Contenu du sommaire : Prisons
Revue | Socio |
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Numéro | no 14, 2020 |
Titre du numéro | Prisons |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Michel Wieviorka p. 5-6
Dossier
- Pour une vision globale de la prison - Falk Bretschneider, Natalia Muchnik p. 7-18 La peine privative de liberté domine aujourd'hui dans la plupart des régions du monde, même dans les pays où existe la peine de mort. La question se pose donc des raisons de son succès et des modalités de sa diffusion, qui ont fait l'objet d'amples débats dans les sciences sociales, notamment (mais pas seulement), autour du modèle foucaldien. Aujourd'hui, considérer la prison comme une invention « occidentale » devient ainsi de plus en plus problématique. Cependant, le caractère souvent géographiquement limité des recherches réalisées et le manque criant de nouvelles synthèses empêchent d'évaluer la pertinence de l'idée d'une naissance « globale » de la prison avant le xixe siècle. Cet article et, au-delà, le dossier qu'il ouvre s'interrogent donc sur la possibilité et les difficultés d'une approche globale, à la fois historique et spatiale, de la prison.The penalty of deprivation of liberty now dominates in most parts of the world, even in countries where the death penalty exists. The question therefore arises as to the reasons for its success and the ways in which it has spread, which has given rise to much debate in the social sciences, particularly (but not only) about the Foucauldian model. Today, considering prison as a “Western” invention is thus becoming increasingly problematic. However, the often geographically-limited nature of the research carried out and the crying lack of synthetic studies make it difficult to assess the relevance of the idea of a “global” birth of the prison before the 19th century. This article and, beyond that, the issue itself, therefore examine the possibilities and the difficulties of a global approach, both historical and spatial, to prison.
- L'incarcération dans la Rome antique - Yann Rivière p. 19-36 Le mot « prison » appliqué aux réalités carcérales de l'Antiquité romaine est trompeur, voire anachronique. Lieu d'exécution (par abandon ou strangulation) à l'origine, le cachot a toujours revêtu ensuite une fonction préventive pour la détention de prévenus ou de condamnés dans l'attente d'une exécution. En pleine époque impériale, les Actes des martyrs en témoignent à l'occasion des persécutions contre les chrétiens. Par ailleurs les peines qui impliquaient un enfermement ou un enchaînement étaient toujours associées à l'exécution d'un travail (mines, carrières, travaux forcés…) qui renvoyait les condamnés d'origine libre au sort réservé aux esclaves, soit pour une durée déterminée, soit à perpétuité.The word “prison” applied to the prison realities of Ancient Rome is misleading, even anachronistic. Originally a place of execution (by abandonment or strangulation), the dungeon has always had a preventive function for the detention of remand prisoners or convicted prisoners awaiting execution. During the imperial period, the Acts of the Martyrs testify to this during the persecution of Christians. Moreover, sentences involving imprisonment or putting in chains were always associated with the performance of labour (mines, quarries, forced labour, etc.), which treated convicts of free origin as slaves, either for a fixed period or for life.
- Une histoire globale de la prison est-elle possible ? - Marie Houllemare, Xavier Rousseaux p. 37-53
- Contre une vision diffusionniste de la « naissance de la prison » - Stephan Scheuzger p. 55-75 La prison moderne s'est imposée dans le monde durant le « long » XIXe siècle comme l'institution punitive par excellence. L'article se penche en particulier sur la première moitié de cette période et montre que les récits diffusionnistes qui sous-tendent jusqu'à nos jours la compréhension de ce processus de mondialisation ne rendent pas convenablement compte des évolutions transfrontalières du système carcéral. La transformation du système pénitentiaire depuis la fin du XVIIIe siècle, que l'on connaît sous le terme de « réforme des prisons », fut un processus multicentrique et continu difficilement assimilable à une propagation successive d'une région à l'autre recoupant la dichotomie entre « l'Occident et le reste du monde ». Cet article propose le concept analytique de cadre de référence global pour étudier les interactions mondiales de l'évolution du système carcéral moderne.During the “long” 19th century, the prison became the dominant institution of punishment on a worldwide scale. Focussing on the first half of this period, the article demonstrates that concepts of diffusion, which continue to provide the central model of representation of this process, are inadequate to organize narratives about the global developments of modern prison regimes. These transformations, since the late 18th century referred to as “prison reform”, took place in a polycentric and continuous way. They were not sequentially interrelated in a successive expansion from one world region to another – from « the West » to « the rest » –, but evolved in a way for which the article proposes the analytical concept of a global frame of reference.
