Contenu du sommaire : Mépris de classe

Cet article s'appuie sur les résultats d'une enquête ethnographique menée dans une ville moyenne en déclin du centre de la France. Il revient plus particulièrement sur la fragilisation de la petite bourgeoisie culturelle locale sous les effets conjugués des politiques nationales d'austérité, de la crise du socialisme municipal et du déclin urbain qui gagne les quartiers centraux. Dans ce contexte, les membres de ce milieu d'interconnaissance tentent d'exercer le pouvoir dont ils disposent encore afin de disqualifier les groupes sociaux qui lui contestent leur légitimité : la bourgeoisie économique locale, au pouvoir municipal depuis 2014, et les classes populaires résidant dans le centre-ville, dont le nombre progresse depuis la fin des années 2000. Le mépris de classe manifesté à l'égard de ces deux groupes permet alors une réassurance sociale collective de la petite bourgeoisie culturelle locale, qui tente ainsi de résister aux processus conjoncturels et structurels qui menacent son existence.

En étudiant les commérages que provoque l'engagement de précaires sur une liste Front national lors des municipales de 2014, l'article analyse les logiques sociales et politiques qui incitent les habitants d'un bourg rural de Lorraine, souvent membres ou proches des classes populaires, à dénigrer ou éviter les groupes les plus dominés. Ce cas d'étude permet d'analyser les stratégies d'implantation du FN en milieu populaire et révèle au passage certaines contradictions de ce parti. En donnant à voir un segment particulièrement marginalisé des mondes ruraux, il réinterroge la question de l'autochtonie à partir du point de vue de celles et ceux qui en sont exclus et tentent de s'y faire une place. En montrant comment les différents acteurs militants locaux (de droite, de gauche, du FN) se positionnent par rapport aux précaires, il rappelle enfin combien l'offre politique participe à façonner les représentations et les relations sociales ordinaires.

Un match de football dans un département rural oppose une équipe de jeunes locaux à ceux d'un club de la banlieue nord de Paris. À l'issue de la défaite du club de banlieue parisienne, un affrontement oppose joueurs, spectateurs et encadrants des deux équipes. Cet article propose une interprétation sociologique des émotions corporelles données à voir par Pierre, un joueur, et Akim, un encadrant, en s'appuyant sur les scènes ethnographiques observées avant, pendant et après la bagarre, ainsi que sur une série d'entretiens réalisés après les événements. Pierre et Akim ont grandi au sein de familles populaires dans des quartiers d'habitat social de banlieue parisienne. Au cours de cet événement, ils sont la cible d'assignations racistes et dégradantes. Tous deux à des moments charnières de leur trajectoire sociale ascendante, ils se sentent menacés par le stigmate de la « racaille » et se heurtent au déni de leur respectabilité sociale.

Issu d'une enquête par observation et entretiens menée au sein du « Cursus de composition et d'informatique musicale » de l'Ircam, cet article cherche à saisir les façons dont se fabriquent des procédés compositionnels, c'est-à-dire les processus par lesquels des compositeurs en viennent à mettre en œuvre telle ou telle technique, schème ou matériau musical. Deux études de cas sont développées, chacune centrée sur un apprenti-compositeur et un procédé compositionnel qu'il élabore au cours de sa progressive familiarisation avec un vaste répertoire d'outils électronique de production et de manipulation du son. L'analyse montre alors comment les étudiants du Cursus sont amenés à « composer » avec leurs socialisations antérieures ou parallèles au moment de naviguer dans l'espace des possibles électro-sonores de l'Ircam.

Cet article étudie les inégalités de genre dans la programmation musicale à Berlin et Paris, dans les salles de musique dites « actuelles » ou populaires. Les artistes femmes sont moins nombreuses que les hommes sur scène, mais pourquoi ce phénomène est-il plus marqué dans la capitale française ? L'article propose de saisir les inégalités entre artistes à l'aune des configurations professionnelles chez les intermédiaires qui construisent l'offre musicale. Noyé·es par une offre pléthorique, les programmateurs et programmatrices s'appuient sur les recommandations d'intermédiaires de confiance pour trier les propositions reçues et pour stabiliser la définition de la valeur musicale. À Paris, la forte professionnalisation de la programmation et le faible renouvellement des positions renforce l'homogénéité des réseaux professionnels des programmateurs et programmatrices. Or, leurs réseaux de programmation demeurent relativement fermés aux femmes artistes. En outre, les intermédiaires opposent les critères artistiques à la prise en compte du genre des artistes dans la sélection musicale, renvoyant ce dernier à un critère illégitime. À Berlin, l'existence de nombreuses salles programmées par des collectifs diversifie les réseaux de sélection des artistes, abaissant les barrières à l'entrée pour les femmes artistes. La proximité entre espaces musical et militant, favorisée par la moindre professionnalisation de l'activité musicale, légitime également le critère du genre des artistes dans la sélection artistique, y compris dans des salles renommées.