Contenu du sommaire : Écritures en géographie
Revue | Annales de géographie |
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Numéro | no 739-740, 2021/3-4 |
Titre du numéro | Écritures en géographie |
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Articles
- Hors normes ? - Henri Desbois, Philippe Gervais-Lambony, Olivier Lazzarotti p. 5-16 Dans le légitime souci de consolider leur portée « scientifique », les revues de sciences sociales, les Annales de Géographie parmi d'autres, ont établi des protocoles de publication : double lecture en aveugle, grilles d'évaluation, etc. Ces démarches ont produit leurs effets : assurer le lectorat de la scientificité de la revue, lui faciliter la lecture et, ainsi, encourage la diffusion des résultats. Le sens de ce numéro n'est pas de faire la critique radicale de ces méthodes mais de souligner que, à l'occasion, des écritures rhétoriquement académiques peuvent aussi enfermer les sciences sociales et, ce faisant, les priver de possibilités expressives capables, elles aussi, de rendre compte du fonctionnement et des dynamiques des hommes et des femmes vivant en société.In the legitimate concern to consolidate their "scientific" scope, social science journals, the Annales de Géographie among others, have established publication protocols : double blind reading, evaluation grids, etc. These approaches have produced their effects : ensuring the journal's scientific readership, making it easier to read and thus encouraging the dissemination of results. The purpose of this issue is not to make a radical critique of these methods, but to point out that, on occasion, rhetorically academic writings can also lock up the social sciences and, in so doing, deprive them of expressive possibilities that are also capable of giving an account of the functioning and dynamics of men and women living in society.
- Les séries télévisées ou la réécriture de la ville : regards croisés entre Johannesburg et New York - Pierre Denmat p. 17-37 Les séries télévisées sont devenues des objets de recherche en sciences sociales. Elles ont toutefois été encore peu interrogées en géographie, notamment concernant la façon dont elles livrent un discours sur l'espace. Ce sont ces discours, et les procédés d'écriture associés, qui sont analysés dans cet article, à travers l'analyse de séries états-uniennes et sud-africaines mettant en scène les métropoles de New York et de Johannesburg. Au-delà de l'écriture de l'espace dans ces séries, cet article analyse la réception de ces discours auprès d'une population scolaire, habitant New York et Johannesburg, et sur la façon dont des élèves peuvent acquérir des savoirs en géographie urbaine à partir des séries télévisées.The TV series are now a case-studies section in social sciences. However, they have not been extensively analysed in geography, especially the types of discourse they provide on space, and the way the spoken representation is delivered. These discourses, and the ways of writing associated, are analysed in this paper using a corpus of American and South African TV series focusing on New York and Johannesburg. Addressing how space is staged in these TV series, this paper aims at exploring how New York and Johannesburg high school students react to such representations and studying how they can acquire some knowledge in urban geography thanks to TV series.
