Contenu du sommaire : « Villes et territoires accueillants » en France et ailleurs
Revue | Migrations société |
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Numéro | vol. 33, no 185, juillet-septembre 2021 |
Titre du numéro | « Villes et territoires accueillants » en France et ailleurs |
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Éditorial
- Kaboul n'est pas Santiago : Diplomatie de l'émotion et méritocratie migratoire contre droit d'asile - Vincent Geisser p. 3-13
Dossier. « Villes et territoires accueillants » en France et ailleurs
- La construction négociée de l'accueil des migrants par les municipalités - Anouk Flamant, Thomas Lacroix p. 15-29 Bien que le rôle des villes dans l'accueil et l'intégration des migrants soit une constante dans l'histoire des migrations, celui-ci fait l'objet d'une attention croissante parmi les spécialistes des migrations. Le désengagement relatif des États sur cette question a laissé un vide comblé par l'activisme des municipalités. Le présent article, qui introduit le dossier sur les villes accueillantes en Europe, revient sur cette évolution récente. Il présente à grand traits cette nouvelle géographie de l'accueil et les rapports ambigus qu'entretiennent, entre eux, les acteurs locaux et nationaux. Bien que les politiques d'immigration, toujours plus drastiques, contrastent avec l'ouverture libérale affichée par les municipalités, les travaux académiques démontrent une dépendance de fait entre les différents niveaux d'action publique. L'article revient également sur une figure émergente des politiques d'intégration locale, à savoir ces maires charismatiques qui, à travers leurs revendications militantes pour une politique migratoire alternative, construisent un agenda à la fois local et international.
- La redéfinition d'une compétence juridique à travers l'accueil des personnes exilées au sein des communes : L'exemple de Villeurbanne - Lison Leneveler p. 31-48 Cet article propose d'examiner en termes de droit ce que représente « le tournant local » des politiques d'accueil [1] dans la pratique d'une collectivité territoriale, celle de Villeurbanne. Face aux situations sociales précaires des personnes exilées [2], les citoyens somment leurs élus locaux d'agir pour les accueillir, s'indignant qu'aucune réponse concrète ne leur soit apportée. Grâce à la Clause générale de compétence [3], la Ville fait preuve d'une souplesse d'intervention et répond de façon pragmatique à un certain nombre de besoins sociaux des personnes exilées, témoignant le plus souvent d'un « bricolage institutionnalisé » [4]. Le développement d'une politique d'accueil véritablement structurée est le fruit de nouvelles initiatives locales impulsées par les citoyens, qui s'appuient sur la volonté politique des élus locaux et collaborent avec le personnel technique. Ainsi, ce nouveau système d'acteurs contribue à transformer le droit à travers l'émergence d'une nouvelle compétence. Agissant face à la défaillance des autorités nationales et supranationales, en protégeant les droits fondamentaux des personnes exilées, la Ville dépasse les verrous juridiques nationaux et affirme son rôle politique dans l'accueil. Si l'accueil des personnes exilées fait habituellement l'objet de compétences étatiques ou supra-étatiques, la réalité sociale et humaine des migrations récentes nous encourage aujourd'hui à mener une nouvelle lecture en droit des compétences locales induisant une réflexion quant à l'architecture institutionnelle.
- Nantes, « ville accueillante » pour les populations exilées : De l'urgence humanitaire à la mise à l'abri inconditionnelle - Anouk Flamant p. 49-63 Au cours des 15 dernières années, l'arrivée croissante de populations exilées dans l'agglomération nantaise a bouleversé l'organisation territoriale en matière d'accueil. En s'appuyant sur une enquête qualitative, cet article interroge la manière dont l'enjeu de l'accueil est devenu central dans la politique locale de gestion des migrations à Nantes. Depuis 2016, face à la croissance de l'habitat insalubre, les collectifs citoyens ont régulièrement interpellé les autorités municipales et étatiques pour accueillir les populations exilées. L'article montre comment la mise à l'abri inconditionnelle s'est érigée progressivement comme la réponse de la municipalité vis-à-vis de cette situation et questionne la manière dont cette rhétorique s'articule avec la politique publique nantaise préexistante d'intégration et de lutte contre les discriminations. En outre, notre enquête dévoile comment la municipalité de Nantes établit un rapport de force avec les autorités étatiques, redéfinissant son rôle, ainsi que celui de la métropole, dans la gouvernance de la migration. Toutefois, à travers le prisme de la lutte contre le « sans-abrisme », les difficultés spécifiques rencontrées par les populations exilées restent invisibilisées au sein de cette « ville accueillante ».
