Contenu du sommaire : Grèves générales

Revue Mouvements Mir@bel
Numéro no 103, automne 2020
Titre du numéro Grèves générales
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Grèves générales

    • Éditorial - Catherine Achin, Viviane Albenga, Carlotta Benvegnù, Pauline Delage, Jean-Paul Gaudillière, Noé Le Blanc, Olivier Roueff, Karel Yon p. 7-10 accès libre avec résumé
      « Éveillé une heure plus tôt que d'habitude, je demeurais les yeux grands ouverts. Quelque chose ne tournait pas rond. Je ne pouvais dire quoi. […] Je restai allongé une minute, l'air hébété, sans que les murs ne bougent ni ne croulent. Tout était plongé dans le silence. Le silence ! C'était cela ! Je comprenais maintenant. Il me manquait le brouhaha de l'activité de la ville. »`renvoi id="re1no1" idref="no1" typeref="note"b1`/renvoib
    • La grève, entre soubresauts et déclin - Pierre Blavier, Tristan Haute, Étienne Penissat p. 11-21 accès libre avec résumé
      Si le recours à la grève a oscillé au cours du temps, et en dépit des soubresauts qu'apportent les grandes mobilisations interprofessionnelles, le déclin de la conflictualité gréviste est une tendance lourde depuis la fin des années 1970. En s'appuyant sur les données de la statistique publique, les auteurs montrent que cette évolution résulte d'un double mouvement : non seulement les salarié·es sont moins souvent confronté·es à une grève, mais ils et elles sont en outre moins enclin·es à s'y engager. Si le déclin de la grève a d'abord concerné le secteur privé, la décennie passée est marquée par un recul sensible de la conflictualité dans le secteur public.
    • Les grèves d'ouvrières, une histoire longue, politique et personnelle - Eve Meuret-Campfort p. 22-29 accès libre avec résumé
      Méconnues et oubliées, les grèves de femmes ouvrières ont pourtant une longue histoire. Cet effacement est lié aux résistances durables, notamment chez les dirigeants ouvriers, relatives au travail salarié des femmes et à leur engagement politique. Les choses changent dans les années 1970 avec la forte progression de la salarisation et la féminisation de la population active et avec l'imposition de la « question des femmes » dans les organisations syndicales sous l'impulsion des mouvements féministes. Eve Meuret-Campfort évoque dans ce contexte les luttes menées par les ouvrières de Chantelle, une usine de confection de la région nantaise, et souligne les spécificités de ces grèves de travailleuses : gestion de l'articulation des temps d'occupation et des temps domestiques, soutien des familles, horizontalité du pouvoir dans la mobilisation, dévouement des responsables syndicales, etc.
    • « Tous ensemble » ? : Le travail de mobilisation syndicale à l'épreuve de la fragmentation des luttes - Baptiste Giraud p. 30-39 accès libre avec résumé
      Ayant suivi au plus près, durant trois ans, le travail syndical de permanent·es de la CGT dans le secteur privé, Baptiste Giraud met en lumière les contraintes qui pèsent sur la mobilisation des salarié·es dans les grèves et mouvements interprofessionnels. Les critiques récurrentes de centrales syndicales engluées dans les logiques institutionnelles du paritarisme et s'employant à canaliser leurs bases militantes locales ou, au mieux, à les suivre à reculons, en sortent nuancées. La diversité des ressorts de l'engagement syndical, la faiblesse des ressources organisationnelles à disposition des unions locales, la fragmentation du travail et des entreprises sont autant de freins à l'enrôlement syndical des salarié·es dans les luttes interprofessionnelles.
    • Les caisses de grève à l'épreuve de la grève interprofessionnelle - Gabriel Rosenman p. 40-49 accès libre avec résumé
      Le mouvement de l'hiver 2019 contre la réforme des retraites a été surprenant par plusieurs aspects. Il s'est tout d'abord caractérisé par une extension interprofessionnelle limitée : si la grève reconductible a été puissante dans certains secteurs – RATP et SNCF bien sûr, mais aussi les services de nettoiement ou l'Opéra de Paris –, elle ne s'est toutefois pas réellement étendue au-delà. Cette grève s'est en revanche distinguée par sa durée exceptionnelle : 45 jours de grève reconductible en font même l'un des plus longs conflits sociaux dans l'histoire française. La pratique des caisses de grève y a également pris une ampleur sans précédent : avec 380 cagnottes en ligne, près de 80 000 donateurs et plus de 5 millions d'euros collectés`renvoi id="re1no1" idref="no1" typeref="note"b1`/renvoib, la solidarité financière avec les grévistes s'est imposée comme une dimension centrale. Mais ces caisses de grève ont-elles encouragé d'autres secteurs professionnels à entrer dans l'action, ou ont-elles au contraire offert aux salarié·es une alternative à la grève quand celle-ci leur paraissait impossible ou inutile sur leur lieu de travail ? Autrement dit, grève interprofessionnelle et caisses de grève se nourrissent-elles mutuellement, ou sont-elles reliées à la manière de vases communicants dont l'un se viderait quand l'autre se remplit ?