- Écrire des vies en veille. Retour sur une méthode de création poétique auprès des gardiens de Nairobi - Jean-Baptiste Lanne p. 38-59 Cet article propose un retour critique sur une méthode de terrain faisant usage de l'écriture poétique comme moyen d'accompagner à la parole des personnes peu à l'aise vis-à-vis du récit de soi. Cette expérimentation a notamment été conduite auprès des gardiens de sécurité privée de Nairobi (Kenya), des individus en situation d'isolement au travail et soumis à de fortes logiques de domination. Ces « veilleurs » de la ville apparaissent particulièrement vulnérables face aux attendus implicites de la mise en récit de soi (être en capacité de dire « je », se projeter dans un temps linéaire et progressif, donner du sens aux différents espaces parcourus). Le recours à une langue poétique permet une expression à la fois plus fluide et moins douloureuse, à condition de se montrer particulièrement attentif aux conditions concrètes de son écriture. Ainsi, ce texte revient sur les enjeux d'une création à quatre mains lors des ateliers, de la matérialité de l'écriture, de la constitution d'un « espace à soi » ; autant d'éléments qui, tenus ensemble permettent d'accompagner avec justesse à la parole. Parallèlement, il interroge les conditions d'accueil de ces productions poétiques au sein de nos propres textes en sciences sociales. L'articulation écriture poétique – écriture scientifique, loin de constituer une impasse, permet au contraire de réinsérer une certaine précarité dans nos formes textuelles, nécessaire à la crédibilité de nos discours.This article presents analysis about writing poetry as a creative method in the field, in order to assist people in expressing themselves about their own life, especially those who are not familiar with storytelling. Such a methodology has been developed during a two year'ethnographic field study with private security guards of Nairobi (otherwise called watchmen), subaltern workers whose lives are structured by precarity, everyday humiliations and under strong relationships of domination. These watchmen of Nairobi appear as highly vulnerable, especially when one asks them to build and tell the story of their own life. The ability of saying “I”, the one of being embedded in a linear and progressive time structure, as well as the ease of giving sense to different lived places, are indeed not obvious skills for each and every one. Facing these challenges, I argue that the use of poetry can be of great help in order to express lives with better fluidity. Nevertheless, this requires particular caution with the concrete conditions of writing, and the examination of the ethical questions that they may raise. This paper thus deals with varied issues at stake when one engages in “making others speak” (or write): co-authorship, materiality of writing, building a “space of one's own”. Alongside, it questions the different ways by which we – as researchers and writers – can incorporate poetic productions within our own academic texts. This poetic/scientific articulation is far from reaching a deadlock, but is rather an advocacy for giving more space to unstable and precarious forms of writing in our texts.
- Du style et de la langue chez Alexander von Humboldt - Laura Péaud p. 60-79 Alexander von Humboldt noircit de très nombreuses pages tout au long de sa vie et de sa carrière ; ses lettres, articles et ouvrages s'ajoutant les uns aux autres pour former sa contribution aux sciences géographiques. Le processus d'écriture ne doit pas être considéré chez lui comme purement anecdotique, car il représente au contraire un des pans principaux de son activité scientifique. Avec Ludwig Fleck, on peut qualifier l'acte d'écrire chez Humboldt comme un temps de construction d'un collectif de pensée, dans la mesure où il est action de traduction du monde pour un large public. Humboldt n'ambitionne pas seulement de nouer des liens avec le monde savant, mais de rendre intelligible le monde pour le plus grand nombre. Dans cette optique, il construit un programme d'écriture qui répond à son programme scientifique. Par l'usage de métaphores, par le recours à la description picturale ou à l'artialisation du monde, il met l'accent sur le style ; pas pour minimiser le discours scientifique, mais au contraire pour mieux le faire entendre. En ce sens, le travail humboldtien est autant une œuvre de compréhension du monde que de traduction de ses phénomènes.Alexander von Humboldt wrote a huge number of pages in his long life and career : letters, papers, books constitute a large testimony of his contribution to geographical and natural sciences. The process of writing is not to be seen as superficial or anecdotic in his trajectory. On the contrary writing represents for him a major part of his scientific activity. With Ludwig Fleck and his idea of « collective thought », we can argue that Humboldt considers writing as an act of translation, a way to assure the understanding of the world to a large public. He not only built a dialogue with other scientists, but also with a non-scientist public, considering that the world has to be understood by everyone. In that perspective, he built a writing program that echoed his scientific one. By using metaphors and depicting the landscapes as paintings, by using art as a medium in his writing, he therefore emphasized the style, not over the scientific message but in order to reinforce it. In that way, the work of Humboldt is as much a work of understanding the world as much as a work of translating it.
