Contenu du sommaire : Les ONG et la gouvernance de la biodiversité
Revue | Revue internationale des sciences sociales |
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Numéro | no 178, décembre 2003 |
Titre du numéro | Les ONG et la gouvernance de la biodiversité |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Les ONG et la gouvernance de la biodiversité
- ONG, peuples autochtones et savoirs locaux : enjeux de pouvoir dans le champ de la biodiversité - Marie Roué p. 597
- Forêts tropicales, ONG et projets de désir dans les îles Salomon - Edvard Hviding p. 601 Dans la présente étude, l'auteur étudie ce qu'il appelle « la mondialisation condensée » dans la région du Pacifique Sud, en particulier dans les îles Salomon. S'appuyant sur une longue expérience du travail ethnographique sur le terrain, notamment sur ce « point chaud » de la biodiversité qu'est le lagon de Marovo, il se penche sur la complexité d'un certain nombre de rencontres, au cours des années 1990, entre le local et le mondial, mettant en jeu des villageois autochtones propriétaires de ressources, des sociétés transnationales d'exploitation forestière et minière et des organisations non gouvernementales (ong) écologiques étrangères. L'accent est mis sur le statut contesté des forêts tropicales du lagon de Marovo. Si les sociétés asiatiques d'exploitation forestière désirent au plus vite tirer profit d'importantes réserves de bois, les ong occidentales (et organismes gouvernementaux similaires) souhaitent conserver les forêts au nom de la biodiversité mondiale. Les villageois, propriétaires des forêts aux termes d'un droit coutumier protégé par l'État, louvoient de façon imprévisible entre les types divergents de désirs étrangers (et mondiaux), insistant sur leur propre autonomie dans les conditions modernes de vie villageoise. Ce qui caractérise ces rencontres postcoloniales, c'est l'incertitude mutuelle et l'ignorance des objectifs moraux et politiques de « l'autre partie ». Cependant, le défaut de compréhension réciproque ne freine pas pour autant la collaboration réelle, qu'il s'agisse d'accords d'exploitation forestière de courte durée ou de « projets de conservation à base communautaire » lancés par des ong. Dans ces projets, définis selon des concepts autochtones, les désirs divergents semblent converger, quoique de façon incertaine.
- La complainte des baleines - Peter Bridgewater p. 617 À première vue, les débats internationaux sur la chasse aux baleines sont simples. Il existe un large soutien pour l'idée que la chasse devrait être interdite, de même qu'une forte opposition émanant de certains pays. Pourtant, les enjeux sont en réalité beaucoup plus complexes et témoignent notamment d'un décalage croissant entre le cadre juridique existant et les problèmes qu'il lui revient désormais de traiter. Ce décalage reflète à son tour la complexité croissante des débats sur l'environnement, et tout particulièrement les tensions entre une conception traditionnelle de la conservation et des approches hostiles à l'anthropocentrisme. Cet article souligne les difficultés que rencontre le droit face aux questions humaines de diversité culturelle et à la nature des dynamiques écologiques, qui se déploient sur des échelles multiples. La conclusion de l'article est que, alors même que le débat s'est ouvert, on a pu perdre de vue les questions urgentes de conservation.
- Malocas et Barracones :cas tradition, biodiversité et participation en Amazonie colombienne - Margarita Serje p. 623 On trouvera dans le présent article une analyse des suppositions et hypothèses qui guident l'action d'une ONG, en Amazonie colombienne, visant à renforcer l'autonomie autochtone et les formes traditionnelles de gestion de l'environnement, afin de garantir la conservation de la biodiversité dans la région. L'analyse des pratiques qui résultent de ces postulats montre le caractère paradoxal des projets et programmes qui, dans leur ardeur à privilégier le savoir traditionnel, en arrivent à servir d'outil à l'implantation de l'épistémologie et de la logique rationnelles. Ce processus apparaît si l'on se réfère aux utilisations attribuées, tout au long de cette histoire, à la maloca (case collective), habitation traditionnelle autochtone du nord-ouest de l'Amazonie, et au barracón (dépôt), construction introduite avec l'exploitation commerciale du caoutchouc, paradigme du « capitalisme sauvage » et fer de lance de la colonisation violente de la région.
