Contenu du sommaire : Guerre et contre-terrorisme

Revue Cultures & conflits Mir@bel
Numéro no 123-124, automne-hiver 2021
Titre du numéro Guerre et contre-terrorisme
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial - p. 7-9 accès libre
  • Dossier

    • Guerre et contre-terrorisme - Didier Bigo... p. 11-19 accès libre
    • La rivalité mimétique, une matrice de la guerre contre le terrorisme et de ses stratégies discursives ? - Didier Bigo, Laurent Bonnefoy, Mathias Delori, Anastassia Tsoukala, Christophe Wasinski p. 21-35 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La guerre contre le « terrorisme » ne fait pas que détruire ; elle crée aussi des liens de réciprocité entre les acteurs du conflit : réciprocité des sentiments moraux, des identités et surtout des pratiques concrètes. L'argument développé dans cet article est que la théorie de la rivalité mimétique de René Girard permet de saisir ces dynamiques qui rendent non seulement improbable la fin du conflit mais contribuent aussi à son escalade. La théorie de la rivalité mimétique révèle le rôle joué par la structuration des discours et des identités au cours de la relation violente, l'incapacité croissante des acteurs à comprendre les motifs d'action de leurs adversaires et l'extension du champ de la rivalité. Elle constitue un antidote par rapport aux explications qui radicalisent les identités en refusant et en s'offusquant des ressemblances qui émergent du combat. Elle constitue aussi une antithèse aux explications par la géopolitique des cultures et des civilisations qui nourrissent la méconnaissance des dynamiques de la violence.
      The war on “terrorism” does not only destroy; it also creates reciprocal links between the actors of the conflict: reciprocity of moral feelings, of identities, and especially of concrete practices. The argument developed in this article is that René Girard's theory of mimetic rivalry allows us to grasp the dynamics which do not only make this war an endless one but also contribute to its escalation. The theory of mimetic rivalry reveals that discourses and identities are shaped during the course of the violent relationship, the increasing inability of the adversaries to understand the motives of their opponents, and the extension of the field of rivalry. It constitutes an antidote to those explanations that radicalize and essentialize identities by denying the similarities that emerge from combat. It also constitutes an antithesis to those explanations based on the geopolitics of cultures and civilizations which feed ignorance on the dynamics at play in situations of violence.
    • Les interventions militaires sont-elles une cause du « terrorisme » ? : De l'utilité des analyses quantitatives pour les études critiques de la sécurité - Mathias Delori, Clara Egger, Raùl Magni-Berton, Simon Varaine p. 37-65 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Une multitude d'études quantitatives ont conclu que l'interventionnisme militaire est un facteur explicatif central du terrorisme. Pourtant, cette littérature est rarement mobilisée dans le champ des études francophones. Ce point aveugle semble découler d'une méfiance par rapport aux soubassements positivistes de ces études quantitatives et leur manque apparent de réflexivité par rapport à la notion de terrorisme. Ce texte présente l'argument selon lequel cette méfiance est en partie fondée mais qu'elle se dissipe si l'on adopte une définition nominaliste du « terrorisme ». On ne mesure pas alors le poids de l'interventionnisme militaire sur le terrorisme au sens strictement réaliste du terme – cet objet est de toute façon impossible à cerner – mais sur la genèse de ce que le discours hégémonique appelle « terrorisme », à savoir les attaques violentes des groupes non-étatiques que ce même discours qualifie de « terroristes ».
      Many quantitative studies have concluded that military interventionism is a central explanatory factor of terrorism. Yet, this literature is rarely mobilized in the correlate Francophone field of security studies. This blind spot seems to take root in a distrust of the positivist underpinnings of these quantitative studies and their apparent lack of reflexivity, in particular regarding the notion of terrorism. This paper argues that this distrust is partly justified but that it dissipates if one adopts a nominalist definition of “terrorism.” One does not measure, then, the weight of military interventionism on terrorism understood in a realistic fashion – provided that it is possible to grasp terrorism in such a way – but, rather, on the genesis of what the hegemonic discourse calls “terrorism,” namely violent attacks by non-state groups which the same discourse labels as “terrorists.”
