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Revue Sociologie du travail Mir@bel
Numéro vol. 62, no 4, octobre-décembre 2020
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Articles

    • De la mise à l'agenda au reflux. Les directions syndicales et les souffrances psychiques du travail (1950-1982) - Rémy Ponge accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Quelle place les organisations syndicales ont-elles occupée dans les processus de mise en visibilité et d'occultation des souffrances psychiques liées au travail ? Pour répondre à cette question, nous nous intéressons au travail des conseillers techniques en charge de la santé au travail dans les deux principaux syndicats de travailleurs français, la CFDT et la CGT, entre 1950 et 1982. Cette démarche permet tout d'abord de prendre à rebours l'idée selon laquelle les directions syndicales ne se seraient pas préoccupées des questions de santé au travail. Elle met ensuite en lumière que, si la thématique des souffrances psychiques du travail connaît une forte visibilité à partir des années 1990 autour du « stress » des cadres, c'est d'abord en lien avec la situation des travailleuses peu qualifiées qu'elle est constituée en problème social et syndical. Cette thématique émerge ainsi dans les années 1950-1960 dans un contexte de recomposition des recherches en santé au travail portée par des scientifiques proches du mouvement social et de fortes mobilisations ouvrières. Au sein des directions confédérales, la mise à l'agenda de ce sujet est portée par des conseillers techniques épaulés par ces scientifiques militants. Cet article souligne ainsi le rôle des mobilisations sociales et des collaborations avec des scientifiques dans l'émergence de la thématique des souffrances psychiques, mais aussi des acteurs de l'ombre des confédérations, les conseillers techniques, dans sa mise à l'agenda. Il met enfin en évidence que la construction de revendications et d'actions syndicales sur ce sujet, tout comme son reflux à partir du milieu des années 1970, est étroitement articulée aux enjeux internes à ces organisations et à leurs priorités stratégiques.
      When and how did the theme of occupational mental suffering emerge within trade unions and how did trade unionists address the issue? To answer this question, this article looks at the technical advisers of the union directorates in charge of working conditions between 1950 and 1982. It shows that the theme of occupational mental suffering became a social problem and a trade union concern in the 1950s, in connection with the situation of low-skilled female employees and, later on, of factory workers in the 1960s. This theme emerged with the transformation of research on occupational health carried out by scientists close to the social movement and major worker mobilisations, which made occupational health a political issue. Within the confederal directorates, this subject was put on the agenda at the end of the 1960s by technical advisers supported by these militant scientists. This article thus underlines the importance of social mobilisation and collaboration with scientists in the emergence of the theme of occupational mental suffering, but also of technical advisers bringing it onto the agenda within the confederal directorates. It also highlights the fact that the construction of union demands and actions on this subject, as well as its reflux from the mid-1970s, is closely linked to the internal stakes of these organisations and their strategic priorities.
    • Des déclassé·es immobiles. Comprendre l'évolution des rapports au travail dans un service hospitalier - Martin Sarzier accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Fondé sur une enquête ethnographique menée dans un service hospitalier de psychiatrie, cet article examine l'évolution des rapports au travail d'aides-soignant·es et d'infirmières récemment confronté·es à un changement de politique médicale consécutif à l'arrivée d'un nouveau chef de service. Les employé·es subalternes les plus « ancien·nes » font l'expérience d'une forme spécifique de déclassement dans le travail : sans connaître de mobilité professionnelle, elles et ils sont affecté·es par la transformation de la configuration locale dans laquelle leur position professionnelle prend sens et constatent une dévaluation des tâches et du rôle qui leur sont attribués. Cependant, les effets de ce basculement ne sauraient être considérés isolément d'évolutions plus globales de l'hôpital public, qui pèsent également sur leur rapport au travail. Les restrictions budgétaires et les réformes managériales dégradent les conditions de travail et obstruent les perspectives de carrière des enquêté·es. Pour saisir la portée de ces changements, il convient de les inscrire dans les trajectoires sociales et professionnelles de ces infirmières et aides-soignant·es. En décrivant leur expérience du déclassement, on se donne les moyens de comprendre la vigueur de leur sentiment d'infériorisation, amplifié par l'arrivée de nouvelles recrues. Cet article montre que la notion de déclassement immobile permet d'éclairer leur situation.
