Contenu du sommaire : Covid-19 : de la pandémie aux crises
Revue | Mouvements |
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Numéro | no 105, printemps 2021 |
Titre du numéro | Covid-19 : de la pandémie aux crises |
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Covid-19 : de la pandémie aux crises
- Éditorial - Pauline Delage, Jean-Paul Gaudillière, Gabriel Girard, Catherine Izambert, Pierre-André Juven, Noé Le Blanc p. 7-11
- Se mobiliser et travailler à l'hôpital par temps de Covid - Noémie Banes, Orianne Plumet, Claire Beaudevin, Fanny Vincent p. 13-26 Le Collectif Inter-Urgences est un collectif de soignant·es né au printemps 2019 pendant la grève initiée par les infirmières et les aides-soignantes de 5 services d'urgences publics parisiens. Face à l'extension de la mobilisation à tous les services d'urgences de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, puis au-delà de l'Île-de-France, le Collectif a porté trois revendications structurantes : arrêt de la fermeture des lits d'hospitalisation, augmentation salariale de 300 euros nets/mois, embauche de personnel. Au plus fort du mouvement, en septembre 2019, le CIU recensait 260 services en grève, soit plus de la moitié des structures d'urgences publiques du territoire. En dialogue avec deux chercheuses en sciences sociales, deux infirmières et animatrices du collectif, Noémie Banes et Orianne Plumet reviennent sur la « crise » à l'hôpital public, sur leur expérience du mouvement et sur le travail par temps de Covid-19.
- Une épidémie peut en cacher une autre : personnes exposées au VIH et crise du Covid-19 - Caroline Izambert, Matthias Thibeaud, Alicia Maria p. 27-37 L'association AIDES fait le constat que l'épidémie de Covid-19 a été un facteur aggravant des discriminations déjà existantes. À partir d'une campagne importante de recueil de témoignages, l'association de lutte contre le VIH et les hépatites montre comment les situations déjà très précaires des travailleur·ses du sexe, des personnes vivant avec le VIH, des usager·es de drogues, des personnes étrangères en situation administrative précaire, des détenu·es ont empiré du fait du confinement et de la rétractation des services publics. Loin de faire un simple constat, l'association souligne qu'il y a beaucoup à apprendre de l'expérience des associations de malades et personnes concernées qui se sont engagées depuis longtemps dans le développement de pratiques de réduction des risques et d'autosupport à l'heure où l'épidémie s'installe dans la longue durée.
- Expositions différenciées et résistances sanitaires : les premiers mois d'épidémie dans les entrepôts logistiques - Carlotta Benvegnù, David Gaborieau, Haude Rivoal, Lucas Tranchant p. 38-46 L'impact inégal de la pandémie en fonction des groupes sociaux, tout particulièrement la manière dont la maladie a interagi avec les inégalités de genre, de race ou de classe, les modes de vie et de logement, les conditions d'accès au soin, commence à être discuté ; son impact différencié sur les lieux de travail demeure moins exploré. Ceci est particulièrement le cas du secteur du transport et de la logistique, lequel a pourtant été rendu visiblement essentiel par le confinement. Les membres du GEL ont tenté de remédier à cette carence et nous livrent les résultats de leur enquête par temps de Covid.
- « Pour la première fois de ma vie militante, j'ai considéré qu'on pouvait gagner. » - Yasmina Kettal, Pierre-André Juven p. 47-54 Yasmina Kettal est infirmière à Saint-Denis. Elle travaille au Centre hospitalier Delafontaine à Saint-Denis (93) et est membre du Collectif Inter-Urgences. L'intensité toute particulière de la pandémie en Seine-Saint-Denis a été l'un des révélateurs de l'importance qu'ont les inégalités et discriminations dans les trajectoires de contamination et de maladie due au SARS-Cov2. Yasmina Kettal revient pour nous sur son expérience, sur le mouvement qui a précédé la pandémie et sur le travail des soignant·es durant la première vague.
- Le temps long des épidémies - Anne Rasmussen, Gabriel Girard, Caroline Izambert p. 55-67 Les épidémies s'inscrivent dans un imaginaire ancien du fléau et de l'événement catastrophique qui vient bouleverser les sociétés appelant en réponse des mesures drastiques de la part des sociétés et des États. Comme nous le montre Anne Rasmussen, l'épidémie de Covid-19 ne fait pas exception. Cependant, son caractère global intégrant intimement les dimensions sanitaires, sociales, politiques et économiques lui donne une dimension singulière. Elle en fait un moment historique qui vient questionner des principes fondamentaux de l'organisation sociale et politique, à commencer par la valeur que l'on accorde à la vie.
