Contenu du sommaire : Ethnographie politique et comparative des émotions
Revue | Revue internationale de politique comparée |
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Numéro | vol. 25, no 3, 2018 |
Titre du numéro | Ethnographie politique et comparative des émotions |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Ethnographie politique et comparative des émotions
- L'ethnographie comparée des émotions pour l'étude des processus politiques - Stéphanie Dechezelles, Christophe Traïni p. 7-25
- Entre mise en scène des émotions et évitement du conflit. Une approche ethnographique des normes affectives dans les conseils de quartier de Téhéran - Sahar Aurore Saeidnia p. 27-49 Cet article propose d'affiner la description sociologique de la figure du « bon citoyen » en Iran (le motamed). À partir d'une enquête ethnographique menée dans les conseils de quartier téhéranais entre 2007 et 2012, cet article propose d'identifier ces exigences d'argumentation et d'expression des émotions jugées convenables, ainsi que les tensions entre les états affectifs que les acteurs montrent publiquement et ceux qu'ils se retiennent d'exprimer. L'analyse ethnographique du travail émotionnel des conseillers de quartier révèle les normes affectives qui contraignent le travail quotidien de ces acteurs, elles-mêmes révélatrices des logiques organisant les relations de pouvoir au sein de ces institutions. L'étude de l'économie émotionnelle que donnent à voir ces échanges est indissociable de logiques politiques et sociales qui relèvent à la fois de l'autoritarisme de la République islamique et de conflits de notabilité locales.This paper aims to refine the sociological understanding of what being a “good citizen” means in the Islamic Republic of Iran. Drawing upon an ethnographic study conducted in Tehran's neighbourhood councils (between 2007 and 2012), this paper identifies what emotions are legitimate (or not), as well as exploring the tensions between emotions that are publicly shared and those that are hidden. This ethnographic analysis of the councillors' emotional work reveals how the affective norms constrain their everyday activities and structure power relations in these institutions. The councillors' emotional rationalities appear to be impacted by both political and social processes.
- Produire de la compassion. L'accompagnement des victimes de violences conjugales en France et aux États-Unis - Pauline Delage p. 51-70 Depuis le mouvement de libération des femmes des années 1970, des groupes féministes se sont constitués pour accompagner et héberger les femmes victimes et leurs enfants en France et aux États-Unis. À partir d'une enquête sociohistorique et ethnographique menée dans des associations de lutte contre les violences conjugales situées dans le comté de Los Angeles et en Île-de-France, cet article propose de saisir la façon dont professionnalisation et politisation des émotions s'imbriquent dans la constitution du territoire professionnel d'organisations héritières des mouvements féministes. Dans les deux cas de l'enquête, en France et aux États-Unis, les émotions développées par les militantes et les professionnelles sont relativement similaires. La transformation du répertoire d'action, que traduit l'instauration des régimes professionnels de la cause des violences conjugales, s'accompagne du passage de l'expression de la colère à celle de la compassion. Toutefois, ces émotions sont pensées et travaillées à partir de conceptions différentes en fonction des contextes locaux. La comparaison entre deux espaces militants éclaire les rouages de la production de la compassion dans des associations militantes.Since the women's liberation movement of the 1970s, feminist groups have been formed in order to support and provide shelter to survivors of domestic violence and their children in France and in the United States. Drawing upon a sociohistorical and ethnographic study that I conducted in the Paris region and in Los Angeles, this article shows how the politicization and professionalization of emotions are entangled in the professional sphere of these feminist organizations. In France and the United States, the emotions developed by the feminist activists and professionals were quite similar. When the professional system for tackling the domestic violence cause was set up, anger was replaced by compassion. However, these emotions are understood and shaped in different ways depending on the local context. This comparison between the two spheres of activism illustrates how compassion is produced in activist organizations.
- Vers une ethnographie comparée des émotions : des victimes du Distilbène aux victimes des pesticides - Coline Salaris p. 71-97 Longtemps délaissée ou décriée par les sciences sociales, l'étude des émotions connaît un regain d'intérêt ces dernières années, notamment dans la sociologie des mobilisations. La normalisation progressive de cet objet de recherche ne va cependant pas sans poser un certain nombre de questions – voire de « tourments » – pour l'enquêteur impliqué dans une recherche de ce type. Cela est d'autant plus vrai dans le cadre d'enquêtes ethnographiques où le chercheur se trouve directement engagé auprès de ses enquêtés et donc confronté à leurs affects et émotions. Pourtant, la combinaison d'une approche ethnographique et comparative dans le travail de recherche sur les émotions propose de nombreuses perspectives scientifiques. Ces méthodes permettent de saisir au mieux les états affectifs qui s'exercent et se manifestent empiriquement. Du fait, malgré les nombreuses difficultés méthodologiques de ce type d'enquêtes, l'approche comparative et l'investissement sur plusieurs terrains facilitent le travail de distanciation du chercheur. En s'appuyant sur l'expérience d'une enquête sur deux mobilisations émotionnelles – les mobilisations de victimes du Distilbène et les agriculteurs victimes des pesticides – cet article méthodologique se propose de présenter les apports de l'ethnographie comparée des émotions pour la sociologie et la science politique.Having long been excluded from the realm of social sciences, the study of emotions has recently been attracting interest, particularly within the sociology of mobilizations. However, this topic of study presents a challenge for researchers during their field research, especially during ethnographic work, when they are actively involved with people, their affects, and their emotions. The topic of emotions in ethnographic research also raises questions as to the objectivity of researchers, who have to deal with their own emotions and to distance themselves from their objects of study. In this context, a comparative ethnographic approach that involves multiple fields of enquiry can help to tackle these challenges. Based on the study of the Distilbène scandal and of the French farmers who suffered due to pesticides, this methodological article presents the advantages of a comparative ethnography of emotions in sociology and the social sciences.
