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Revue | Sciences Sociales et Santé |
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Numéro | vol. 39, no 1, mars 2021 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les inégalités sociales de santé au prisme de l'intersectionnalité - Estelle Carde p. 5-30 La perspective intersectionnelle, mobilisée dans les études de genre depuis la fin des années 1980, est apparue dans la littérature anglophone sur les inégalités sociales de santé (ISS) au début des années 2000 mais reste encore largement absente de son pendant francophone. En s'appuyant sur certains éléments de ce corpus anglophone, issus des sciences sociales comme de l'épidémiologie, cet article examine l'intérêt de cette perspective pour la recherche sur les ISS : comment peut-elle aider à lire, dans la santé des individus, la trace des rapports inégalitaires multiples, imbriqués et co-construits dans lesquels ils sont pris ?Sont d'abord présentées l'intersectionnalité et deux théories qui ont marqué la recherche sur les ISS ces trente dernières années – celle des causes fondamentales et la théorie éco-sociale –, afin d'identifier la complémentarité entre la première et chacune des deux autres. Est ensuite exploré le potentiel de l'intersectionnalité pour renouveler l'analyse de certains constats classiques sur les ISS.Il s'avère que ce potentiel tient dans la vigilance qu'impose cette perspective pour débusquer les multiples rapports sociaux conjointement impliqués dans ces ISS et en décrypter la co-construction. Cette vigilance se révèle particulièrement précieuse quand elle s'applique aux « combinaisons dissonantes » de statuts associant, chez un même individu, des statuts avantagés et des statuts désavantagés selon les rapports considérés. Leur analyse offre en effet une compréhension nuancée des rapports sociaux inégalitaires qui échapperait à une grille de lecture non intersectionnelle. Cette voie de recherche reste pourtant relativement peu exploitée dans la littérature.The intersectional perspective, commonly used in gender studies since the late 1980s, appeared in the English literature on social inequalities in health (SIH) in the early 2000s, but it is still largely absent from the corresponding French body of literature. Relying on certain elements of this English-speaking corpus, from the social sciences and epidemiology, this article examines the value of this perspective for research on SIH: How can it help us to see, in the health of individuals, the evidence of multiple, overlapping, and co-constructed unequal relations?First, we present intersectionality and two theories that have marked SIH research over the last thirty years—the fundamental causes theory and ecosocial theory—in order to identify the complementarity between the former and each of the latter two. Then, we explore the potential of intersectionality to renew the analysis of classic empirical data on SIH.It appears that this potential lies in the vigilance that the intersectional perspective requires in order to track the multiple social relations jointly involved in these SIH and to unravel their co-construction. This vigilance turns out to be particularly valuable in relation to socalled “dissonant” combinations of statuses, that is, those that bring together, in the same individual, statuses favored with regard to certain relations, and disadvantaged with regard to others. Their analysis indeed offers a nuanced understanding of unequal social relations that would elude a non-intersectional interpretive framework. This line of research remains relatively underused in the literature.
- Intersectionnalité et incorporation : expliquer la genèse des inégalités sociales de santé : Commentaire - Alexandra Soulier, Hélène Colineaux, Michelle Kelly-Irving p. 31-41
- De l'incertitude en santé mentale : analyse de la prise de décision aux urgences psychiatriques - Nicolas Marquis, Sophie Pesesse p. 43-67 Comment les soignants des services d'urgences psychiatriques, dont le travail consiste à apaiser les situations de crises puis à guider le patient vers des structures offrant les soins ou le soutien nécessaire(s) à celui-ci, déterminent-ils, au quotidien « ce qu'il convient de faire » ? Cet article s'attache, à partir d'observations de terrain effectuées dans un hôpital bruxellois, à comprendre quels types d'enjeux et de contraintes sous-tendent la pratique quotidienne des soignants et quels rapports les différents acteurs entretiennent entre eux. Il montre comment le quotidien des soignants aux urgences psychiatriques s'inscrit dans une tension entre l'incertitude inhérente au travail de soin, renforcée ici par le statut particulier que revêt la parole du patient, d'une part et, d'autre part, des attentes élevées et parfois discordantes de la part des patients, de leur entourage, des institutions de soins et des pouvoirs publics. Prises dans ces enjeux, il apparaît que l'enquête réalisée par les soignants et les décisions qui en découlent se fondent certes sur l'indication médicale, mais se doivent également de répondre à des exigences d'ordre pragmatique telles que la coopération avec le patient et la faisabilité pratique du soin.How do caregivers in psychiatric emergency departments, whose job is to calm crisis situations and then guide the patient toward structures providing the necessary care or support, determine on a daily basis “what should be done”? This article, based on observations made in a Brussels hospital, seeks to understand what types of issues and constraints underlie the daily practice of caregivers and how the different actors relate to each other. It shows how the daily work of caregivers in psychiatric emergency departments is underpinned by a tension between the uncertainty inherent in care work, reinforced here by the particular status of the patient's words, and high and sometimes conflicting expectations on the part of patients, their relatives, care institutions, and public authorities. Taking into account these issues, it appears that the inquiry carried out by the caregivers and the resulting decisions are certainly based on medical grounds, but they must also meet pragmatic requirements such as cooperation with the patient and practical feasibility.
- L'incertitude dans le contexte du « tournant juridique » des régulations de la santé mentale : Commentaire - Benoît Eyraud p. 69-74
- La clinique de l'autisme à l'épreuve de la précocité et de la standardisation du diagnostic - Audrey Linder, Thomas Jammet, Krzysztof Skuza p. 75-100 Les reconfigurations actuelles de la clinique de l'autisme, caractérisées par l'injonction au diagnostic précoce, la promotion des tests standardisés comme supports de la procédure diagnostique et l'apparition concomitante de centres spécialisés en autisme, transforment les pratiques des services de pédopsychiatrie. En étudiant le cas de la Suisse romande, nous interrogeons dans un premier temps la façon dont les outils d'évaluation standardisés sont l'objet d'une intégration contextuelle dans les différents cantons, qui les éloigne parfois de leur but initial, en fonction notamment de la présence ou non d'un centre spécialisé. Dans un deuxième temps, nous décrivons comment l'injonction à la précocité du diagnostic accroît l'incertitude avec laquelle les cliniciens doivent travailler, et tend à inscrire le dépistage de l'autisme dans une logique de gestion du risque et de normalisation de l'enfance. Enfin, nous questionnons l'articulation du diagnostic et de la prise en charge, dans le contexte d'une valorisation des thérapies précoces et intensives qui, à ce jour, sont insuffisamment implantées pour répondre à l'augmentation du nombre de cas diagnostiquésThe current reconfigurations of the autism clinic, characterized by the emphasis on early diagnosis, the promotion of standardized tests as a support for the diagnostic procedure, and the concomitant emergence of specialized autism centers, are transforming the practices of child psychiatry services. By studying the case of French-speaking Switzerland, we first examine the way in which standardized assessment tools have been the subject of a contextual integration in the various cantons, which sometimes distances them from their initial purpose, depending in particular on the presence or absence of a specialized center. Second, we describe how the emphasis on early diagnosis increases the uncertainty with which clinicians must work and tends to push the screening of autism toward a logic of risk management and normalization of childhood. Finally, we examine the link between diagnosis and management, in the context of the promotion of early and intensive therapies that, to date, have been insufficiently established to respond to the increasing number of diagnosed cases.
- Établir un diagnostic dans un environnement « surpeuplé » : quelles conséquences sur l'autonomie du jugement professionnel ? : Commentaire - Léonie Hénaut p. 101-108