    • Faire grève hors du salariat et à distance ? : Les pratiques protestataires des chauffeurs de VTC - Sarah Abdelnour, Sophie Bernard p. 50-61 accès libre avec résumé
      Les travailleur·ses ubérisé·es font-iels grève ? Ayant le statut d'indépendant, travaillant de manière isolée, ayant souvent peu été socialisé·es à l'activité syndicale, vendant pour très peu non seulement leur force de travail mais aussi une partie des moyens de production (vélos, voitures), iels se réapproprient néanmoins le répertoire d'action de la grève lors de mobilisations dont la régularité surprennent nombre de commentateur.ices. Si l'horizon d'un blocage complet de l'activité leur est inaccessible, iels inventent des manières de créer des rapports de force ajustées aux contraintes de leur situation – et par-là efficaces : les décisions de justice imposant leur requalification comme salarié·es se multiplient.
    • Le « partenariat social » paie-t-il ? La grève en Allemagne et en France - Heiner Dribbusch, Noé Le Blanc p. 63-76 accès libre avec résumé
      Menuisier de formation, ouvrier spécialisé dans une grande entreprise de l'industrie métallurgique dans les années 1980, puis chercheur spécialisé sur les grèves, Heiner Dribbusch est aussi syndicaliste depuis plus de 40 ans. Comme il le souligne dans l'article suivant, les différences du recours au répertoire d'action collective de la grève en Allemagne et en France tiennent à la fois à une opposition entre les modèles d'action syndicale (négociation vs lutte) et à la diversité des contraintes juridiques pesant sur le droit de grève.
    • « Le patron pense global, nous devons le faire aussi » : construire la grève à Amazon - Marta Rozmysłowicz, Karel Yon p. 77-82 accès libre avec résumé
      Marta Rozmysłowicz est employée d'Amazon en Pologne, où elle travaille en contrat à durée déterminée depuis octobre 2018. Fulfillment associate dans l'entrepôt de Poznan, elle s'occupe de la préparation des colis dans le département appelé Amazon Fulfilment Engine. Elle est membre du syndicat Inicjatywa Pracownicza (initiative des travailleur·ses), de sa commission nationale et, depuis août 2019, déléguée du personnel. Nous l'avons rencontrée en octobre 2019 à l'occasion de la deuxième université intersyndicale du Global Labor Institute (GLI) où elle était venue nous parler de la mobilisation des salarié·es d'Amazon. Dans cet entretien, elle revient sur le laborieux processus de déclenchement de la grève en Pologne, sur l'action syndicale à l'époque du coronavirus et sur l'imbrication des enjeux nationaux et internationaux.
    • La victoire par la lutte : les grèves des enseignant·es aux États-Unis - Kim Kelly, Jim Cohen, Noé Le Blanc p. 83-90 accès libre avec résumé
      Salaires de misère, classes surchargées, manque de personnel… les conditions de travail des enseignant·es aux États-Unis sont souvent difficiles, surtout dans les États gouvernés par une majorité républicaine. Derrière la bannière « #RedforEd », des centaines de milliers d'enseignant·es états-unien·nes ont fait le choix de se mettre en grève pour faire valoir leurs revendications. « #RedforEd » signifie littéralement « rouge pour l'éducation », « rouge » car c'est la couleur associée au parti Républicain (bleu pour les Démocrates) qui est la couleur politique des gouverneurs où le mouvement a démarré. Ce mouvement, très majoritairement soutenu par la population, semble signaler un réveil du mouvement syndical états-unien.
    • À l'ombre de « la plus grande grève de l'histoire » - Arthur Cessou p. 91-100 accès libre avec résumé
      Bharat bandh : en janvier 2019 puis en janvier 2020, l'expression a fait le tour des médias du monde entier qui titraient sur la « plus grande grève générale de l'histoire humaine », jusqu'à 250 millions de travailleur·ses cessant le travail durant deux jours pour dénoncer les politiques néolibérales du gouvernement indien. Si les chiffres impressionnent, ils révèlent surtout la forte imbrication des principaux syndicats indiens dans les enjeux partisans. A l'ombre de ces journées existe aussi une multitude de conflits du travail plus localisés, plus longs, davantage réprimés et plus en prise avec la précarisation des travailleur·ses.
