Contenu du sommaire : L'organisation internationale de l'économie
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
---|---|
Numéro | no 234, septembre 2020 |
Titre du numéro | L'organisation internationale de l'économie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- De quoi est fait « l'ordre économique international » ? - Vincent Gayon p. 4-13
- L'État social-écologique, chantier transnational enfoui : Le projet de Welfare Society de l'OCDE, 1973-1985 - Vincent Gayon p. 14-33 Cet article contribue à l'histoire transnationale de l'État social au tournant des années 1970-1980. L'étude de la production et de la réception du rapport tenu pour emblématique de la « lame de fond » néolibérale ayant frappé les États-providence (OCDE, The Welfare State in Crisis, 1981), sert de traceur aux transformations d'espaces transnationaux, mettant aux prises gouvernements, secrétariats internationaux, fractions universitaires, patronales et syndicales. Contre la lecture hâtive et téléologique de ce rapport, l'enquête exhume un projet au long cours d'intégration du social et de l'économique à l'OCDE qui ambitionnait de devenir le « nouveau rapport Beveridge » et d'étendre le « Welfare State ». Cette initiative participe de la croissance du capital informationnel et social du Département des affaires sociales de l'OCDE sur de nouveaux domaines (emploi, environnement, éducation, logement, santé). Les résistances des secteurs économiques, internes et externes à l'OCDE, auxquelles se confronte cette initiative en altèrent le sens et la portée politique. L'article montre que les clivages entre secteurs « économiques » et secteurs « sociaux » traversent aussi bien des Secrétariats internationaux comme l'OCDE que les appareils étatiques nationaux voire les secteurs universitaires et syndicaux qui y interviennent. Ces oppositions duales et asymétriques, déployées de façon homologue sur différentes scènes, ordonnent les rapports de forces et de sens en présence et expliquent l'enfouissement d'initiatives socio-économiques, voire écologiques, à l'OCDE, aussi bien qu'à la Commission européenne ou à l'OIT. L'hégémonie des secteurs économiques, le plus souvent anticipée par les secteurs sociaux, concourt à l'économicisation néolibérale durable de l'État social et écologique.This article contributes to a transnational history of the social state at the turn of the 1970s-1980s. The production and reception of the report perceived as emblematic of the neoliberal “groundswell” against the Welfare state (OECD, The Welfare State in Crisis, 1981) provides an entry-point to trace the transformation of transnational spaces confronting governments, international secretariats, and competing academics, employers' associations and trade unions. Against the backdrop of a short-sighted and teleological narrative, this investigation underscores the embeddedness of this report in a longer-term project of integration of the social and the economic at the OECD, which purported to become the “new Beveridge report” and to extend the Welfare state. This initiative built on the expansion of the informational and social capital of the Directorate for social affairs of the OECD towards new domains (labor, environment, education, housing, health). Resistance against this initiative from economic sectors within and outside of the OECD altered the scope and political significance of this endeavour. The article shows that the cleavages between “economic” and “social” sectors permeated not only international secretariats like the OECD and national state apparatuses, but also academic spheres and trade union sectors. These dual and asymmetric oppositions, deployed in a homologous way across different spaces, shaped both the power relations at play and the meaning conferred to the project. They help explain the failure of the socio-economic and environmental initiatives fostered by the OECD, as well as the European Commission and the ILO. The hegemony of economic sectors, most often anticipated by social sectors, contributed to the enduring neoliberal economisation of the social and environmental state.