- Enjeux autour de la gestion des ressources : le rôle des ONG face à la nouvelle loi d'autonomie locale en Indonésie - Dyah Maria Wirawati Suharno, Claudine Friedberg p. 635 Le changement de régime en Indonésie se manifeste en particulier par l'application depuis 2001 d'une loi destinée à promouvoir une autonomie locale. C'est dans ce cadre que doit s'inscrire l'activité des ONG ayant une action sur la biodiversité. Il s'agit non seulement des ONG spécialisées en environnement, mais aussi de celles qui traitent des Droits de l'Homme car elles sont chargées de dresser les limites des territoires des populations locales. La plupart de ces ONG sont en relation avec les grandes ONG internationales, avec des relais au niveau national et peuvent, en outre, avoir des représentants locaux mais qui n'appartiennent pas toujours aux populations autochtones. D'une façon générale les membres des ONG qui travaillent sur le terrain sont souvent des personnes ayant une formation universitaire et venant d'autres régions d'Indonésie. Leurs connaissances sur la situation locale et les caractéristiques socioculturelles de chaque population sont souvent très succinctes et se réduisent aux quelques généralités que l'on trouve dans les ouvrages. Or l'Indonésie est un pays où il existe une grande diversité culturelle d'une île à l'autre et même à l'intérieur d'une même île, surtout en ce qui concerne les modes de gestion de l'environnement. Ceux-ci dépendent non seulement des pratiques techniques utilisées, mais aussi de l'organisation traditionnelle de la société locale et de l'idée que ses membres se font des relations qu'ils entretiennent avec les différents êtres vivants.Avant d'engager une action, il est nécessaire de s'interroger sur les besoins réels des populations et sur l'adéquation entre la tâche assignée aux ONG et la façon dont sont formés leurs membres.
- Sciences sociales et biodiversité : articulations entre le global et le local au Vietnam - Dinh Trong Hiêu p. 639 Les ONG qui travaillent dans le domaine de la biodiversité au Vietnam coopèrent souvent avec les chercheurs autochtones des sciences de la nature, ce qui est normal. Elles négligent souvent les chercheurs en sciences sociales, ou se servent d'eux pour des expertises de faisabilité. D'autre part, les recherches en sciences sociales menées par les autochtones négligent aussi le domaine de la nature. Notre article cherche à démontrer qu'il existe des institutions locales qui recoupent les préoccupations globales de la préservation biodiversitaire, mais qu'il y a lieu également de susciter des recherches fondamentales qui permettront de mieux cerner l'évolution du concept de la nature chez les Vietnamiens, à travers l'histoire notamment.
- Sauvons la forêt tropicale ! Les ONG et les organisations de base dans la dialectique de l'Amazonie brésilienne - Luiz C. Barbosa p. 645 L'auteur affirme que les ONG et les organisations de base ont contribué à la protection de la forêt tropicale amazonienne au Brésil. En agissant seules, ou dans le cadre d'alliances forgées avec les ONG internationales, elles ont favorisé l'adoption de mesures de protection de l'environnement et leur application effective. Au sein d'une économie mondiale régie par les impératifs de développement et la recherche du profit, ces « gardiens de la forêt » jouent un rôle déterminant dans la survie de l'Amazonie en s'élevant contre les notions traditionnelles qui font de la déforestation une nécessité du développement. Pour illustrer son propos, l'auteur évoque l'action des organisations communautaires indiennes et de Greenpeace.
