Contenu du sommaire : L'avortement en Amérique latine, enjeux politiques et sociaux (II). Les femmes sous tutelle
Revue | Problèmes d'Amérique Latine |
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Numéro | no 118, automne 2020 |
Titre du numéro | L'avortement en Amérique latine, enjeux politiques et sociaux (II). Les femmes sous tutelle |
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Dossier. L'avortement en Amérique latine, enjeux politiques et sociaux (II) : les femmes sous tutelle
- L'avortement en Amérique latine (II) : les femmes sous tutelle. Présentation - Delphine Lacombe p. 5-10
- Eugénisme et avortement au Mexique (1920-1940) - Beatriz Urías Horcasitas, Philippe Cujo p. 11-23 Les débats à propos de la régulation de l'avortement, dans les années qui suivirent la révolution de 1910, furent pensés au prisme de la construction de la nation et de l'identité. Le pouvoir post-révolutionnaire se construisit sur une rationalité et une morale eugénistes. L'idée de pratiquer des avortements eugénistes pour améliorer la population, en épurant cette dernière de maladies vénériennes ou héréditaires, fut constitutive des débats en amont d'une politique sanitaire et hygiéniste. Si la nouvelle morale révolutionnaire fut définie en opposition radicale aux principes religieux, elle coïncida pourtant parfaitement avec les vues de l'Église pour assigner les femmes à la maternité, interdire l'avortement choisi et exercer un contrôle de leur sexualité.Debates over the regulation of abortion in the years following the 1910 revolution were interpreted in light of nation-building and identity. Post-revolutionary power was built on eugenicist rationality and morality. The idea of practicing eugenic abortions to select the population, purifying it from venereal or hereditary diseases, was a constituent part of the debates that oriented subsequent health and hygienic policies. If the new revolutionary morality was defined in radical opposition to religious principles, it nevertheless coincided perfectly with the Church's views on assigning women to motherhood, prohibiting chosen abortion and exercising control over women's sexuality.
- Agir féministes en contextes d'interdiction totale de l'avortement - Morena Herrera, Ana María Pizarro, Delphine Lacombe p. 25-44 Comment le Salvador et le Nicaragua ont-ils été amenés à interdire complètement l'avortement, respectivement en 1997 et en 2006 ? Quelles priorités les féministes se fixent-elles, depuis ces deux décennies de pénalisation absolue de l'avortement ? Cet entretien croisé avec Morena Herrera, présidente du groupement stratégique pour la dépénalisation de l'avortement au Salvador, et Ana María Pizarro, gynécologue, fondatrice de la clinique SI Mujer au Nicaragua, permet de répondre à ces questions. Il éclaire également les différentes praxis féministes selon les contextes, les trajectoires professionnelles et le sens donné à l'engagement politique.How did El Salvador and Nicaragua come to ban abortion completely, in 1997 and 2006 respectively? What priorities have feminists set, since these two decades of absolute criminalization of abortion? This interview with Morena Herrera, president of the strategic group for the decriminalization of abortion in El Salvador, and Ana María Pizarro, gynecologist, founder of the SI Mujer clinic in Nicaragua, answers these questions. It also sheds light on the different feminist praxis according to contexts, professional trajectories and the meaning given to political commitment.
- Négociation patriarcale ? L'impasse de la dépénalisation de l'avortement en cas de viol en Équateur - Mónica Patricia Mancero Acosta, Garance Robert p. 45-63 Cet article cherche à élucider le sens des actions menées par les femmes membres de l'assemblée nationale équatorienne appartenant au mouvement politique Alianza País, à la tête du gouvernement de 2005 à 2017. À cette fin, j'examine un événement qui a provoqué d'extrêmes tensions entre le féminisme et les positions conservatrices au sein du mouvement politique au pouvoir. Cette impasse s'est matérialisée dans le débat parlementaire relatif à la dépénalisation de l'avortement en cas de viol, dans le cadre de la promulgation d'un nouveau code pénal. Nous tentons de comprendre si les députées féministes ont tenté d'instaurer un processus de négociation patriarcale ou si leur attitude relève davantage de la soumission aux ordres du président Rafael Correa. Je tente d'illustrer un paradoxe : si les femmes ont certes accédé à la représentation politique, elles ne sont pas parvenues à imposer leurs arguments dans la sphère législative.This article seeks to elucidate the meanings of the actions carried out by female assembly members of the Alianza País political movement, currently in the Ecuadorian government. To this end, I will examine an event that took to the extreme tensions between feminism and conservative positions within the political movement in power. This impasse was the parliamentary debate on the decriminalization of abortion in rape cases, within the context of a new Penal Code's enactment. It is not clear whether the feminist assembly members of the movement engaged in a patriarchal negotiation or simply submitted to the orders of President Rafael Correa. I attempt to illustrate a paradox: women have gained access to political representation but have not managed to impose their arguments within this legislative sphere.