    • Les grèves en Chine : les révoltes dans l'usine du monde - Manon Laurent p. 101-110 accès libre avec résumé
      Si la Chine a acquis une place essentielle dans les chaînes globales de valeur et les échanges commerciaux mondiaux, les mobilisations ouvrières restent souvent à l'écart des réseaux de la solidarité syndicale transnationale. Pourtant, les grèves des travailleur·ses chinois·es ont connu un essor important depuis l'insertion de la Chine dans l'économie mondiale. En s'appuyant sur sa propre expérience militante et sur une synthèse de la littérature existante, Manon Laurent dresse la physionomie des grèves en Chine et retrace les étapes de leur développement. Elle montre de surcroît à quel point la solidarité avec ces luttes s'avère nécessaire pour changer le sort de la classe laborieuse, non seulement en Chine mais aussi dans le reste du monde.
    • Luttes pour la valorisation d'une profession ! : Des enseignant.es en grèves au Burkina Faso (2017-2019) - Alexis Roy p. 111-120 accès libre avec résumé
      Les grèves des enseignant.es permettent parfois de renverser les rapports de force et d'obtenir une véritable valorisation statutaire et une réforme du système éducatif. C'est ce qui s'est passé au Burkina Faso en 2019. Cette victoire, même incomplète, est liée à la force historique du syndicalisme dans ce pays mais également, comme l'analyse Alexis Roy, à la conjonction de conditions favorables et de stratégies originales menées par la Coordination Nationale des Syndicats de l'Éducation, créée en 2017. Cette dernière a orchestré une lutte unitaire et massive autour d'une plateforme de revendications réclamant une meilleure considération des enseignant.es mais aussi une amélioration globale de l'éducation. Le fort soutien populaire rencontré par le mouvement lui a permis de tenir une longue et efficace « grève par paliers ».
    • Lycéennes et lycéens en grèves - Robi Morder p. 121-130 accès libre avec résumé
      Faire grève au lycée ? La question n'a rien d'évident. Pour qu'elle se pose il a fallu qu'émerge un nouvel acteur collectif, le mouvement « lycéen ». Ce mouvement s'est approprié le répertoire d'action de la grève pour en faire un registre légitime tant pour ses membres que pour d'autres mouvements sociaux, à commencer par le mouvement étudiant auquel les lycéens ont longtemps été assimilés. Robi Morder revient ici sur l'histoire de la grève au lycée, ses caractéristiques et ses transformations depuis les années 1970.
    • La grève du travail gratuit n'a pas eu lieu… quoique ? - Maud Simonet p. 131-136 accès libre avec résumé
      L'état d'urgence sanitaire a empêché le mot d'ordre de grève féministe d'être pleinement suivi. Il n'a pourtant pas empêché de mettre en crise le travail gratuit, domestique mais aussi bénévole, en le rendant d'abord visible comme travail, mais aussi, souligne Maud Simonet, comme travail vital – au sens littéral du terme – et comme travail gratuit, c'est-à-dire approprié par d'autres, exploité. Il n'y a donc pas eu de grève à strictement parler, mais c'est tout comme – alors, maintenant, généralisons-la !
    • « La grève n'est générale que si elle est féministe » - Verónica Gago, Viviane Albenga, Catherine Achin, Viviane Albenga p. 137-147 accès libre avec résumé
      L'Argentine connaît depuis quelques années des mobilisations féministes particulièrement massives et inventives, qui rassemblent plusieurs générations de femmes, migrantes, lesbiennes, trans de toute classe sociale. C'est directement en lien avec le mouvement de lutte contre les féminicides et son mot d'ordre Ni Una Menos qu'a été organisée en octobre 2016 la première grande grève nationale des femmes, renouvelée le 8 mars 2017 par une grève féministe internationale. La chercheuse féministe Verónica Gago a accepté de répondre à nos questions sur la genèse de ces grèves féministes et leurs apports théoriques et pratiques. Dans le contexte d'une très longue période « d'isolement social obligatoire » au printemps 2020 en Argentine, elle évoque aussi l'exacerbation des inégalités et des violences contre les femmes. Les associations et groupes féministes mènent de nombreuses actions pour maintenir les liens, s'entraider et rendre visible ces violences. L'urgence de l'aide immédiate s'inscrit néanmoins dans les cadres de l'organisation féministe, théorique et pratique, déployée depuis 2015, dont les grèves féministes ont constitué le fil rouge. Comme l'explique Verónica Gago, la grève féministe permet de lier violence économique et violence domestique, de faire des femmes des sujets politiques, de révéler la valeur du travail non reconnu, de provoquer un moment d'éducation populaire féministe à différentes échelles et de rendre possible une grève véritablement générale…
    • « Grève – grève – grève féministe ! » : Du 14 juin 1991 au 14 juin 2019 en Suisse - Michela Bovolenta, Geneviève de Rham p. 148-155 accès libre avec résumé
      Le 14 juin 1991 a eu lieu un premier mouvement de grève des femmes en Suisse pour que le principe d'égalité, inscrit dans la constitution fédérale en 1981, soit effectivement mis en œuvre. En 2019, une nouvelle grève féministe est lancée et donne lieu à un mouvement sans précédent dans le pays, rassemblant des centaines de milliers de femmes. Dans les deux cas, il s'est agi d'arrêter le travail des femmes, domestique et salarié, pour rendre visible les inégalités de genre. Membres du Syndicat des Services Publics, Michela Bovolenta et Geneviève de Rham ont participé à ces deux mouvements.
