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Ce premier article général rend compte d'une étude de la conception d'un système d'information de l'arc alpin, réalisée par un groupe d'experts internationaux animé par le Pôle Européen Universitaire et Scientifique de Grenoble à la demande de la Convention Alpine. La Convention sur la Protection des Alpes, appelée couramment Convention Alpine, fait explicitement référence à la nécessité de coordonner l'observation et la recherche sur l'arc alpin. S'il existe déjà en 1995 de nombreux exemples d'actions et de progrès, il est vrai qu'aucun systématisme ne prévaut en ce domaine : l'hétérogénéité des données d'observation rend délicate, sinon impossible, les comparaisons ; un thésaurus multilingue alpin compatible avec les thésaurus environnementaux européens est encore à établir ; il n'existe pas de recensement complet et tenu à jour des structures et organismes de recherche intervenant sur le champ environnemental. La mise en place effective d'un système d'information de l'arc alpin, une fois arrêtée sa conception, ne pourra se faire que par étapes. Elle imposera de mener à bien divers projets : des projets concernant la documentation de la recherche, des projets portant spécifiquement sur les données d'observation, des travaux concernant les outils d'appui à retenir. Enfin, devront être produits des rapports sur l'état de l'environnement des Alpes. Ces propositions sont issues d'un travail initial, portant sur les besoins explicites de la Convention Alpine et de ses divers protocoles. Ce système d'information est ainsi conçu comme étant d'une part au service des acteurs locaux et des décideurs, et d'autre part comme susceptible de fournir des informations environnementales au public et aux équipes poursuivant des travaux en recherche appliquée. Son développement constitue alors un enjeu important pour la recherche alpine.

La Convention Alpine fait appel explicitement à la coordination transfrontalière de l'observation. Des descripteurs fondés sur des observations sont à concevoir pour répondre aux besoins d'observation liés aux objectifs de cette convention, mais aussi, plus généralement, pour situer l'état du massif alpin. Les priorités apparues dans l'étude d'un système d'observation et d'information des Alpes sont la constitution d'un premier ensemble de descripteurs généraux, illustrant diverses notions fondamentales, attestant les particularités propres aux Alpes et la diversité des situations au sein du massif. Ces notions se réfèrent au cadre physique des Alpes, à son organisation administrative, aux populations et sociétés alpines, aux activités économiques, à l'utilisation de l'espace et à la qualité des milieux qu'il renferme. Ces descripteurs devront s'appuyer sur les résultats établis dans le cadre des systèmes d'observation nationaux ou internationaux actuels qui ont déjà abordé les notions retenues. Pour qu'ils constituent des références générales sur tout l'arc alpin, il est nécessaire d'assurer leur com- parabilité sur l'ensemble des Alpes. Ce qui conduit à privilégier de les établir à une échelle de type régional, adaptée à leur objet, et à prévoir la mise en place d'outils de recueil et de traitement des données d'observation nécessaires. La construction de descripteurs à caractère socio-économique est alors plus facilement envisageable que celle de descrip- teurs à caractère environnemental. Mais à terme, le croisement de ces deux types de descripteurs peut conduire à l'établissement d'indicateurs du développement durable adaptés à l'arc alpin.

A l'occasion de l'étude de la conception d'un système d'observation et d'information des Alpes demandée par la Convention Alpine, une enquête de repérage des organismes participant à la recherche alpine a été conduite dans la plupart des pays alpins : l'identification de ces organismes était le préalable à la constitution du volet documentation-recherche que doit comporter ce système. Partant de l'hypothèse que la recherche alpine ne pouvait se définir que par le croisement de thématiques et de leur application aux espaces alpins, ces enquêtes ont permis d'identifier plus de 500 organismes s'inscrivant dans ce champ. Les équipes concernées sont en général de taille modeste, les organismes qui les accueillent comprennent fréquemment d'autres équipes ou d'autres activités, et n'ont pas souvent comme terrain exclusif les Alpes. A côté de structures universitaires ou de centres de recherche publics, on note la participation active d'autres organismes, comme les musées cantonaux suisses. Si la plupart des thèmes liés à la recherche alpine sont développés dans les divers pays alpins, les thèmes les plus naturalistes sont cependant privilégiés en Allemagne ou en Slovénie, les thèmes liés à l'aménagement de l'espace en France. Néanmoins, l'émiettement de la recherche alpine, contrepartie de sa diversité, est une caractéristique à prendre en considé- ration pour conduire toute action en faveur de la recherche alpine.

La Convention Alpine, dans ses divers protocole déjà ratifiés pour certains ou toujours en cours d'élaboration pour d'autres, exprime une demande forte et explicite en matière de recherche. Ce fait est assez rare dans les textes d'une convention internationale pour être souligné ici. Cette demande de recherche concerne certes des approches sectorielles (tourisme, forêt de montagne, aménagement du territoire et développement durable...) mais porte également sur des thèmes transversaux (analyses comparatives, exigences d'observations systématiques et harmonisées, développement de contacts plus suivis entre réseaux de recherche latins et germaniques....). Une première évaluation des thématiques de recherche actuellement présentes sur l'arc alpin a été engagée ; elle s'est accompagnée d'une mise à plat des axes de recherche à privilégier à court et moyen terme afin que la communauté scientifique soit à même d'apporter des réponses aux questions susceptibles d'être formulées par la Convention Alpine. La recherche opérationnelle devrait occuper une place de choix dans le futur système d'information des Alpes, permettant ainsi de répondre à l'exigence scientifique d'une meilleure connaissance et d'un meilleur suivi de l'environnement alpin.

