Contenu du sommaire : Apprentissage, (re)construction et (re)valorisation des savoirs en Océanie

Revue Journal de la Société des Océanistes Mir@bel
Numéro no 153, 2021
Titre du numéro Apprentissage, (re)construction et (re)valorisation des savoirs en Océanie
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier : Apprentissage, reconstruction et revalorisation des savoirs en Océanie

    • Du « renouveau culturel » à la valorisation écologique des pratiques autochtones : la (re)construction des savoirs en Océanie - Céline Travési p. 207-228 accès libre
    • Comment « réveiller » la culture ? Innovation rituelle et ancestralité en Polynésie française - Guillaume Alevêque p. 229-244 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'étude des usages et définitions émiques de la culture relève généralement de ses dimensions économiques et politiques. Néanmoins, les pratiques désignées comme culturelles peuvent également être considérées comme des techniques de soi explicitant les dynamiques locales de l'intégration de la notion de culture comme une part essentielle de la définition de la personne. Peut-on agir sur sa culture ? Peut-on la retrouver ? La ressentir ? Ce sont les questions qui semblent ainsi être au cœur des rituels créés par des associations culturelles tahitiennes au cours des années 2000. Inspirées du passé préchrétien, ces « cérémonies culturelles » doivent permettre d'interagir avec les ancêtres tout en n'étant ni « folkloriques » ni « religieuses ». L'analyse dans le détail de la fabrique du rituel, à travers ses sources, ses logiques et ses manières de faire, montre comment la polysémie de la notion de culture permet aux acteurs de résoudre, au moins temporairement, les ambiguïtés et les enjeux de la persistance du passé dans le présent.
      The study of the emic uses and definitions of culture generally falls within its economic and political dimensions. However, practices designated as cultural can also be seen as techniques of the self unveiling the local dynamics of the indigenization of the notion of culture as an essential part of the definition of the person. Can people act on their culture? Can it be retrieved? Can it be felt? These are the questions that seem to be at the heart of the rituals created by cultural associations in Tahiti during the 2000s. Inspired by the pre-Christian past, these "cultural ceremonies" allow interaction with the ancestors while being neither "folkloric" nor "religious". The detailed analysis of the ritual making process, through its sources, its logics and its ways of doing, shows how the polysemy of the notion of culture allows the actors to resolve, at least temporarily, the ambiguities and the stakes of the persistence of the past in the present.
    • Rā'au mā'ohi:: the Efficacy and Resurgence of Traditional Herbal Medicine in French Polynesia - Mai Misaki p. 245-258 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article examine le débat concernant la réapparition du rā'au mā'ohi, la médecine traditionnelle locale en Polynésie française. Aujourd'hui, la dimension religieuse du rā'au mā'ohi est réinvestie par l'Église protestante mā'ohi (epm) qui tente de réintroduire cette pratique et de se la réapproprier. Cette réappropriation passe par la distribution de rā'au mā'ohi lors des offices religieux, ce qui suscite la polémique parmi les spécialistes de cette médecine traditionnelle. Ce débat concernant « l'échec » de ce nouvel usage du rā'au mā'ohi met en évidence le rôle important des symboles culturels dans l'évaluation de l'« efficacité » du système de guérison Mā'ohi. La notion d'« efficacité » est un terme polysémique dans le contexte actuel du rā'au mā'ohi. Dans cet article, je distingue « l'efficacité pragmatique » et « l'efficacité théologique », la première pouvant être attribuée à la pratique des spécialistes du rā'au mā'ohi et la seconde, à l'usage qui en est fait par l'epm.
      This paper explores the debate on the resurgence of rā'au mā'ohi, a traditional healing system in French Polynesia. While the practice has been in decline due to the more accessible medical infrastructure, the local Protestant denomination, Église protestante mā'ohi (epm), re-evaluates the religious quality of the healing practice in an attempt to revitalise it. epm's recent practice involves the public distribution of rā'au mā'ohi at liturgies, which provokes controversy among rā'au mā'ohi practitioners. This internal debate on the “failure” of rā'au mā'ohi highlights the significance of cultural symbols in achieving the “efficacy” of Mā'ohi people's unique healing system. Specifically, this article examines the notion of “efficacy” as a polysemic concept in the contemporary practice of rā'au mā'ohi and scrutinises “pragmatic efficacy” and “theological efficacy” that are respectively associated with conventional and novel practice.