    • Un mouvement mondial de la jeunesse : les grèves du climat - Nicolas Haeringer, Pauline Delage, Anahita Grisoni p. 156-163 accès libre avec résumé
      Un vendredi d'août 2018, une jeune fille alors inconnue, Greta Thunberg, décide de faire la grève des cours pour aller protester devant le parlement suédois contre l'inaction du monde adulte en matière de dérèglement climatique. De cet acte individuel naît rapidement un mouvement de grève des cours hebdomadaire auquel participent des milliers de jeunes à travers le monde. Des journées mondiales pour le climat qui rassemblent parfois plusieurs millions de manifestant·es sont organisées dans le sillage de cette mobilisation.Nicolas Haeringer est chargé de campagne (organisateur mondial) pour `liensimple id="l2" xlink:href="350.org"b350.org`/liensimpleb, un réseau international créé en 2009, juste avant la Conférence de Copenhague. Au sein du mouvement pour la justice climatique, ce réseau interpelle les industries pour qu'elles cessent d'investir dans des énergies fossiles. `liensimple id="l3" xlink:href="350.org"b350.org`/liensimpleb organise régulièrement des journées mondiales d'action. C'est dans ce cadre qu'il a commencé à travailler autour des grèves du climat en décembre 2018.
    • Grève des stages, salaire étudiant. Récit d'une mobilisation autonome - Sandrine Boisjoli, Valérie Simard p. 164-174 accès libre avec résumé
      Souvent présentés comme l'une des modalités d'une formation, les stages sont également une forme de travail gratuit. Lancée en 2016 au Québec, la grève des stages est menée par des étudiant·es pour protester contre le manque de rémunération et de valorisation de leur travail, sans pour autant être réductible à une grève étudiante ou à celle du travail salarié. C'est dans ce contexte que les Comités Unitaires sur le travail étudiant (CUTE) se sont constitués dans plusieurs établissements universitaires et collégiaux autour de la revendication d'un salaire étudiant. À partir de leur expérience de membres des CUTE, Sandrine Boisjoli et Valérie Simard reviennent sur certains des enjeux de la construction du mouvement de grève des stages.
  • Itinéraire

    • De Billancourt à Deliveroo. Construire un mouvement d'ensemble en prise avec la réalité quotidienne - Philippe Martinez, Pauline Delage, Karel Yon p. 175-183 accès libre avec résumé
      À partir du 5 décembre 2019, un mouvement contre la réforme des retraites est lancé en France. En écho à d'autres mobilisations, comme celle contre la loi travail et contre la réforme de la SNCF, il rappelle la force de la grève dans les luttes sociales, mais aussi certaines des difficultés à pérenniser et à diffuser ce mode d'action dans un monde du travail fragmenté. Ancien technicien de l'usine Renault de Boulogne Billancourt, Philippe Martinez a été l'un des acteurs de premier plan de ce mouvement, à la fois comme syndicaliste, secrétaire général de la cGT (Confédération Générale du Travail) depuis 2015, et parce qu'il a concentré l'attention des discours médiatiques et politiques. Cet entretien revient sur certains des enjeux que revêt la grève dans un contexte de transformations du marché du travail et du syndicalisme. Il a été mené pendant la période de confinement liée à la crise sanitaire du Covid-19, qui a mis un coup d'arrêt à cette mobilisation d'ampleur mais qui aussi donné naissance à l'appel « Plus Jamais Ça », lancé par plusieurs associations et syndicats dont la CGT.