- « Tu crois que ça suffit d'être indigné pour investir l'espace des autres ? » Pour une géographie des spatialités théâtrales : la trilogie Des territoires de Baptiste Amann - Yann Calbérac p. 80-100 L'ambition de cet article est double. D'une part, proposer une grille de lecture fondée sur l'habiter qui permette d'explorer les spatialités théâtrales, c'est-à-dire ce qui se produit sur une scène quand des comédiens performent un texte (écrit ou non) dans le cadre d'une représentation. D'autre part, mobiliser cette grille de lecture pour étudier les dimensions géographiques de la trilogie Des territoires écrite et mise en scène par le dramaturge Baptiste Amann. L'analyse ainsi menée met en lumière l'importance de la dimension spatiale pour comprendre les significations historiques, sociales et politiques de l'œuvre, et sa portée contemporaine.The aim of this article is twofold. On the one hand, to propose a reading grid based on the concept of dwelling that would make it possible to explore theatrical spatialities, i. e. what happens on a stage when actors perform a text (written or not) in the context of a performance. On the other hand, mobilize this reading grid to study the geographical dimensions of the trilogy Des territoires written and directed by playwright Baptiste Amann. The analysis highlights the importance of the spatial dimension in understanding the historical, social and political meanings of the work, and its contemporary significance.
- Mettre en scène les territoires et leurs jeux d'acteurs par la création théâtrale - Elsa Vivant p. 101-121 Cet article analyse cinq pièces de théâtre contemporaines prenant pour objet l'espace et les transformations qu'il subit et dont la création s'appuie sur un travail d'enquête. Son objectif est de comprendre les intentions, méthodes d'enquête et pratiques d'écriture de ces artistes, ainsi que les choix et difficultés auxquels ils ont été confrontés. Il ne s'agit pas ici de juger les qualités esthétiques de ces pièces mais de comprendre comment leurs auteurs mobilisent un savoir d'enquête pour faire œuvre, et peuvent, en cela, informer sur des enjeux géographiques. Le théâtre, par ses moyens spécifiques de représentation et en tant qu'espace de rencontre entre des publics, offre une scène de représentation des territoires, des projets dont ils sont l'objet et des débats qu'ils suscitent. Ces expériences se distinguent des pratiques de l'écriture académique tout en questionnant ses conventions. En s'intéressant en particulier à la mise en abyme de l'enquête, à la place de l'auteur, au recours à la fiction et aux inventions formelles, cet article mettra en évidence en quoi ces formes théâtrales ouvrent de nouvelles perspectives pour produire et restituer des connaissances sur l'espace, entre l'habitus de l'objectivité propre à la recherche académique et expression de la subjectivité dans une création artistique.This article analyses five contemporary plays about space and effects it undergoes owing to planning projects, whose creation is based on investigative work. Its objective is to understand the intentions, investigative methods and writing practices of these artists, as well as the choices and difficulties they have faced. The aim here is not to judge the aesthetic qualities of these plays but to understand how their authors mobilize investigative knowledge to carry out their work, and can, in this way, inform about geographical issues. The theatre, through its specific means of representation and as a space for encounters between audiences, offers a stage for the representation of territories, the planning projects and the debates they generate. These experiences differ from the practices of academic writing while questioning its conventions. By focusing in particular on the place of the author, the use of fiction and formal inventions, this article will highlight how these theatrical forms open up new perspectives for producing knowledge about space, between the habitus of objectivity specific to academic research and the expression of subjectivity in an artistic creation.
