Contenu du sommaire : Lutter contre le gaspillage : réforme ou révolution ?
Revue | Ecologie & politique |
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Numéro | no 60, 2020/1 |
Titre du numéro | Lutter contre le gaspillage : réforme ou révolution ? |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Notre maison brûle et… nous regardons l'Australie - Jean-Paul Deléage p. 5-12
Dossier - Lutter contre le gaspillage : réforme ou révolution ?
- Militer contre le gaspillage : reprendre en main sa vie, reprendre en main l'économie ? - Isabelle Hajek p. 13-30 Militer contre le gaspillage recouvre aujourd'hui une nébuleuse d'initiatives en plein essor, qui circulent entre les espaces, s'inspirent les unes des autres, s'appuient sur une culture des réseaux sociaux et l'idée d'un engagement dans l'action. En se fondant sur une recherche sociologique menée entre 2016 et 2019 pour l'Ademe, ce texte examine les modes d'action que les activistes antigaspillage font valoir en s'inscrivant pour partie dans l'héritage d'un « écologisme concret » – dont les expérimentations pionnières ont accompagné le développement du tri et du recyclage. Il montre comment le registre économiciste de l'action s'est de nos jours accentué chez les militants-activistes qui valorisent la personne comme une solution en tant que telle alliée à l'entrepreneuriat et à la fabrique de continuités entre les sphères domestique et économique.Campaigning against waste today covers a nebula of initiatives in full expansion, which circulate between spaces, inspire each other, and are based on a culture of social networks and the idea of a commitment to action. From a sociological survey conducted between 2016 and 2019 for Ademe, this text examines the ways now promoted by anti-waste activists, partly as part of the legacy of a “concrete ecologism”—whose pioneering experiments have accompanied the development of sorting and recycling. It shows how the economic register of action has nowadays become more pronounced among activists who value the individual as a solution as such, allied to entrepreneurship and the creation of continuity between the domestic and economic spheres.
- L'invention du gaspillage : métabolisme, déchets et histoire - François Jarrige, Thomas Le Roux p. 31-45 Cet article propose un regard historique synthétique sur la généalogie des pratiques de gaspil-lage en amont des débats des années 1970. Les restes sont devenus déchets lorsque les lo-giques de réutilisation ont disparu au profit du rejet, à mesure que le pouvoir d'achat des populations augmente et que les produits fabriqués deviennent composites, c'est-à-dire difficilement réutilisables pour d'autres emplois sans une complexe transformation. Alors que les objets étaient globalement fabriqués afin de répondre à des besoins précis et localisés, leur production industrielle pour un marché de plus en plus global n'a cessé d'accentuer le gaspillage, jusqu'à faire de ce dernier un élément fondamental des dynamiques du capitalisme. Il s'agit d'explorer quelques aspects de la question du recyclage telle qu'elle apparaît après la rupture métabolique du second XIXe siècle, lorsque l'essor urbain et de la consommation se conjuguent pour accroître les quantités de déchets et les pratiques de gaspillage.This article provides a synthetic historical overview of the genealogy of wasteful practices prior to the debates of the 1970s. The remains become less and less interesting as the purchasing power of the populations increases, and as the products manufactured become composite, i.e. difficult to reuse for other uses without complex transformation. While objects were generally manufactured to meet specific and localized needs, their industrial production for an increasingly global market contributes to accentuating waste, to the point of making it a fundamental element in the dynamics of capitalism. The aim is therefore to explore some aspects of the recycling issue as it emerged after the metabolic disruption of the second 19th century, when urban growth and consumption combined to increase waste and wasteful practices.