Ayant œuvré depuis une dizaine d'années en faveur d'une Convention alpine, la CIPRA ne considère pas sa tâche terminée avec la signature et l'entrée en vigueur de ce texte. Soucieuse d'une application réelle, cette organisation non gouvernementale représentée dans les sept pays alpins voit dans la mise en place d'un système d'observation et d'information un élément clé de l'effectivité des dispositions conventionnelles. Selon elle, un tel système, forcément décentralisé, doit remplir les fonctions de contrôle (des mesures prises ou à prendre), d'alerte en amont. Priorité est accordée au domaine du monitoring. Il doit également permettre la circulation de l'information et une large diffusion des résultats. La recherche devrait s'orienter vers les thèmes spécifiquement alpins ainsi que d'intérêt général ou global et prendre en compte la dimension transfrontalière des questions.

La coopération transfrontalière et interdisciplinaire des institutions participant à la recherche alpine s'avère indispensable pour l'avenir. En organisant le ForumAlpin'94 (Disentis, Suisse), l'Académie Suisse des Sciences Naturelles (ASSN) avait pour objectif de créer une plate-forme d'échange, réunissant des chercheurs et des institutions engagés dans la recherche alpine ainsi que des représentants de l'administration et de la politique afin de dégager des orientations et des priorités pour la recherche alpine et renforcer la coopération transalpine. Un Plan d'Action concrétise les résultats du ForumAlpin'94 en proposant quelques 25 initiatives de recherche. La Convention Alpine constitue à la fois un défi et une motivation à contribuer activement à la recherche de solutions des questions concernant l'arc alpin. Elle incite particulièrement la recherche alpine à s'occuper de renforcer les observations à long terme dans le cadre d'un système d'observation permanent de l'arc alpin comme instrument de surveillance et de contrôle du succès de la politique suivie ; d'analyser la régionalisation existante de l'arc alpin afin d'améliorer les méthodes de régionalisation et leur cohérence politique et de compléter la vision des politiques sectorielles — représentée partiellement encore dans les protocoles de la Convention Alpine — par des analyses interdisciplinaires appréhendant la dimension culturelle et aboutissant à des conceptions d'une politique cohérente de l'utilisation du sol, de protection de l'environnement et de développement des espaces alpins. Pour la mise en œuvre d'une coopération transalpine accrue et le renforcement de réseaux de recherche, la recherche alpine se doit d'utiliser le grand potentiel déjà existant. L'ASSN a prévu de rééditer le Foru- mAlpin toutes les deux ans. La poursuite de cette initiative vise à intensifier la coopération transalpine et faire le point sur les orientations de la recherche énoncées dans le Plan d'Action du ForumAlpin'94.

La Convention alpine porte sur un espace déjà très « sollicité ». Avant elle, de nombreux organismes ont médiatisé le thème des Alpes, de sa protection ou de la défense de l'économie montagnarde et les pays alpins ont élaboré des politiques nationales spécifiques. Caractérisée par son approche globale des problèmes, la Convention peut-elle être l'élément fédérateur qui don-nera une cohérence à des interventions politiques actuellement circonscrites géographiquement ? Pour comprendre la voie étroite et difficile qu'elle emprunte, trois séries de questions sont envisagées : — toutes les organisations qui oeuvrent pour la défense de l'espace montagnard arriveront-elles à s'accorder sur une vision consensuelle de la gestion de ce nouveau bien collectif ? La multiplicité de ces organisations représente-t-elle un handicap ou est-elle un atout ? — les difficultés liées à son mode de négociation ne déboucheront-elles pas sur un consensus basé sur la recherche du plus petit dénominateur commun, sans guère d'intérêt ? — ne peut-on pas faire l'hypothèse plus optimiste selon laquelle, au-delà du texte même de la Convention, les protagonistes tablent sur l'effet d'apprentissage institutionnel qu'entraîne la négociation des différents protocoles pour susciter, à plus long terme, une vision convergente de l'usage de l'espace alpin, dessinant ainsi les contours d'une région alpine, qui serait peut-être la première « euro-région » de l'Union européenne ?

La Convention Alpine, par sa finalité environnementale et sa genèse écologiste, se situe au centre d'un débat développement/ environnement qu'elle dérange. A l'heure où les politiques de la montagne porteuses d'une telle relation paraissent sortir d'un long état de veille, alors que de nouveaux concepts traversent les logiques économiques et environnementales dominantes, ne constitue-t-elle pas un premier banc d'essai exemplaire pour le décideur pris dans les mutations politiques et institutionnelles liée à la montée en puissance des politiques européennes et transfrontalières et pour le chercheur appelé dans un tel cadre à renouveler ses méthodes ?