- Observer les émotions pour saisir la politisation. Retour sur une enquête ethnographique en Bosnie-Herzégovine - Cécile Jouhanneau p. 99-121 À partir d'une enquête conduite entre 2007 et 2012 auprès d'anciens détenus de camps en Bosnie-Herzégovine, cet article avance que l'ethnographie comparée des émotions des enquêtés et de l'ethnographe peut contribuer à la compréhension des rapports ordinaires à la politique spécialisée. Dans cette société souvent réduite à l'ultra-nationalisme ou inversement au désintérêt pour la politique, la retenue et l'exposition publique du récit affecté de la détention donnent à voir des formes de politisation qui mettent à mal une telle dichotomie. Un discours de rejet et des pratiques d'évitement de la politique spécialisée peuvent ainsi fort bien aller de pair avec des connaissances solides du travail des acteurs partisans. L'ethnographie comparée des émotions peut donc révéler la présence souvent insaisissable de la politique dans la vie quotidienne.By revisiting a study on Bosnian war camp detainees conducted between 2007 and 2012, this article builds a case for the comparative ethnography of the emotions of both the ethnographer and the interlocutors. It argues that this approach can improve understandings of the ordinary relations with politics in a society whose members are frequently reduced to stereotypes of either ultra-nationalism or absolute political indifference. Drawing on the observation of emotions expressed within an association of war victims and of the ethnographer's emotional labor, this article unveils practices of self-exposure or discretion that reveal a solid understanding of politics, undermining this dichotomy. A comparative ethnography of emotions can thus reveal the often-elusive presence of party politics in everyday life.
- Ethnographie comparée du risque émotionnel au travail. Une tâche aveugle de l'agenda politique - Thomas Bonnet p. 123-149 En s'appuyant sur une enquête menée dans les pompes funèbres, à l'hôpital et dans la police, l'article propose de traiter de l'étude sociologique des émotions au travail et de leur dimension politique. D'un côté, il souligne donc les apports méthodologiques de l'ethnographie comparée. L'article plaide en faveur de cette méthodologie combinée en cherchant à montrer la finesse qu'elle permet par l'usage de l'observation et des entretiens en mobilisant divers milieux professionnels. D'un autre côté, l'article vise à comprendre comment les émotions au travail (surtout ce que nous avons appelé le « risque émotionnel ») sont traitées politiquement. Le risque émotionnel peut apparaître souvent comme un risque invisibilisé, car normalisé. Il constitue un enjeu important pour les conditions de travail et leur négociation, mais il est délicat à mettre en avant. Il est souvent expliqué et légitimé par la culture professionnelle, plus ou moins nié par les logiques gestionnaires et relativement oublié de l'action syndicale. Par conséquent, il s'extrait peu ou pas du champ local et n'acquiert donc pas une dimension politique plus large, alors même que l'on observe un intérêt croissant des politiques publiques pour les questions de bien-être au travail.Drawing upon a study carried out at a funeral home, a hospital, and a police station, this article explores the sociological study of emotions at work and their political dimension. First, it emphasizes the methodological contributions of comparative ethnography, arguing in favor of this combined methodology by seeking to highlight its refined use of observation and interviews by mobilizing various professional circles. Second, the article aims to understand the political handling of emotions in the workplace (especially what we term “emotional risk”). Emotional risk is often an invisible risk because it is normalized. It is an important issue for working conditions and their negotiation, but it is difficult to bring to the fore. It is often explained and legitimized by professional culture, more or less ignored by management, and relatively forgotten by trade union action. As a result, it rarely or never detaches itself from the local sphere and therefore does not acquire a broader political dimension, although public policies are showing a growing interest in matters of well-being at work.
- Entretien avec Arlie Russel Hochschild - Martina Avanza p. 151-164
Recensions
- Recensions - p. 165-178