Contenu du sommaire : Les mémoires comme ressources et enjeux.Dimensions spatiales, politiques et sociales
Revue | Bulletin de l'Association de Géographes Français |
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Numéro | no 2020/3 |
Titre du numéro | Les mémoires comme ressources et enjeux.Dimensions spatiales, politiques et sociales |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les mémoires comme ressources et enjeux.Dimensions spatiales, politiques et sociales - Dominique Chevalier p. 207-212
- Lieux vénérés puis oubliés : L'exemple de mémoires familiales manouches - Jean-Luc Poueyto p. 213-225 Les Manouches, bien que relevant pour la plupart de la catégorie « Gens du voyage », ne sont nullement des errants. Ils sont très attachés à certains territoires, ceux dans lesquels ils vivent, ceux dans lesquels ont vécu leurs aïeux disparus, ceux dans lesquels ces derniers sont enterrés. Amenées cependant à voyager selon leur gré ou bien à être déplacées de force, ces familles entretiennent dès lors des rapports complexes et intenses avec ces lieux de vie et de mort, étant partagées entre le besoin de s'ancrer dans une mémoire familiale et celui de s'en affranchir.The Manouches, although for the most part belonging to the “Gens du voyage” French category, are not wanderers. They are very attached to certain territories, those in which they live, those in which their missing ancestors lived, those in which those ones are buried. However they travel or are displaced, these families maintain complex and intense relationships with these places of life and death, being divided between the need to anchor in a family memory and that of break free from it.
- Palimpsestes mémoriels, gentrification inachevée et voisinages migratoires : l'exemple de commerces de La Guillotière à Lyon - Dominique Chevalier, François Duchene, Thomas Zanetti p. 226-244 Quartier lyonnais populaire de centre-ville, La Guillotière accueille depuis plus d'un siècle les vagues migratoires de la ville. Aujourd'hui, son peuplement connaît une gentrification, tandis que ses rues restent un important espace de déambulation populaire. Dans ce contexte de transformations urbaine et sociale, on peut s'interroger sur le positionnement des commerces, pris entre une clientèle populaire de déambulation et une autre plus riche demeurant sur place. Nous nous intéressons ici à trois sous-espaces commerçants de ce quartier. Au sud, si certains commerces asiatiques implantés depuis les années 1970 restent immuables, d'autres, souvent détenus par les enfants de ces premiers arrivants tendent, par une adaptation de leur offre commerciale ou par une mise en tourisme de ce petit Chinatown lyonnais, à transformer l'ethnicité en produit culturel et ainsi plutôt à accompagner les transformations sociologiques du quartier. Au nord, dans un espace commercial davantage méditerranéen, deux « success stories » de commerçants, d'origines l'un arménienne l'autre marocaine, montrent la capacité de ces commerces renouvelés à attirer une clientèle au-delà du quartier, tout en affirmant la dimension ethnicisée des produits vendus. Enfin la place centrale du quartier accueille un « marché aux puces » informel sur lequel viennent se greffer des ventes de substances illicites, qui ensemble, par une visibilisation de la pauvreté dans l'espace public, constituent un point de tension et peut-être une forme de résistance à la gentrification des étages du quartier de La Guillotière.A popular district in downtown Lyon, La Guillotière has welcomed the city's migratory waves for more than a century. Today, its population is experiencing gentrification, while its streets remain an important area for popular wandering. In this context of urban and social transformations, one can wonder about the positioning of the shops, caught between a coming and going, popular, clientele and another richer one living on the spot. We are interested here in three shopping subspaces of this district. In the south, some Asian stores established since the 1970s remain immutable. Some others, often owned by the children of these first generation immigrants, tend, by adapting their commercial offer or by promoting this little Lyons' Chinatown, to transform ethnicity into a cultural product and thus rather to move alongside the sociological transformations of the district. In the north, in a more Mediterranean commercial area, two success stories of tradespeople, one of Armenian and the other of Moroccan heritage, show the capacity of these renewed businesses to attract customers beyond the district, while putting an emphasis on the ethnic features of the products sold. Finally, the central square of the district hosts an informal flea market dovetailing with the sales of illicit substances, which together, by raising awareness of poverty in the public space, create a hotspot and perhaps a form of resistance to the gentrification of the floors of the Guillotière district.
