Contenu du sommaire : Produire les données à la frontière de plusieurs mondes sociaux

La COVID-19 a propulsé sur le devant de la scène des spécialistes des réseaux ayant fait de la modélisation épidémiologique leur occupation principale. Deux questions se posent ici à propos de cette spécialité : d'une part, comment sont construits les modèles et que recouvre leur irruption dans le débat ces derniers mois ; et d'autre part, comment des physiciens et des mathématiciens ont-ils réussi à devenir des experts épidémiologistes sans un parcours de professionnels de santé ? Nous abordons ces questions en étudiant les modèles produits par cette spécialité, ainsi que le processus de son émergence et la division du travail en son sein. La dernière section de l'analyse revient sur la première vague de l'épidémie et sur les débats qu'elle a pu renforcer ou ouvrir par rapport à cette nouvelle spécialité. L'article se fonde sur une enquête de terrain menée dans quatre laboratoires d'épidémiologie computationnelle, basés à Paris, Turin, Boston et Los Alamos.

Cet article s'intéresse à des expérimentations interdisciplinaires conduites à la croisée des sciences archéologiques et des sciences informatiques, dans le cadre d'un projet de recherche récemment finalisé. Dans une perspective associant sociologie des sciences et infrastructure studies, nous cherchons à comprendre les modalités de l'hybridation et de la confrontation entre ces deux traditions épistémiques bien distinctes, et la manière dont deux technologies en particulier viennent équiper le raisonnement en archéologie préhistorique : l'intelligence artificielle et la réalité virtuelle. Nous nous fondons sur l'analyse de documents d'archives, des observations ethnographiques filmées ainsi que des entretiens semi-directifs pour retracer l'histoire du projet et ses reconfigurations successives. Nous analysons ainsi les conditions de félicité pour l'importation de dispositifs computationnels au sein des sciences archéologiques, et montrons que celle-ci implique un ajustement délicat de la distance entre les archéologues et le calculateur informatique.

Si l'open data n'est plus une nouveauté aujourd'hui, il soulève cependant des questions qui sont, elles, loin d'être résolues par les producteurs et les réutilisateurs de données. Cet article propose une immersion au sein d'un hackathon organisé autour des premiers jeux de données ouvertes par un opérateur de transport ferroviaire, pour comprendre comment celles-ci sont coproduites par les réutilisateurs qui les intègrent dans des applications de mobilité. En combinant une approche écologique des mondes sociaux avec une ethnographie de l'activité technique, il montre que l'originalité de celle-ci réside moins dans le développement d'applications tel que les producteurs de données l'ont initialement espéré que dans le travail d'équipement des données ouvertes par de nouvelles propriétés permettant de les intégrer à des infrastructures informationnelles variées, à travers des définitions plus ou moins partagées à la frontière de mondes sociaux dont elles aident à coordonner les efforts autour de l'ouverture de nouvelles données.

Récemment, différents chercheurs en sciences humaines et sociales ont fait du mouvement californien du Quantified Self leur terrain d'enquête en vue d'en traduire les grands principes axiologiques et/ou d'en discuter les fondements dans une perspective essentiellement critique. Minna Ruckenstein et Mika Pantzar ont notamment mis en évidence quatre grandes familles d'arguments et de métaphores qui dominent le discours des promoteurs dudit mouvement : la transparence, l'optimisation, les boucles de rétroaction et le biohacking. Notre article s'interroge sur les conditions d'objectivation de ces grands principes. Que conserve-t-on de ces principes axiologiques au cours de la phase de concrétisation des projets d'invention QS ? Comment s'altèrent-ils au gré des mises à l'épreuve successives du processus innovant ? Quel est le degré de diffusion de ces grands axes de développement dans le paysage sociotechnique actuel ? Ce sont ces questions qui ont guidé notre travail d'enquête portant sur l'analyse documentaire de 614 brevets d'invention US dédiés à la mesure et la gestion du temps de sommeil (quantified sleep).

Dans le contexte d'une double injonction à l'accessibilité et à la digitalisation des musées, les musées des Beaux-Arts se dotent d'outils numériques pour accompagner les visiteurs avant, pendant et après la visite. L'article entend explorer les étapes de la conception de ces dispositifs dans un musée d'Occitanie. Faute d'études des publics, c'est en l'absence des usagers que les concepteurs de ces dispositifs vont imaginer des attentes et des usages de dispositifs de médiation culturelle. Émergent alors des figures d'usagers, mobilisées par les acteurs, qui accompagnent le projet multimédia. À partir d'une enquête de terrain, et privilégiant une approche sociotechnique, l'article dresse une typologie de ces figures d'usagers au cours du processus de conception des dispositifs et constate une convergence vers un double standard, celui de l'usager et celui du dispositif.

Revenant aux premiers jours de son actualité au Cameroun, cet article s'intéresse au traitement du Covid-19 par les médias sociaux. À partir d'un suivi régulier des fora WhatsApp et Facebook, il fait le constat que le moment de la survenue de la maladie sur le territoire national a vu un déferlement de publications humoristiques sur cette pandémie. En prenant celles-ci au sérieux, l'article montre, grâce à un travail de recension thématique, qu'elles sont des cadres d'interprétation populaires qui figurent à la fois une rupture dans l'ordinaire des relations sociales ainsi qu'un ensemble de routines relatives à l'environnement social, culturel, politique et économique dans lequel survient la pandémie.

Aujourd'hui plus de 4 foyers sur 5 disposent d'un compteur communicant Linky et pourtant, la polémique anti-Linky ne faiblit pas avec les prémices d'une judiciarisation des conflits ces dernières années. L'article vise à restituer les modalités de dénonciation et de mobilisation des consommateurs ordinaires et plus précisément de la frange des plus réfractaires d'entre eux. Dans une première partie, nous proposons un modèle d'engagement dans la cause « anti-Linky », de la suspicion à la scandalisation. Nous montrons que les clients procèdent à un travail de politisation en embarquant plusieurs registres de dénonciation (les ondes électriques et leurs effets sur la santé, la fausse promesse de la transition énergétique, les dérives marchandes et les risques de surveillance). L'engagement de ces consommateurs se nourrit de la mutualisation des arguments, permettant l'accusation contre les compteurs pour protéger leurs domiciles vécus comme des espaces intimes, mais aussi ceux des personnes vulnérables. La deuxième partie décrit les étapes de la « mobilisation à domicile » et les stratégies de « solidarité de voisinage ». Elles ont pour but de lutter pragmatiquement contre l'installation du compteur, mais aussi de promouvoir la recherche d'une société non Linky, appuyée par des normes de sobriété numérique, d'anticonsumérisme et d'une vie plus solidaire.