- Itinéraire d'un pionnier : du tri à l'évitement des déchets - Bruno Genty, Isabelle Hajek p. 47-59 Des balbutiements du tri-recyclage à l'économie circulaire, cet entretien offre le témoignage d'un militant sur un peu plus de quatre décennies de lutte contre le gaspillage. Il revient sur le contexte du milieu des années 1970 où, alors qu'apparaît la devise punk No future, l'écologie se présente comme une alternative à ces économies qui, communistes ou libérales, poursui-vaient le même but : produire toujours plus. Inscrit dans le sillage d'un « écologisme concret », Bruno Genty nous raconte la création de la Maison de la récupération, à la fois préfiguration des futurs centres de tri et des futures ressourceries, qui servira de laboratoire et de site-pilote au démarrage d'Éco-emballages. Il revient ensuite sur les éléments qui ont présidé au recentrage de la politique des déchets sur la notion de prévention, en particulier les limites rencontrées par le tri sélectif et les effets pervers du slogan Il y a de l'or dans vos poubelles, porté par les groupes industriels de la gestion des déchets. C'est dans ce contexte que France Nature Environnement organise un congrès à Orléans en 1999 pour parler de prévention des déchets et que sort le Livre blanc sur la prévention des déchets (2001) de Francis Chalot, ouvrage fondateur dans l'essor d'une approche de la prévention qui vise à produire et consommer moins ou mieux – en tout cas autrement –, en décloisonnant la prévention des déchets d'une approche spécialisée et technique. L'entretien montre comment des militants, parfois issus du monde institutionnel ou associatif, ont joué un rôle crucial dans l'engagement des collectivités locales autour de cette notion de prévention.From the beginnings of sorting and recycling to the circular economy, this interview offers the testimony of an activist on a little more than four decades of fight against waste. He looks back at the context of the mid-1970s when, as the punk motto No future appeared, ecology presented itself as an alternative to those economies that, communist or liberal, were pursuing the same goal: to produce more and more. In the wake of a “concrete ecologism,” Bruno Genty tells us about the creation of the “Maison de la récupération”, both a prefiguration of future sorting centers and future “ressourceries”, which will serve as a laboratory and pilot site for the launch of Éco-emballages. He then returns to the elements that governed the refocusing of waste policy on the notion of prevention, in particular the limits encountered by selective sorting and the perverse effects of the slogan There is gold in your garbage used by industrial waste management groups. It is in this context that France Nature Environnement orga-nized a conference in Orléans in 1999 to discuss waste prevention, and that the White Book on Waste Prevention (2001) by Francis Chalot was published, a seminal work in the development of a prevention approach that aims to produce and consume less or better—in any case differently—by breaking down the barriers between waste prevention and a specialized and tech-nical approach. The interview shows how activists, sometimes from the institutional and/or associative world, have played a crucial role in the involvement of local authorities in this notion of prevention.
- Qu'est-ce que bricoler ? : Faire soi-même et avec les autres : improvisation et savoir-faire - Delphine Corteel p. 61-75 À l'ère du Capitalocène où nous vivons dans les déchets, être capable de bricoler et de faire avec les rebuts est un savoir-faire précieux qui peut contribuer à éviter la production d'ordures supplémentaires en tirant parti des restes et des objets usagés. L'article analyse les trajectoires et les compétences des « artisans » et « artisanes » travaillant dans une ressourcerie d'Île-de-France. Le bricolage se révèle comme une activité relationnelle reposant sur un dialogue avec de nombreux êtres, humains et non humains, une improvisation exigeant de la part des brico-leurs et bricoleuses une agilité pour mobiliser, lors de la rencontre avec les matériaux particuliers que sont les déchets, des savoir-faire variés acquis dans des contextes divers.In the age of the Capitalocene where we live in waste, being able to tinker and do with waste is a valuable know-how that can help to avoid the production of additional waste by taking advantage of leftovers and used items. The article analyzes the trajectories and skills of “crafts-men” and “craftswomen” working in a resource centre in Ile-de-France. DIY is revealed as a relational activity based on a dialogue with many human and non-human beings, an improvisation requiring on the part of the handymen/handywomen an agility to mobilize a variety of know-how acquired in a variety of contexts.
- Les entrepreneuses de la couche lavable - Victor Bailly, François-Joseph Daniel, Rémi Barbier p. 77-89 Cet article relate le développement en demi-teinte des couches lavables en France. Il interroge ce faisant la figure de l'« entrepreneur de pratique », entendu comme une personne ayant expérimenté puis adopté une pratique dans un cadre privé ou professionnel, et qui s'efforce de la promouvoir et de la diffuser socialement, le cas échéant en lien avec le lancement d'une activité rémunératrice. L'article montre que le travail de ces entrepreneurs n'a pas seulement consisté à concevoir et à optimiser certains artefacts techniques, mais qu'il a aussi consisté à inventer, encourager et légitimer des modèles économiques et institutionnels susceptibles de les pérenniser.This article describes the delicate development of cloth diapers in France. To do so, it introduces the concept of “practice entrepreneur” in order to describe the specific profile of innovators involved in developing and promoting an innovative practice. These particular types of entre-preneurs have generally experienced and adopted a practice in a private or professional context, and then strive to promote and disseminate it socially, sometimes in connection with a remunerative activity. The article shows that their work has consisted not only in designing and optimizing technical artefacts, but also in inventing, encouraging and legitimizing economic and institutional models that could sustain them.
