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Revue | Politix |
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Numéro | vol. 32, no 127, 2019 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Varia
- Les discussions font-elles les votes ? : Conditions, usages et effets des conversations lors des élections françaises de 2017 - Éric Agrikoliansky, Lorenzo Barrault-Stella, Clémentine Berjaud, Diane Delacourt, Kevin Geay, Christèle Lagier, Patrick Lehingue, Emmanuel Monneau p. 3-29 Cet article revisite la question de l'effet des conversations politiques sur les choix électoraux, qui tient aujourd'hui une place importante dans les approches contextuelles du vote. Il se fonde sur une enquête par questionnaires et par entretiens approfondis menée durant les élections françaises de 2017 (la présidentielle et les législatives). L'enquête montre que l'hypothèse d'une fonction délibérative des conversations en période électorale est peu réaliste ; et ce d'autant moins que les conversations ne sont appréhendées que par leurs contenus « politiques ». Si les conversations ont des effets, ceux-ci ne peuvent se saisir qu'à l'aune des ancrages sociaux qui définissent non seulement la possibilité des conversations politiques, mais aussi le sens que les électeurs confèrent à ces dernières. L'article montre que ce qui circule dans les conversations en période préélectorale, ce sont moins des informations politiques permettant aux électeurs de se décider que des normes et des identifications partisanes et sociopolitiques qui confèrent à l'acte de vote une dimension collective déterminante.Does discussion create votes?
This article considers the impact of political conversations on electoral choices, a highly important topic today, in the contextual approach to voting. This paper is based on a questionnaire-based survey and in-depth interviews conducted during the 2017 French elections (presidential and legislative). It shows that the hypothesis that conversation plays a deciding role during election periods is unrealistic, especially when focusing solely on conversations' “political” content. While conversations have effects, they can be understood only by studying the social anchors that determine the possibility of having political conversations, as well as the meaning voters give to such talks. Ultimately, this article demonstrates that what circulates in pre-election conversations is less political information helping voters to make decisions, than norms and partisan identifications that give the act of voting a decisive collective dimension. - Le Front national comme espace de luttes : dynamiques croisées de professionnalisation politique - Willy Beauvallet, Sébastien Michon p. 31-57 L'article propose une analyse des crises au Front national à partir d'une perspective de sociologie politique et d'une prosopographie de l'ensemble des parlementaires nationaux et européens élus sous l'étiquette de ce parti. Les divisions en son sein ne s'expliquent pas uniquement par des variations idéologiques. Elles dépendent aussi de l'articulation entre l'état de la compétition politique et le système des positions et prises de position auquel il donne sens. Le FN est un produit de l'accélération des mécanismes de professionnalisation politique depuis les années 1970. Ce processus est au principe de trajectoires différenciées parmi ses élites dirigeantes. Deux dimensions s'avèrent particulièrement structurantes des concurrences et des conflits qui traversent le FN depuis le milieu des années 1980 : le temps passé en politique en son sein, et la structure du capital politique.The National Front as a space of struggle. Cross-dynamics of political professionalization
The article proposes an analysis of crises in the Front national, the French extreme right party. From the perspective of political sociology and a historical study of all members of parliament elected under the party's label, the article investigates and offers explanations for the divisions in the party, which are not restricted to ideological differences. Divisions also depend on the articulation between the state of political competition and the system of positions it creates. The Front national is a product of the acceleration of political professionalization mechanisms since the 1970s. This process is based on the principle of differentiated trajectories among its ruling elites. Two dimensions are particularly influential on the party's internal competitions and conflicts: the time spent in politics and the structure of political capital. - La politisation : du mot à l'écheveau conceptuel - Yves Déloye, Florence Haegel p. 59-83 Partant du constat que la notion de politisation est de plus en plus utilisée dans la science politique française et que ce succès va de pair avec une forte élasticité conceptuelle, cet article se donne pour objectif d'en clarifier les usages afin d'établir une cartographie raisonnée des problématiques de sciences sociales associées au mot « politisation ». Il aborde d'abord la controverse très fournie, en histoire politique, sur la politisation des campagnes françaises. Puis, il porte l'attention sur les multiples emplois de la notion en science politique, dégageant les principales controverses qui structurent les débats sur la politisation individuelle ou celle des enjeux et activités sociaux. Les auteurs proposent une combinatoire afin d'aider à identifier et préciser les manières dont on utilise cette notion.Politicization: From the term to the conceptual maze