- Les territoires accueillants à l'épreuve de l'inconditionnalité de l'accueil : L'exemple de Grenoble - Cristina Del Biaggio, Karine Gatelier, Camille Noûs p. 65-80 Comment sont hébergées les personnes venues chercher refuge et en demande d'asile dans la région grenobloise ? Par le moyen d'une enquête ethnographique effectuée auprès d'une quinzaine de collectifs citoyens qui ont vu le jour depuis 2015 dans les massifs montagneux entourant Grenoble, et des entretiens réalisés auprès des fonctionnaires de Grenoble-Alpes Métropole, nous analysons la question de la prise en charge en matière d'hébergement et répondons aux questions suivantes : qui organise cet accueil ? Selon quelles modalités ? Quelles relations entretiennent les acteurs solidaires de la société avec les institutions de l'État, notamment décentralisées ? L'étude sur le temps long, au cours des cinq années d'activité des collectifs citoyens, montre qu'ils sont les seuls à offrir un accueil inconditionnel. En effet, dès qu'il s'institutionnalise, l'accueil intègre des critères, produit des catégories, et par conséquent exclut en fonction des situations des personnes. En choisissant de garder en leur sein, parfois de manière informelle, toute personne exilée sans solution d'hébergement possédant ou non un statut reconnu par l'État, les collectifs citoyens se positionnent en opposition avec les dispositions et les pratiques de l'État et des collectivités territoriales. De plus, notre enquête montre les modalités et l'échelle du territoire de l'accueil inconditionnel créé par ces collectifs, soulignant le fait qu'ils font voler en éclats les cadres créés par l'administration. Ce territoire de l'accueil dessine un continuum spatial, organisé en réseau et englobant des espaces aux configurations topographiques variées, au-delà des limites administratives. Il peut éventuellement produire des complémentarités entre société civile et collectivités locales ; et il crée de l'autonomie là où les institutions publiques contrôlent et surveillent.
- Strasbourg : une politique municipale volontariste d'aide aux migrants : Le cas des « ménages à droits incomplets » - Catherine Delcroix, Elise Pape, Anja Bartel p. 81-98 Face à la demande de protection en matière d'asile, la ville de Strasbourg s'est engagée depuis 2015 à développer une politique volontariste pour répondre aux besoins d'autonomie et d'inclusion des migrants. En 2017, la municipalité a adopté une politique visant à examiner les « droits incomplets » des familles de migrants pour améliorer le statut de certains de leurs membres. Ainsi, le droit à l'éducation, qui confère aux enfants un statut privilégié, n'est pas considéré isolément mais comme un argument pour compléter les droits de leurs parents au statut plus précaire. Afin de mettre en œuvre cette politique d'accueil inconditionnel, la municipalité a engagé en 2018 une équipe mobile de travailleurs sociaux spécialisée dans l'accompagnement des « ménages à droits incomplets » (mdi). Auparavant, elle avait réuni, entre 2017 et 2020, un groupe d'acteurs concernés par la vie quotidienne des migrants. En tant que chercheurs du collectif migreval, qui a conçu une base de données regroupant des entretiens réalisés auprès de migrants, de leurs descendants et de professionnels avec l'objectif d'évaluer les dispositifs d'intégration des migrants et de leurs familles, nous avons participé à ce groupe de travail. Nous avons mené une étude sur les parcours de demandeurs d'asile en quête d'une installation à Strasbourg et réalisé un film consacré aux liens noués par cette population avec les Strasbourgeois. Depuis les élections municipales de juin 2020 et l'épidémie de Covid-19, des questions se posent sur l'évolution que souhaite donner la nouvelle équipe municipale à majorité écologiste à cette politique mise en place par l'ancien maire socialiste. Nous proposons ici une analyse de l'institutionnalisation de l'accueil inconditionnel à Strasbourg et de ses conséquences sur les alliances entre les différents acteurs. Nous poserons aussi la question du lien établi entre un groupe d'universitaires et la municipalité de Strasbourg, à la pointe du mouvement pour le développement des « villes accueillantes » en Europe et dans le monde.