- Du livre-déchet au livre vendu : L'écologisation du marché du livre d'occasion - Vincent Chabault p. 91-104 De nouveaux détaillants de livres d'occasion justifient leur investissement par un argument environnemental. Offrir une seconde vie marchande aux livres permet de soutenir des pro-grammes visant à la préservation des ressources naturelles et à lutter contre l'accumulation des déchets. Cet article décrit le fonctionnement d'une entreprise de l'économie sociale et solidaire et d'une boutique d'un réseau associatif dont l'activité consiste à collecter et à recommercialiser des dons. Il s'agit de comparer leurs discours et leurs pratiques afin d'examiner la cohérence ou les contradictions qui pourraient apparaître en scrutant deux étapes essentielles du processus de valorisation de l'objet : le tri et le travail de formation des prix de revente. Cette contribution vise à éclairer deux points : l'entrée du livre dans l'activité de réemploi et les opérations par lesquelles un don transite par des organisations pour être recommercialisé.New second-hand book retailers justify their investment with an environmental argument. Commercializing used books makes it possible to support actions so as to protect natural re-sources and oppose waste. This article studies the functioning of two organizations—a social and solidarity economy company and the shop of an associative network—whose activity consists in collecting and resaling books. The aim is to compare discourses and activities so as to examine the coherence or contradictions that could appear. Two essential parts of their work are studied: selecting the books and setting resale prices. This contribution aims to un-derscore two points: the integration of the book into circular economy and the operations by which a donation is resold through organizations.
- Femmes et lutte contre le gaspillage : un espace d'émancipation ou d'aliénation genrée ? - Jeanne Guien, Isabelle Hajek, Sylvie Ollitrault p. 105-119 La thématique du gaspillage est aujourd'hui un important domaine de la lutte écologique. En France, il est particulièrement investi par des femmes, plutôt jeunes, et plutôt engagées dans un activisme du quotidien, centré sur la sphère domestique, avec ses pratiques matérielles et sa répartition genrée des tâches. S'appuyant sur deux terrains, sociologique et ethnographique, ainsi que sur des recherches historiques concernant les rapports entre femmes et gaspillage, cet article étudie les acquis et les limites de cet activisme contemporain en termes de subversion ou de reproduction des structures de domination masculine.The topic of waste has become a major issue in environmentalist struggles. Today, in France, it is particularly invested by mostly young women that commit themselves to a kind of everyday activism, revolving around the domestic space, its material practices and its gendered division of tasks. Supported by two fieldworks, sociological and ethnographical, and by researches on the historical relationships between women and waste, this article study the benefits and the limits of this modern form of activism, considering the extent to which it subverts or reproduces male dominance.
- Sobriété matière, gaspillage évité : s'inspirer des pays du Sud - Jérémie Cavé, Mathieu Durand, Adeline Pierrat p. 121-135 La lutte contre le gaspillage ou l'évitement de la production de déchets ne fait pas partie des politiques publiques de gestion des déchets dans les pays du Sud. Cependant, les chiffres de production de déchets par habitant indiquent des quantités bien moindres que dans les pays du Nord, qui consacrent pourtant d'importants moyens à la prévention. Cela découle des pratiques des habitants des pays du Sud, qui consomment moins et gèrent différemment leurs déchets (généralisation du réemploi, de la réparation, de la revente). Dans cet article, nous cherchons à identifier ce qui, dans les modes de vie et les pratiques de gestion des déchets, explique cette sobriété. S'il s'agit à l'évidence d'une sobriété conditionnée par les niveaux socio-économiques, le résultat environnemental n'est que plus clair en termes de faible production de déchets.The fight against waste or waste reduction is seldom part of urban waste management public policies in the Global South. Nonetheless, per capita waste production data indicate much smaller quantities than in Northern countries, no matter the significant resources put on reduction policies. Such a situation result from the Southern urban dwellers' practices both in terms of consumption (much lower) and waste management (based on the generalization of reuse, repair and resale). In this article, our aim is to identify within people's lifestyles and waste management practices what explains such a sobriety. If it is obviously a sobriety conditioned by socio-economic levels, the environmental result is only more clear in terms of low waste production.