- Moment punitif et condition carcérale - Didier Fassin p. 77-86
- Une gouvernance informelle dans la prison de Makala à Kinshasa - Sylvie Ayimpam, Michel Bisa Kibul p. 87-107 La prison de Makala dans la ville de Kinshasa au Congo est confrontée depuis plus de trente ans à une contraction de ses ressources et à une quasi-inexistence des subsides provenant de l'État. La faible présence des agents et des ressources étatiques est compensée par une organisation informelle – localement appelée « système des gouverneurs » et constituée autour d'un chef des prisonniers appelé « gouverneur général » – qui organise et régule la vie quotidienne des détenus. Il existe ainsi une « double gouvernance » à Makala : l'une officielle et l'autre informelle. Cet article analyse les modalités de la gouvernance informelle en la considérant comme celle qui permet de gérer réellement la prison au quotidien. Il examine ses caractéristiques ainsi que la relation inédite qu'elle entretient avec la gouvernance officielle. Il montre ainsi que ce système de gouverneurs, structuré par des normes informelles souvent implicites, parfois explicites, est le produit relativement stable d'un « arrangement » entre les autorités officielles de la prison et les prisonniers-gestionnaires. Il met en lumière la structure hiérarchique et autoritaire de l'organisation informelle et la régulation de l'économie de rente mise en place pour financer le fonctionnement de la prison au quotidien. La relation singulière entre ces deux gouvernances permet à la prison de Makala de demeurer un pénitencier appartenant à l'État, mais dont les ressources financières et matérielles proviennent de ressources privées extérieures. Ce mode de financement et de gestion de la prison apparaît comme une sorte de partenariat public-privé informel, une forme inédite et très originale de « gouvernance hybride ».For more than thirty years, Makala prison in the city of Kinshasa in Congo has been faced with a contraction of its resources and a virtual absence of state subsidies. The limited presence of state agents and resources is compensated for by an informal organisation—locally known as the "governor system" and built around a leader of the prisoners known as the "Governor general"—which organises and regulates the daily life of the prisoners. There is thus a "dual governance" in Makala: one official and the other informal. This article analyses the modalities of the informal governance system, considering it to be the one that enables the prison to be managed on a day-to-day basis. It examines the characteristics of informal governance and its unique relationship with formal governance. It shows that this system of governors, structured by informal norms—often implicit, sometimes explicit—is the relatively stable product of an "arrangement" between the official prison authorities and the prisoner-managers. It highlights the hierarchical and authoritarian structure of the informal organisation and the regulation of the rent-seeking economy set up to finance the day-to-day running of the prison. The singular relationship between these two forms of governance allows the Makala prison to remain a penitentiary belonging to the state, but whose financial and material resources come from external private resources. This way of financing and managing the prison appears to be a kind of informal public-private partnership, a new and highly original form of "hybrid governance".