- De Grande-Synthe à l'Europe. Comment accueillir les migrants - Damien Carême, Chadia Arab p. 99-110
- Marseille et ses réfugiés : un changement de paradigme - Audrey Garino, Vincent Geisser p. 111-119
- Bristol, « ville accueillante » : gouvernance locale, mythe de la « diversité » et leadership du maire - Marie-Aude Salomon p. 121-138 Cet article analyse le processus de construction d'une politique locale d'accueil et d'intégration des populations migrantes, à partir d'une enquête de terrain menée à Bristol en 2020 auprès d'acteurs municipaux, associatifs, privés, universitaires et de citoyens ordinaires. Dans un contexte national britannique hostile à l'immigration et marqué par des mesures d'austérité, cette politique émerge graduellement à la croisée de prises de position municipales, d'engagements associatifs et d'une stratégie de développement du territoire orchestrée par les acteurs publics locaux. En effet, la politique d'accueil de Bristol en tant que « ville accueillante » s'appuie concrètement sur une mobilisation associative financée de plus en plus par le secteur privé, et sur l'engagement de la municipalité. Nous montrons comment, tout en initiant des dispositifs institutionnels temporaires qui s'appuient sur une expertise externe, la municipalité de Bristol mobilise le mythe et l'image d'une ville « cosmopolite » et d'une grande diversité ethnique et culturelle, ainsi que le leadership politique de certains élus sur les questions migratoires, pour faire de Bristol une « ville accueillante ».
- Barcelona Ciutat Refugi. Cinq ans d'action publique locale à Barcelone (2015-2020) - Louise Hombert p. 139-154 Dans le paysage européen des villes mobilisées en faveur de l'accueil des personnes migrantes, Barcelone occupe une place singulière. À la fin de l'été 2015, marqué par un afflux sans précédent de migrants syriens aux portes de l'Europe [1], l'Ajuntament (la mairie, en catalan) demande à accueillir des réfugiés [2] : bien qu'étant une importante métropole européenne, la capitale catalane ne connaît alors qu'une faible demande d'asile sur son territoire et son système d'accueil n'est donc pas saturé, contrairement à ceux de Paris ou de Berlin à la même époque. Quatre ans plus tard, la demande d'asile a été quasiment multipliée par sept, passant de 1 374 demandes en 2015 à 9 429 en 2019. Dans quelle mesure la ville a-t-elle pu anticiper ce changement ? Quelle action publique locale a été développée alors, et qu'en est-il aujourd'hui ? Cet article a pour objectif d'aborder la politique d'accueil municipale en nous demandant comment la mairie de Barcelone a cherché à répondre à cette évolution migratoire à l'échelle de la ville, bien que la gestion de l'asile dépende essentiellement de l'État espagnol. Dans un premier temps, nous reviendrons sur l'élaboration de cette politique locale et, plus précisément, sur le plan d'action Barcelona Ciutat Refugi — Barcelone, ville-refuge —, en observant notamment les rôles joués par des acteurs extérieurs à la municipalité : les habitants et les associations. Puis nous détaillerons, dans un second temps, l'évolution des formes matérielles qu'a pu prendre cet accueil municipal de 2015 à 2020, et porterons une attention particulière à une spécificité barcelonaise, le programme Nausica, avant de conclure sur l'institutionnalisation progressive de cette action publique locale, laquelle fait passer la municipalité de Barcelone du statut de « ville-refuge » à celui de « ville accueillante ».