Based on the evidence that the notion of politicization is being more frequently deployed in the French political science and that this success generates significant conceptual elasticity, this paper aims to clarify these uses and to comprehensively map how the social sciences deal with the term “politicization.” Firstly, I address the controversial issue of the politicization of French rural peoples and areas, often discussed in political history. Then, it draws attention to the various uses of the notion in political science, bringing out the major controversies that structure debates about individual politicization or the politicization of social issues and activities. The authors make a combinatorial proposal in order to identify and define the ways in which the term is used. - De bons vagabonds pour l'État : L'extension ambivalente de l'aide sociale à l'hébergement (1959) - Mauricio Aranda p. 85-107 Les délits de vagabondage et de mendicité du Code napoléonien de 1810 restent inscrits dans le droit jusqu'en 1994. Or l'aide sociale à l'hébergement est ouverte aux « vagabonds estimés aptes à un reclassement » dès 1959. Les intéressés peuvent désormais être hébergés durant six mois renouvelables dans des centres d'hébergement et de reclassement par le travail, gérés par des associations et agréés par l'État et les collectivités locales. Ayant lieu dans un contexte d'élargissement de l'État social via l'assistance, cette révision législative est d'autant plus marquante qu'au même moment se produit une chute drastique et continuelle du nombre de condamnations de vagabonds et de mendiants. Nourri d'une enquête archivistique, cet article porte sur la manière dont le vagabondage est problématisé dès le milieu des années 1950, au croisement de plusieurs espaces sociaux (politique, administratif, associatif et judiciaire), et requalifié légalement en objet d'action sociale le 7 janvier 1959. Il montre que le déplacement conséquent du problème d'une conception pénale à une conception sociale se réalise au prix d'un compromis sur la dimension discrétionnaire de l'aide sociale. Ainsi, l'article donne à réfléchir plus largement sur les mécanismes par lesquels l'État redessine la séparation séculaire entre bons et mauvais pauvres dans les politiques sociales contemporaines.Good vagrants for the state
In France, vagrancy and begging were still considered crimes until 1994, according to the Napoleonic Code of 1810. However, from 1959, social housing assistance was available to vagrants thought to be able to reintegrate into society. Those concerned could be housed on a 6-month renewable basis in shelters managed by associations and certified by the state and by local communities. Despite the development of the welfare state by way of social assistance, this legislative revision is noteworthy since it occurred at the same time as a drastic and continuous fall in the number of convicted vagrants and beggars. This article, supported by archives, focuses on the way vagrancy was defined as a public problem from the mid-1950s. This definition was built up by many social spheres (political, administrative, associative, and judicial) and was finally legally related to social assistance on January 7, 1959. It shows that the major change from a penal to a social conception of vagrancy could only be achieved with the inclusion of a discretionary dimension to social welfare. Thus, this article highlights the mechanisms used by the state in order to reconceive the secular distinction between good and bad poor people in contemporary social policy. - Défendre une cause perdue ? : La gestion des contradictions d'un grand projet de renouvellement urbain dans l'agglomération lilloise (2007-2015) - Clément Barbier p. 109-133 Cet article traite d'un grand projet de renouvellement urbain articulant objectifs de promotion de « l'attractivité métropolitaine » et de développement social local : la ZAC de l'Union au nord-est de l'agglomération lilloise. Recourant à des entretiens ethnographiques et à une série d'observations du travail des professionnels mandatés pour le mettre en œuvre, l'analyse porte sur les contradictions qui traversent le projet de l'Union et la manière dont elles sont gérées et mises en sens par les chargés de projet. Conscients de leur impuissance à effectivement influencer les décisions d'implantations d'entreprises extérieures à l'agglomération, ils développent un rapport changeant – tantôt désabusé, tantôt réenchanté – à la mission pour partie irréalisable dont ils héritent.Defending a lost cause?