      Based on an ethnographic survey conducted in a hospital psychiatry department, this article examines changing attitudes towards work, as expressed by care assistants and nurses who were recently faced with a change in medical policy following the arrival of a new chief physician. The most senior subordinate employees face a specific form of social downgrading in their work. With no professional mobility, they are affected by the transformation of the local configuration in which their professional position takes on meaning and they notice a devaluation of their assigned tasks and role. However, the effects of these changes cannot be considered separately from more global transformations in the French public hospital system, as these also affect attitudes towards work. Budgetary restrictions and managerial reforms are leading to the deterioration of working conditions and obstructing the career prospects of the respondents. In order to grasp the significance of these changes, they must be included in the social and professional trajectories of these nurses and care assistants. By describing their experience of downgrading we gain a clearer understanding of the strength of their feeling of inferiority, amplified by the arrival of new recruits. This article aims to show that the notion of “immobile downgrading” can shed light on their situation.
    • Des salariés déguisés ? L'(in)dépendance des chauffeurs des plateformes numériques - Sophie Bernard accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les chauffeurs des plateformes numériques sont-ils des travailleurs indépendants ou des travailleurs salariés ? À partir des résultats d'une enquête qualitative inédite auprès de ces travailleurs en France, cet article traite cette question d'un point de vue sociologique. S'il montre que le déploiement des plateformes s'accompagne d'une dégradation des conditions de travail et de rémunération des chauffeurs, il s'appuie sur une typologie en deux profils pour mettre au jour les dynamiques participant des transformations du secteur. Initialement majoritaires, les « chauffeurs héritiers de la grande remise » parviennent à se ménager des conditions de travail et de rémunération favorables grâce au développement d'une clientèle privée qui leur permet d'échapper à l'emprise des plateformes et de se réapproprier les conditions d'exercice de leur activité. Pourtant, la part de ces travailleurs indépendants a progressivement diminué au profit des « chauffeurs des applis » caractérisés à l'inverse par leur forte dépendance à l'égard des plateformes, et d'Uber en particulier. La position quasi-monopolistique de la plateforme sur le marché du transport avec chauffeur (VTC) favorise ainsi l'avènement et l'expansion d'une main-d'œuvre docile qui présente en outre l'avantage d'assumer les risques de l'activité.
      Are digital platform drivers self-employed or salaried employees? Based on the results of an original qualitative survey of these workers in France, this article proposes to consider this question from a sociological standpoint. While it shows that the deployment of platforms is accompanied by a deterioration in the working conditions and remuneration of drivers, it uses a two-profile typology to reveal the dynamics involved in the sector's transformations. Initially in the majority, drivers who inherited the “Grande Remise” (chauffeured driving appellation) are managing to secure favourable working conditions and remuneration thanks to the development of a private clientele that allows them to escape the grip of the platforms and reappropriate the conditions under which they carry out their activity. However, the proportion of these self-employed workers has gradually decreased in favour of “app drivers”, who are, conversely, characterised by their heavy dependence on the platforms, and on Uber in particular. The platform's quasi-monopolistic position in the PHV (Private Hire Vehicle) market thus favours the emergence and expansion of a docile workforce with the additional advantage that it is the drivers who assume the risks of the activity.
    • Travailler la distance : s'inventer un chez-soi de travail - Frédérique Letourneux accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article repose sur la comparaison de professionnel·les qui exercent leur activité à distance d'une organisation : des graphistes indépendant·es, des journalistes-pigistes multi-salarié·es et des télé-secrétaires en micro-entreprise. Chaque professionnel·le définit à sa manière une façon de travailler au domicile. Dans ce contexte où les activités et les rôles sociaux se brouillent du fait même de la non-distinction claire des temps et des espaces, il s'agit de parvenir à se construire un chez-soi de travail. L'article montre que cette capacité à définir un espace de travail à soi est dépendante de ressources professionnelles mais aussi de ressources sociales et biographiques. Se révèlent ainsi différentes configurations dans lesquelles se déroule le travail à distance, au croisement entre les conditions objectives d'existence et la manière dont la personne elle-même parvient à donner sens à sa position.
      This article is based on a comparison of professionals who work away from the office: freelance graphic designers, freelance journalists and tele-secretaries. Each professional defines his or her own way of working. In this context time, space, activities and social roles become blurred. These professionals thus have to succeed in creating a workspace at home. The article shows that this ability to define a personal workspace depends not only on professional resources but also on social and biographical resources. Different configurations are revealed and then analysed at the crossroads between objective conditions of existence and the way people themselves manage to give meaning to their position.
  • Comptes rendus