- Prison, genre et féminismes, du Nord aux Amériques : des sentiers battus aux sentiers à défricher - Chloé Constant p. 109-124 Cet article propose d'examiner les apports théoriques et épistémologiques des féminismes du Nord et des Suds aux études sur la prison et le genre. Il y a près de cinquante ans, les scientifiques françaises et étasuniennes ont posé des regards critiques et novateurs sur la prison comme champ d'étude ; or, la richesse de leurs apports ne rendait compte que de leurs propres contextes. C'est ainsi que divers courants féministes étasuniens et latino-américains se positionnèrent face au féminisme hégémonique blanc et ouvrirent de nouvelles pistes de recherche pour étudier la relation entre genre et prison, et approfondir ce champ de connaissance dans leurs contextes particuliers.This paper aims to examine North and South feminists' theoretical and epistemological contributions to prison and gender studies. About fifty years ago, French and United States' researchers had critical and renewed eyes on prison, but the richness of their contributions only reflected their own contexts. That is how several feminists' trends in the United States and Latin America took stances in front of white hegemonic feminism and opened new ways for analysing prison and gender relationship, and deepen the understanding of this field in their specific contexts.
- Natalia Muchnik, Les prisons de la foi. L'enfermement des minorités, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Puf et Humensis, 2019, 351 p. - Falk Bretschneider p. 125-127
- Sophie Abdela, La prison parisienne au XVIIIe siècle : Formes et réformes, Paris, Champ Vallon, 2019, 320 p. - Natalia Muchnik p. 127-128
- Margarita Torremocha Hernández, Cárcel de mujeres en el Antiguo Régimen. Teoría y realidad penitenciaria de las galeras, Madrid, Editorial Dykinson, 2018, 307 p. - Natalia Muchnik p. 129-130
- Falk Bretschneider, Julie Claustre, Isabelle Heullant-Donat et Élisabeth Lusset, Le cloître et la prison, les espaces de l'enfermement, webdocumentaire : - Sara Guindani p. 131-132
- Olivier Milhaud, Séparer et punir. Une géographie des prisons françaises, Paris, CNRS Éditions, 2017, 320 p. - Alain Bourdin p. 133-134
- Pour une vision globale de la prison - Falk Bretschneider, Natalia Muchnik p. 7-18
Entretien
- Une architecture de sociologue - Elizabeth Jardim Neves de Portzamparc, Michel Wieviorka p. 135-166
Varia
- « Quatre modèles de prévention » revisités au prisme du Covid-19 - Jean-Pierre Dozon p. 167-179 Cet article propose de revisiter un texte publié il y a près de vingt ans, consacré à quatre modèles de prévention, à la lumière de la pandémie de Covid-19. Revenant sur chacun d'entre eux, il s'arrête plus particulièrement sur le modèle de la contrainte profane, modèle très ancien fait de prescriptions et surtout de proscriptions exemplairement illustrées par la « quarantaine » qui, comme le confinement, a été réactualisée avec le Covid-19 un peu partout dans le monde. Par suite, il montre que sa mise en œuvre ayant été à la charge des États, ceux-ci ont dû variablement se transformer en états d'exception ; ce qui a laissé découvrir une forte tension entre, d'un côté, le tour planétaire de la pandémie et les réponses en termes de santé globale qu'elle aurait dû ou pu impliquer, et de l'autre, la manière dont chacun des États, notamment en Europe, ont pratiqué des stratégies étroitement nationales de lutte contre la diffusion du Covid-19.This article proposes to revisit a text published nearly twenty years ago, devoted to four models of prevention in the light of the Covid-19 pandemic. Returning to each in turn, it focuses more particularly on the model of profane constraint, a very old model made up of prescriptions and above all proscriptions as exemplified by "quarantine" which, like containment, has been updated with Covid-19 almost everywhere in the world. It then shows that, since their implementation was the responsibility of the State concerned, they had to be transformed into a state of emergency; this revealed a strong tension between, on the one hand, the global nature of the pandemic and the responses in terms of global health that it should have or could have implied, and on the other, the way in which each State, particularly in Europe, practised strictly national strategies to combat the spread of Covid-19.
- « Quatre modèles de prévention » revisités au prisme du Covid-19 - Jean-Pierre Dozon p. 167-179