    • De la « guerre contre le terrorisme » aux guerres sans fins : la co-production de la violence en Afghanistan, au Mali et au Tchad - Bruno Charbonneau, Marielle Debos, Jean-Paul Hanon, Christian Olsson, Christophe Wasinski p. 67-82 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Quels sont les effets des interventions armées menées au nom de la « guerre contre le terrorisme » ? Fondé sur des études de cas localisées, en Afghanistan, au Mali et au Tchad, l'article invite à repenser les présupposés de l'interventionnisme et montre pourquoi la « guerre contre le terrorisme » ne peut être « gagnée » au sens classique du terme et comment elle contribue à perpétuer les conflits et à miner leur résolution. Si chaque configuration est singulière, on retrouve dans ces trois pays des processus similaires de perpétuation des conflits et de co-production de la violence armée par un ensemble d'acteurs internationaux et locaux.
      What are the effects of armed interventions carried out in the name of the “war on terror”? Based on localized case studies in Afghanistan, Mali, and Chad, the article invites us to rethink the underlying conceptions of interventionism and shows why the “war on terror” cannot be “won” in the classical sense of the term. Instead, it shows how the “war on terror” contributes to perpetuating conflicts and undermining their resolution. While each configuration is unique, similar processes of conflict perpetuation and co-production of armed violence by a range of international and local actors can be found in all three countries.
    • Le contre-terrorisme comme prétexte. Retour sur l'opération Sirli et la politique française - Didier Bigo, Jean-Paul Hanon p. 83-93 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le 21 novembre 2021, le magazine Web d'investigation Disclose publiait un dossier sur l'opération « Sirli », une coopération opérationnelle secrète entre la direction du renseignement militaire (DRM) français et les services de sécurité égyptiens du maréchal Abdel Fattah Al-Sissi. Ces révélations reposent sur des centaines de documents classés « confidentiel-défense » transmis aux journalistes par une source qui a préféré encourir les risques de poursuites que de continuer à cautionner les pratiques dont il était le témoin. Nous reproduisons le texte qu'il a fait parvenir à Disclose ainsi que les réponses qu'il a apportées à la rédaction avant de mettre ces propos en relation avec le questionnement plus général de ce numéro de Cultures & Conflits sur guerre et terrorisme.
      On the 21st of November 2021, the investigative web magazine Disclose published a report on Operation Sirli, a secret mission organized between the French Military Intelligence Directorate (DRM) and the Egyptian security services of Marshal Abdel Fattah Al-Sissi. These revelations are based on hundreds of documents classified as confidential-defense transmitted to journalists by a source who preferred to run the risk of prosecution than to continue to endorse the practices s/he witnessed. Reproducing the text and follow-up answers sent by the anonymous source to the Disclose editorial team, we use this case to open up and discuss a broader set of questions developed in this special issue on war and terrorism.
    • Ce que la « guerre au terrorisme » fait à la justice - Emmanuel-Pierre Guittet, Antoine Mégie, Sharon Weill p. 95-103 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En matière de droit pénal et de droit de la procédure pénale, ces vingt dernières années ont été marquées par deux mutations majeures : le rapprochement du droit pénal et du droit des conflit armés d'une part et la prépondérance des logiques de prévention et d'anticipation d'autre part. La guerre au terrorisme a contribué à remettre en cause les fondements mêmes du droit pénal libéral. Que reste-t-il du rôle essentiel d'apaisement des désirs de violence lorsque la justice pénale elle-même participe au cycle de vengeance ?
      In terms of criminal law and criminal procedure law, the last twenty years have been marked by two major changes: the convergence of criminal law and the law of armed conflict, on one hand, and the prevalence of the logic of prevention and anticipation, on the other. The war on terrorism has challenged the foundation of liberal criminal law. What remains of the essential role of appeasing the desire for violence when criminal justice itself is involved in the cycle of retribution?
