Contenu du sommaire : Les « mairies du changement » en Espagne

Dans sa campagne électorale en 2015, Manuela Carmena avait promis de « gouverner en écoutant ». Quelle politique participative a été mise en œuvre une fois la coalition citoyenne arrivée au pouvoir ? Cet article porte sur les généalogies des processus participatifs à Madrid entre 2015 et 2019, en analysant les trajectoires et les sources d'influence de leurs promoteurs. Il montre que trois conceptions de la démocratie – directe, associative et délibérative – traversent l'expérience madrilène, marquée par différentes traditions de mouvements sociaux. Le 15-M a façonné le projet de la délégation à la participation visant à associer de manière directe les citoyens à la décision via des outils numériques, tandis que la tradition des associations de quartier a impacté la délégation à la coordination territoriale pour développer des espaces de participation présentiels avec les organisations sociales. L'équipe municipale s'est également inspirée d'expériences internationales, notamment pour lancer des procédures délibératives basées sur le tirage au sort.

Cet article analyse l'impact de l'arrivée à la mairie de Barcelone de Barcelona en Comú (BeC), la plateforme citoyenne dirigée par l'activiste Ada Colau, par rapport à l'enjeu de la gouvernance métropolitaine. Cette plateforme a surgi comme alternative au gouvernement conservateur de Xavier Trias lors du mandat antérieur (2011-2015), qui avait lui-même mis fin à 30 années de gouvernement de gauche. Les propositions de BeC prétendent rompre avec le modèle précédent, mais elles se heurtent à des tendances lourdes (formelles et informelles) de fonctionnement institutionnel. Nous analyserons dans quelle mesure il est possible de déceler un changement par rapport aux approches de la gouvernance métropolitaine, concrètement en relation aux politiques publiques (output legitimacy) et à la représentation démocratique (input legitimacy).

Les mesures pour favoriser la marche, la pratique du vélo et l'usage des transports publics au détriment de l'automobile constituent à la fois un vecteur et un révélateur du changement politique local à Madrid, Barcelone et Valence depuis 2015. L'article explore les ressources mobilisées par les élus pour re-politiser la mobilité en la sortant de la sphère technique de la gestion des déplacements. Ce champ d'action se construit autour d'élus dont la posture et les stratégies médiatiques varient fortement. Sans nier les limites (fétichisation du vélo et focalisation sur quelques opérations urbanistiques phares) des pratiques politiques, l'article montre les ruptures mais aussi les effets de continuité avec les programmes des municipalités précédentes. L'étude souligne également que la planification des mobilités, à travers le ré-ordonnancement de l'espace public, illustre et prétend faire advenir le changement politique attendu (pacification des comportements, respect, civisme). Cette forme renouvelée de gouvernance par l'infrastructure induit également des reconfigurations relationnelles profondes dans le système local de la mobilité, entre acteurs publics et privés, mais aussi entre mouvements associatifs en faveur des mobilités nouvelles et groupes d'intérêts encore majoritairement attachés à l'automobile.

Lors des élections municipales de mai 2015, les plateformes politiques de nouvelles gauches alternatives associant Podemos à d'autres partis et mouvements citoyens à Barcelone, Cadix et Valence, partagèrent des orientations communes et une mise sur agenda des questions sociales. À partir d'une analyse comparée des principales politiques publiques mises en œuvre par ces municipalités, cet article montre l'émergence de « politiques symboliques » autour de nouveaux « récits de politiques publiques ». Les mesures concrètes pour répondre à « l'urgence sociale » se sont heurtées à de nombreuses contraintes, et les priorités des nouveaux exécutifs locaux ont été influencées par la nature des coalitions et la sociologie des groupes antérieurement mobilisés. On constate néanmoins des changements substantiels dans les priorités, les discours et les manières de faire, autant de changements cognitifs, préludes à des changements de plus grande ampleur.

Manuela Carmena à Madrid, Ada Colau à Barcelone et Joan Ribó à Valence sont tous confrontés à un même enjeu majeur pour leur ville : la reconversion des méga-projets urbains hérités des exécutifs sortants. Fondés sur une perspective de croissance économique continue, souvent surdimensionnés et sous-financés, typiques de l'ère de la spéculation immobilière antérieure à la crise économique de 2008, ces projets demeurent inachevés et doivent donc être repensés. Les nouveaux exécutifs locaux de gauche doivent désormais procéder à des arbitrages générant l'abandon ou la refonte de ces projets urbains. Ils doivent aussi revoir leurs ambitions et effectuer des compromis avec des coalitions d'acteurs distincts, des gouvernements régionaux à l'État, en passant par les promoteurs immobiliers, les banques et les associations de voisins. Cet article apporte une contribution empirique sur les modalités, les réussites et les limites des changements entrepris. Il étudie également les décisions adoptées à l'égard de trois grands projets urbains : Chamartín-Castellana à Madrid, la gare multimodale de Sagrera à Barcelone et le quartier du Cabanyal à Valence.