    • La mémoire de la forêt. Redécouverte et transmission des savoirs dans la vallée de Wëté, Nouvelle-Calédonie - Matteo Gallo p. 259-274 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans une période historique dominée par de grandes incertitudes sur l'avenir de la Nouvelle-Calédonie et par une « crise de la jeunesse kanak », les actions locales de redécouverte et de valorisation des savoirs liées au passé se multiplient. À partir d'une enquête ethnographique menée pour ma recherche de doctorat (2015-2018) dans la tribu de Wëté (Grande Terre), l'article montre comment la forêt – qui a toujours été au cœur des processus de création kanak à travers la production de nouvelles formes de relations et de sociabilité – joue un rôle central dans ces pratiques de réappropriation et de transmission du patrimoine. La forêt représente ainsi une « archive » dans le sens où elle est mobilisée en tant qu'instrument de conservation de la mémoire et comme support d'apprentissage collectif et individuel ; un lieu vers lequel on peut se tourner afin de réapprendre des connaissances à travers des pratiques diverses, en suivant les traces du passé et des ancêtres qui l'habitent.
      In the contemporary context marked by great uncertainties about the future of New Caledonia and by discourses about a 'Kanak youth crisis', local actions aimed at rediscovering and valorizing knowledge related to the past are increasing. Based on an ethnographic study (2015-2018) in the Wëté tribe (Grande Terre), the article shows how the forest, which has always been at the heart of Kanak creative processes through the production of new forms of relationships and sociability, plays a central role in these practices of re-appropriation and transmission of heritage. The forest thus embodies an 'archive': an instrument for the conservation of memory and a medium for collective and individual learning processes; a place that is used to learn about the past and the environment through the performance of various practices, as well as from traces of the past and the ancestors.
    • « Être dans la modernité, mais pas tellement » : patrimoine et développement durable aux îles Marquises - Emily C. Donaldson p. 275-292 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment mettre en œuvre une politique de développement durable là où l'idée même de développement capitaliste n'a jamais été vraiment adoptée ? Éloignés des centres urbains, les habitants des îles Marquises mélangent d'une manière sélective leur économie traditionnelle avec des activités basées sur l'idée d'enrichissement individuel empruntée à l'idéologie capitaliste. Pourtant, les six maires des îles Marquises ont récemment lancé plusieurs « projets de développement » fondés sur le capitalisme, y compris un plan de développement durable basé sur la préservation du patrimoine local, ainsi qu'une initiative visant à exploiter, tout en les protégeant, les eaux et les espèces endémiques marines marquisiennes. Ces projets font toutefois face à des réserves, voire à des résistances de la part d'une population mal à l'aise avec l'idée de commercialiser ses terres ancestrales et ses savoirs traditionnels.
      Can sustainable development projects succeed in places where the underlying concept of capitalist development has itself never been fully embraced? Some 1,000 miles from the nearest city, inhabitants of the Marquesas Islands pursue mixed economic activities that blend traditional modes of reciprocal exchange with capitalist accumulation. In recent years, however, Marquesan leaders have launched several development projects based solely on capitalist ideals. These include a sustainable development plan based on local heritage and a development project that would simultaneously commercialize and protect Marquesan waters and endemic marine species. The Marquesan population has met these initiatives with reticence and even public resistance, unsettled by the idea of commercializing its ancestral lands and traditional knowledge.