    • Juger le terrorisme : Une ethnographie à la Cour d'assises spécialement composée de Paris - Sharon Weill p. 105-121 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En France, depuis 2015, nous assistons à un flux d'affaires terroristes inédit dans l'histoire moderne de la justice pénale. Dans leur routine professionnelle, les magistrats se retrouvent ainsi directement impliqués dans des enjeux géopolitiques de grande ampleur. C'est dans ce contexte que cet article vise à examiner leur rôle émergent d'acteurs transnationaux, la manière dont ces juges renforcent, protègent et promeuvent certains objectifs et visions politiques, et l'impact jurisprudentiel de ces décisions, tant au niveau national que transnational. Basé sur une approche ethnographique, où une équipe de recherche multidisciplinaire a observé en salle d'audience de nombreux procès de la Cour d'assises spécialement composée pour juger les affaires de terrorisme entre 2017 et 2020, cet article entend démontrer que la justice face au terrorisme est une justice à la frontière de la justice ordinaire, de la justice spécialisée et de la justice d'exception. Mais il s'agit également d'une justice où les juges d'audience ont un rôle important à jouer dans le développement d'une pratique alternative à la doctrine préventive et répressive.
      In France, we have witnessed a flow of terrorist cases since 2015, unparalleled in the modern history of criminal justice. In their professional routine, magistrates thus find themselves directly involved in major geopolitical issues. It is in this context that this article aims to examine the emerging role of national criminal judges as transnational actors, how these judges reinforce, protect, and promote certain political goals and visions on a daily basis, and what the jurisprudential impact of these actions is, both nationally and transnationally. Based on an ethnographic approach, involving a multidisciplinary research team that observed dozens of terror trials in the Special Assize Court, this article demonstrates that terror justice is performed at the frontiers of ordinary justice, specialized justice and exceptional justice. At the same time, criminal judges play an important role in the enforcement of an alternative approach to the preventive and repressive doctrines, notably through the application of regular criminal law appreciations.
  • À propos des 30 ans de Cultures & Conflits

    • Logiques centrifuges et centripètes dans les conflits armés contemporains : les reconfigurations de la « machine de guerre » ? - Christian Olsson p. 123-135 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Une des lignes de force qui traversent la revue Cultures & Conflits depuis ses débuts a trait à l'épuisement relatif de l'heuristique clausewitzienne de « l'ascension aux extrêmes » de la guerre. Nous analysons ici les implications et la portée de ces analyses des conflits avec une vision rétrospective sur les trente années écoulées. Les concepts heuristiques de Clausewitz (duel, ascension, polarisation), et plus largement les modèles centripètes des conflits armés de la science politique contemporaine (d'un part celui des compétitions éliminatoires jusqu'au monopole territorial dans les guerres civiles, d'autre part celui des centralisations compétitives jusqu'à « l'indifférenciation fonctionnelle » des États dans les guerres internationales) doivent être considérablement complexifiées, si l'on veut comprendre les conflits multi-centrés contemporains de manière multi-scalaire. Dans la majorité de ceux-ci, forces centrifuges et centripètes coexistent et font s'entrelacer de multiples niveaux d'interaction politique, du « local » au « mondial ».
      One of the research strands that has run through the journal Cultures & Conflits from its very inception deals with the relative exhaustion of the Clausewitzian heuristics of the “push towards the extremes of war.” Here, I delve into the implications and scope of these analyses of armed conflict with a retrospective view on the last thirty years. Clausewitz's heuristic concept of war as a duel (with dynamics of polarization and a push towards the extremes of war) and, more broadly, the more recent centripetal “models” of war in political science (focusing, on the one hand, on elimination struggles leading to a monopolizing impetus in civil war; on the other, on competitive state-centralization leading to the emergence of “like-units” in the context of interstate war) must be considerably complexified in order to thoroughly understand the multi-scalar and multi-centered nature of contemporary armed conflict. In the majority of contemporary wars, centrifugal and centripetal forces coexist and interweave multiple levels of political interaction, from the “local” to the “global.” 
    • Vers une dé-réification de « l'intérêt » dans l'analyse des conflits - Thomas Lindemann p. 137-152 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cette contribution revoit les articles sur les conflits armés dans la revue Cultures & Conflits dans les trois dernières décennies et examine comment elles conçoivent les situations conflictuelles, leurs acteurs et leur capacité d'agir. Selon moi, un apport majeur d'une approche anthropologique et sociologique consiste à de-réifier les conflits armés en mettant en avant la contingence, le désordre et les dimensions humainement « produites » par des acteurs contrastant singulièrement avec les études mainstream qui ne voient que ce qu'elles s'attendent à voir en fonction de leurs lentilles théoriques.