- Les savoirs locaux dans le filet des réseaux transnationaux d'ONG : perspectives mexicaines - David Dumoulin p. 655 Comme pour la plupart des thèmes environnementaux, les ONG transnationales d'environnement ont joué un rôle important dans l'avancée des savoirs locaux sur la biodiversité au sein des arènes internationales et nationales. Cependant, il est impossible de présenter une dynamique unique, car le terme générique d'ONG n'a plus guère de sens. L'article s'attache à montrer comment, en s'appuyant sur les modes d'insertion internationaux et le fonctionnement interne des ONG environnementaux, on peut différencier, à partir de 1990, trois principaux systèmes d'acteurs concernés : la communauté épistémique pour la défense de la diversité biologique et culturelle, le secteur mondialisé des réserves naturelles, et les réseaux transnationaux de militants. Le fait que le thème des savoirs locaux arrive dans les arènes internationales à travers les débats sur la crise écologique globale est essentiel pour comprendre le sens de ces savoirs « locaux ». Plus encore, cette compréhension doit s'appuyer sur l'étude des logiques d'action et des postures politiques de chacun des trois systèmes d'acteurs. En se penchant sur le cas de l'articulation de l'arène internationale avec l'arène nationale du Mexique, on verra comment les savoirs locaux sont devenus un thème important et avec de fortes implications politiques.
- Savoirs traditionnels et territoires de la biodiversité en Amazonie brésilienne - Florence Pinton p. 667 Parmi les problèmes d'environnement reconnus à l'échelle de la planète, celui de l'érosion de la biodiversité a été traité par la mise au point d'une convention mettant en avant la prise en compte des « savoirs, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales » dans la mise en œuvre d'un développement durable. Cette requalification de pratiques et savoirs portés par des populations fragilisées par plusieurs décennies de développement pose un certain nombre de problèmes quant à sa pertinence, ses formes et ses procédures. Les recherches pluridisciplinaires que nous avons menées en Amazonie brésilienne sur la gestion de la diversité variétale du manioc par divers groupes locaux en sont une bonne illustration. Après avoir présenté le contexte amazonien dans lequel est cultivé le manioc, nous nous intéressons aux environnements institutionnels et organisationnels dans lesquels évoluent les populations concernées pour amorcer une réflexion sur les configurations politiques émergentes en matière de préservation de savoirs locaux. Les ONG occupent une place non négligeable dans le champ politique, jouant le rôle d'intermédiation entre le local et les institutions politiques et administratives de l'Etat. Les dynamiques observées témoignent d'un changement profond du mode d'articulation des « populations autochtones » à la société englobante.
- ONG environnementalistes américaines et Indiens Cris. Une alliance contre nature pour sauvegarder la nature ? - Marie Roué p. 679 Nous essaierons ici de comprendre les relations complexes entre autochtones et ONG environnementalistes dans le cadre d'un conflit provoqué par un mégaprojet de développement hydroélectrique à la baie James, dans le Québec sub-arctique. En règle générale, le rôle de médiateur et de porte-parole qu'assument les ONG qui défendent la cause des autochtones n'est pas sans ambiguïté, puisqu'il oscille du statut de simple intermédiaire à celui de courtier, puis de patron. Mais plus encore que le caractère inextricable d'intérêts multiples et concurrents, c'est la distance entre les représentations de la nature des peuples qu'ils défendent et les leurs propres qui met les environnementalistes en porte-à-faux. Alors qu'une conception du wilderness directement héritée des pionniers qui découvrirent l'Amérique à travers la Bible les porte à imaginer une nature sauvage et dangereuse, la naissance du mouvement de protection de la nature les incline à protéger une nature menacée par les humains. Dans ces deux conceptions, qui se sont succédé historiquement et qui continuent à hanter l'imaginaire occidental, la nature permet à l'homme, perdu dans son immensité et loin de la société de ses semblables, d'établir une relation directe avec Dieu. Comment alors protéger avec les Indiens Cris et les peuples autochtones en règle générale une nature qu'ils ne perçoivent pas séparée de l'homme, mais dont ils font partie ? Combien de temps encore pourrons-nous faire l'économie de l'analyse de concepts de protection de la nature qui, lors de causes environnementales partagées, fondent notre relation à autrui tout en l'excluant ?
