Contenu du sommaire : États-Unis : la fin d'un mythe
Revue | Futuribles |
---|---|
Numéro | no 439, novembre-décembre 2020 |
Titre du numéro | États-Unis : la fin d'un mythe |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
- Feu le rêve américain ? - Hugues de Jouvenel p. 3-4
- De la société de consommation aux sociétés de satisfactions - Jean Haëntjens p. 5-18 Alors que les Français sortaient à pas lents du confinement décrété au printemps 2020 pour faire face à la pandémie de Covid-19, notre collègue Jean Haëntjens publiait un nouvel ouvrage plaidant pour « une économie des satisfactions ». Résonant particulièrement avec cette période durant laquelle beaucoup ont réappris à prendre le temps et à consommer moins et différemment, cet ouvrage milite pour un changement de référentiel visant à abandonner le principe actuellement dominant dans les sociétés développées du « tout-consommation ».Dans cet article, Jean Haëntjens montre donc comment l'on pourrait accompagner la propension qui émerge aujourd'hui chez nos concitoyens de passer d'une société de consommation à une société de satisfactions. Car raisonner en termes de satisfactions et non plus de consommation à tout prix, ou d'accumulation de richesse, constitue un moyen d'intégrer les changements devenus indispensables pour tenir compte des limites de notre planète en matière de ressources. Les sociétés semblent de mieux en mieux disposées à aller dans ce sens ; aux politiques désormais de tenir compte de cette évolution et de leur donner les moyens d'entrer dans l'économie des satisfactions. S.D.While the French were slowly coming out of the lockdown introduced in spring 2020 to cope with the Covid-19 pandemic, our colleague Jean Haëntjens was bringing out a new book arguing for ‘a satisfaction economy'. Striking a particular chord with the spirit of this period, in which many have once again learned to take time and to consume less and differently, the book advocates a changed frame of reference, in which we abandon the dominant principle of ‘all-out consumption' that is currently dominant in developed societies.In this article, Haëntjens shows how the currently emerging propensity among our fellow citizens to move from a consumer society to a satisfaction society might be helped along. This is because reasoning in terms of satisfaction — rather than consumption at all costs or the accumulation of wealth — represents a way of incorporating the changes that have become essential for paying heed to the resource limitations of our planet. Societies seem increasingly inclined to go in this direction. It is now down to politicians to get on board with this change and give them the means to move to a ‘satisfaction economy'.
- La situation des classes moyennes aux États-Unis : Une revue de la littérature récente - Julien Damon p. 19-34 Quelques jours après la sortie de ce numéro de Futuribles, le 3 novembre 2020, aura lieu l'élection du président des États-Unis, sur fond de vives tensions communautaires dans le pays et de crise économique liée à la pandémie de Covid-19. Comme dans de nombreux pays développés, une des clefs du scrutin réside dans le vote des classes moyennes. Or, comme le montre ici Julien Damon, voici plusieurs décennies que la situation s'assombrit pour elles : le fossé s'agrandit entre les classes moyennes et les classes aisées, les inégalités progressent, et le doute s'installe quant à l'existence de perspectives sociales ascendantes. Cet article propose une revue des principaux ouvrages américains consacrés au sujet des classes moyennes aux États-Unis depuis une douzaine d'années, décrivant la réalité de leur évolution, mais aussi parfois leur renoncement à progresser et faire valoir leurs aspirations. Il souligne aussi les risques, pour la cohésion sociale, de l'avènement d'une ploutocratie de fait dans ce pays. S.D.On 3 November 2020, a few days after this issue of Futuribles appears, the US presidential election will take place against a background of great communal tensions in the country and an economic crisis relating to the Covid-19 pandemic. As in many developed countries, one of the keys to the electoral outcome lies in the vote of the middle classes. As Julien Damon shows here, their situation has been growing gloomier for several decades now: the gap is growing between the middle classes and the affluent; inequality is increasing; and the reality of upward social mobility is in doubt. This article offers a review of the main American studies of the US middle classes over a dozen years, describing the reality of their development and also, at times, their failure to advance and fulfil their aspirations. He also stresses the risks, in terms of social cohesion, of the emergence of a de facto plutocracy in that country.