- Les zabalin et leurs cochons, victimes expiatoires d'un pouvoir submergé par les ordures de sa capitale - Mohamed Larbi Bouguerra p. 137-146 Les zabalin, chiffonniers du Caire, forment une corporation qui collecte de manière informelle les déchets urbains de la capitale et les recycle bien mieux qu'on ne le fait en Occident. Ils sont stigmatisés tant par le pouvoir en place que par la population qui refuse de reconnaître le service qu'ils rendent à la communauté. Ils sont constamment menacés de disparition. L'abattage de leurs porcs en 2009 les a énormément déstabilisés. Ce qui arrive aux zabalin révèle l'autoritarisme du pouvoir et sa conception de la propreté et d'un environnement durable. Mais peut-on se débarrasser des zabalin ?Cairo's “unofficial” garbage collectors, the Zabbaleen, are more efficient at recycling waste than anyone in the West. However, these ragmen are stigmatized by the general population and by the government, and both don't recognize the service they provide. They are constantly under threat of elimination. The culling of their pigs in 2009 was tremendously destabilizing. What happens to the Zabbaleen reveals an authoritarian regime and its views on cleanliness and sustainable development. But is it possible to get rid of the Zabbaleen?
- Militer contre le gaspillage : reprendre en main sa vie, reprendre en main l'économie ? - Isabelle Hajek p. 13-30
Variations
- Transition énergétique et « démocratie technique » : Étude du conflit autour de la ligne THT France-Espagne - Aurélien Cohen, Laurence Raineau p. 147-164 Cet article s'appuie sur une étude de terrain autour d'un projet de ligne à très haute tension entre la France et l'Espagne, dans les Pyrénées orientales. Le conflit que suscita ce projet apparaît comme un cas exemplaire d'exercice de démocratisation des « démocraties techniques », puisqu'il a abouti, après plus de dix ans (et deux autres projets échoués préalablement dans des départements voisins dans les années 1990), à la réalisation de la ligne THT sur de nouvelles bases redéfinies collectivement. Mais cet apparent succès tient essentiellement au fait que les principaux acteurs du conflit se sont résolus à ne considérer la technique (ici la ligne THT) que dans sa dimension instrumentale, en essayant de tenir à l'écart des débats son caractère social et politique. En nous appuyant sur la socio-anthropologie des techniques, nous nous demandons si cela ne tient pas au trait particulier de l'objet technique considéré (une ligne électrique) et si les nouveaux processus de concertation et de décision (sur lesquels se fonde la démocratie participative) obéissent aux mêmes règles lorsque le devenir du système énergétique est en jeu.This article is based on a fieldwork in France (Eastern Pyrenees) where the project of an extra high voltage line, aiming at connecting the French and Spanish networks, generated a conflict between the local population, the project promoters and the political authorities. After 10 years, this conflict ended in the realization of the EHV line on new bases, collectively redefined. Therefore, it appears as a perfect illustration of participative democracy, the final decision having been elaborated with a wide collaboration of various participants, taking into account local realities. But this relative success is due to the fact that the conflict attempted only to consider technical issues, and had to leave aside all the social and political dimensions of the project. We wonder if it is not related to its specific nature, and if the new participatory process is subject to the same rules when the future of the global energy system is at stake.
- Divagations d'un exilé sur la Corse - Jacques Luzi p. 165-178
- Transition énergétique et « démocratie technique » : Étude du conflit autour de la ligne THT France-Espagne - Aurélien Cohen, Laurence Raineau p. 147-164
Sources et fondements
- Raymond Williams, passé et présent du matérialisme culturel - Jaime Vindel, Frédéric Brun p. 179-186
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 187-201