- Les ONG et le processus d'autorisation préalable dans la recherche de bioprospection : le projet Maya ICBG aux Chiapas, Mexique - Brent Berlin, Elois Ann Berlin p. 689 En 1998 commença parmi les communautés maya des hautes terres des Chiapas au Mexique un projet de bioprospection, d'une durée prévue de cinq ans : le Maya International Cooperative Biodiversity Group, qu'on finit par connaître sous le nom de « Maya icbg ». Le projet était financé par des agences gouvernementales américaines : les Institut nationaux de la santé, la Fondation nationale pour la science et le Département de l'agriculture. Les personnels affectés au projet venaient d'une grande université américaine, d'une institution fédérale de recherche mexicaine et d'une petite société pharmaceutique britannique, auxquels s'ajoutaient de nombreux collaborateurs maya. Les principaux objectifs de la recherche portaient sur la découverte de produits et le développement pharmaceutique, l'ethnobiologie médicale et l'inventaire des plantes, les récoltes durables et la croissance économique. Malgré un fort soutien de la part de communautés maya locales et d'agences fédérales mexicaines, le projet fut interrompu au cours de sa deuxième année en raison de l'action d'organisations non gouvernementales locales, nationales et internationales qui le taxaient de « biopiraterie ». Dans les polémiques à ce sujet, la définition du « consentement informé préalable » (cip) a occupé une place majeure, tout comme le droit des communautés locales à accorder leur cip et la question de savoir qui serait à même de juger si le cip avait effectivement été obtenu. Dans cet article, nous décrivons les événements qui ont conduit à l'arrêt du Maya l'icbg et nous interrogeons sur les motivations et les pratiques de certaines ong qui usurpent les droits des communautés locales à agir pour leur propre compte dans la recherche d'usages durables de leurs propres ressources biologiques.L'article est suivi de quelques remarques critiques de Philippe Descola sur la notion d'« assentiment communautaire ».
- Quelques remarques sur la notion d'assentiment communautaire - Philippe Descola p. 699
Tribune libre
- Le contrôle social et politique du savoir dans les sociétés modernes - Nico Stehr p. 703 `titrebRésumé`/titrebCet article s'inscrit dans une réflexion sur les raisons du contrôle du savoir scientifique innovant et sur les modalités de sa mise en œuvre par les grandes institutions sociales nationales et internationales. La sociologie de la connaissance s'intéresse depuis toujours au rôle social du savoir (le pouvoir qui peut s'y enraciner) et à ses transformations et ses vecteurs (les experts, les intellectuels, les élites cognitives). Néanmoins, la préoccupation principale de la sociologie de la connaissance a traditionnellement tourné autour de la production plutôt que de la consommation du savoir. Il convient désormais, en sociologie de la connaissance, de s'orienter davantage vers ce que l'on pourrait appeler les « politiques du savoir ». Dans un premier temps, je décrirai et délimiterai la notion de politique du savoir comme domaine nouveau d'activité politique. S'agissant de la mise en œuvre de nouvelles capacités d'action (en d'autres termes, des savoirs), les politiques du savoir peuvent ne pas être restrictives a priori ; pour les besoins de cet article, toutefois, je mettrai l'accent sur les tentatives d'anticipation des effets des savoirs nouveaux sur les relations sociales ainsi que sur les tentatives de maîtrise de leur impact. Dans un deuxième temps, je repérerai certaines des raisons pour lesquelles les politiques du savoir prennent de l'importance comme champ d'activité politique dans les sociétés modernes. J'insisterai, en particulier, sur les relations en mutation entre science et société. Dans la troisième partie de l'article, j'introduirai une distinction entre politiques du savoir et politiques scientifiques. Avant de terminer par de brèves conclusions prospectives, j'esquisserai quelques cas pertinents des politiques du savoir en action.
- Le contrôle social et politique du savoir dans les sociétés modernes - Nico Stehr p. 703
- Les numéros parus - p. 717