- Sans mémoire des lieux ni lieux de mémoire. La Palestine invisible sous les forêts israéliennes - Elisa Aumoitte p. 245-260 Depuis la création de l'État d'Israël en 1948, près de 240 millions d'arbres ont été plantés sur l'ensemble du territoire israélien. Dans l'objectif de « faire fleurir le désert », les acteurs de l'afforestation en Israël se situent au cœur de nombreux enjeux du territoire, non seulement environnementaux mais également identitaires et culturels. La forêt en Israël représente en effet un espace de concurrence mémorielle, incarnant à la fois l'enracinement de l'identité israélienne mais également le rappel de l'exil et de l'impossible retour du peuple palestinien. Tandis que 86 villages palestiniens détruits en 1948 sont aujourd'hui recouverts par une forêt, les circuits touristiques et historiques officiels proposés dans les forêts israéliennes ne font jamais mention de cette présence palestinienne passée. Comment l'afforestation en Israël a-t-elle contribué à l'effacement du paysage et de la mémoire palestiniens ? Quelles initiatives existent en Israël et en Palestine pour lutter contre cet effacement spatial et mémoriel ?Since the establishment of the State of Israel in 1948, nearly 240 million trees have been planted across the national territory of Israel. In order to “make the desert boom”, the stakeholders of afforestation in Israel are involved in the many challenges of the territory, not only environmental but also in identity and culture. Forests in Israel are in fact a space of competition for memory, embodying both the rooting of Israeli identity and the reminder of the exile and the impossible return of the Palestinian people. While 86 Palestinian villages destroyed in 1948 are covered by a forest today, the official tourist and historical circuits proposed in Israeli forests never mention this past Palestinian presence. How has afforestation in Israel contributed to the obliteration of the Palestinian landscape and memory? What actions exist in Israel and Palestine to resist this spatial and memorial erasure?
- Un cimetière chinois dans la Somme : pratiques mémorielles, lieu de co-présence et territorialités diasporiques - Anne Hertzog, Rafiq Ahmad p. 261-279 L'article met en lumière le processus de « sinisation » d'un lieu qui demeure longtemps, à bien des égards, plus « britannique » que « chinois », à travers le développement de pratiques mémorielles au sein de la diaspora chinoise en France. Ce processus s'articule cependant à d'autres dynamiques d'appropriation, qui se déploient à différentes échelles, traduisant la pluralité des modalités de territorialisation des pratiques mémorielles et patrimoniales. Le cimetière se construit ainsi comme un lieu de co-présence et une ressource différemment mobilisée par une grande pluralité d'acteurs.This paper highlights the process of “sinization” of a place that remains for a long time, in many ways, more “British” than “Chinese”, through the development of memorial practices within the Chinese diaspora in France. This process, however, is linked to other dynamics of appropriation, which are deployed at different scales. They reflect a great plurality of territorialization in memorial and heritage practices. The cemetery is thus built as a place of co-presence and a resource differently mobilized by different categories of actors.