- Crise sanitaire en territoires urbains populaires : relégations, discriminations, contestations - Audrey Mariette, Laure Pitti p. 68-77 Audrey Mariette et Laure Pitti mènent depuis 2013 une enquête sur les « politiques, professionnel·les et pratiques de santé en territoire populaire » en Seine-Saint-Denis. Ce travail a pris une nouvelle dimension avec l'épidémie de Covid-19 qui est venue renforcer les inégalités existantes alors qu'une grande partie de la population était, par son emploi, ses conditions de vie et son état de santé surexposée au virus et aux formes graves de la maladie. Les discriminations dans l'accès aux soins, notamment celles subies par les personnes racisées, ont été exacerbées. Cependant, cette crise a également souligné les capacités d'organisation et de mobilisation des professionnel·les de santé en dépit du manque de moyens chronique.
- La pandémie de Covid-19 en Inde : peut-on encore parler du modèle Kerala ? - Harilal Madhavan p. 78-91 Le 24 mars 2020, le Premier ministre de l'Inde Narendra Mordi ordonnait le confinement strict de tout le pays afin d'endiguer la transmission du SARS-Cov2. Annoncée du jour au lendemain, condamnant au chômage et à l'absence de revenu des centaines de millions de personnes et laissant les autorités locales se débrouiller pour nourrir les plus démunies, cette mesure a été fortement critiquée tant pour ses conséquences économiques et sociales que pour son faible impact sur la dynamique de la pandémie. Pourtant, parce qu'en Inde la santé est avant tout l'affaire des territoires, les situations y sont extrêmement contrastées et quelques États se sont montrés bien plus efficaces que le gouvernement central. C'est en particulier le cas du Kerala, au sud du pays, un État célébré pour son développement social « sans » croissance et ses politiques en matière d'éducation et de santé. Dans ce texte, Harilal Madhavan examine la gestion locale de la pandémie et ses relations au « modèle ». Il décrit un jeu complexe entre organisation du système de santé, initiatives gouvernementales et mobilisation des communautés à l'origine des succès initiaux comme de l'échec à contrôler la troisième vague de la pandémie, à partir de l'été.
- La réponse communautaire à la pandémie de Covid-19 au Sénégal : un rendez-vous manqué ? - Séverine Carillon, Fatoumata Hane, Ibrahima Bâ, Khoudia Sow, Alice Desclaux p. 92-103 Au Sénégal, nombre d'acteurs et actrices de la santé communautaire se sont engagé·es précocement dans la lutte contre la Covid-19. Leurs réponses, conçues à partir des besoins des populations et des possibilités sur le terrain, se sont inspirées de ce qui avait fonctionné contre d'autres épidémies, comme celle du VIH ou celle du virus Ebola. Malgré leur efficacité, ces initiatives ont été entravées à la fois par les cadres du gouvernement sénégalais et ceux issus des institutions de santé globale. Une situation exemplaire des limites de la démocratie sanitaire en contexte de crise épidémique.
- L'ordre de la dette maintenu « whatever it takes » : après l'argent « magique », le retour aux sacrifices ? - Benjamin Lemoine p. 105-115 Avec la pandémie, tout s'effondre. Les politiques de confinement font plonger la croissance et exploser la dette publique à une vitesse record. En trois mois, la dette a augmenté de près de 13 points de PIB pour atteindre les 120 % rapportés au produit intérieur brut, soit le double du seuil européen initialement autorisé dans le traité de Maastricht. Cette accélération est sans précédent dans les annales des statisticiens français. Il faut revenir aux guerres pour retrouver de tels horizons comptables. Mais au milieu de cet effondrement et de cette incertitude radicale, un îlot de croyances et de certitudes persiste : le logiciel disciplinaire arrimé à la dette publique. Les éléments de langage demeurent inchangés et la petite musique de l'austérité a percé.
- Plan de relance de l'Union européenne : jusqu'où peut et doit aller la BCE ? - Jean-Marie Harribey, Esther Jeffers p. 116-126 À la croisée des chemins ? Si l'expression n'était pas si galvaudée parce qu'employée lors de chaque crise que l'Union européenne a traversée depuis un demi-siècle, on pourrait l'utiliser une fois encore au vu de la situation créée par l'arrêt brutal de l'économie décidé par tous les gouvernements face à la pandémie du coronavirus. Depuis près d'un an, tout ce qui était considéré comme impossible est devenu monnaie courante (comme on le verra plus loin, on ne trouvera jamais une expression aussi appropriée !). Tous les dogmes que l'on pensait quasi perpétuellement installés ont été bousculés, voire remis au placard. Les plus orthodoxes des économistes libéraux·ales, les gardien·nes les plus sourcilleux·euses de l'indépendance des banques centrales, les gouvernements les plus stricts en matière de rigueur budgétaire, tou·tes ont lâché du lest, certain·es ont même viré de bord. Jean-Marie Harribey et Esther Jeffers examinent, dans ce qui suit, le plan de relance de l'Union européenne et le rôle qu'y joue la Banque centrale européenne (BCE) ainsi que son inscription dans un changement de modèle économique autour d'un « Green Deal ». Dans les deux cas, entre les affichages de communication et la mise en œuvre d'une transition socio-écologique il y a encore une grande distance… sociale.