- Les ruses de la raison budgétaire : L'expertise de l'OCDE sur le prix du médicament - Constantin Brissaud, Pierre-André Juven p. 34-49 Cet article revient sur la production, par une organisation internationale – l'OCDE – d'un rapport sur les prix des médicaments « innovants ». Confrontant deux principes historiquement fondateurs de l'engagement de l'OCDE en matière de santé – limiter les dépenses publiques et introduire des « mécanismes de marché » dans des secteurs obéissant à d'autres logiques sociales – l'expertise sur le prix des « médicaments innovants » est prise dans une tension idéologique et un jeu de contraintes structurales que l'article éclaire. D'un côté, les États-Unis, les représentants de l'industrie à l'OCDE (BIAC) et le Département des affaires économiques défendent une lecture « pro-marché », dans laquelle des prix élevés financent l'innovation pharmaceutique. De l'autre, les rédacteurs et rédactrices du rapport principalement membres de la Direction des affaires sociales, plusieurs pays européens, des ONG, et la représentation des syndicats à l'OCDE (TUAC) contestent l'approche économique standard, et remettent en cause les modalités de construction des prix des médicaments « innovants ». En revenant sur le processus de rédaction du rapport et en éclairant les luttes d'intérêt et d'influence à l'œuvre, l'article met au jour les asymétries de position et de ressources entre les deux groupes. Il donne à voir les modalités concrètes de neutralisation de la critique et la tenaille dans laquelle l'OCDE est prise alors que l'extrême profitabilité du secteur pharmaceutique vient heurter l'idéologie de contrôle des dépenses publiques de santé.This article traces the production process by an international organization – the OECD – of a report on the pricing of “innovative” drugs. Against the backdrop of the two historically founding principles regulating the engagement of the OECD on health issues – the limitation of public spending and the mainstreaming of “market mechanisms” within sectors driven by other social logics –, the organization's expertise on the pricing of “innovative drugs” reflects an ideo-logical tension and structural cons-traints which the article seeks to unpack. On the one hand, the US, industry representatives at the OECD (BIAC) and the Econo-mics department champion a “pro-market” approach, whereby high prices fund pharmaceutical innovation. On the other hand, the drafters of the report, predominantly from the Directorate for Social Affairs, several European states, some NGOs and the representation of trade unions at the OCDE (TUAC) challenge the standard economic approach and the pricing modalities of “innovative” drugs. By tracing the draf-ting process of the report and the power and lobbying struggles at play, the article underscores the asymmetries of position and resources between the two groups. By shedding light on the concrete modalities of neutralization of critique, it highlights how the OECD finds itself caught in a vice between the extreme profitability of the pharmaceutical sector and the ideology of control of public expenditure on health.
- Tournant néolibéral et consolidation de la bureaucratie transnationale : Note de recherche sur les statisticiens et économistes en Afrique de l'Ouest francophone - Boris Samuel, Kako Nubukpo p. 50-65 Cette note de recherche porte sur l'essor d'un corps de statisticiens et d'économistes dans l'Afrique de l'Ouest francophone depuis les années 1990. La dévaluation du Franc CFA de janvier 1994 a été suivie par une politique d'intégration économique ayant pour objectif prioritaire la défense de la stabilité macroéconomique et le respect de critères de rigueur inspirés par les politiques européennes. La mise en place d'Afristat, qui démarre ses activités en 1996, contribue à rendre possible la surveillance multilatérale en déployant des outils statistiques harmonisés. Si elle permet à la France de diminuer son assistance bilatérale aux administrations économiques, elle ouvre aussi des lieux de sociabilité aux statisticiens ouest-africains, en leur permettant de développer des stratégies de carrière à la jonction entre le national et le transnational – ce qui est illustré à partir du chantier d'élaboration de nouvelles comptabilités nationales. Les années 1990 ont par ailleurs vu s'achever l'africanisation du dispositif de formation des statisticiens et économistes mis en place au lendemain des indépendances. Les écoles régionales d'économie et de statistique d'Abidjan et de Dakar sont aujourd'hui des piliers dans la formation des hauts cadres des administrations économiques ouest-africaines francophones. Enfin, les statisticiens et économistes de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest constituent une haute élite administrative qui emploie son savoir-faire au service des politiques de désinflation, tout en mettant à profit son influence pour se positionner dans les champs politiques nationaux et régionaux. L'étude biographique pour laquelle plaide cette note permettrait de savoir si l'intégration régionale réalisée autour de principes macroéconomiques orthodoxes a favorisé la constitution d'un corps régional de statisticiens et économistes.This research note analyses the prominence taken by a corps of statisticians and economists in Francophone West African since the 1990s. The devaluation of the CFA franc in January 1994 was followed by a policy of economic integration with the primary aim, influenced by European policies, of sustaining macroeconomic stability and budgetary rigor. The creation of Afristat, which became operational in 1996, contributed to the actualization of a multilateral control, through the deployment of harmonized statistical tools. While this enabled France to reduce its bilateral assistance to economic administrations, it also carved out spaces of socialization for West African statisticians, by allowing them to develop career strategies across the national and the international – a dynamic illustrated with the production process of new systems of national accounting. It was also fostered by the completion, during the 1990s, of the africanisation of the training scheme of statisticians and economists set up at the turn of the Independence era. The regional schools of economics and statistics of Abidjan and Dakar are now positioned as cores for the training of the high-level officers of Francophone Western African economic administrations. Finally, the statisticians and economists of the Central Bank of West African states constitute a high administrative elite which puts its expertise at the service of disinflationary policies, while capitalizing on its influence within national and regional political fields. This research note builds on a biographical study of this group of individuals as an entry-point to assess the impact of regional integration around orthodox macroeconomic principles on the constitution of a regional corps of statisticians and economists.
