Contenu du sommaire : Mobilités et religions : expériences chrétiennes et musulmanes

Appliqué aux phénomènes religieux depuis les années 1990, le concept de mobilité permet de saisir la multiplicité des expressions des croyances, des pratiques et des identifications dans un contexte de mondialisation qui régule autant les circulations que les immobilités des acteurs, des objets et des symboles. Si la mobilité est intrinsèque aux fondements mêmes de la plupart des institutions et traditions religieuses, les recompositions, transformations et tensions qui traversent les expériences contemporaines du religieux affichent des variations dont l'approche empirique, plus que toute autre, peut rendre compte. Nous tentons ici de saisir la complexité des parcours religieux actuels en soulignant les conditions de créativité, les possibilités de transgression et les espaces d'indétermination religieux et sociaux qu'elles offrent. Ce dossier rassemble des travaux issus d'une réflexion collective portant sur les migrations et les mobilités religieuses à partir d'études qualitatives menées dans des milieux chrétien et musulman.

Cet article a pour but de questionner l'idée de « mobilité religieuse » au cœur de la trajectoire personnelle et subjective de Louis Massignon (1883-1962). Connu comme professeur au Collège de France et comme l'un des pères fondateurs de l'islamologie française, il a aussi été un mystique catholique ayant dédié sa vie à ce que l'on nomme aujourd'hui « islamophilie ». Entendue dans ses acceptions élargies, la notion de « mobilité religieuse » se déploie à plusieurs niveaux dans l'itinéraire de cette figure singulière. Outre les déplacements géographiques inhérents à sa condition de savant, il élabore une posture épistémologique de « décentrement » méthodologique qui irrigue à la fois sa pratique scientifique et sa spiritualité. Il est ensuite mû dès sa jeunesse par une insatiable quête d'altérité qui devient la matrice de sa conversion — autre mobilité —, un retour au christianisme au contact de l'islam qui le fascine. De surcroît, les pèlerinages deviennent pour lui un objet de recherche privilégié, en même temps qu'un topos de sa mystique abrahamique. Sur le plan politique, il s'engage pour les « personnes déplacées » (les réfugiés) notamment en Palestine après 1948, mais aussi dès 1929 pour les immigrés nord-africains en France qui sont largement discriminés. Mobilisées au sein de l'Église catholique, ses positions « islamophiles » vont même influencer le concile Vatican II dans ses déclarations envers les religions non-chrétiennes, ce qui atteste d'une fluidité et d'une transmission intergénérationnelle dans la transformation des savoirs théologiques. En intégrant une approche sur la réflexivité, cet article vise donc à appréhender le procès de subjectivation de Louis Massignon dans le miroir de l'altérité religieuse, au prisme des multiples mobilités qui l'animent et le traversent.

Cet article questionne le thème des mobilités religieuses en comparant des cultes pentecôtistes de même dénomination dans des sociétés culturellement éloignées. Du « Nord » au « Sud », on sait que le pentecôtisme a fait preuve d'une grande capacité d'adaptation, s'imposant en mobilisant les mêmes techniques et rhétoriques « de la différence » ; où qu'il soit, il s'est placé comme un libérateur face à d'autres religions qui, quelles qu'elles soient, ont été décriées comme étant responsables du ritualisme idolâtre, de la tradition et de l'assignation contrainte des individus dans des rapports de domination. Dans cet article, nous nous efforçons de montrer que par-delà ces principes génériques, les ethnographies comparées de deux cultes qui s'adressent à des publics féminins en Islande et au Cap-Vert, à la fois dans leurs styles et dans les idées qui sous-tendent leurs actions, témoignent de différences suffisamment substantielles pour nous questionner sur ce qui reste, ce qui circule et ce qui change dans ces mêmes religions transnationales. En examinant comment la figure de Jésus est variablement représentée dans les deux cultes, et la manière dont elle est éprouvée au travers de diverses expériences surnaturelles, nous suggérons des conceptions fort différentes du divin, du soi, de l'intériorité et du mal.