- On a oublié la dimension conflictuelle du care - Rafaela Pimentel Lara, Amaia Pérez Orozco, Viviane Albenga p. 127-134 La crise sanitaire a mis la thématique du care à l'agenda : à l'agenda médiatique par la visibilisation des métiers du soin, désignés comme essentiels et exercés majoritairement par des femmes, mais aussi à l'agenda politique comme en Espagne où le gouvernement d'alliance PSOE-Unidas Podemos propose un « pacte pour le care ». Or, en Espagne, le care (« los cuidados ») est revendiqué y compris par les franges radicales du mouvement féministe, et fortement associé au mouvement de grève féministe qui a réuni des millions de manifestant·es les 8 mars 2018 et 2019. Mouvements revient sur les implications économiques et politiques de la prise en compte du care comme ensemble d'activités sociales indispensables à la « soutenabilité de la vie » en mettant en regard deux points de vue : celui de l'une des fondatrices du tout nouveau syndicat féministe des employées de maison, Rafaela Pimentel Lara, avec les perspectives théoriques de l'économiste féministe anticapitaliste Amaia Pérez Orozco.
- « Poser la question de la définition des besoins "essentiels" revient forcément à soulever celle de la procédure par laquelle on les définit. » - Razmig Keucheyan, Jean-Paul Gaudillière, Pierre-André Juven p. 135-147 Parce qu'elle a d'abord été associée à une réponse sanitaire aussi généralisée qu'en dehors des normes de l'intervention biomédicale avec les formes plus ou moins poussées de confinement et de mise à l'arrêt de l'économie, la pandémie de Covid-19 a suscité, au-delà du cercle des initiés, un débat multiforme sur les besoins essentiels, ceux de la crise sanitaire mais aussi de la transition écologique. Mouvements a rencontré Razmig Keucheyan pour en parler et pousser la réflexion sur ce que pourrait être une politique des besoins socialement juste et qui donc ne soit pas une « dictature sur les besoins » exercée par des experts, des bureaucrates ou des managers.
- « Plus jamais ça ! » Reconstruire ensemble un futur écologique, féministe et social - Marie Buisson, Jean-François Julliard, Julien Rivoire, Pauline Delage, Jean-Paul Gaudillière, Gabriel Girard p. 148-159 Le 27 mars 2020, le confinement à peine installé, dix-huit responsables d'organisations environnementales, de syndicats et d'associations dont Greenpeace, la CGT et Attac rendaient publique une tribune invitant à se saisir de la crise pour penser le « jour d'après » et la reconversion sociale et écologique en France et dans le monde. Cette tribune n'était que l'une des premières initiatives qui tout au long de la première vague épidémique visaient à profiter de la mise entre parenthèses du quotidien des politiques économiques néolibérales résultant de la pandémie et de l'urgence sanitaire pour faire avancer le mouvement de convergence entre réponses à la crise sociale et réponses à la crise écologique. Trois acteurs de cette coalition inédite nous parlent de cette initiative, de ses origines et du plan de sortie de crise qu'elle a élaboré.
Itinéraire
- De la théorie de la régulation aux capitalismes à l'épreuve de la pandémie - Robert Boyer, Jean-Paul Gaudillière p. 161-177 Robert Boyer est économiste, anciennement directeur de recherche au CNRS et directeur d'études à l'EHESS. Il est l'un des principaux animateurs de l'école dite de la régulation, laquelle a été, à partir des années 1970, l'un des principaux courants d'analyse de la diversité des capitalismes, des logiques de l'accumulation, des régulations et des dispositifs institutionnels qui les organisent. Il est l'auteur de Économie politique des capitalismes (La Découverte, 2015) et vient de publier Les capitalismes à l'épreuve de la pandémie (La Découverte, 2020). Il revient ici sur cette trajectoire individuelle et collective.
- De la théorie de la régulation aux capitalismes à l'épreuve de la pandémie - Robert Boyer, Jean-Paul Gaudillière p. 161-177