- La réponse conservatrice à la dépénalisation de l'avortement en Uruguay - Luis Rivera-Vélez p. 65-86 En Uruguay, le virage politique vers la droite en 2020 a remis la question de l'avortement à l'ordre du jour politique. Si la loi de 2012 dépénalisant l'avortement répond aux objectifs de santé publique qu'elle a fixés, le nouveau président a voulu mettre en place une politique anti-avortement sans modifier le texte de loi. Comment cela est-il possible ? Le but de cet article est de montrer que la lutte contre l'avortement n'implique pas une abrogation de la politique publique mais une déviation de ses objectifs, en remplaçant la défense des droits des femmes par une politique nataliste qui décourage les femmes d'avorter. Cette substitution est possible parce que : 1) le texte de loi avait déjà relégué l'autonomie des femmes à une position secondaire ; 2) la mise en œuvre de la politique publique a entraîné une procédure d'avortement fastidieuse et dépendante de la bonne volonté du corps médical ; et 3) des pressions idéologiques et électorales poussent le gouvernement à condamner publiquement les femmes qui avortent tout en promouvant une politique d'encouragement de la natalité. La réaction conservatrice (backlash) du gouvernement uruguayen est originale dans la mesure où elle est exercée par le pouvoir exécutif, plutôt que par le parlement ou les tribunaux.In Uruguay, the political shift to the right in 2020 has put the issue of abortion back on the political agenda. While the 2012 law decriminalizing abortion meets the public health goals it has set, the new president wanted to implement an anti-abortion policy without modifying the law. How is this possible? The purpose of this article is to show that the fight against abortion does not imply an abrogation of the public policy but a deviation from its objectives, by replacing the defense of women's rights with a natalist policy that discourages women from having abortions. This substitution is possible because: 1) the law had already relegated women's autonomy to a secondary position; 2) the implementation of public policy led to a tedious abortion procedure dependent on the goodwill of the medical profession; and 3) ideological and electoral pressures are pushing the government to publicly condemn women who abort while promoting births. The conservative reaction of the Uruguayan government is original as it is carried out by the executive branch, rather than by parliament or the courts.
Varia
- Prisonnière politique. Argentine 1975-1982 - Isabelle Toro p. 87-124 Issue d'une famille démunie du nord-ouest de l'Argentine, Isabelle Toro raconte son expérience de prisonnière politique en Argentine. Son histoire, son enfance, ses engagements politiques, jusqu'à son arrivée en France après plus de sept ans de prison, prennent ancrage dans un contexte de violence politique et sociale. Ce récit de vie rend compte d'une période de violence extrême. L'installation d'un Etat terroriste et ses formes destructives sont décrites et analysées ainsi que les stratégies adoptées pour y résister. Expérience fondamentale de ce parcours de vie, la protagoniste se souvient, s'interroge, et met en discussion ce parcours afin de mieux appréhender ce qu'elle a vécu.Raised in a poor family in North-West Argentina, Isabelle Toro narrates her experience as a political prisoner in her country. Her history, her childhood, her political commitments, until her arrival in France after more than seven year in jail, all of this is anchored in a context of political and social violence. This life story gives an account of an extremely violent period. It describes and analyzes the installation of a terrorist State and its destructive forces as well as the strategies that were adopted to try and resist it. As all this represents a foundational experience in her lifetime, the protagonist remembers, questions herself and discusses such a path in order to have a better sense of what she went through.
- Postface. Penser l'expérience révolutionnaire et la prison - Gilles Bataillon p. 125-132 Comment ont été reçus les témoignages des survivantes des prisons militaires argentines ? Comment raconter ses années de militantisme révolutionnaire puis de prison quand s'est installé un climat de suspicion à l'encontre de celles qui eurent la chance de ne pas être assassinées comme des milliers de disparus des deux sexes ? C'est toute la finesse du travail d'introspection d'Isabel Toro que de ne pas se dérober devant la difficulté de telles interrogations quand on retrace son expérience de ces années. Comment raconter et penser les points saillants d'une telle expérience. De quelle façon les met-on en lumière en restituant au plus près possible les moments de certitudes comme ceux ou s'insinue le doute et surgissent les questions sur le sens d'un engagement ?The testimonies of the survivors of Argentina's military prisons elicit different sorts of reactions. How can survivors recount their years of revolutionary militancy, followed by prison, when a climate of suspicion was created against those women who were lucky enough not to be murdered? It is all the finesse of Isabel Toro's work of introspection not to shirk from the difficulty of such questions when reconstituting her past experience. How is it possible to describe the salient points of such an experience? How do we bring them to light by reconstructing as closely as possible the moments of certainties as well as those when doubt is insinuated and questions arise about the meaning of a commitment.
- Prisonnière politique. Argentine 1975-1982 - Isabelle Toro p. 87-124