- Diversification de la population des États-Unis : Tendances à l'aune du recensement 2020 - William H. Frey p. 35-46 Alors que les Américains s'apprêtent à élire leur nouveau président, le 3 novembre prochain, la situation du pays est particulièrement tendue depuis plusieurs mois et le regain du mouvement Black Lives Matter. Plusieurs décès controversés de Noirs américains lors d'interpellations policières ont en effet entraîné une série de manifestations et d'émeutes depuis le printemps 2020, dénonçant la persistance du racisme au sein des forces de l'ordre sinon de la société américaine dans son ensemble. Pays du melting-pot, les États-Unis peinent à trouver la voie de relations sociales apaisées entre les différentes communautés ethniques qui composent leur population. Pourtant, au vu des derniers enseignements du recensement 2020, il devient plus que nécessaire pour eux de travailler à cette cohésion sociale : pour la première fois de leur histoire, la population blanche a diminué en nombre, aux États-Unis, au cours de la décennie 2010 et la croissance démographique globale du pays repose désormais essentiellement sur celle des minorités ethniques.William H. Frey présente ici cette accélération de la tendance à la diversification de la population des États-Unis, s'appuyant sur les dernières données publiées par le Bureau du recensement. Les États-Unis recueillent en effet des statistiques ethniques assez détaillées, interrogeant les habitants du pays sur leur sentiment d'appartenance à un « groupe racial ou ethnique » (race or ethnic group) — formulation peu employée en France mais que nous reprenons dans cette traduction. Et les résultats les plus récents montrent clairement le rôle moteur des minorités ethniques dans le dynamisme démographique du pays. S.D.While Americans are preparing to elect their new president on 3 November, the country has been in a particularly tense situation for several months, since the resurgence of the ‘Black Lives Matter' movement. A number of controversial deaths of black Americans at the hands of police officers have prompted a string of protests and riots since spring 2020, condemning the persistence of racism within the police force, if not indeed within American society in general. The United States, the land of the ‘melting-pot', is struggling to achieve peaceful social relations between the various ethnic groups that make up its population. However, given what we learn from the 2020 census, it is becoming more than necessary for them to work on that social cohesion: for the first time in US history, white population numbers fell during the 2010s and the overall demographic growth of the country is now down largely to ethnic minorities.In this article William H. Frey outlines this accelerating trend toward a more diverse population in the USA, drawing on the latest data published by the Census Bureau. The United States actually collects quite detailed ethnic statistics, questioning the population on which ‘race or ethnic group' they feel they belong to, a formulation unfamiliar to us in France. And the most recent results clearly show the driving role of ethnic minorities in the country's demographic dynamism.
- États-Unis : la montée des politiques identitaires : Selon Mike Gonzalez, auteur de "The Plot to Change America" - Michèle Tribalat p. 47-52 Dans le prolongement des articles consacrés aux États-Unis publiés dans ce numéro, Michèle Tribalat présente ici les grandes lignes d'un ouvrage paru cet été aux États-Unis, The Plot to Change America, de Mike Gonzalez. L'auteur y alerte sur les risques que la multiplication des politiques identitaires fait courir à la société américaine. Alors que, historiquement, la mise en place de ces politiques avait pour objectif de faire valoir les droits de communautés qui, en raison de leur origine ethnique, ne disposaient pas des mêmes chances que les Blancs au sein de la société, l'élargissement du champ d'action de ces politiques à de multiples groupes via l'instrumentalisation du recensement national, en y multipliant les catégories ethniques, tend à devenir contre-productif. Selon Mike Gonzalez, en effet, la pression de certains intellectuels américains en faveur d'une forme de « victimisation généralisée » des groupes minoritaires et le fait de recourir à cette notion de minorité pour toutes sortes de revendications à l'égard des pouvoirs publics, vont à l'encontre des libertés des citoyens et de la pluralité des idées. Craignant pour la survie de l'idéologie libérale dans son pays, il attend un sursaut ; un ouvrage qui confirme les crispations et les tensions au sein de la société américaine, examinées du point de vue conservateur. S.D.Continuing this issue's focus on the United States, in this article Michèle Tribalat outlines the argument of a book that was published in the USA this summer: The Plot to Change America by Mike Gonzalez. The author sounds the alarm about the risks that proliferating forms of identity politics pose for American society. While, historically, the pursuit of such politics was aimed at asserting the rights of communities which, by dint of their ethnic origins, did not have the same opportunities within society as whites, expanding the scope of such politics to multiple groups by way of the national census's introduction of ever more ethnic categories is tending to become counterproductive. According to Gonzalez, the pressure by some American intellectuals to accredit a form of ‘generalized victimhood' for minority groups, and the fact of resorting to that ‘minority' notion for all kinds of demands on the public authorities, run counter to the freedom of citizens and the plurality of ideas. Fearing for the survival of liberal ideology in his country, he expects to see a reaction. This is a book that confirms the sensitivities and tensions within American society, examined from the Conservative standpoint.