En analysant les discours religieux musulmans contemporains, nous proposons de retracer l'histoire récente des logiques de circulation des idées de la pensée islamique sunnite réformiste ou se présentant comme telle, afin de saisir les mobilités des grandes dynamiques discursives et les transformations de l'islam contemporain. Ceci permettra d'illustrer les modes de circulation des voix des leaders religieux faisant autorité dans la sphère discursive, ainsi que leur visibilité induisant autant de tendances et d'écoles de pensée. La mise en perspective de ces discours sur l'échiquier actuel nous permettra de questionner les volatilités autant que les ancrages profonds des idées de réforme dans un contexte hyper-mouvant, notamment dans les pays occidentaux. Dans ces pays, qui correspondent à des contextes nouveaux de production des discours réformistes, nous ne nous intéresserons pas aux lieux d'ancrage dans la dimension de reterritorialisation des acteurs, mais nous prendrons en compte les audaces et les stimuli intellectuels qu'offrent ces environnements situés à la marge du monde musulman. Cependant, il apparaît que la pensée réformiste, qui s'exprime par l'intermédiaire de nouveaux canaux (télévision et réseaux sociaux numériques), provient non seulement de sociétés du Sud à majorité musulmane, mais aussi de sociétés du Nord d'où de nouvelles voix, fruit des migrations internationales, se font les relais d'idées nées dans ces contextes spécifiques. Dans cet article, nous démontrerons que dans le cadre de la globalisation, de la cacophonie du leadership religieux, des crises institutionnelles musulmanes, de l'émergence d'outsiders de la pensée, de la révolution numérique avec sa dématérialisation des supports cognitifs religieux et du marché du savoir en circulation, c'est toute la notion de réformisme qui est nouvellement questionnée, et ce, bien au-delà des seuls prolongements des pionniers réformistes dans l'islam.

Le présent article met en lumière les processus de mobilité et leur rôle dans le façonnement des acteurs et des lieux de la Fayda Tidjaniyya, une branche sénégalaise de la confrérie Tidjaniyya. Deux formes de mobilité interdépendantes et interconnectées sont ainsi identifiées : « une itinérance missionnaire » initiale du fondateur de cette communauté religieuse, qui sert de référence aux fidèles, et « une entreprise circulatoire » déployée aujourd'hui par ses disciples (ou continuateurs). C'est dans ce jeu d'interdépendances entre différentes sortes de mobilités qu'émerge un renouvellement de perspectives, notamment en termes d'ambitions individuelles et collectives, en termes d'innovations et de rapport au monde extérieur. L'article amorce par ailleurs une discussion sur quelques contradictions qui pourraient limiter le potentiel mobilisateur de cette entreprise circulatoire.

La présente contribution porte sur Islam Solidaire, une association d'étudiants musulmans fondée par des descendants de migrants burkinabè en Côte d'Ivoire, venus à Ouagadougou pour étudier et désormais installés dans cette ville. Créée à partir de deux référents identitaires communs à ses fondateurs, l'expérience migratoire en Côte d'Ivoire et l'islam, cette structure s'inscrit dans le dynamisme des associations estudiantines du début des années 2000 et dans la pluralité religieuse burkinabè. L'article propose d'analyser les problématiques rencontrées par ces étudiants souvent appelés « diaspos » et la façon dont ils trouvent leur place dans le contexte actuel de la société burkinabè en mettant au premier plan l'islam comme une ressource dans leurs trajectoires marquées par des mobilités sociales et géographiques.

Que fait la mobilité géographique à la religion ? La migration et l'installation à l'étranger viennent-elles affermir les appartenances confessionnelles et consolider les pratiques religieuses ou, au contraire, les bousculer et les altérer ? La réponse se situe entre ces deux extrémités. En effet, l'étude menée au sujet des catholiques originaires d'Afrique et de La Réunion à Lyon nous montre une large gamme de possibles entre désaffiliation et réaffiliation confessionnelle, entre permanence et modifications des pratiques. Au final, nous observons une recomposition des appartenances conjuguée avec une transformation des formes de piété consécutives à la mobilité des croyants.

La reconfiguration de l'espace migratoire marocain a eu pour effet inattendu l'émergence d'un champ religieux chrétien informel, constitué de petites communautés de migrants localisées dans les quartiers populaires des grandes villes. Cette contribution présente la trajectoire et les pratiques socioreligieuses d'une prophétesse pentecôtiste guinéo-libérienne installée à Rabat depuis 2004. Après avoir présenté son itinéraire depuis le pays d'origine et sa contribution spécifique au repositionnement du réseau des « Églises de maison » vis-à-vis de la société environnante, l'article offre un aperçu de sa pratique rituelle (délivrance) comme lieu de prise en charge de l'infortune et de réorientation du parcours migratoire de jeunes femmes nigérianes victimes de réseaux de prostitution.

Certaines formes de précarité plus fréquentes pour les immigrés (surexposition au chômage, revenus plus faibles en moyenne, conditions de logement plus difficiles, expériences multiples de discrimination dans l'accès aux droits, aux biens et aux services, etc.) ou liées à leur statut administratif d'étranger sont des situations contribuant au tabagisme. Les facteurs socioéconomiques défavorables, les antécédents biographiques traumatiques, un accès limité aux services de santé sont des éléments particulièrement à risque en matière de tabagisme et de dépendance nicotinique. Dans cet article, nous nous proposons d'observer en quoi la précarité et la migration influencent les représentations et comportements tabagiques des immigrés ainsi que les stratégies de sevrage.