- Haut-lieu et appropriations de la mémoire des tirailleurs sénégalais : le Tata de Chasselay (69) - William Robin-Detraz p. 280-303 Le Tata de Chasselay (Rhône) est un cimetière construit pendant la Seconde Guerre mondiale pour commémorer les crimes odieux qui se sont déroulés les 19 et 20 juin 1940 dans la région lyonnaise où près de 200 tirailleurs sénégalais ont été massacrés par l'armée allemande. Seule nécropole nationale qui leur soit dédiée, le Tata est érigé en haut-lieu de la mémoire des combattants africains. S'inscrivant dans le champ de la géographie de la mémoire, l'article s'attache à étudier les relations entre espace et mémoire par le biais d'un haut-lieu. Le Tata est investi par différents groupes sociaux qui s'approprient la mémoire des tirailleurs sénégalais en la reconfigurant à l'aune de leurs valeurs et intérêts. Les pratiques mémorielles de ces groupes connectent le Tata à d'autres lieux de mémoire de la région lyonnaise. Pour analyser les relations de lieux de mémoire, l'article propose le concept de réseau mémoriel.The Tata of Chasselay (France, Rhône) is a cemetery built during the Second World War to commemorate the massacre of some 200 African Colonial Soldiers at the hands of the German Army on the 19th and 20th of June 1940 in the region of Lyon. The Tata is, in fact, the only national necropolis dedicated to the memory of these soldiers. This article explores concepts related to the field of Memory Studies, and investigates the links between space and memory through the description of a “haut-lieu”. The Tata is practiced by different social groups which appropriate for themselves the memory of African Colonial Soldiers in keeping with their own values and interests. The practices of these groups connect the Tata with other places of memory in the Lyon region. To analyze the relation between places of memory, the article suggests the concept of memorial network in order to encapsulate the space within which the memory of African Colonial Soldiers expands.
- Processus de patrimonialisation et mise en tourisme des mémoires collectives de l'esclavage à l'île de Gorée - Aliou Gaye p. 304-318 Les mémoires douloureuses de l'esclavage ne cessent de susciter des controverses dans l'espace public et la société civile. Elles ont joué un rôle central dans la déclaration universelle des droits de l'Homme, inspirant la notion « d'attentat contre la dignité humaine » de Victor Schœlcher en 1848. Certaines ont réussi à s'imposer dans les débats publics, exprimés dans la commémoration, la monumentalité, l'enseignement scolaire et la production artistique, et d'autres ont été classées au patrimoine mondial de l'humanité, après un long combat de dénonciation, d'indignation, de protection et de valorisation de ceux qui s'y reconnaissent. C'est le cas des mémoires collectives de la traite négrière à Gorée, dont il sera question dans cet article. Ce dernier propose d'étudier le processus de patrimonialisation et de mise en tourisme des mémoires de l'esclavage dans cette « île-mémoire », symbole de l'exploitation humaine. Dès lors, il cherche à examiner les politiques mémorielles, les revendications identitaires et les pratiques touristiques qui peuvent en découler.The painful memories of slavery continue to arouse controversy in the public arena and in civil society. They have played a central role in the universal declaration of human rights, inspiring the notion of « attack against human dignity » by Victor Schœlcher in 1848. Some succeeded in being established in public debates, expressed in commemoration, monumentality, school education and artistic production, and others have been classified as World Heritage of Humanity, after a long struggle of denunciation, indignation, protection and promotion of those who recognize themselves there. This is the case with the collective memories of the slave trade in Gorée, which will be discussed in this article. The latter proposes to study the process of heritage creation and the development of tourism memories of slavery in this « memory island », symbol of human exploitation. Therefore, it seeks to examine memory policies, identity claims and tourism practices that may result.
- « Un musée à ciel ouvert ». Les traces du passé conflictuel dans les espaces publics chypriotes - Marie Pouillès Garonzi p. 319-337 Cette réflexion s'oriente vers les diverses traces mémorielles de l'histoire conflictuelle chypriote récente (1955-1974) présentes dans différents espaces physiques publics, ouverts et clos. Elle propose d'analyser les multiples enjeux politiques et sociaux qui en découlent grâce à de premières observations de terrain couplées aux résultats de travaux antérieurs réalisés par d'autres chercheurs. L'hypothèse principale qui semble se dégager à ce jour réside dans l'omniprésence des éléments mémoriels conflictuels. Ces derniers apparaissent solidement ancrés dans ces territoires en dissension.This reflection is oriented towards the various memorial marks of the recent Cypriot conflict history (1955-1974) existing in different physical public spaces, both opened and enclosed. It analyses the multiple political and social issues that arise from this history through initial field observations coupled with the results of previous work carried out by other researchers. The main hypothesis that seems to emerge thus far is the ubiquity of conflicting memory elements. The latter appear to be firmly rooted in these dissenting territories.
