Contenu du sommaire : La religion au travail. Explorations par la sociologie contemporaine

Les affaires du voile sont au cœur de la construction d'un « problème musulman », qui a conduit à l'exclusion croissante des musulmanes visibles de nombreux domaines de la vie publique. Leur accès à l'emploi est l'un des enjeux les plus cruciaux de cette exclusion. Cette enquête, réalisée auprès d'étudiantes de Sciences Po, étudie le fonctionnement du voile comme stigmate à l'insertion professionnelle. Interdites d'accès au secteur public, auquel Sciences Po destine traditionnellement, elles rencontrent aussi des discriminations dans le secteur privé dès leurs jobs étudiants, leurs premiers entretiens d'embauche, ou leurs stages. Une diversité de stratégies se manifeste dans le maniement de ce stigmate, au moment de se projeter dans une carrière, dans un cadre fortement contraint.

Les attentats de 2015 ont provoqué une réémergence de la question religieuse dans les politiques scolaires. Au croisement entre sociologies de l'action publique et des groupes professionnels, cet article donne à voir les débats déontologiques suscités par la mise à contribution des agents de l'Éducation nationale dans les dispositifs de promotion la laïcité et de lutte contre la « radicalisation ». La focale sur une académie fait apparaître des bricolages avec les prescriptions nationales. En effet, le flou qui entoure certaines catégories institutionnelles mobilisées pour légitimer l'action publique accroît l'impact déterminant des acteurs intermédiaires de l'administration scolaire dans les régulations effectives de ces politiques.

À partir de septembre 2004, dans les établissements publics français d'enseignement primaire et secondaire, la loi autorise aux élèves le port de signes religieux discrets et leur interdit ceux manifestant ostensiblement une appartenance confessionnelle. Comment, dès lors, les agents de l'éducation nationale distinguent-ils le discret de l'ostensible, l'autorisé de l'interdit, dans leur mise en application quotidienne de ce nouveau cadre législatif ? L'objectif de l'article est d'identifier les critères normatifs mobilisés et produits par les agents pour procéder à l'évaluation de l'expression vestimentaire et religieuse des élèves. L'observation d'une proximité pratique entre la catégorie de signe religieux et celle de signe d'appartenance communautaire permet notamment d'interroger la nature de ce qui est évalué.

Cet article analyse les trajectoires de huit enseignants qui ont rapporté des tensions dans l'articulation de leur activité professionnelle et de leurs convictions religieuses avant de rejoindre l'enseignement privé musulman (epm). La manière dont ils ont géré ces divergences est un bon révélateur de la mise en place de stratégies de conciliation et d'arbitrage entre obligations religieuses et normes professionnelles. Nous explorons la façon dont celles-ci se déploient dans trois situations qui auraient selon eux justifié leur bifurcation vers l'epm : le port du voile ; les fêtes de Noël ; la prévention de la « radicalisation ».

La médiatisation de contestations à la minute de silence instaurée dans les établissements scolaires publics après les attentats de 2015, puis de 2017, propulse à nouveau la question de l'expression religieuse des élèves au centre du débat politique sur l'école. Ces événements ont donné à voir le malaise d'enseignants confrontés à une parole qui est la source d'interrogations et de tensions, et dont la régulation met en jeu leurs pratiques autant que leurs identités professionnelles. Les résultats de ce travail mettent en lumière la diversité des formes d'expression identifiées comme religieuses dans les situations d'apprentissage, ainsi que les difficultés éprouvées par les enseignants de collèges et de lycées pour réguler cette parole. Du fait de la violence de certains discours, et de l'incertitude qui entoure les principes de neutralité et de laïcité, les enseignants bricolent et improvisent des postures pédagogiques pour faire face à l'urgence des situations, au risque de parfois renoncer à une absolue neutralité.

L'article décrit un ensemble de conceptions et d'enjeux relevant du religieux dans un contexte d'exploitation forestière au Gabon au début des années 2000. Ce monde du travail apparaît comme parcouru par une grande variété de pratiques et de considérations « religieuses » (au sens large) qui, coprésentes, s'entrecroisent, se répondent, s'influencent. La labilité à l'œuvre reflète un milieu social dense, dynamique et traversé de rapports de force dans sa configuration comme dans sa quotidienneté.

Issu d'une enquête ethnographique, cet article montre comment une entreprise immobilière utilise un système de croyances partagées, associant le protestantisme évangélique, le développement personnel et la réussite économique, pour générer un engagement au travail parmi ses nouvelles recrues. Grâce à des dispositifs informels de socialisation et des programmes de formation, les managers, les formateurs et les agents expérimentés encouragent les nouveaux agents à adopter des pratiques censées améliorer leurs performances et contribuer à leur développement personnel. L'article n'offre pas de réponse toute faite aux relations entre travail, religion et capitalisme, mais invite à s'interroger sur l'impact d'une socialisation par la croyance sur l'engagement dans le travail.

Cet article porte sur la transmission des exploitations agricoles au moment de la retraite de l'exploitant et aborde plus précisément la place et les enjeux qu'occupe dans cette transmission la maison d'habitation, souvent située sur le site de la ferme. Après avoir recensé dans la littérature les facteurs qui entravent la transmission, les auteurs montrent que la cession de la maison est souvent impensée car l'agriculteur cédant vit un dilemme : soit il reste dans sa maison et cela peut compromettre la transmission de la ferme, particulièrement dans le cas d'une transmission hors cadre familial, soit il la quitte et va devoir recomposer son identité ainsi que ses relations conjugales.

La problématique de la « religion au travail » occupe assez fréquemment depuis quelques années le devant de la scène publique. Pourtant, durant les années 1970, les syndicats de l'industrie automobile avaient inscrit dans leurs diverses revendications l'aménagement de lieux de culte pour des immigrés musulmans venus du Maghreb. Qu'y a-t-il donc de véritablement nouveau aujourd'hui ? À partir de ma propre trajectoire professionnelle me conduisant à travailler auprès d'entreprises et collectivités, sur les questions liées au fait religieux, je souhaite précisément examiner les mécanismes par lesquels, peu à peu, la thématique de « la religion au travail » a surgi. Son émergence doit être rapportée à la constitution progressive, au sein du champ économique, d'un « marché » de la diversité.