      This contribution provides an overview of conflict studies in Cultures & Conflits over the last three decades through an examination of how articles framed conflict situations, the actors involved and their agency. I argue that one of the main contributions of an anthropological and sociological approach is the de-reification of international conflict in stressing the contingency, messy and “humane-made” dimensions of conflict that contrasts strongly with those approaches that only see in a given “case” what they expected to see according to their theoretical lenses.
    • Entre le licite et l'illicite : mobilités humaines, marchés et militarisation des contrôles dans le monde post-bipolaire - Angelina Peralva, Vera Telles p. 153-171 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La fin du monde bipolaire a ouvert la voie à une intensification sans précédent des mobilités humaines et marchandes. Autant sous forme d'un gouvernement des frontières que d'un gouvernement des villes, des dispositifs similaires de contrôle ont été mis en place. Ils se sont appuyés sur la capacité à cerner des frontières ou des espaces mouvants à sécuriser, et sur une militarisation à outrance des techniques et technologies de sécurisation. La même suspension de la loi et des droits, observable sur le plan de ces dispositifs de contrôle et sécurisation, se retrouve dans le mode opératoire de marchés – financiers, mais aussi économiques ou du travail. Tous transitent avec aisance entre le légal et l'illégal, le licite et l'illicite, sous le regard bienveillant des opérateurs de la loi. Ces questions sont abordées à partir de recherches franco-brésiliennes et du point de vue des transversalités nord-sud.
      The end of the bipolarity has opened the way towards an unprecedented intensification of human and market mobilities. Whether in the form of a government of borders or a government of cities, similar control mechanisms have been put in place. They have essentially relied on the ability to tighten borders or secure moving spaces, turning to an excessive militarization of security techniques and technologies. The same suspension of the law and of rights, observable on the level of these devices of control and security, is found in the operating mode of markets - financial, but also economic or labor. All of them move with ease between the legal and the illegal, the licit and the illicit, under the benevolent gaze of the operators of the law. These questions are addressed from Franco-Brazilian research and from the point of view of North-South transversalities.
  • Hors thème

    • Imaginer la possibilité de la guerre nucléaire pour y faire face : Le rôle de la culture populaire visuelle de 1950 à nos jours - Benoît Pelopidas p. 173-212 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment les citoyens peuvent-ils se figurer la possibilité de la guerre nucléaire pour y faire face politiquement ? Pour répondre à cette nouvelle question, cette intervention s'inscrit dans la lignée des travaux sur la culture populaire visuelle et avance trois arguments. D'abord, elle réaffirme le rôle essentiel de l'imagination et de la forme fictionnelle. Ensuite, elle identifie quatre gestes esthétiques qui rendent la possibilité de la guerre nucléaire imaginable. Enfin, à partir d'une étude de la culture populaire visuelle portant sur la catastrophe nucléaire de 1951 à 2019, elle requalifie la période post-1990 comme moment de production d'un imaginaire dans lequel la guerre nucléaire est absente et les armes potentiellement salutaires, par contraste avec les quatre décennies précédentes. Elle s'appuie sur des matériaux empiriques inédits : une campagne d'entretiens auprès de ceux qui perpétuent, luttent contre, filment ou éduquent au sujet de la guerre nucléaire, en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis ainsi qu'un sondage de grande ampleur de la population des États européens dotés d'armes nucléaires ou hébergeant des armes nucléaires américaines.
      How can citizens relate to the possibility of nuclear war, so as to confront it politically? In order to answer this novel question, this essay builds on the scholarship on visual popular culture and makes three arguments. First, it reasserts the central role of imagination and fiction in seizing the possibility of nuclear war. Second, it identifies four aesthetic gestures which make this possibility imaginable. Third, through a detailed analysis of nuclear weapons in visual popular culture globally from 1951 to 2019 and tracing those aesthetic gestures, it requalifies the post-1990 period in contrast to the previous four decades as a time of production of an imaginary in which the possibility of nuclear war became invisible and nuclear weapons minimally harmful or salutary. It is based on untapped empirical material: interviews with nuclear war planners, disarmament activists, artists, and educators about nuclear dangers in France, the UK and the United States as well as a novel survey about the nuclear imaginaries and memories of a representative sample of residents in European countries which either possess nuclear weapons or host US nuclear weapons on their soil.