- Du carnet de terrain à la littérature : « copeaux géographiques » et cheminements d'écritures - Jean-François Troin p. 122-140 À partir des carnets de terrain qui recèlent bien plus que des notations scientifiques, le géographe dispose de « copeaux » non utilisés qui peuvent donner lieu à des écritures diverses : anecdotes, réflexions personnelles, commentaires de croquis oubliés, rédaction d'une fiction romanesque. Il peut même retrouver des chansons typiques de sa période estudiantine et les faire connaître. Carnet de terrain, carnet de voyage, journal personnel contiennent des éléments lyriques et spontanés aptes à se transformer en écriture littéraire. La pratique de la frappe numérique, normée, nous prive quelque peu de ces matériaux instantanés, de première main, rassemblés sur le vif. Mais elle permet d'un autre côté l'accès immédiat à une information complémentaire précieuse lors de la rédaction. Quelle que soit la forme adoptée pour « fabriquer » de la géographie, l'essentiel est de communiquer au lecteur un aspect créatif, sérieux en même temps que joyeux de notre discipline.From his own field notebooks where, much more than scientific notes, many treasures lie hidden, the geographer has at his disposal unused odds and ends – « fragments » – which could give rise to various kinds of writing. These include : anecdotes, personal thoughts, use of forgotten sketches, and even novelistic fiction. For example, the geographer might rediscover some typical songs of his student years to share. However, one does not usually publish this kind of material. It's simply not allowed within academic habits and traditions of academic publication. Yet field notebooks, travel notebooks and personal journals often contain lyrical and spontaneous elements which are capable of easy transformation into literary writing. Rough drawings are also a kind of writing and could be considered as texts in themselves. The strict and narrow digital standards of academic publication deprive us of many immediate and first-hand materials written from life. These materials would allow immediate access to a complementary and invaluable kind of information which would bring us closer to the moment of writing. Whatever the form used to « make » geography, the essential point is to transmit to the reader a creative, serious and at the same time joyful aspect of our discipline. Geographers are too much discreet. If geographers were less constrained in the way they communicate, they might have more media influence.
- Tableaux et voyages : questions d'écritures et d'identité - Isabelle Lefort p. 141-159 Cet article explore les relations qu'entretiennent le Tableau de la géographie de la France de Paul Vidal de la Blache (1903) et le Dépaysement, voyages en France de Jean-Christophe Bailly (2011) autour de leur enquête sur l'identité française. Si le premier s'organise autour d'une logique de « tableau » à visée panoptique, le second explicitement arrimé au principe du voyage, n'en produit pas moins une pluralité de tableaux. En quête tous deux d'une certaine identité française, ils la (re) composent dans leurs relations aux lieux et leurs restitutions. Le statisme du « tableau » ne fait jamais l'économie du mouvement, tandis que le récit de voyages, dans ses étapes, ne fait jamais celle des arrêts sur images. Les tensions entre stabilité et circulation, entre cadrage et mise en mouvement, dessinent progressivement les caractéristiques de l'identité française pour chacun. L'analyse de leurs littérarités respectives et croisées, se concentre sur deux aspects : l'analyse des images et de registres métaphoriques d'une part, l'usage et la fonctionnalité littéraire des noms propres d'autre part. Ces manières d'écrire contribuent toutes deux à des géopoïétiques nationales.This article explores the relationships between the Tableau de la géographie de la France by Paul Vidal de la Blache (1903) and Le Dépaysement, voyages en France by Jean-Christophe Bailly (2011) around their investigation of French identity. If the first is organized around the logic of "painting", with a panoptic aim, the second, explicitly linked to the principle of travel, nonetheless produces a plurality of paintings. Both in search of a certain French identity, they compose it in their relations with places and their restitutions. The static of the "painting" never economizes on movement, while the travelogue, in its stages, never does that of stops on images. The tensions between stability and circulation, between framing and setting in motion, gradually draw the characteristics of the French identity for each one. The analysis of their respective and crossed literarities focuses on two aspects : the analysis of images and metaphorical registers, on the one hand, and the use and literary functionality of proper names on the other. These ways of writing both contribute to national geopoietics.
- Hors normes ? - Henri Desbois, Philippe Gervais-Lambony, Olivier Lazzarotti p. 5-16
Un rencontre avec
- Introduction - Henri Desbois, Philippe Gervais-Lambony, Olivier Lazzarotti p. 160
- Diane Meur, autrice du roman "La Carte des Mendelssohn" - Diane Meur, Henri Desbois, Olivier Lazzarotti p. 161-167
- Aurélien Bellanger, auteur du roman `ibLe Grand Paris`/ib - Aurelien Bellanger, Henri Desbois, Olivier Lazzarotti p. 168-177
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 178-183