- Le « piège localiste » de la gouvernance décentralisée des migrations au Maroc - William Kutz, Sarah Wolff p. 155-170 En 2013, le gouvernement marocain a adopté la stratégie nationale d'immigration et d'asile (snia), inaugurant une nouvelle approche dans la gestion des migrations, laquelle consiste à déléguer davantage la coordination de cette politique publique aux autorités municipales et régionales. Cette réforme s'inscrit dans une tendance plus large à considérer les acteurs locaux comme des représentants du niveau de gouvernance le plus approprié et le plus efficace pour répondre aux défis migratoires actuels. L'Union européenne (ue), en particulier, promeut cette gouvernance décentralisée de la gestion migratoire et soutient ces réformes à travers sa coopération avec le Maroc. Pourtant, malgré les améliorations que lesdites réformes visent à apporter dans la gestion des migrations au Maroc, de grands défis demeurent. Notre étude s'intéresse aux agents locaux de la nouvelle gouvernance migratoire marocaine et propose d'examiner les contextes politiques dans lesquels ils agissent, ainsi que les enjeux concrets qui limitent la réalisation des objectifs annoncés dans la réforme de 2013. L'analyse de ce tournant « localiste » nous amène à formuler deux conclusions qui remettent en question les objectifs de « démocratisation » de la stratégie migratoire du Maroc. D'une part, la décentralisation de la gouvernance migratoire a surtout été déployée en réponse à la perception négative au niveau international de la gestion sécuritaire des migrations au Maroc. D'autre part, notre analyse révèle que le transfert de la gestion migratoire aux autorités locales s'est effectué à travers une « démocratisation » de façade. Enfin, nous mettons en garde contre le « piège localiste » [1] que doivent éviter les autorités publiques et les chercheurs.
- De l'« urgence nord-africaine » à la ville-refuge : la gouvernance locale des migrations à Naples - Giorgia Trasciani, Francesca Petrella p. 171-185 Dans une période « d'urgence » migratoire, marquée par la centralisation du pouvoir au niveau gouvernemental en Italie, l'exemple de la gouvernance locale des migrations par la municipalité de Naples, en partenariat avec les organisations du tiers-secteur, montre que les autorités locales sont en mesure de jouer un rôle essentiel dans l'élaboration des politiques d'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés. L'analyse montre également que, pour contrebalancer la sous-traitance par l'État de l'accueil à des acteurs privés peu scrupuleux, la municipalité a opté pour un partenariat avec des acteurs du tiers-secteur afin de proposer une politique d'accueil et d'intégration de qualité.
- Palerme, « ville-refuge » - Leoluca Orlando, Rosalia Bivona p. 187-195
- Bibliographie sélective - p. 197-204
- La construction négociée de l'accueil des migrants par les municipalités - Anouk Flamant, Thomas Lacroix p. 15-29
Varia
- Les parents migrants et le dispositif « Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants » : réappropriation et émancipation - Pierre Périer p. 205-220 Le dispositif dénommé « Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants » (oepre) figure parmi les leviers mobilisés par les pouvoirs publics pour l'intégration des familles migrantes, sous la forme notamment d'un apprentissage de la langue française et des valeurs de la République. Cette politique s'appuie en particulier sur les moyens de l'école afin que les participants endossent un rôle de « parent d'élève », conformément au modèle de la coopération ou coéducation. L'enjeu de la maîtrise de la langue répond effectivement à une préoccupation scolaire très présente chez les mères rencontrées dans le cadre des ateliers de formation, mobilisation qui n'est pas un gage de compétence pour résoudre les difficultés de l'enfant. Cependant, l'enquête réalisée au sein de plusieurs établissements scolaires de l'académie de Créteil montre que leur participation prend sens au-delà des objectifs affichés, car elle engage un processus d'autonomisation et d'émancipation des mères, accédant à une reconnaissance nouvelle au sein de la famille et dans l'espace public.
- Les parents migrants et le dispositif « Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants » : réappropriation et émancipation - Pierre Périer p. 205-220
Note de lecture
- Note de lecture - Niandou Touré p. 221-226
Nouveautés documentaires du CIEMI
- Nouveautés documentaires du CIEMI - p. 227-228