    • Réflexion autour des systèmes de connaissance et des savoirs traditionnels. Panser le malaise jeune en terre kanak - Umberto Cugola p. 293-306 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans ce texte, nous ne discuterons pas du statut épistémologique des savoirs autochtones, locaux ou communautaires. Nous nommons savoir traditionnel, un savoir en relation avec une tradition vécue, avec la pratique de la coutume et des arts, avec le quotidien de la vie en tribu. Ces savoirs sont depuis quelques années ardemment mobilisés en Nouvelle-Calédonie pour venir en aide à une jeunesse kanak en difficulté. Mais suffit-il d'assurer la transmission de savoirs, quand bien même traditionnels, pour « redresser » cette jeunesse et l'aider à surmonter son mal-être ? Nous engagerons donc une réflexion critique sur le concept même de savoirs traditionnels car, dans l'accompagnement éducatif et social pour le moins, ce n'est pas tant leur transmission qui importe que la créativité à laquelle ils donnent accès. Ces savoirs ne sont que les témoins de la présence kanak, de son système de connaissance et de sa relation au monde même. Or, une telle singularité touche un point d'universalité. C'est ce que ce texte cherche à montrer.
      In this text, we will not discuss the epistemological status of indigenous, local or community knowledge. We refer to traditional knowledge as knowledge related to a lived tradition, to the practice of custom and the arts, and to the daily life of the tribe. For some years now, this knowledge has been ardently mobilised in New Caledonia to help Kanak youth in difficulty. But is it enough to ensure the transmission of knowledge, even though traditional, to "redress" this youth and help them overcome their discomfort? We will therefore engage in a critical reflection on the very concept of traditional knowledge because, in educational and social support at least, it is not so much their transmission that matters as the creativity to which they give access. This knowledge is only the witnesses of the Kanak presence, of its system of knowledge and of its relation to the world itself. However, such a singularity touches a point of universality. This is what this text seeks to show.
    • « Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus ! » Le ‘ori tahiti et la transmission des savoir-faire - Damaris Caire p. 307-322 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans les zones urbaines de Tahiti, nombre de savoir-faire utilisés autrefois ne sont plus. Pour autant, ces savoirs ne se perdent pas nécessairement, ils sont transmis à travers de nouvelles perspectives. L'une d'elles est le Heiva i Tahiti, le plus grand concours de danse polynésienne, qui permet à certains savoirs, à la fois sur la mythologie, sur la langue et sur l'environnement, de continuer à exister grâce à l'engouement actuel pour la danse tahitienne. L'auteur propose à travers cet article d'observer comment le ‘ori tahiti permet à ces connaissances d'avoir encore une place dans la vie de ceux qui vivent dans les zones urbaines actuelles. Il s'agira donc d'observer les modalités de transmission prenant place aujourd'hui.
      In Tahiti's urban areas, many skills – or “savoir-faire” – used in the past are no longer useful. However, these knowledges are not necessarily lost, they are passed on through new perspectives. One of those is the Heiva i Tahiti, the biggest competition of Polynesian dance, which allows some of those knowledges, encompassing aspects about mythology, language or environment, to continue to exist thanks to the actual interest for the Tahitian dances. The author proposes through this paper to examine how the ‘ori tahiti allows these knowledges to have a place in the life of those who live in the actual urban areas. It will therefore be a question of observing modalities of transmission taking place today.
    • Un nouveau souffle numérique pour les corpus en langues océaniennes - Jacques Vernaudon, Nick Thieberger, Tamatoa Bambridge, Takurua Parent p. 323-336 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les savoirs autochtones sont intimement liés aux langues océaniennes et aux textes, oraux ou écrits, produits dans ces langues. Les corpus primaires, que ce soit des écrits ou des enregistrements audio ou vidéo, recueillis sur le terrain par les chercheur·euses et conservés comme base de leurs publications académiques sont longtemps restés inaccessibles aux communautés source. Avec l'essor des archives numériques, ces ressources peuvent désormais être mises en ligne, permettant ainsi aux communautés locales de se réapproprier les informations collectées auprès de leurs aïeux. Les chants, les styles de performance, les mots, les récits sont autant de liens puissants avec le patrimoine et l'environnement. Nous présentons ici les enjeux scientifiques, éthiques et méthodologiques liés à ces archives numériques, plus particulièrement à travers une présentation de la Pacific and Regional Archive for Digital Sources in Endangered Cultures (paradisec) et d'une base linguistique locale Anareo, en cours de développement en Polynésie française en collaboration avec paradisec.