This article explores a great project of urban renewal that combines the goals of “metropolitan attractiveness” promotion and place-based social development: the Union project in the north-eastern part of the metropolitan area of Lille. Based on ethnographic interviews and on the observation of the work of the professionals in charge of its implementation, the analysis is concerned with the contradictions that structure the Union project and the way the public developers manage them and give them sense. Being aware of their incapacity to actually influence the location decisions of firms that come from outside the urban area, the project managers have a changeable relationship—sometimes disillusioned, sometimes re-enchanted—with the mission they inherit, which is partly impossible to achieve. - Coupures d'eau et crise politique : Éléments pour une sociologie des transformations de l'État en Bolivie - Claude Le Gouill, Joan Cortinas Muñoz, Franck Poupeau p. 135-159 Si le secteur de l'eau est devenu, depuis les années 1990, l'un des principaux domaines de contestation des politiques néolibérales, avec une multiplicité de luttes pour la remunicipalisation du service, le devenir des entreprises publiques qui en sont issues est cependant mal connu. Cet article revient sur le cas du service d'eau de La Paz, en Bolivie, où l'accord avec un consortium français a pris fin en 2007, et où les coupures d'eau qui ont affecté la ville en 2016-2017, s'inscrivent dans un contexte particulier de refondation de l'État. C'est en effet en Bolivie que se sont déroulées les « guerres de l'eau » qui ont conduit le pays à de profonds changements politiques avec la victoire d'Evo Morales, en 2005, sur la base d'un programme de réappropriation des ressources naturelles et de refondation de l'État. La crise hydrique fait apparaître des tensions entre centralisme et autonomie des organisations sociales qui avaient porté le président actuel au pouvoir, mais aussi entre niveaux de gouvernement : autorités nationales et municipales, comités institués de résidents, ONG internationales. L'analyse de cette transformation d'une crise hydrique en crise politique a ainsi pour objectif de contribuer à une sociologie des politiques publiques par l'analyse de la « division du travail étatique » et des luttes pour le pouvoir d'État. L'enquête réalisée auprès des principaux protagonistes de cette crise permet de faire apparaître un repli sur des savoirs techniques de l'ingénierie d'État, susceptible de freiner la mise en œuvre d'alternatives écologiques.Water shortages and political crisis
Since the 1990s, water has been a main area of conflict within the neoliberal policy paradigm. Indeed, the neoliberal era has been marked by a substantial number of struggles over the municipalization of the service across the Global South. However, the development of the public enterprises that have emerged from this process has been less studied. This article focuses on the case of the water service in La Paz, Bolivia, where a contract with a French consortium expired in 2007, and where the water shortages that affected the city in 2016–2017 are inscribed in the specific context of state reform. Indeed, Bolivia was the backdrop for the “Water Wars” that led to deep political changes in the country, with the electoral victory of Evo Morales in 2005, whose political program was based on the re-appropriation of natural resources and the introduction of various reform policies. The water crisis revealed tensions between a centralizing approach and the autonomous social organizations that brought the current president to power, as well as between different levels of government, for example national and municipal bodies, residential committees, and international NGOs. Thus, the objective of the analysis presented in this paper is to understand the transition from a water crisis to a political crisis. As such, the paper contributes to the sociology of public policies based on an examination of the “division of state labor” and struggles for state power. The paper finds that the main actors of the crisis reveal a renewed focus on the technical aspects of state engineering, which tend to present an obstacle to the implementation of ecological alternatives.
- Les discussions font-elles les votes ? : Conditions, usages et effets des conversations lors des élections françaises de 2017 - Éric Agrikoliansky, Lorenzo Barrault-Stella, Clémentine Berjaud, Diane Delacourt, Kevin Geay, Christèle Lagier, Patrick Lehingue, Emmanuel Monneau p. 3-29
Notes de lecture
- Rainhorn (Judith), Blanc de plomb : histoire d'un poison légal, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Domaine Histoire », 2019, 372 p. - Sylvain Le Berre p. 161-165
- Laferté (Gilles), Pasquali (Paul), Renahy (Nicolas), dir., Le laboratoire des sciences sociales : histoire d'enquêtes et revisites, Paris, Raisons d'agir, coll. « Cours et travaux », 2018, 298 p. - Jean-Louis Fabiani p. 166-171