions internationales par les mouvements pro-SDN dans l'entre-deux-guerres, les auteures suivent la naissance et le déploiement des relations internationales à l'IEP et à la FNSP après 1945, en montrant les synergies avec les administrations françaises (Éducation nationale, Affaires étrangères), l'Université ainsi qu'avec les fondations philanthropiques américaines (Carnegie, Ford, Rockefeller). Celles‑ci ont soutenu l'essor des relations internationales à Sciences Po, au travers notamment du financement du Centre d'études des relations internationales (CERI) à partir de 1957. À côté de la 6e section de l'EHESS et du Centre d'études de politique étrangère, créé en 1935 avec l'appui de l'université de Paris et de l'École libre des sciences politiques, mais dont les activités s'étiolent et s'éloignent progressivement des préoccupations académiques, le CERI devient le premier centre de recherches spécialisé dans les questions internationales en France. Dirigé par l'historien Jean-Baptiste Duroselle, s'inspirant des études par aires culturelles, en vogue outre-Atlantique, le CERI agrège, de façon à la fois empirique et pragmatique, des chercheurs de tous horizons et un ensemble de pratiques et de méthodes, qui contribuent à forger un nouveau champ disciplinaire.This paper deals with the development of the academic discipline of International Relations from the 1930s to the 1970s in France. During the interwar period, pro-SDN movements and philanthropic foundations supported the creation of university institutes and think tanks. After World War II, Sciences Po (that is the Institut d'études politiques – IEP – and the Fondation nationale des sciences politiques – FNSP – an elite university) became one of the central place where the discipline thrived with the support of the French administration (Education, Foreign Affairs) and of several American philanthropic foundations (Carnegie, Rockefeller, Ford). The CERI (Centre d'études des relations internationales / Center for international Relation Studies), highly subsidized in the 1950s and 1960s by US-dollars, became the first research centre specialized in international relations issues – though closely collaborating with other academic and non-academic institutions, such as the Centre for Foreign Policy Studies (CEPE) and the 6e Section of the École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Under the direction of Jean-Baptiste Duroselle, a trained historian and a go-between between the American and French academic and philanthropic worlds, the CERI has pragmatically gathered researchers from various disciplinary and expertise backgrounds and has eclectically developed different sets of methods and working practices, through a wide range of research projects – which contribute to forge the new disciplinary field.
- Comptes rendus - p. 705-758
- Liste des livres reçus au bureau de la rédaction - p. 759-760
- Ouvrages analysés dans les comptes rendus de la présente livraison - p. 761-762