Contenu du sommaire : Contester la Métropole

Jusqu'à récemment, les termes de « métropole » et de « métropolisation » relevaient du vocabulaire des universitaires et de celles et ceux qui gouvernent et administrent les grands territoires urbains. Depuis quelque temps, des signes de prise en charge et de politisation de ces phénomènes par des mobilisations collectives se font jour. Ce dossier analyse un certain nombre d'exemples de ces mobilisations. Dans cette introduction, nous resituons tout d'abord la question des mobilisations métropolitaines dans la tradition d'analyse des mouvements sociaux urbains. À partir de cette littérature et des articles qui composent ce numéro, nous formulons ensuite un certain nombre de constats, d'hypothèses et de pistes de recherche. Ces derniers portent sur l'adaptation des formes et répertoires de mobilisation aux caractéristiques de la métropolisation ; sur les ressources cognitives et discursives que le champ lexical et l'imaginaire de la métropolisation offrent pour la montée en généralité des contestations ; sur les acteurs des mobilisations et leur caractère socialement sélectif ; et enfin sur le rôle des structures d'opportunités politiques qui contribuent en France au rééchelonnage métropolitain des mobilisations. Nous interrogeons enfin les effets des mouvements sociaux métropolitains sur l'action publique locale, et inversement.

Alors que de nombreuses listes se définissant comme « citoyennes » se sont présentées aux scrutins municipaux de 2020, cet article revient sur l'émergence d'une liste se revendiquant du municipalisme dans l'espace politique nantais. Dans un contexte local très marqué par des mobilisations contre des projets d'aménagement emblématiques de la métropolisation, l'article procède à une analyse du discours de campagne de la liste, qui montre comment elle a tenté d'ériger l'opposition à ces projets urbains en enjeu dans l'arène électorale. La cartographie des résultats électoraux de cette liste à l'échelle des bureaux de vote permet de mettre en évidence son ancrage dans les quartiers habités par des populations jeunes et qui connaissent d'importantes transformations sociales (gentrification notamment) et urbaines (ZAC), ces quartiers étant également ceux où se sont enracinées les principales luttes urbaines locales.

Cet article étudie une modalité particulière de la contestation des métropoles : la critique en actes dans des espaces ruraux, éloignés des centres urbains. Nous mobilisons une enquête ethnographique sur les habitats dits « alternatifs », dans des espaces ruraux, afin de montrer qu'ils peuvent fonctionner comme des lieux de refuge et de contestation pour des individus insatisfaits de la vie telle qu'elle est organisée dans les espaces urbains métropolitains. L'attribution d'une intention critique et politique aux habitants qui composent notre échantillon ne va pas de soi, puisque la contestation de la métropole est assez peu explicitée par ces derniers. Néanmoins, au-delà des indicateurs discursifs, les trajectoires biographiques des habitants et les pratiques qu'ils développent sont les indices de choix qui dépassent la simple stratégie résidentielle. Ce registre d'action collective correspond à ce que la littérature anglophone a qualifié de « préfiguratif ». La préférence pour cette modalité d'action peut être comprise simultanément comme une dépolitisation de l'action protestataire ordinaire et une politisation des espaces et des pratiques domestiques.

La métropolisation est aujourd'hui un objet central de la critique académique et des mouvements sociaux. Associée aux évolutions du capitalisme, elle tendrait à devenir un axe majeur de la dénonciation de la néolibéralisation des villes. A Lyon, et plus particulièrement à la Guillotière, un quartier qui connaît de profondes transformations, dans un contexte d'affirmation de la Métropole comme institution, plusieurs luttes urbaines locales s'opposent aux conséquences sociales, environnementales et matérielles de la métropolisation. Ces mobilisations participent à des dynamiques de réappropriation des espaces urbains, de relocalisation du politique et de politisation de l'échelle métropolitaine. Elles tracent deux voies pour la transformation politique à l'échelle locale : investir l'institution métropolitaine pour la politiser en imposant une alternative à l'hégémonie néolibérale ; relocaliser le politique à l'échelle des quartiers, par la reconquête du commun dans l'espace métropolitain.

À partir de l'étude d'un collectif interprofessionnel de l'Union départementale de la CGT en Isère, cet article interroge les conditions d'affirmation du syndicalisme en tant qu'acteur des débats et des luttes autour de la métropolisation. La constitution du territoire en objet d'intervention syndicale n'a en effet rien d'évident, tant ce processus met à l'épreuve les logiques pyramidales et sectorielles de structuration du syndicalisme français. Après avoir présenté les clivages qui accompagnent les dynamiques de spécialisation territoriale du bassin grenoblois, je souligne ce que le développement d'une expertise syndicale sur la question doit aux ressources conséquentes de délégués locaux, héritées d'expériences militantes antérieures et d'une inscription dans un environnement organisationnel atypique, marqué par une proximité au monde universitaire. Devant l'absence d'enrôlement des délégués dans les structures locales de gouvernance et la clôture de l'espace des relations professionnelles en entreprise, la participation des organisations syndicales dans les débats et les controverses relatives à la métropolisation demeure toutefois le produit de configurations particulières et faiblement reproductibles.

L'élection municipale rennaise de 2020 illustre la difficulté, également soulignée dans le contexte nord-américain, à intégrer dans une coalition anticroissance des collectifs de quartier engagés dans des formes de résistance ponctuelle (piecemeal resistance) à des projets urbanistiques. Plusieurs facteurs expliquent cette difficulté : les tensions internes entre les membres de cette coalition dont les objectifs sont partiellement différents ; la réticence des collectifs de riverains à investir le champ du politics pour soutenir un candidat et sa liste ; la structuration du système d'alliances politiques et le rapport de force électoral qui oblige à des compromis avec la maire sortante.

Sur des banderoles et des murs ou dans des tribunes des collectifs politiques, la « métropole » semble s'imposer dans la rhétorique des luttes urbaines actuelles. Au-delà des slogans, que désigne ce terme dans le lexique des luttes urbaines ? Comment permet-il de penser et, surtout, de mobiliser et d'agir ? À travers un entretien collectif avec les auteurs de trois ouvrages récents de critique sociale portant sur la question (Contre Euralille : une critique de l'utopie métropolitaine, Le Désert Urbain, et Quartiers vivants), ce texte interroge son potentiel théorique et pratique. À rebours d'une posture extérieure et surplombante cherchant à objectiver des positions politiques, il s'agit ainsi de contribuer à l'existence d'un débat sur la manière de penser et de nourrir les luttes urbaines.

Cet article a pour objectif d'identifier l'évolution des représentations du monde politique à l'égard du logement social au cours des années 2000. Il examine la place de ce dernier dans le contexte immobilier français et son intégration dans les mots d'ordre des politiques du logement. À l'aide d'une analyse du discours politique, en termes de représentations, de normes, de valeurs et de mots d'ordre, il décrit les principaux débats sur le logement social entre 2000 et 2018. L'évolution des discours valorise de plus en plus l'efficacité de l'investissement public, la performance des organismes, la solidarité entre les territoires, une répartition équitable, et l'indignation pour la condition des plus mal logés. Ils conduisent à promouvoir l'autonomie des organismes, l'élargissement de la notion de logement social et la contractualisation avec l'État pour construire davantage, en fonction des « besoins ».