- Là où s'échouent les destinées. Les prisons, dévoreuses de mémoires ? - Thibault Ducloux p. 338-351 À l'épreuve de l'enfermement pénitentiaire, la population pénale est traversée par une palette hétéroclite de difficultés (familiales, sociales, financières, professionnelles, judiciaires, administratives, etc.). Si pour la littérature d'aujourd'hui ces vecteurs de « vulnérabilité » sont frappés au coin du bon sens, un autre phénomène appelle, ici, à être renseigné. Parce qu'elle contredit ce que la vie sociale a fait des gens, la vie en prison s'attaque à l'économie réflexive et mnésique de prisonniers qui, les mois passant, « perdent » leurs mots et témoignent à loisir de « trous de mémoire ». Les souvenirs s'entremêlent, le rapport au temps se présentise, l'écart entre le passé et l'avenir se dilate déraisonnablement. Et pourtant. Tandis que tout laisse à penser que la prison constitue un point de l'espace où les mémoires dépérissent, d'autres y refont brutalement surface. Cet état de fait introduit l'idée que l'espace carcéral agirait – aussi – comme le révélateur d'une mémoire habituellement latente et diffuse dans le reste de la société. En l'occurrence, le religieux en est peut-être la plus belle illustration.Confronted with prison confinement, prisoners are faced with several difficulties (family, social, financial, professional, judicial, administrative, etc.). If for the academic world these factors of vulnerability are obvious, another phenomenon needs to be explored: life in prison contradicts what social life has done to people. It attacks the reflexive and mnemonic economy of prisoners. As the months go by, they “lose” their words and bear witness to “memory lapses”. Memories become intertwined. The gap between past and future widens unreasonably. And yet, while there is every reason to believe that prison is a point in space where memories fade, others suddenly resurface. This state of affairs introduces the idea that the prison space acts as a revealer of a memory that is usually latent and diffuse in the rest of society. In this case, the religious is perhaps the best illustration of this.
Article Varia
- Le paysage, structure urbaine et mentale du patrimoine culturel. L'exemple de Bologne - Lucas Marolleau p. 352-370 L'objectif de cet article est de questionner la patrimonialisation d'un centre historique à partir du concept de paysage. Dans une approche interdisciplinaire, il est possible d'identifier la fin des années 1950 et les années 1960 à Bologne comme constituant un tournant dans les politiques patrimoniales de la municipalité : le paysage devient en effet pour les habitants un moyen de réclamer la sauvegarde du centre ancien. Il s'agit donc de considérer les représentations qu'ont de lui les acteurs locaux, afin de mesurer son rôle dans la patrimonialisation. Ce rôle est renforcé à Bologne par l'inertie morphologique du centre historique, qui participe de la spatialité et de la patrimonialité de ceux qui le pratiquent. Le paysage constitue dès lors un point d'entrée pour distinguer sa propre patrimonialisation de celle des objets exceptionnels.The aim of this paper is to the question of a historic centre's “heritagisation” on the basis of the landscape concept. Through an interdisciplinary approach, it is possible to identify the end of the 1950's and the 1960's as a turning point in the patrimonial politics of Bologna's municipality: at that time, the landscape became for the inhabitants a way to demand the conservation of the old centre. Its local representations can be used as a way to understand its role in the “heritagisation” process. This role is accentuated at Bologna by the morphological inertia of the historic centre which pertains to the inhabitant's spatiality and “patrimoniality”. The landscape is therefore an entry point for distinguishing its own “heritagisation” from that of exceptional objects.
- Le paysage, structure urbaine et mentale du patrimoine culturel. L'exemple de Bologne - Lucas Marolleau p. 352-370