- L'eau : à vau-l'eau ? : D'une terne rétrospective à une prospective plus éclairée - Pierre-Frédéric Teniere-Buchot p. 53-72 « L'eau, c'est la vie » disait Saint-Exupéry. Aucun être vivant sur la planète ne peut survivre sans cette ressource. Mais plus de deux milliards de personnes n'ont pas accès à une eau potable, plus de quatre milliards ne disposent pas de service d'assainissement, et des millions de personnes meurent chaque année dans le monde du fait de maladies liées au manque d'eau potable, d'assainissement et d'hygiène. Comment y remédier ? L'article qui suit est celui d'un homme qui a consacré toute sa carrière à cette question, depuis qu'au sortir des Trente Glorieuses l'on a pris conscience de la dégradation spectaculaire de la qualité des eaux (comme de celle plus généralement de notre environnement).Auteur d'abord d'un modèle qui, dans le prolongement de la première loi française sur l'eau (1964), inspira la création des agences de bassin, il fut appelé à la direction de l'une d'elles tout en étant étroitement impliqué dans toutes les conférences et négociations internationales sur l'eau. Il n'est pas habituel de publier dans Futuribles un témoignage, mais ce qu'il nous dit des progrès accomplis à l'issue d'un demi-siècle de déclarations gouvernementales rassurantes comme de résolutions internationales sur le développement durable, est riche d'enseignements pour l'avenir.Il montre d'abord combien la création de ces agences de bassin fut en France une innovation majeure, rompant avec les habitudes séculaires, tant royales que jacobines, puisqu'elles étaient dotées d'une exceptionnelle autonomie pour taxer les mètres cubes d'eau prélevée et les matières polluantes rejetées, afin d'investir dans les équipements et les processus d'assainissement, en étroite concertation avec les acteurs. Il en montre les bienfaits mais aussi les limites, sans trop en dire sur leur sort…Dans l'attente du neuvième Forum mondial de l'eau (Dakar, 2021), il témoigne des efforts déployés au plan international pour nous convaincre d'une évidence : il faut produire l'eau, la distribuer, épurer les eaux`np pagenum="054"/b usées, protéger l'environnement, établir la santé publique, toutes choses qui exigent une réglementation et un prix, des impôts et des taxes, une vision à long terme et une démarche associant de très nombreux acteurs. Autant de choses sans doute également nécessaires pour assurer la transition écologique ! Mais s'il est plus facile de dire que de faire, point n'est besoin d'espérer pour entreprendre… H.J.“Water is life”, said Saint-Exupéry. No living being on the planet can survive without it. Yet more than two billion people have no access to clean drinking water, more than four billion have no sanitation, and millions of people across the world die every year from illnesses related to a lack of clean water, sanitation and hygiene. How can this be remedied? This article is written by a man who has devoted his entire career to that question since the time we became aware, towards the end of the post-war boom, of the spectacular deterioration in water quality (and, more generally, of our environment).First, as the creator of a model which (in the wake of the first French act of parliament on water in 1964) inspired the establishment of river basin agencies, he was called on to manage one such agency, while being closely involved in all the international conferences and negotiations on water. We do not usually publish personal testimony in Futuribles, but what he tells us of the progress achieved after half a century of reassuring governmental declarations and international resolutions on sustainable development has much to teach us for the future.He shows, first, what a major intervention the creation of these river basin agencies was in France — breaking as it did with centuries-old ways, going back to pre-revolutionary times — since they were granted exceptional autonomy to impose charges on the cubic metres of water abstracted and the pollution generated, in order to invest, in close consultation with the parties involved, in sanitation equipment and processes. He shows the advantages, but also the limitations of these agencies, without commenting to any great extent on their fate…Pending the next World Water Forum in Dakar (2021), he then provides an account of the effort exerted at the international level to convince us of an obvious fact: we have to produce water, distribute it, purify waste water, protect the environment and secure public health — all things which require regulation and have a cost; which need taxes and charges, a long-term vision and an approach involving a great many actors. So many things, no doubt, that are equally necessary to achieve ecological transition! But, if these things are easier said than done, we should also note that constructive action is possible even where hope is absent.