      Indigenous knowledge is intimately linked to Oceanic languages and to oral or written texts produced in these languages. Primary recordings collected in the field by researchers and held as the basis of their academic publications, have long remained inaccessible to source communities. With the rise of digital archives, they can now be put online, allowing local communities to reclaim information collected from their ancestors. The songs, the performance styles, the words, the stories are all powerful links with heritage and the environment. We present here the scientific, ethical and methodological issues linked to these archives, more particularly through a presentation of the Pacific and Regional Archive for Digital Sources in Endangered Cultures (paradisec), and that of the local Anareo linguistic database under development with paradisec in French Polynesia.
    • « Les gros poissons se cachent ». Frictions entre conceptions du vivant marin sur l'île de Lavongai (Papouasie Nouvelle-Guinée) - Mark Collins p. 337-352 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Sur le littoral de l'île de Lavongai (ou Nouvelle-Hanovre), dans l'archipel Bismarck en Papouasie-Nouvelle-Guinée, on constate des interactions entre différents points de vue sur le vivant marin, dans un contexte de changement climatique et de dégradation des écosystèmes côtiers. Les habitants affirment que les gros poissons se cachent. Ils expliquent cela par le manque de respect que certains auraient envers les récifs, faisant fi des injonctions sociales traditionnelles. Des discours exogènes parviennent également sur l'île, mettant en avant les dangers des plantes ichtyotoxiques et de la pression de pêche malthusienne. Les ong environnementalistes qui portent ces discours préconisent de créer divers types d'aires marines protégées. À partir d'une enquête ethnographique de trois mois conduite fin 2019, cet article aborde les « frictions » entre ces différents points de vue, et analyse les recompositions et revalorisations de savoirs qu'elles engendrent.
      On the shores of Lavongai Island (also known as New Hanover), in the Bismarck archipelago of Papua New Guinea, interactions are taking place between various perceptions of marine life, in the context of climate change and coastal ecosystem degradation. The inhabitants of the island say that big fish are now hiding. They explain this by a lack of respect towards the reefs shown by some people, who disregard traditional social norms. Exogenous considerations on these matters also reach the island, highlighting the dangers of using toxic plants to catch fish, and the risks of Malthusian overfishing. The two environmental ngos that voice such concerns encourage locals to create marine protected areas. Based on three months of ethnographic fieldwork conducted in late 2019, this article focuses on the “frictions” between these different points of view, and analyses how such frictions reconfigure or revalue various aspects of knowledge.
    • Re-tracer les invisibilités coloniales. L'art de Brook Andrew en France - Arnaud Morvan, Barbara Glowczewski p. 353-367 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Artiste conceptuel, Brook Andrew remet en question les récits coloniaux à la lumière de ses ascendances wiradjuri (nation aborigène du sud-est de l'Australie) et celtes. Il intervient depuis plus de vingt ans dans les institutions muséales d'Australie et d'Europe, en détournant les collections et les archives pour faire émerger des récits alternatifs qu'il décrit comme des histoires cachées (hidden history) à visibiliser. À partir d'une analyse de quatre de ses expositions montées en France entre 2013 et 2016, l'article propose d'interroger les processus de déconstruction des savoirs historiques au cœur de sa démarche artistique reconnue internationalement. Il replace la pratique d'Andrew dans l'histoire récente des expositions d'art contemporain extra-européens en France et des recherches artistiques autours des objets ethnographiques. Les perceptions conflictuelles du passé sont analysées comme des assemblages trans-mémoriels qui dépassent l'opposition entre colonisateurs et colonisés et éclairent notre post-colonialité contemporaine.
      As a conceptual artist and international curator, Brook Andrew dedicates his work to addressing colonial narratives from the perspective of his mixed Wiradjuri and Celtic heritage. For the last 20 years, his museum interventions re-arrange public collections and archives to create counter-narratives, sometimes described as “hidden histories”, allowing a new visibility. Based on the study of four exhibitions held in France in three venues between 2013 and 2016, this article investigates the process of deconstructing historical narratives, a theme at the heart of Andrew's works. It places his practice within the context of non western contemporary art history in France, in relation to the politics of ethnographic objects. This reveals the existence of cross-memorial assemblages, that stretch beyond the simple opposition of coloniser/ colonised.
  • Miscellanées

  • Comptes rendus

  • Actes et actualités