- Organiser le mercenariat par le marché ? : Du droit international à la norme managériale sur le marché de la sécurité privée - Cyril Magnon-pujo p. 66-87 Traditionnellement pensé comme étant du ressort des États et du droit, le contrôle de la violence privée s'avère depuis 2010 prendre les formes d'un mécanisme de soft law dans la mesure où les compagnies de sécurité privée s'adaptent aujourd'hui à une certification commerciale plutôt qu'à une convention internationale de caractère obligatoire. Là où d'autres options de régulation étaient avancées, c'est en effet le principe d'une standardisation technique qui a prévalu. Au moyen d'une sociologie des normes et des relations internationales, l'article montre que c'est dans la lutte entre champs nationaux mais aussi entre secteurs sociaux que ce mécanisme s'impose. C'est en s'intéressant plus particulièrement aux agents impliqués, à leur partage d'un certain habitus juridique et à leur possession d'un capital culturel et social important, que l'on peut comprendre comment un consensus se forge entre experts du secteur privé et public, représentants des États, des compagnies de sécurité privée et des ONG. Dans la configuration de cet espace trans-sectoriel des experts du droit, émerge une politique de régulation commerciale des compagnies de sécurité privée entre concurrences et alliances qui ne sauraient se réduire à une simple lutte entre puissances étatiques.Control over private violence is traditionally conceived as falling under the remit of the state and law. Yet, since the 2010s, the regulation of private violence is characterized by a soft law mechanism which enables private security companies to adhere to a business certification rather than a legally binding international treaty. While other regulating options were considered, it is indeed the principle of a technical standardization that prevailed. Based on a sociological approach to norms and international relations, this article underscores that this resulted from struggles between national fields as well as social sectors. It channels attention towards the experts involved in the process : their common juridical habitus and strong cultural and social capital help explain the emergence of a consensus among private and public sectors experts, representing states, private security companies and NGOs. This transnational space structured around competing and allied legal experts accounts for the prominence taken by the option of a market regulation of private security companies – an outcome which cannot be explained solely by a focus on power struggles between states.
- Réguler la « bombe iranienne » : Perspective sur les modes de domination d'un jeu multilatéral - Maïlys Mangin p. 88-101 Cette contribution porte sur les usages de l'expertise de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) dans le cadre de la gestion du dossier nucléaire iranien de 2003 à 2009. En reconstituant les usages des rapports d'expertise de l'AIEA à partir de télégrammes Wikileaks, cet article montre que l'expertise internationale sert moins à nourrir le fond d'une décision diplomatique qu'à consolider tactiquement des positions déjà décidées dans une compétition qui dépasse les arènes multilatérales. La valeur tactique de l'expertise est le produit de transactions entre un secteur de la diplomatie politique et celui de l'expertise nucléaire internationale. Sans neutraliser les rapports de force, ces transactions participent à orienter le cadre de la négociation au profit de la position étasunienne d'interdiction de toute capacité d'enrichissement en Iran, et, en transformant des objectifs nationaux en objectifs multilatéraux, à objectiver un arbitraire social international.This article focuses on the usages of the expertise of the International Atomic Energy Agency (IAEA) in the context of the management of the Iranian nuclear case between 2003 and 2009. By tracing the usages of the expert reports of the IAEA on the basis of Wikileaks cables, it shows that international expertise contributes less to informing the substance of diplomatic outcomes, than to tactically consolidating decisions that have already been reached following struggles beyond multilateral arenas. The tactical value of expertise is shaped by transactions between the political diplomacy sector and that of international expertise on atomic energy. While they did not neutralize power struggles, these transactions have contributed to steering the negotiation framework towards the position of the US of prohibiting any capacity of nuclear enrichment in Iran and, by transforming these national objectives into multilateral objectives, to objectifying arbitrariness within the international realm.