Tribune
- Covid-19 et développement : Le scénario du pire est-il évitable ? - Louis-Charles Viossat p. 73-83 Après une accalmie estivale, la pandémie de Covid-19 a repris à travers le monde et les mesures destinées à la contenir ou à en limiter l'ampleur ont été renforcées dans un grand nombre de pays dès le mois de septembre (confinement, limitation de la mobilité et / ou des conditions de rassemblement dans les lieux publics, les bars, etc.). Au vu de l'impact socio-économique des mesures prises lors de la première vague, ce regain épidémique et les mesures qui l'accompagnent ont tout lieu d'inquiéter, en particulier dans les pays du Sud, moins touchés par la pandémie que les autres pour le moment, mais qui en paient le prix fort en matière de développement économique.Comme le montre en effet Louis-Charles Viossat dans cette tribune, les premiers bilans dressés par les instances internationales concernant l'impact de la crise Covid sur le développement humain, dans les pays du Sud, sont alarmants. Les conséquences à venir y sont d'ores et déjà énormes en matière d'emploi, de pauvreté, d'alimentation… La tendance qui allait dans le sens d'un progrès des indicateurs depuis une trentaine d'années est en passe de s'inverser pour la première fois, et l'on craint une régression durable de la situation des populations locales si des mesures fortes ne sont pas prises rapidement. Et parmi les trois scénarios envisageables présentés en fin d'article, il y a peu de chances, selon Louis-Charles Viossat, que le plus optimiste l'emporte et déjoue la menace d'un grand bond en arrière dans les pays du Sud. S.D.After a summer lull, the Covid-19 pandemic has picked up again across the world and since September measures to contain it or limit its spread have been bolstered in a large number of countries (lockdown, restrictions on travel or on gathering in public places, bars etc.). In view of the socio-economic impact of the actions taken during the first wave, this second surge of the epidemic and the accompanying measures give strong grounds for concern, particularly in the countries of the global South, which are less affected by the pandemic than others for the moment but are paying a high price in terms of economic development.As Louis-Charles Viossat shows in this forum, the first assessments by international bodies of the impact of the Covid crisis on human development in the South are alarming. Future consequences are already massive in terms of employment, poverty, food supply etc. The positive trend in the progress indicators that we have seen over the last 30 years is beginning to reverse for the first time, and, if firm measures are not taken quickly, a lasting decline in the situation of local populations is to be feared. And, of the three foreseeable scenarios that Viossat presents at the end of his article, there seems little chance, as he notes, that the most optimistic one will win out and avert the threat of a great leap backward in the countries of the South.
- Covid-19 et développement : Le scénario du pire est-il évitable ? - Louis-Charles Viossat p. 73-83
Repères
- L'espérance de vie en Occident - p. 84-88
Chronique européenne
- La cigale, la fourmi et l'endettement européen - Jean-François Drevet p. 89-96 Arraché de haute lutte le 21 juillet dernier, l'accord européen validant le principe d'émission d'une dette en commun est un événement important dans l'histoire de la construction européenne. Face à la crise économique née de la pandémie de Covid-19, les États membres ont fini par s'entendre sur un plan de relance solidaire. Politiquement essentiel, l'accord suscite néanmoins beaucoup de questions et d'inquiétudes sur la façon dont l'emprunt commun sera remboursé à terme.Après des décennies de rigueur budgétaire, particulièrement surveillée par l'Allemagne, beaucoup d'États membres de l'Union vont probablement laisser filer leur endettement pour limiter la casse sociale. C'est inquiétant, mais en relisant l'histoire économique du continent, comme le fait Jean-François Drevet dans cette chronique, on constate que de longue date les États ont fait défaut de leurs dettes (Allemagne incluse) et ont toujours trouvé des solutions pour éviter le pire. Ce rappel historique se veut rassurant mais aussi stimulant : face à tant d'ingéniosité passée, il faut aller de l'avant et investir l'argent issu de cet endettement sans trop d'arrière-pensées. S.D.The hard-won European agreement of 21 July underwriting the principle of a joint debt package is an important event in the history of European construction. In response to the economic crisis produced by the Covid-19 pandemic, the member states eventually agreed to a collective recovery plan. While politically essential, the agreement nonetheless raises many concerns and questions about the way the joint loan will eventually be repaid.After decades of tight fiscal discipline, closely overseen by Germany, many EU member states will probably allow their indebtedness to rise, in order to limit the social damage. This is worrying but, re-reading the economic history of the continent, as Jean-François Drevet does in this column, we can see that states (including Germany) have defaulted on their debts for many years now and have always found solutions that averted disaster. This look back at history is meant to be reassuring, but also stimulating: given so much past ingenuity, we should go forward and invest the money in this debt package without too many reservations.
- La cigale, la fourmi et l'endettement européen - Jean-François Drevet p. 89-96
Actualités prospectives
- Idées & faits porteurs d'avenir - p. 97-110
Lu, vu, entendu
- Analyses critiques & comptes rendus - p. 111-126